Vient de paraître : «La ville machine» de Jacques Ferrier
Omniprésente dans nos vies et en ville, dans ses infrastructures et ses constructions, la technique, devenue hégémonique, peut-elle être réorientée en faveur d’un cadre de vie plus désirable au service de ses utilisateurs?
JACQUES-FRANCK DEGIOANNI
Tout est dit dans le sous-titre de cet essai : «Se libérer de l’emprise technologique»… Bigre! L’addiction rôde, la cure de désintoxication est au bout du chemin. De fait : ascenseur qui parle, climatisation incontrôlable dans des hôtels aux fenêtres hermétiquement closes, déploiement généralisé de la 5G au service de l’internet des objets et de la smart city comme autant de promesses de bonheurs à venir… La technique n’est-elle pas devenue par trop envahissante, et pour quels bénéfices? «La créature a échappé à son créateur, la servante est devenue maîtresse de nos vies» observe Jacques Ferrier, architecte et urbaniste, mais aussi centralien, peu suspect de technophobie ou de passéisme, ni Amish, ni zélateur de la lampe à huile…
Choix par défaut
Aiguillonné par la pandémie, La ville machine interroge le rôle prépondérant qu’a pris la technique dans nos vies métropolitaines, et envisage la crise sanitaire - avec son issue encore incertaine - comme une occasion de remettre l’humain au centre du projet urbain. «Dans la ville et dans mon métier, la technique occupe une place toujours plus grande. De plus en plus de choses lui sont déléguées, sans qu’il y ait de vrai débat à ce sujet, participatif, démocratique. Comme un choix par défaut…» observe Jacques Ferrier. Une prise de pouvoir feutrée, un coup de force insidieux…
La charrue après les bœufs
Des transports en commun à la climatisation, des appareils ménagers aux outils informatiques, des réseaux d’énergie à ceux de communication, rien ne semble plus possible sans la technique. La ville a fini par se confondre avec ses infrastructures. Où est passé l’humain? «Architectes, urbanistes, citoyens, tous doivent reprendre le contrôle sur les grandes décisions d'infrastructures techniques de la ville. Il faut calmer le jeu, remettre la charrue après les bœufs et se demander quels sont les réels besoins à satisfaire pour une meilleure ville, plus agréable à vivre, moins polluée, etc.» Autrement dit, la ville attend peut-être d’autres innovations que le déploiement forcené de couches logicielles pour une smart city au service d’usages qui restent nébuleux.
Réorienter l’innovation
Qui parle encore de la voiture autonome? «On est ici clairement dans une idéologie du progrès, de l’innovation pour elle-même, dans une fuite en avant, avec un produit fascinant qui ne répond à aucune demande, impossible à construire à un prix raisonnable, qui ne fluidifiera pas la circulation en ville, qui demande des câbles et des capteurs sous le bitume, des composants dont le monde est en pénurie, etc. Il faut calmer le jeu, sans être dans la régression technique, mais réorienter l’innovation vers le désirable, en prenant le temps de réfléchir et d’échanger avec des interlocuteurs autres qu’une intelligence artificielle.»
Reprendre la main!
Dans son rapport à l’architecture et à la ville, la technique sait aussi être vertueuse. Et Jacques Ferrier de prendre l’exemple des immeubles de bureaux difficiles à reconvertir, avec leurs faux-plafonds et faux-planchers thrombosés de chemins de câbles et de gaines de climatisation, hérités des services informatiques d’il y a 30 ans. «Aujourd’hui, le Bluetooth, le wifi, les fenêtres qui s’ouvrent et une climatisation paramétrable réduite à certaines portions d’un bâtiment, mettent la technique au second plan et autorisent à imaginer des espaces totalement réversibles en logements, par exemple.» On le voit, la technique n'est qu'un moyen, qui suppose une fin, une vision. «Il s'agit, dans cet essai, d'interroger le rapport que le projet architectural et/ou urbain entretient avec la technique, de reprendre la main et de mettre en place un nouveau contrat entre les citadins/citoyens et les infrastructures.»
Vient de paraître : «La ville machine» de Jacques Ferrier
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