Gaudi, la parabole de l’architecte
Raphaëlle Saint-Pierre | le 04/07/2022 | Paris, Exposition
La première exposition monographique consacrée en France au créateur catalan est présentée au musée d’Orsay, à Paris, jusqu’au 17 juillet prochain.
A la manière du dispositif aux miroirs qui permettait à l’architecte catalan Antoni Gaudi (1852-1926) de voir simultanément son modèle sous tous ses angles, l’exposition qui se tient jusqu’au 17 juillet 2022 au musée d’Orsay à Paris (VIIe) révèle les nombreuses et passionnantes facettes du mystérieux personnage… Dès l’entrée, les boiseries du vestibule de la Casa Mila nous cernent et nous enveloppent dans son univers fantastique où cependant rien n’est jamais gratuit. «Chez Gaudi, le décor fait partie de la forme qui elle-même fait partie de la fonction», explique Isabelle Morin-Loutrel, conservatrice générale du patrimoine et co-commissaire. Les sculptures qui peuplent le toit de la Pedrera, par exemple, restent des cheminées ; comme ses meubles tout en circonvolutions, à l’opposé de la symétrie cartésienne, s’avèrent ergonomiques. «Gaudi se distingue par sa fantaisie qui vient notamment de sa culture espagnole. Il y a quelque chose d’assez explosif qu’on ne rencontre pas en France dans l’Art Nouveau.»
La reconstitution de son atelier de la Sagrada Familia lève une partie du voile sur son processus créatif qui passait, notamment, par la photographie. Les archives de Gaudi ont disparu dans l’incendie de cet atelier mais les rares plans exposés méritent le déplacement, tels ceux de la Casa Mila que l’on pourrait confondre avec la coupe d’un organisme pluricellulaire. Les photographies d’époque témoignent particulièrement de l’atmosphère onirique de ses demeures urbaines. Exposées en 1910 à Paris, au Salon de la Société nationale des Beaux-Arts, elles déstabilisent alors les critiques français mais trouveront un écho peu après chez les Surréalistes.
Arcs caténaires
«Gaudi est à la fois un architecte plasticien et quelqu’un de rationnel», poursuit Isabelle Morin-Loutrel. Son œuvre complexe se situe à la croisée de plusieurs courants, influencée tout à la fois par l’art mozarabe, où Gaudi puise son goût du fractionnement, les Arts and Crafts et même par Eugène Viollet-le-Duc. Très vite, l’obsession de Gaudi se focalise sur la construction de hautes voûtes sans recours aux contreforts gothiques. Dans l’expérimentation permanente, il élabore dans ce but de fascinantes maquettes polyfuniculaires dont l’une est reconstituée ici. Elles lui permettent de calculer la répartition des charges des voûtes à l’aide de cordelettes et de billes de plomb dont il étudie ensuite l’image renversée. Un fil conducteur de son œuvre qui se découvre dans les sublimes combles en arcs caténaires ou paraboliques des Casa Mila et Batllo, toutes deux achevées en 1910.
L’exposition éclaire intelligemment le rapport entre le travail de Gaudi et la transformation de Barcelone, dans une période de faste économique lié à l’essor de l’industrie textile. Plusieurs familles bourgeoises lui confient alors la réalisation de leur hôtel particulier dont il est libre de dessiner les moindres détails (meubles, motifs des carrelages ou poignées de portes). Comme souvent derrière les grands créateurs se cache un mécène. Pour Gaudi ce sera l’industriel Eusebi Güell, dont il partage la foi religieuse, l’amour de la Catalogne et l’idée de l’art pour tous. Il lui construira une «finca», un palais, un parc et la crypte d’une église aux colonnes inclinées, véritable laboratoire de statique architecturale qui l’aidera à approfondir sa réflexion sur la Sagrada Familia, tant du point de vue constructif que symbolique. L’exposition s’achève avec l’évocation de la célèbre cathédrale que Gaudi commence à imaginer dès l’âge de 31 ans. Il finira même par habiter le chantier, jusqu’à sa mort à 74 ans.