Y a-t-il encore des raisons de croire à la climatisation solaire ?
Rafraîchir les bureaux en utilisant le soleil : la climatisation solaire a en théorie tout pour plaire. Pourtant, le concept peine à s'implanter dans l'Hexagone. Explications.
En 1991, afin d'assurer le vieillissement de leur production dans les meilleures conditions possibles, les vignerons du groupement interproducteurs du Cru de Banyuls s'équipent d'une climatisation solaire. Nécessitant l'installation de 130 m² de panneaux thermiques, l'investissement global représentait, à l'époque, l'équivalent de 300 000 euros d'aujourd'hui.
Ingénieur chez Tecsol, le bureau d'études ayant conçu le projet, Romain Siré estime qu'installer un système identique demanderait actuellement le même effort financier qu'il y a vingt ans. Pas de baisse, donc. Pour ce professionnel, le prix des panneaux, qui représente en moyenne un tiers du coût de l'installation - pour une puissance d'un kW froid, il faut 3 m² de panneaux en moyenne - y est pour beaucoup. A Enerplan, syndicat des professionnels de l'énergie solaire, on reconnait que le prix des équipements solaires thermiques demeure élevé en France. L'Ademe mène d'ailleurs une étude afin de décomposer ce prix et permettre de repérer les intermédiaires qui s'offrent des marges excessives.
Quoi qu'il en soit, le coût n'est pas le seul frein au développement de la climatisation solaire... Pour preuve : Enerplan ont lancé en 2009 un programme de soutien financier baptisé Emergence qui vise, comme son nom l'indique, à faire naître en France des projets de production de chaud et de froid à partir du solaire thermique. Sans grand succès malheureusement, alors que le montant de l'aide peut représenter jusqu'à 80 % du montant total de l'investissement. A ce jour, seules trois installations ont été financées par Emergence sur les 20 prévues normalement d'ici fin 2013.
« La climatisation solaire n'est pas une solution très connue. Pour qu'un projet aboutisse, il faut des gens intéressés et qui sachent motiver l'équipe de maîtrise d'ouvrage », explique Philippe Gay, chargé de suivre l'évolution du marché au sein d'Enerplan. Philippe Gay dénonce également un manque de compétences. « Les technologies utilisées – panneaux solaires et machines à absorption ou adsorption – sont maîtrisées. Cependant la combinaison des deux demande un savoir-faire sur le dimensionnement et les réglages. Les bureaux d'études qui ont développé une expertise sur le sujet sont peu nombreux. Et, en aval, on manque de spécialistes capables d'assurer l'exploitation et la maintenance ».
Un point de vue partagé par Hamid Batoul, directeur technique solaire de Schüco, entreprise qui a par le passé participé à plusieurs projets de climatisation solaire, dont un à La Réunion (IUT de Saint-Pierre). Fort de son expérience, ce dernier pointe aussi le fait « qu'à la mi-saison, lorsque la climatisation devient inutile, l'énergie solaire récupérée n'est plus utilisée et pose alors des problèmes de surchauffe au niveau des capteurs ». Autre obstacle identifié par Hamid Batoul, l'inadaptation de l'offre dans le domaine des machines, et notamment l'absence d'équipements d'une puissance de 4 ou 5 kW froid qui seraient pourtant les mieux adaptées au résidentiel.
En attendant les futures innovations des industriels, l'Agence nationale de la recherche (ANR) finance une étude, Megapics, qui devrait aboutir à la démocratisation des « bonnes pratiques ». Les travaux en cours conduiront à la mise à disposition d'une méthode de calcul simple et rapide pour la prévision des performances annuelles, et d'un outil informatique de dimensionnement des installations de climatisation/chauffage solaire fiable et validé. Ces dispositifs sont jugés « essentiels » par Philipe Gay, qui espère qu'ils seront de nature à « rassurer les acteurs de la construction ».
Les professionnels du secteur aimeraient toutefois prouver dès maintenant l'efficacité de certaines solutions. Hélioclim, une des rares sociétés françaises entièrement dédiées à la climatisation solaire, a ainsi mis en œuvre un système fonctionnant à partir de concentrateurs cylindro-paraboliques économiques et d'une machine de production de froid elle aussi spécialement conçue par l'entreprise. « Notre solution a été développée pour éviter les écueils que rencontrent d'autres acteurs, estime Yann Vitupier, responsable R&D et co-fondateur de l'entreprise. En particulier l'impossibilité de rentabiliser l'installation en l'utilisant seulement trois mois dans l'année. D'où l'idée de coupler la climatisation au chauffage en faisant appel à une machine thermique réversible. »
L'obtention d'un bon rendement nécessite en l'occurrence une entrée d'eau chaude à haute température (plus de 150°C), eau surchauffée par le passage à l'intérieur de tubes placés au foyer des miroirs. Encore en développement, la solution devrait donner lieu à une première réalisation en 2013, avec en ligne de mire un coût de 800 euros par kW de puissance installée. « Nous visons le tertiaire, le collectif, avec des machines de 100 à 1 000 kW froid et, nous constatons à travers nos contacts que la climatisation solaire suscite une attente bien réelle sur ces segments », affirme Yann Vitupier.
Une chose est sûre, la climatisation solaire ne se démocratisera qu'en étant couplée à une production de chaud en hiver et en se déployant sur des réalisations de grande envergure. A Montpellier, dans le quartier de l'Arche Jacques Coeur, 240 m² de panneaux fournissent des frigories à un bâtiment tertiaire de 11 000 m2 et des calories à un immeuble voisin de 170 logements. Pour son nouveau siège, à Montigny-le-Bretonneux dans les Yvelines, le pôle énergies de Bouygues Construction s'est lui aussi équipé de 200 m² de panneaux pour la production d'eau chaude sanitaire et l'alimentation du système de climatisation. A plus grande échelle, l'université de Singapour a pour sa part installé pas moins de 3900 m² de panneaux pour climatiser ses salles de cours et chauffer les logements étudiants...
Au total, en 2011, l'Agence internationale de l'énergie a recensé quelque 750 installations de climatisation solaire à travers le monde. « La climatisation solaire rencontre certes des obstacles, ne serait-ce que la chute des prix du photovoltaïque qui donne à certains l'idée d'alimenter des climatiseurs classiques avec des kW électriques verts et d'appeler cela climatisation solaire... Mais la vraie clim solaire, j'y crois réellement, analyse Hamid Batoul, de Schüco. Au rythme où va l'Allemagne dans sa transition énergétique, je crois aussi que c'est ce pays qui réalisera en premier les économies d'échelle qui rendront cette technologie viable ».
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