Pritzker 2021 : la consécration d’Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal
Service Architecture & Urbanisme | le 16/03/2021 | Prix Pritzker , Lacaton & Vassal, France , Monde
Les deux architectes, qui plaident depuis 30 ans pour une économie de moyens au service d’une générosité des espaces, ont été déclarés 49e et 50e lauréats de ce qui représente l’une des récompenses les plus prestigieuses de leur discipline : le prix Pritzker. C’est la troisième fois que des architectes français sont ainsi distingués.
A l’aube des années 1990, un duo de jeunes architectes bordelais, Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal se faisait connaître en livrant une maison toute simple, construite pour pas cher, avec des façades en fibrociment ou en polycarbonate. Cette maison Latapie avait alors été saluée pour sa conception qui pour être frugale offrait tellement de liberté, d’espace et de lumière. Trois décennies plus tard, les mêmes décrochent pour les mêmes motifs ce qui représente incontestablement la plus importante distinction de leur discipline. Le 16 mars 2021, ils sont devenus les 49e et 50e lauréats du prix Pritzker. Cette récompense, surnommée pour plus de commodité le «Nobel» de l’architecture, vient couronner depuis 1979 des concepteurs exemplaires tant pour leur œuvre bâtie que pour leur démarche. Cette reconnaissance internationale, accordée par la fondation Hyatt, avait jusqu’ici profité seulement à deux architectes français, Christian de Portzamparc en 1994 et Jean Nouvel en 2008.
Justes moyens
Ce ne sera faire offense à quiconque que de dire qu’Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal sont à mille lieux de ces deux glorieux prédécesseurs. Ils ne correspondent assurément pas à l’image que l’on se fait des «starchitectes». Mais d’année en année, le duo a mené un travail fondé sur le plus juste usage des moyens au profit d’un maximum de résultats, conduite qui leur a valu l'approbation de leurs pairs et l'admiration des plus jeunes générations.
Pour le jury présidé par le Chilien Alejandro Aravena, lui-même Pritzker 2016, Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal sont parvenus à redonner du souffle «à ces espoirs et ces rêves du mouvement moderne d’améliorer l’existence du plus grand nombre. Leur travail apporte une réponse aux urgences climatique et écologique de notre époque, autant qu’à la préoccupation sociale, en particulier dans le domaine du logement. Et ils y parviennent tout en développant un grand sens de l’espace et des matériaux qui les amène à créer une architecture aussi puissante dans sa forme que dans ses convictions et aussi transparente dans son esthétique que dans son éthique.»
Barres des années 1960
Nés en 1955 et 1954, Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal qui se sont rencontrés à l’Ecole d’architecture de Bordeaux et ont fondé leur agence en 1988, ont jusqu’à présent œuvré majoritairement sur le territoire français. Ils ont livré d’autres maisons privées et de l’habitat social, produit un peu de bureaux et déployé un bel éventail d’équipements publics dédiés à la culture ou à l’éducation.
Ceux qui étaient déjà lauréats du Grand Prix national d'architecture 2008 ont depuis trente ans bâti, mais aussi beaucoup réinvesti des lieux qui attendaient leur deuxième chance. Il y eut ainsi le Palais de Tokyo à Paris, repensé comme un lieu d’art contemporain dans une coque des années 1930 et transformé en deux phases à 10 ans d'intervalle, ou encore le Frac Nord-Pas-de-Calais (aujourd’hui Frac Grand Large - Hauts-de-France) installé dans une ancienne halle à bateaux du port de Dunkerque à laquelle a été accolée une siamoise translucide, en 2013.
Les deux architectes ne portent cependant pas leur attention qu’au monumental, au patrimoine vu comme officiel. Avec leur confrère Frédéric Druot, ils plaident pour une attitude «zéro démolition », assurent que même les barres des années 1960 ont des vertus et estiment qu’il faut apprendre à mieux en exploiter les capacités. Ils l’ont prouvé avec la tour Bois-le-Prêtre, à Paris, qui leur a valu de remporter le prix de l’Equerre d’argent 2011. Puis ils ont réitéré l’expérience notamment, avec la collaboration supplémentaire de Christophe Hutin, en transformant 530 logements sociaux, dans le quartier bordelais du Grand Parc. L’opération, leur a cette fois rapporté le Prix Mies van der Rohe en 2019.
«Le familier, l’utile et le beau»
Tous ses projets illustrent une même définition de ce que doit être la «bonne architecture», ainsi que l’a détaillée Anne Lacaton lors de l’annonce du Pritzker 2021 : «Elle est ouverte à la vie, elle accroît la liberté de chacun (…). Elle ne doit pas être démonstrative ni s’imposer mais représenter quelque chose de familier, d’utile et de beau. Elle est en capacité d’accueillir la vie qui doit y prendre place.» Les architectes ont en particulier traduit cette ambition par une dilatation de l’espace habitable. A Bois-le-Prêtre comme au Grand Parc, le but a été atteint grâce à une manœuvre spectaculaire : l’ajout de jardins d’hiver en façade.
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Anne Lacaton, Jean-Philippe Vassal et les clés de la maison Latapie
La priorité donnée à l’usage plutôt qu’à l’apparence a ainsi demeuré depuis la maison Latapie. Elle est devenue la marque de fabrique de l’agence. Mais aux commentateurs qui ont pointé, dans un élan de romantisme, une architecture proche de l’art pauvre, Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal ont souvent opposé au contraire la notion du luxe. Du moins telle qu’eux l’entendaient. Cette richesse que seul peut offrir le confort des grandes surfaces et des belles lumières.
Eric
17/03/2021 09h:32
Comme c'est étrange et intéressant de voir dans ce monde de l'architecture et du btp, largement dominé par la prétention et la mégalomanie, deux concepteurs, dont l'intelligence permet d'éclairer la route des nouvelles générations, aussi brillamment récompensés.