Transition énergétique : un point de vue d’Arnaud Gossement sur le projet de loi
Au lendemain de l'adoption en première lecture de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, l’avocat Arnaud Gossement, un des papes de la matière, décrypte le contexte de son adoption par les députés et commente le contenu des mesures qui lui paraissent devoir retenir l’attention.
Nathalie Levray
Basculement culturel
La première remarque d’Arnaud Gossement porte sur l’impact du texte sur la société. En écho aux objectifs du projet de loi promus par la ministre (réduire de 40 % des émissions de gaz à effet de serre à l'horizon 2030 ; porter la production d'énergie renouvelable à 32 % de notre consommation énergétique finale en 2030 ; plafonner à 63,2 GW la puissance nucléaire installée en France soit son niveau actuel ; diminuer la consommation d'énergie de 20 % à l'horizon 2030), il souligne le consensus des politiques au cours des débats sur le principe même de la réduction de la consommation de l’énergie fossile, de l’énergie en général et de production d’électricité nucléaire. Seule la date pour l’atteindre a posé question. Il voit là un « basculement culturel » d’autant que « c’est la première fois que le parlement se prononce sur des objectifs chiffrés ». « D’un point de vue culturel », ses objectifs placent le texte dans la catégorie des « lois très intéressantes ». Il note ainsi qu’à la toute fin des débats parlementaires, l’outre-mer est inscrit comme le futur laboratoire de la transition énergétique. « En outre, le vote a été obtenu quasiment sans discussion des députés, hormis l’article 1 sur les objectifs de la politique énergétique nationale. 63 articles sur 64 ont été discutés du vendredi après-midi et le samedi 6 heures 45, et aucune modification n’a été apportée après minuit... », sourit-il.
Contenu juridique
L’avocat pointe la discordance entre la nature du texte annoncé et le contenu voté. Annoncé comme une loi de programmation, qui aurait fixé les grands principes et les orientations de la transition énergétique, le texte aboutit à une loi bien ordinaire et très juridique. « Peu d’objectifs, mais des développements techniques et de nombreuses modifications de différents codes, de l’énergie, de l’environnement, de la construction et de l’habitation, de la consommation, monétaire et financier, etc. » commente-t-il. Attendue comme une loi de transition, le texte lui apparaît « révolutionnaire sur certains objectifs mais ne contient que de petites adaptations de moyens ». Il regrette l’absence de nouvelles clés à la réglementation, avec un texte qui rate le qualificatif de décentralisation. Enfin, il ironise sur la « simplification », contenue au titre VII, dans lequel seul l’éolien offshore et les dérogations à la loi Littoral lui paraissent coller, rappelant au passage que l’application de la loi ne sera possible qu’après l’adoption d’une quarantaine de décrets, d’une dizaine d’ordonnances et d’une quinzaine de rapports (par exemple, le rapport quinquennal sur les objectifs de la politique énergétique nationale en matière de bâtiment basse consommation ou assimilé à horizon 2050, l’autonomie énergétique des départements d’outre-mer en 2030 ou encore sur les colonnes montantes dans les immeubles d’habitation).
Pour l’essentiel, le projet de loi modifie la loi du 12 juillet 2010 (n°2010-788, portant engagement national pour l'environnement, dite Grenelle II) notamment en matière de déchets. Alors que l’attente se focalisait, en matière de loi sur l’énergie, sur le titre V (Favoriser les énergies renouvelables pour diversifier nos énergies et valoriser les ressources de nos territoires), c’est le titre IV, selon lui, qui est majeur dans le projet de loi, en imprimant de réels changements à la lutte contre les gaspillages et à la promotion de l’économie circulaire.
Politique énergétique
Au titre I - Définir les objectifs communs pour réussir la transition énergétique, renforcer l’indépendance énergétique de la France et lutter contre le changement climatique, il pointe l’intégration d’objectifs très politiques à la politique énergétique (art. L. 100-1 du Code de l’énergie) tels le maintien d’« un prix de l’énergie compétitif et attractif » et la maîtrise des « dépenses en énergie des consommateurs », la « lutte contre la précarité énergétique » et, à la demande de M. Chassaigne, le « droit d’accès de tous à l’énergie sans coût excessif ». Il invite à retenir les modifications de l’article L. 100-2 du Code de l’énergie, et notamment que « l’Etat doit, en cohérence avec les collectivités territoriales et leurs groupements, les entreprises, les associations et les citoyens, veiller, en particulier, à développer des territoires à énergie positive ». Par ailleurs, la croissance est définie dans la loi et affirmée la maîtrise de la consommation d’énergie et de matière par l’économie circulaire.
Rénovation immobilière
Au titre II - Mieux rénover les bâtiments pour économiser l’énergie, faire baisser les factures et créer des emplois, c’est l’« excellent travail de la députée rapporteure, Sabine Buis », qui force son admiration. « Le bâtiment est une priorité dans cette loi, et elle contient des avancées intéressantes » se réjouit-il en abordant le carnet numérique de suivi et d’entretien, porté par l’association des régions de France. Il regrette néanmoins que « Bercy a vidé la mesure de son intérêt », en en réservant l’application, « aux bâtiments d’habitation neufs à partir de 2017 et dans l’ancien, au fil des mutations, à compter de 2025 ». Et voilà, selon lui, l’illustration parfaite d’une des difficultés de la loi : « prévoir de nombreuses mesures qui n’entreront en vigueur qu’après publication de décrets et dont l’application est échelonnée dans le temps ».
Autre point de satisfaction, qui a provoqué des débats très vifs, le droit à un logement décent du Code civil (art. 1719) étendu à la performance énergétique. Portée par le Réseau action climat, Emmaüs et le Clerc, la mesure obligera le bailleur à équiper le logement loué d’un radiateur, comme la Cour de cassation l’impose, à faire le mode de chauffage et l’isolation à un critère minimal de performance énergétique qui sera précisé par décret. Le « coût économique raisonnable » a été supprimé du projet de loi et sera repris au décret.
Aranud Gossement explique que la mesure, qui modifie la loi de 1989 sur les rapports locatifs et non le Code civil, a été rejetée lors des débats de la loi Alur : « L’administration craignait qu’un grand nombre de logements tenant de la passoire thermique sortent d’un seul coup de la location en raison du défaut énergétique ; la crainte est passée. » La disposition doit faire l’objet d’un décret, sa mise en œuvre est échelonnée et risque d’avoir un effet pervers, en instaurant une performance énergétique à deux vitesses, réduite pour l’ancien et optimale dans le neuf avec la RT.
Economie circulaire
Cap sur l’économie circulaire, avec le titre IV - Lutter contre les gaspillages et promouvoir l’économie circulaire : de la conception des produits à leur recyclage, « le plus discuté, qui a été le plus complété et comporte le plus de mesures phares », raconte l’avocat. En premier lieu, il semble très intéressant que l’économie circulaire, désormais codifiée à l’article L.110-1-1 du Code de l’environnement, fasse l’objet d’une définition et qu’elle soit déclinée dans la commande publique. En relation avec les dispositions de la loi Hamon sur l’économie sociale et solidaire, les pouvoirs adjudicateurs devront non seulement « planifier à l’avance leurs achats », mais aussi « expliquer comment ils vont assurer la promotion de l’économie circulaire à l’aide de produits biosourcés ou recyclés). « Nul doute, s’enthousiasme l’avocat, que cette contrainte va développer l’industrie du recyclage et les ressourceries. » Au chapitre de l’obsolescence programmée, il se félicite de cette mesure « pas si symbolique que certains veulent le faire croire », d’une part parce qu’elle est définie et d’autre part que la sanction devient pénale. « Reste à savoir comment le juge va l’interpréter et s’il inversera la charge de la preuve » pour en apprécier la réelle portée » estime Arnaud Gossement.
Energies renouvelables
C’est du titre V - Favoriser les énergies renouvelables pour diversifier nos énergies et valoriser les ressources de nos territoires, que l’avocat est le plus déçu : « on attendait de l’énergie et on trouve des déchets ! » Il pointe la réforme de l’obligation d’achat de l’énergie renouvelable à l’article 23 du projet, qui transpose les exigences européennes en créant le complément de rémunération pour les installations implantées sur le territoire national (nouvel art. L. 314-18 du Code de l’énergie). Cette nouveauté le déçoit parce que cette création, importante, manque de précisions que ce soit dans le projet de loi ou l’étude d’impact, notamment pour la période transitoire. D’après les réponses qu’il a obtenues, il pense que le complément de rémunération est appelé à remplacer le contrat d’obligation d’achat de la loi du 10 février 2000 (n° 2000-108, relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité). Mais il ignore à quelle date seront supprimés l’appel d’offre pour les petites unités et le contrat d’achat à guichet ouvert. Il analyse toutefois « cet accès au marché, comme une chance pour les énergies renouvelables. »
Simplification
Le titre VII - Simplifier et clarifier les procédures pour gagner en efficacité et en compétitivité, le satisfait en ce qui concerne la généralisation de l’autorisation unique, dont il avait poussé l’expérimentation. Il s’étonne du vote de la mesure relative à l’opposabilité des documents d’urbanisme aux installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE), demandée par les industriels et toujours refusée à l’occasion de la récente loi Alur notamment. Doutant que le mesure passe au Sénat, celui-ci y étant majoritairement défavorable, il explique qu’adoptée, elle mettrait fin au blocage des parcs éoliens par un plan local d’urbanisme (PLU), modifié sur mesure pour limiter ou rendre illégale une ICPE ou des activités industrielles.
Participation
Du titre VIII - Donner aux citoyens, aux entreprises, aux territoires et à l’Etat le pouvoir d’agir ensemble, il retient le « vrai instrument de pilotage de la transition énergétique que sont la programmation pluriannuelle de l’énergie et la programmation des capacités énergétiques par secteur et par source de production » pour orienter les objectifs de la France.
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