Retour sur la réforme des marchés publics : les objectifs de développement durable
Tout l'été, Pierre Desroches, formateur et consultant en marchés publics, revient sur les nouveaux textes entrés en vigueur le 1er avril. Il évalue l'effet sur cette réglementation des recommandations exposées dans la note d'avril 2015 du Conseil d'analyse économique par Stéphane Saussier et le prix Nobel Jean Tirole. Episode 1 : recentrer la commande publique sur son objectif principal.
Point de vue de Pierre Desroches, formateur et consultant en marchés publics
\ 09h24
Point de vue de Pierre Desroches, formateur et consultant en marchés publics
En 2014, la France saluait avec fierté l’attribution du prix Nobel d’économie à Jean Tirole. Dans une période où notre pays s’enfonçait dans les difficultés économiques, on pouvait trouver auprès de lui une source d’inspiration.
Ses conseils étaient attendus et la note du Conseil d'analyse économique coécrite avec Stéphane Saussier en avril 2015 exposait en 5 constats et 10 recommandations un avis pertinent sur la commande publique.
Les 10 recommandations étaient les suivantes (en résumé) :
1/ Recentrer la commande publique sur son objectif principal
2/ Donner de la transparence aux procédures négociées
3/ Centraliser les données sur les capacités des candidats
4/ Centraliser la publicité sur les plateformes électroniques
5/ Publier le rapport d’analyse des offres
6/ Publier des avis d’avenants
7/ Appliquer les règles de transparence à la gestion directe
8/ Renforcer la compétence des acheteurs publics
9/ Centraliser les achats de biens et services standardisés
10/ Evaluer les outils et performances de la commande publique
En guise de devoir de vacances, nous proposons d’examiner comment ces recommandations se sont traduites dans l’ordonnance du 23 juillet 2015, le décret du 25 mars 2016 et la pratique sur le terrain.
Recommandation 1 : recentrer la commande publique sur son objectif principal
Il s'agit, selon la note, de reconnaître que l’objectif de la commande publique, quel qu’en soit le montant, est avant tout de satisfaire un besoin identifié en parvenant à la meilleure performance en termes de coûts et de services ou fonctionnalités attendus. Charger la commande publique d’atteindre des objectifs sociaux, environnementaux ou d’innovation serait inefficace.
La note de Stéphane Saussier et de Nobel Jean Tirole rappelle que « la puissance publique dispose de moyens plus directs et efficaces (via les taxes et/ou les subventions) pour les atteindre ». Elle montre également que c’est inefficace pour plusieurs raisons, tenant au manque de lisibilité et aux effets pervers. Par une extension – certes un peu osée – du principe du rasoir d’Ockham, on pourrait énoncer qu’une mesure simple et globale est le meilleur moyen d’être efficace.
Objectifs environnementaux
La note en fait la démonstration en prenant l’exemple du critère d’émission de gaz à effet de serre. On pourrait illustrer en rappelant toutes les mesures illisibles dans le domaine énergétique qui ont déstabilisé des professions et décrédibilisé notre politique en la matière.
Objectif d’insertion par l’emploi
Il n’est pas rare de rencontrer des marchés (essentiellement de travaux) qui comportent une clause obligeant le futur titulaire à faire appel, pour un certain nombre d’heures, à des personnes « éloignées de l’emploi ». Dans ces mêmes marchés, le cahier des clauses techniques particulières (CCTP) stipule que « les travaux seront réalisés par des personnels hautement qualifiés ». Une telle clause est souvent renforcée par l’obligation faite aux candidats d’indiquer dans leur offre les qualités et diplômes des personnels. On constate ici qu’on poursuit des buts contradictoires.
De plus, un chantier de BTP est un environnement particulièrement dangereux ; y introduire des personnes « écartées de l’emploi », donc peu aptes à s’y insérer est dangereux tant pour elles que pour les autres.
Enfin, cette mesure crée une inégalité manifeste au détriment des petites entreprises, qui ne sont pas forcément en mesure de supporter le coût d’une personne au rendement insignifiant.
Lorsqu’on connaît les performances de ces mesures d’insertion (nombre de personnes qui, à cette occasion, retrouvent un emploi durable), la sagesse conseillerait de s’abstenir et concentrer les efforts sur d’autres mesures.
Objectif d’innovation
L’objectif de la commande publique est de répondre à un besoin. Il y a infiniment peu de chance qu’un besoin d’innovation coïncide avec la satisfaction du besoin. Enfin, c’est une idée farfelue de penser que l’innovation se fait sur commande, fut-elle publique.
La commande publique peut s’accommoder de solution éprouvées et sans risques. Le moteur de l’innovation est… la concurrence.
Mesure des résultats
Un grief important qui peut être formulé à l’encontre des objectifs sociaux, environnementaux ou d’innovation est que les résultats ne sont pas mesurables et en tout cas pas mesurés, du moins en terme d’efficacité.
Que dit le nouveau droit des marchés publics ?
L’article 62 du décret du 25 mars 2016 énumère un nombre accru de critères liés à ces objectifs :
« … l’accessibilité, l’apprentissage, la diversité, les conditions de production et de commercialisation, la garantie de rémunération équitable des producteurs, le caractère innovant, les performances en matière de protection de l’environnement, de développement des approvisionnements directs des produits de l’agriculture, d’insertion professionnelle des publics en difficulté, la biodiversité, le bien-être animal ».
Certains de ces objectifs sont louables et même primordiaux. Mais les convertir en critères de choix des offres est absurde ; dans la mesure où ils sont importants, ce doit être une obligation contractuelle.
Il faut reconnaître que la mise en œuvre de la recommandation n° 1 de la note Tirole/Saussier ne saute pas aux yeux.
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