"Une ambition pour les grands ensembles" par Pierre Vionnet, urbaniste

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La ville est "du temps consolidé", disait Marcel Roncayolo. Tout urbaniste sait qu’un minimum de dix à quinze ans est indispensable pour une transformation réelle d’un quartier.

Cependant, la "politique de la ville" est marquée par une agitation permanente et improductive : face à l’indéniable urgence, on change les projets, les dispositifs et les équipes tous les trois ans en moyenne. L’élaboration d’un projet global et intégré ne peut pas s’opérer dans un cercle technique étroit mais doit faire appel à des expertises diverses dans un contexte ouvert au débat public. Un projet intégré n’est ni une addition d’opérations d’investissement ("résidentialisation", "démolition-construction"...) et d’actions sociales d’"accompagnement" mises en œuvre par des équipes distinctes, ni la succession d’une phase d’étude préalable et d’une phase opérationnelle, mobilisant des compétences séparées.

Structure de pilotage
Les structures de conduite de projet sont le plus souvent absentes ou trop faibles (quelques chargés de mission complétés par des prestations externes) et ce, de manière absolument volontaire : les technostructures établies n’acceptent pas que leur pouvoir soit dérangé par des équipes transversales. Lorsque l’Etat ou des villes et intercommunalités fortes souhaitent mener à bien un grand projet, la création d’une structure de pilotage stratégique et opérationnelle spécifique constitue pourtant la réponse usuelle avec des établissements publics ou des SEM dédiés, comme la SAMOA pour l’Ile de Nantes ou celle d’Euralille.
La régénération des grands ensembles a besoin de ces éléments de méthode :
– la constitution d’équipes investies d’une claire responsabilité de pilotage et dotées d’une quantité et d’une qualité suffisante d’expertises internes et externes ;
– la stabilité de ces équipes (cette pérennité n’est d’ailleurs pas contradictoire avec le temps de la démocratie puisque, par exemple, les maires de Paris ou de Lyon ont su poursuivre des grands projets avec la Semapa ou la SEM Lyon Confluence).
Cette méthode doit être au service de deux principes : le respect et l’ambition.
Respect pour les habitants des grands ensembles, dont la lecture du quartier doit être écoutée dans ses difficultés mais aussi dans ses richesses (de sociabilité, d’espace ouvert...) et dont les aspirations doivent être prises en compte dans leur diversité (une offre également culturelle et pas seulement sportive, des lieux de promenade et pas seulement des réponses fonctionnelles…).

Respect aussi pour les bâtiments : l’intervention sur les grands ensembles est trop souvent marquée par le mépris de l’architecture des années 60-70, alors qu’elle compte des éléments remarquables (à Rouen, nous avons sauvé d’une démolition totale 25 bâtiments de Marcel Lods, dont dix-huit sont aujourd’hui rénovés en logements et sept en cours de cession pour des programmes mixtes à dominantes de bureaux). L’échelle des grands ensembles – dont Paul Chemetov notait que son intérêt réside dans "sa dimension" – doit aussi être respectée, face aux tentations de la fragmentation excessive et de la multiplication des petits enclos qui en font perdre le sens : les interventions les plus efficaces sont généralement celles qui révèlent les grands espaces urbains et le rapport au grand paysage (comme le Parc de Grammont, pour continuer avec l’exemple du GPV de Rouen).

Ambition pour les grands ensembles, demeurés à l’écart de l’évolution des villes. Ils sont aujourd’hui généralement situés à l’intérieur des aires urbaines et peuvent devenir des sites de développement. Les outils habituels des grands projets doivent alors être mobilisés : transport collectif, grands équipements, espaces publics structurants, partenariat avec de grands opérateurs privés. La qualité urbaine, architecturale et paysagère est à la fois une marque de respect pour les habitants et un élément de l’ambition de développement : à l’inverse des autres grands projets d’urbanisme, l’intervention d’architectes de qualité y est souvent jugée incongrue dans un contexte où certains revendiquent la banalité. Les grands ensembles ont surtout souffert du délaissement, de la négligence dans la gestion, et de "réhabilitation" souvent irrespectueuses et malheureuses.

Réconciliation avec la modernité
En forme de conclusion sur la méthode, il convient d’arrêter d’inventer des systèmes peu convaincants, même dissimulés derrière des mots prétentieux (gouvernance, ordonnancement...). En France, il existe une habitude de conduite des grands projets par des structures opérationnelles spécifiques (SEM, EPA) sur lesquels il convient de s’appuyer, avec comme spécificité du renouvellement urbain, une nécessaire ouverture aux questions sociales et culturelles.

Sur les principes de respect et d’ambition, il s’agit d’arrêter de plaquer une vision nostalgique qui ne correspond pas au vécu des habitants : on ne sauvera pas les grands ensembles en les démolissant, en les maquillant ou en les grillageant. Ils offrent au contraire l’opportunité de poursuivre l’histoire des quartiers modernes français. Ils peuvent constituer un élément du réseau de nouvelles centralités des agglomérations si les outils du développement sont mis en œuvre et pas seulement ceux de la réparation. A travers les grands ensembles se jouent la réconciliation de la société française avec la diversité et la modernité.

Pierre Vionnet est urbanisme. Il a été chargé de mission pour la Plaine-Saint-Denis (1992-1997), directeur de l’urbanisme et de l’habitat à Colombes (1997-2001) et directeur du GIP/GPV de Rouen jusqu’en 2008.

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