Saint-Gobain fédère le négoce de matériaux européen
Après l'OPA réussie sur MEYER, l'industriel français rachète RAAB KARCHER, le numéro un allemand de la distribution de matériaux pour le BTP
CORINNE MONTCULIER
Après l'Angleterre, l'Allemagne... Saint-Gobain continue son tour d'Europe des négociants en matériaux de construction et s'offre Raab Karcher, le numéro un allemand, à peine un mois après la réussite de son OPA sur le britannique Meyer International. Le rachat de Raab Karcher à Stinnes, filiale du conglomérat Veba, permet à Saint-Gobain, dans le négoce, de prendre pied en Allemagne, mais aussi dans plusieurs pays de l'Est - la Pologne, la République tchèque, la Hongrie -, ainsi qu'aux Pays-Bas, via des filiales bien implantées de Raab Karcher.
Malmené par la crise du BTP allemand, Raab Karcher avait accusé des pertes d'exploitation de 18 millions d'euros en 1998, avant de commencer à reprendre pied au 2e trimestre 1999, à la suite d'une restructuration. « C'est une société qui a traversé trois années difficiles. Les parts de marché ont été conservées mais les marges ont été laminées », commente Emile François, directeur général adjoint de Saint-Gobain et responsable de la branche distribution de matériaux. « Mais un retournement est en cours, et nous pensons que le marché du BTP allemand a touché le fond. Pour nous, c'est un achat au bon moment et au bon prix. »
Le montant de l'acquisition s'élève à 184 millions d'euros pour les titres, auxquels s'ajoute la reprise de 292,5 millions d'euros de dettes.
Si le P-DG de Raab Karcher rejoint la maison-mère Stinnes, les trois directeurs régionaux vont rester en place et être intégrés dans la nouvelle stratégie du groupe Saint-Gobain.
En deux mois, avec l'achat de deux réseaux de distribution, Saint-Gobain fait plus que doubler son chiffre d'affaires distribution de matériaux, qui grimpe de 4,1 milliards d'euros à 9,7 milliards d'euros, en année pleine pro-forma (prévisions pour 2000). Cette branche représente aujourd'hui 33 % du chiffre d'affaires du groupe, contre 18 % avant l'achat de Meyer.
Dans le même temps, elle quitte une dimension française pour acqué- rir une stature européenne. Saint- Gobain, sous réserve du feu vert attendu de Bruxelles, est désormais solidement installé en tête du négoce européen devant le britannique Wolseley et le franco-britannique B&Q/Castorama.
La politique d'achats de négociants va se poursuivre
« Nous voulions être le numéro un sur les trois grands marchés européens : la France, l'Angleterre et l'Allemagne. Nous avions identifié les cibles Meyer et Raab Karcher depuis un an et demi déjà et nous avons saisi les opportunités quand elles se sont présentées », confirme Emile François.
Mais la politique d'achat de négociants n'est pas terminée pour autant, et Saint-Gobain envisage d'appliquer la recette française qui a fait la réussite de Point P, avec d'éventuelles adaptations suivant les pays concernés : racheter des négociants locaux, pour compléter petit à petit la couverture du réseau de distribution. « Il n'y a plus de grande cible en Europe, mais il reste des possibilités de rachats diffus en Allemagne et en Grande-Bretagne. C'est une politique plus sûre, moins risquée que l'intégration d'un gros », explique Emile François.
La tactique pourrait être également appliquée dans les pays de l'Est, qui intéressent fortement Saint-Gobain en raison de potentiels énormes de construction et de rénovation. Ainsi que dans les pays d'Europe du Sud où le réseau de distribution de Saint-Gobain est peu représenté. « La clé d'entrée n'est pas la même qu'en Allemagne ou en Angleterre, car les marchés sont beaucoup plus atomisés. Nous envisageons plutôt le rachat d'un leader régional que nous compléterons par des acquisitions locales », commente Emile François.
« Peser face aux fabricants »
Cette course à la taille européenne est dictée par plusieurs enjeux : « Nous sommes aujourd'hui le premier acheteur de matériaux en Europe, ce qui nous offre une marge de discussion avec les fabricants sur les conditions d'achat des produits. De plus, nous pouvons profiter des disparités de prix qui existent entre les différents pays. »
Avoir une taille européenne donne également plus d'intérêt et de force à la création d'une marque de distributeur et aux achats lointains. « Pour Point P seul, créer un bureau d'achat en Chine par exemple n'aurait pas été intéressant. Cela le devient davantage quand il est groupé avec Meyer et Raab Karcher », explique Emile François.
Le commerce électronique fait également partie des objectifs de Saint-Gobain mais pas dans n'importe quelles conditions : « Les matériaux de construction sont lourds et volumineux. Il n'est pas envisageable de les envoyer par transport express. Sans réseau logistique, cela ne peut pas fonctionner. Mais avec un maillage de 2 500 points de vente en Europe, nous pouvons avoir une politique de e-commerce agressive », conclut Emile François.
Chiffres clés 1999
Branche distribution Saint-Gobain (Point P et groupe Lapeyre) : 4 milliards d'euros
Meyer international :
2,8 milliards d'euros
Raab Karcher : 2,2 milliards d'euros
PHOTO
Emile François, directeur général adjoint de Saint-Gobain et responsable de la branche distribution de matériaux. "Nous sommes aujourd'hui le premier acheteur de matériaux de construction en Europe"
CARTE
Le réseau de distribution de Saint Gobain en Europe
Avec l'acquisition de Meyer et de Raab Karcher, Saint-Gobain dispose d'un réseau de distribution de près de 2 300 points de vente. Premier négociant de matériaux en France, il l'est également en Allemagne, en Grande-Bretagne et en Hongrie. Il est co-leader aux Pays-Bas, numéro deux en République tchèque et occupe une bonne place régionale en Pologne. Sa présence en Europe du Sud reste encore limitée.
Christian Leus, directeur de l'Ufemat * "Où va le négoce européen?"« Le rachat de Raab Karcher par Saint-Gobain revêt deux aspects, l'un positif, l'autre plus négatif. Le premier, c'est que si une entreprise de cette taille s'intéresse au négoce, elle va sans doute garantir un prix minimum des matériaux pour assurer une certaine rentabilité. Cela peut permettre d'améliorer les prix de vente actuels. Le second est qu'on peut se demander où va le négoce traditionnel à côté d'industriels comme Saint-Gobain, qui intègrent verticalement la distribution qui va vendre leurs produits. On ne sait pas dans quelle mesure Raab Karcher sera tenu de ne vendre que des produits Saint-Gobain ou pourra étendre sa gamme, même si nous voyons bien que Point P n'est pas tenu d'être exclusivement fourni par Saint-Gobain. »
(*) Union européenne des fédérations nationales des négociants en matériaux de construction
Top 1000 des entreprises du BTP
AbonnésRetrouvez le classement annuel des 1 000 plus grandes entreprises de BTP et construction en France
Je découvre le classement