Respect du principe de confidentialité : preuve constituée par les échanges d’informations par messages électroniques

Arrêt N° 328157 du 14 décembre 2009 - Conseil d’État - Société Lyonnaise des eaux France

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Le Conseil d’Etat statuant au contentieux (7e et 2e sous-sections réunies),

Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 20 mai et 3 juin 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la société Lyonnaise des eaux France, dont le siège est 11 place Edouard VII à Paris (75009), représentée par ses dirigeants en exercice ; la société Lyonnaise des eaux France demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance du 4 mai 2009 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Rouen, statuant en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, a, à la demande de la société Compagnie fermière de services publics, annulé la procédure de passation en vue du renouvellement de la convention de délégation du service public de l'eau potable engagée par le Syndicat intercommunal d'adduction d'eau potable et d'assainissement (SIAEPA) de la région de Criquetot-L'Esneval ;

2°) de mettre à la charge de la Compagnie fermière de services publics la somme de 3 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 28 octobre 2009, présentée pour la société lyonnaise des eaux France ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 29 octobre 2009, présentée pour la société compagnie fermière de services publics ;

Vu le code général des collectivités territoriales ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de M. Nicolas Polge, Maître des Requêtes,

– les observations de la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat de la société lyonnaise des eaux France et de la SCP Vier, Barthélemy, Matuchansky, avocat de la société Compagnie fermière de services publics,

– les conclusions de M. Bertrand Dacosta, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat de la société lyonnaise des eaux France et à la SCP Vier, Barthélemy, Matuchansky, avocat de la société Compagnie fermière de services publics ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative dans sa rédaction applicable aux contrats pour lesquels une consultation est engagée avant le 1er décembre 2009 : Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu’il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation des marchés publics (…) et des conventions de délégation de service public./ Les personnes habilitées à agir sont celles qui ont un intérêt à conclure le contrat et qui sont susceptibles d’être lésées par ce manquement, ainsi que le représentant de l’Etat dans le département dans le cas où le contrat est conclu ou doit être conclu par une collectivité territoriale ou un établissement public local./ Le président du tribunal administratif peut être saisi avant la conclusion du contrat. Il peut ordonner à l’auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre la passation du contrat ou l’exécution de toute décision qui s’y rapporte. Il peut également annuler ces décisions et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations. Dès qu’il est saisi, il peut enjoindre de différer la signature du contrat jusqu’au terme de la procédure et pour une durée maximum de vingt jours (…) ; qu’aux termes de l’article R. 551-1 de ce code : Le président du tribunal administratif ou le magistrat qu’il délègue statue dans un délai de vingt jours sur les demandes qui lui sont présentées en vertu des articles L. 551-1 et L. 551-2./ L’injonction de différer la signature du contrat, si elle a été prononcée à titre conservatoire en application des dispositions du troisième alinéa de l’article L. 551-1 et du troisième alinéa de l’article L. 551-2, prend fin à la date à laquelle le président du tribunal administratif ou le magistrat qu’il délègue se prononce sur la demande ou, au plus tard, à l’expiration de ce délai de vingt jours. ; qu’aux termes de l’article R. 551-2 du même code : Les mesures provisoires ordonnées en application du présent chapitre ne peuvent être contestées qu’à l’occasion du pourvoi en cassation dirigé contre la décision par laquelle il est finalement statué sur la demande. ;

Considérant que, d'une part, l'irrégularité qui entacherait l'ordonnance par laquelle, sur le fondement des dispositions précitées du troisième alinéa de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, le juge des référés précontractuels enjoint à titre conservatoire de différer la signature du contrat serait sans incidence sur la régularité de l'ordonnance par laquelle il se prononce finalement sur la demande ; que, d'autre part, le délai de vingt jours prévu à l'article R. 551-1 précité n'est pas imparti au président du tribunal administratif ou à son délégué à peine de dessaisissement ; que, par suite, la société Lyonnaise des eaux France n'est pas fondée à demander l'annulation de l'ordonnance du 4 mai 2009, par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Rouen a annulé à la demande de la Compagnie fermière de services publics la procédure de passation de la délégation du service public de l'eau potable, au motif que l'ordonnance du 8 avril 2009, par laquelle il a enjoint à titre conservatoire au Syndicat intercommunal d'adduction d'eau potable et d'assainissement de la région de Criquetot-l'Esneval, sur le fondement des dispositions de la dernière phrase du troisième alinéa de l'article L. 551-1 du code de justice administrative précitées, de différer la signature de la convention de délégation, prononçait cette injonction sans limiter sa durée au maximum de vingt jours fixé par les mêmes dispositions ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que la Compagnie fermière de services publics a produit devant lui l'impression d'un message électronique en date du 12 décembre 2008 à 13 h 11, adressé par le directeur de la Compagnie fermière de services publics à la maison mère de cette société ; qu'à ce document était jointe une pièce intitulée Compte rendu de réunion du vendredi 7 novembre 2008 à 14 h à Criquetot l'Esneval - n° 3, rédigée sous le timbre du Syndicat interdépartemental de l'eau Seine aval, qui assistait le Syndicat intercommunal d'adduction d'eau potable et d'assainissement de la région de Criquetot l'Esneval, et présentant les principales caractéristiques des offres des deux candidates ; que ce document comportait également la reproduction, dans l'historique des messages aboutissant par transferts successifs au courriel produit, en premier lieu, d'un message du 20 novembre 2008 du Syndicat interdépartemental de l'eau Seine aval au Syndicat intercommunal d'adduction d'eau potable et d'assainissement demandant la transmission des rapports attachés à ce message aux sociétés concurrentes et, en second lieu, d'un message du 12 décembre 2008 à 10 h 27 transférant le précédent au directeur de la Compagnie fermière de services publics ; qu'il ressort également des pièces du dossier soumis au juge des référés que l'autorité délégante a procédé à plusieurs stades de la procédure par communication séparée à chacune des deux sociétés concurrentes, notamment par voie électronique, de documents identiques relatifs à cette procédure ; qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède qu'en estimant que la Compagnie fermière de services publics a été destinataire par courriel, le 12 décembre 2008, du compte rendu de la réunion du 7 novembre 2008 et qu'il ressortait d'un message du 20 novembre 2008 que la transmission de ce document aux deux sociétés concurrente était prévue, le juge des référés du tribunal administratif de Rouen n'a pas dénaturé les pièces du dossier ;

Considérant que si le Syndicat intercommunal d'adduction d'eau potable et d'assainissement de la région de Criquetot l'Esneval a fait valoir oralement devant le juge des référés, ainsi qu'il ressort des visas de l'ordonnance attaquée, qu'il n'a pas reconnu dans ses écritures qu'il avait méconnu le principe de confidentialité, il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que celui-ci n'a dénaturé ni l'argumentation ni les écritures des parties en considérant que le Syndicat intercommunal d'adduction d'eau potable et d'assainissement ne contestait pas dans son mémoire en défense du 23 avril 2009 que le compte rendu de la réunion du 7 novembre 2008 était destiné à être diffusé aux deux sociétés ; que ces considérations ne sont pas non plus entachées d'insuffisance de motivation ;

Considérant qu'en retenant, au vu de l'instruction et de l'argumentation des parties, et malgré l'absence de preuve directe de la transmission du compte rendu de la réunion du 7 novembre 2008 à la société Lyonnaise des eaux France, que la transmission de ce document, eu égard à son contenu, était susceptible d'avoir lésé la Compagnie fermière de services publics en permettant à sa concurrente d'améliorer son offre, le juge des référés n'a manqué à aucune règle gouvernant la charge de la preuve, ni entaché son ordonnance de dénaturation, d'insuffisance de motivation ou de contradiction de motifs ;

Considérant qu'il ressort de la motivation de l'ordonnance attaquée que le juge des référés, pour retenir un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence, a considéré, par une appréciation souveraine insusceptible, sauf dénaturation, d'être discutée en cassation, que le document litigieux avait été effectivement transmis aux deux sociétés ; que, par suite, la société lyonnaise des eaux France n'est pas fondée à soutenir que le juge des référés aurait, en se bornant au contraire à prendre en compte une intention du Syndicat intercommunal d'adduction d'eau potable et d'assainissement de la région de Criquetot-L'Esneval ou du Syndicat interdépartemental de l'eau Seine aval, entaché ses ordonnances d'insuffisance de motivation, de contradiction de motifs ou d'erreur de droit ;

Considérant qu'il ressort également de la motivation de l'ordonnance attaquée que le juge des référés a estimé qu'eu égard au contenu du document litigieux, qui présentait une analyse des principales caractéristiques des offres présentées par les deux sociétés candidates, notamment les prix proposés par ces dernières, sa transmission était susceptible d'avoir lésé la Compagnie fermière de services publics, qui proposait le prix volumétrique le plus faible, en permettant à la société lyonnaise des eaux France d'améliorer son offre ; que, par suite, la société lyonnaise des eaux France n'est pas fondée à soutenir que le juge des référés se serait abstenu de rechercher, ainsi qu'il lui appartenait en vertu des dispositions précitées de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, si l'entreprise qui le saisissait se prévalait de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportaient, étaient susceptibles de l'avoir lésée ou risquaient de la léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant une entreprise concurrente, et aurait ainsi commis une erreur de droit ou aurait insuffisamment motivé son ordonnance ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le pourvoi de la société lyonnaise des eaux France doit être rejeté, y compris ses conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Considérant, en revanche, qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société lyonnaise des eaux France, sur le fondement des mêmes dispositions, le versement à la Compagnie fermière de services publics de la somme de 3 000 euros ;

Décide

Article 1er :

Le pourvoi de la société Lyonnaise des eaux France est rejeté.

Article 2 :

La société Lyonnaise des eaux France versera à la Compagnie fermière de services publics une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 :

La présente décision sera notifiée à la société Lyonnaise des eaux France, à la Compagnie fermière de services publics et au Syndicat intercommunal d'adduction d'eau potable et d'assainissement de la région de Criquetot-L'Esneval.

Commentaire

Dans cet arrêt le Conseil d’Etat apporte des précisions concernant les échanges d’informations par messages électroniques dans le cadre de la passation d’une convention de délégation de service public de l’eau potable. La Haute Assemblée confirme la décision du Tribunal administratif de Rouen qui avait annulé la procédure de passation du renouvellement de la convention engagée par le Syndicat intercommunal d’adduction d’eau potable et d’assainissement. Le motif retenu est la méconnaissance du principe de confidentialité de l’autorité délégante liée à la transmission d’un message électronique comportant en pièce jointe un compte rendu de réunion qui décrivait les caractéristiques des offres présentées par les deux sociétés candidates ainsi que l’historique des messages. Le Conseil d’Etat a estimé « eu égard à son contenu, la transmission du document litigieux était susceptible d’avoir lésé » l’autre entreprise candidate évincée.

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