"Restaurer Notre-Dame relève des compétences de spécialistes"

Rémi Désalbres, président de l’Association des architectes du patrimoine. Alors que la Commission mixte paritaire du 4 juin dernier « a acté l’impossibilité de s’entendre » sur la loi d’exception pour restaurer Notre-Dame de Paris, ces spécialistes du patrimoine réaffirment, dans une tribune au « Moniteur », la nécessité de s’appuyer sur l’expertise du service des Monuments Historiques. Ils ont exprimé leurs inquiétudes dans un courrier adressé au ministre de la Culture et aux parlementaires.

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Rémi Désalbres, président de l'Association des architectes du patrimoine.

Le 15 avril dernier, le fulgurant incendie de Notre-Dame de Paris n’a pas seulement ébranlé les murs et les voûtes de la célèbre cathédrale ; à l’unisson du monde, il a également profondément ému les Français et leur a permis de mesurer combien ils étaient attachés à ce patrimoine culturel et religieux. Ils ont vu en direct, sidérés, partir en fumée 800 ans de production du génie créatif humain, huit siècles d’expression technique et artistique de la plus haute spiritualité chrétienne : leur patrimoine matériel et immatériel légués de siècle en siècle.

Alors que la cathédrale fumait encore, ils ont entendu le président de la République annoncer solennellement qu’il s’engageait à « rebâtir Notre-Dame avec tous ». L'immense ambition de rendre la cathédrale en cinq ans « plus belle encore » a alors entrainé le gouvernement à proposer un projet de « loi d’exception » pour la conservation et la restauration de la cathédrale, et un projet de concours pour la flèche. Les réactions et propositions foisonnantes et désordonnées « d’experts » en tout genre ne se sont pas fait attendre, laissant croire que tout est possible et facile alors que les dégâts sont effroyables et la stabilité précaire.

Enjeux de la préservation

Or pour entretenir, restaurer et mettre en valeur son patrimoine, La France a la chance de pouvoir s’appuyer sur la compétence et l’expertise d’un corps de plus de 1 000 architectes spécialisés : les architectes du patrimoine formés à l’Ecole de Chaillot, et dont sont issus les Architectes en chef des monuments historiques (ACMH). Saluons parmi eux ceux qui, le soir même de l’incendie, ont assisté les pompiers pour circonscrire les dégâts et qui aujourd’hui encore pansent l’édifice pour en assurer la préservation.

Aussi est-ce avec gravité et modération que les Architectes du Patrimoine ont posé un regard éclairé sur la situation et les enjeux de la préservation de Notre-Dame tout d'abord, puis sur la restauration de l'édifice. L’association s'est invitée au débat parlementaire. Avant que le texte ne soit débattu par le Sénat, elle avait adressé un courrier au ministre de la Culture ainsi qu’aux parlementaires pour exprimer sa position concernant l’article 9 [ qui vise à permettre au gouvernement d’adopter des ordonnances des dérogations aux règles d’urbanisme, de la commande publique ou encore de protection du patrimoine, NDLR ]. Une position qu'elle réaffirme aujourd'hui alors que la commission mixte paritaire « a acté l’impossibilité de s’entendre dès l’introduction ».

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Extraits du courrier du 20 mai 2019 adressé à Franck Riester et aux parlementaires

► Dérogation au Code du patrimoine :

« Une telle dérogation présente une menace pour la cathédrale Notre-Dame [ ] et pourrait remettre en question près de 190 années d’existence d’un service et de process éprouvés et enviés du monde entier. Restaurer un monument aussi complexe relève des compétences de spécialistes : seuls l’organisation et l’expertise du service des Monuments Historiques permettront de répondre de façon adéquate à tous les champs de problématiques qui se poseront aux différents acteurs dans le cadre des études et des travaux.

Les principales difficultés auxquelles les opérations de restauration de monuments historiques sont fréquemment soumises relèvent du financement et de l’instruction des dossiers. L’on sait déjà que le financement n’est plus un problème compte tenu de l’affluence des dons. Pour les démarches administratives, de simples circulaires ministérielles rappelant la priorité à donner aux dossiers estampillés «Notre-Dame», permettraient de parer à des dysfonctionnements sans avoir à révolutionner la loi. »

► Dérogation au Code de la commande publique :

« En aucun cas une dérogation au Code de la commande publique ne doit autoriser la mise en place de marchés de type « conception-réalisation » pour restaurer Notre-Dame. L’expérience nous enseigne en effet que, dans cette configuration, les intérêts économiques priment, au détriment généralement de la qualité de l’intervention. Compte tenu de la complexité et la sensibilité requit pour le chantier de restauration de Notre-Dame, les Architectes en chef des monuments historiques doivent donc d’autant plus assurer ici l’entièreté de la mission de maîtrise d’œuvre en respectant un process éprouvé - des premières phases d’étaiement d’urgence, de diagnostic et de conception, du choix des entreprises à la conduite du chantier jusqu’à la réception des ouvrages.

Compétences rares non délocalisables


Un chantier aussi vaste va mobiliser des savoir-faire très larges, notamment des maîtres-verrier, sculpteurs, serruriers, tailleurs de pierre, charpentiers, restaurateurs de décors peints, couvreurs, doreurs, staffeurs, menuisiers, et ébénistes. Remettre en question le Code du patrimoine et celui de la commande publique c’est aussi déstabiliser, en le fragilisant, ce tissu d’entreprises spécialisées, véritables conservatoires des savoir-faire d’excellence. C’est potentiellement supprimer des compétences rares non délocalisables permettant de répondre à des problématiques de restauration uniques, c’est faire disparaitre un secteur d’emplois qualifiés et spécifiques de plusieurs dizaines de milliers de personnes, qui assure le rayonnement de la France tant sur le territoire qu’à l’étranger.

► Dérogations aux Codes de l’Urbanisme et de l’Environnement :

« Les Architectes du Patrimoine sont pleinement conscients qu’une restauration efficacement menée sur un temps maîtrisé serait un défi témoignant de l’excellence des compétences techniques et intellectuelles de la France. Ils s‘interrogent toutefois sur cette nécessité de déroger aux codes de l’Urbanisme de l’Environnement, considérant que, moyennant une organisation adaptée, l’arsenal juridique existant permet d’affronter de telles situations. »

Pleinement mobilisés

La qualité des travaux opérés par les Sénateurs, légitimement inquiets, a permis d’apporter un débat nécessaire et éclairé sur les sujets majeurs du projet de loi d'exception. Il appartient désormais aux députés d'accepter, sans posture dogmatique, d'inscrire leur action dans une démarche ambitieuse d'amélioration de la loi plutôt que de détournement de son esprit.

Les architectes du patrimoine restent pleinement mobilisés pour que la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris devienne un nouveau laboratoire de préservation et de transmission des patrimoines. En réaffirmant leur position, ils souhaitent contribuer à ce que ce chantier d'exception puisse nourrir de nouvelles vocations au sein des métiers du bâtiment, et à valoriser les compétences des filières artisanales.

Lire en intégralité le courrier de l'Association des architectes du patrimoine :

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