Questions de concurrence concernant le classement des réseaux de chaleur

Avis n° 98-A-18 du 25 novembre 1998 du Conseil de la Concurrence

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Le Conseil de la concurrence (commission permanente),

Vu la lettre enregistrée le 10 avril 1997 par laquelle la Fédération des industries mécaniques a saisi le Conseil de la concurrence d'une demande d'avis portant sur la mise en ouvre des principes résultant du nouveau régime issu de l'article 23 de la loi n° 96-1236 du 30 décembre 1996 sur l'air et l'utilisation rationnelle de l'énergie ;

Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 modifiée, relative à la liberté des prix et de la concurrence et le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié, pris pour son application ;

Les rapporteurs, le rapporteur général et le commissaire du Gouvernement entendus ;

Est d'avis de répondre à la demande présentée dans le sens des observations qui suivent :

Par courrier du 10 avril 1997, la Fédération des industries mécaniques a saisi le Conseil de la concurrence, sur le fondement des dispositions de l'article 5 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, d'une demande d'avis portant sur « la mise en oeuvre des grands principes se dégageant » du nouveau régime introduit par l'article 23 de la loi n° 96-1236 du 30 décembre 1996 sur l'air et l'utilisation rationnelle de l'énergie qui impose, en cas de classement d'un réseau de chaleur ou de froid, une obligation de raccordement des installations de chauffage, de production d'eau chaude et de climatisation situées sur la zone classée. La Fédération des industries mécaniques interroge le Conseil, notamment, sur :

- les dispositions que les textes d'application devraient comporter pour limiter les atteintes à la concurrence ;

- les informations qui devraient être recueillies dans le cadre de l'enquête publique prévue par l'article 23 précité, préalablement au classement des réseaux de chaleur et de froid, notamment la comparaison du coût des différentes énergies, des modes de chauffage et l'impact économique du classement sur les entreprises du secteur ;

- les conditions auxquelles devraient satisfaire des décrets susceptibles d'être pris en application de l'article 1er de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et le mode de détermination du prix de la fourniture de l'énergie à l'usager ;

- l'existence d'un dispositif de contrôle pour la mesure de la part des différentes énergies utilisées par les réseaux et du respect des critères de classement ;

- les dispositions permettant l'exercice du jeu de la concurrence en cas de déclassement des réseaux ;

- les mesures permettant le changement de mode d'énergie par les utilisateurs.

Avant de présenter le régime juridique du classement des réseaux de chaleur et de froid modifié par la loi n° 96-1236 du 30 décembre 1996 sur l'air et l'utilisation rationnelle de l'énergie et d'analyser son incidence sur le fonctionnement de la concurrence, il convient de décrire les réseaux de chaleur et de froid.

I. - LES RESEAUX DE CHALEUR ET DE FROID

La demande de chaleur, d'eau chaude sanitaire et de froid peut être satisfaite par des systèmes centralisés qui sont les réseaux de chaleur et de froid, appelés aussi chauffages urbains et climatisations urbaines, ou par des systèmes de production décentralisés, qui peuvent être collectifs ou individuels. Les systèmes de production de chaleur sont alimentés par différentes sources d'énergie. Les systèmes de production de froid fonctionnent principalement à l'électricité mais peuvent aussi être alimentés par le gaz.

Les réseaux de chaleur consistent à produire de la vapeur ou de l'eau surchauffée à partir d'une ou plusieurs chaufferies ou récupérateurs de chaleur, puis à l'acheminer au moyen d'un réseau primaire de canalisations à une sous-station installée dans chaque immeuble raccordé au réseau. La chaleur est ensuite distribuée à l'usager par le réseau de canalisations de l'immeuble appelé réseau secondaire. Dans la majorité des cas, les installations de chauffage urbain produisent également l'eau chaude sanitaire. Elles fournissent de la chaleur à tout ou partie d'une agglomération. Le principe est le même pour un réseau de froid, la production et la distribution portant sur de l'eau réfrigérée.

Les autres systèmes de chauffage collectif reposent également sur l'installation d'une chaufferie et sur la création d'un réseau de canalisations dans l'immeuble. Enfin, les systèmes de chauffage individuels regroupent deux catégories de chauffage, ceux qui nécessitent l'installation d'une chaudière individuelle (principalement alimentée au gaz ou au fioul) et des canalisations et le chauffage électrique sans chaudière ni canalisation. En matière de climatisation, il peut également exister des systèmes de production de froid alimentant l'ensemble d'un immeuble ou des climatiseurs individuels.

Le secteur concerné par la demande d'avis est donc celui du chauffage, de la production d'eau chaude sanitaire et de la climatisation. Celui-ci recouvre plusieurs marchés :

- les marchés de la fourniture des énergies destinées au chauffage, à la production d'eau chaude sanitaire et à la climatisation ;

- les marchés des matériels destinés aux installations de chauffage, de production d'eau chaude sanitaire et de climatisation ;

- les marchés de l'exploitation de chaufferies ou d'installations de climatisation, lesquels peuvent comprendre l'offre de fourniture de combustibles présente dans le marché précédent et qui vont de la conduite à la maintenance des installations.

En ce qui concerne spécifiquement le chauffage, les opérateurs présents sur ces différents marchés sont donc :

- des fournisseurs de combustibles ou d'énergie (bois, charbon, électricité, fioul domestique, GPL, gaz naturel, principalement), parmi lesquels figurent EDF et GDF.

- des fabricants de matériels de chauffage, parmi lesquels ceux réunis dans le Groupement des fabricants de matériels de chauffage central par l'eau chaude et de production d'eau chaude sanitaire (GFCC), membre de la fédération saisissante. Ce groupement rassemble les fabricants de chaudières au sol individuelles et collectives (à l'exclusion des grosses chaudières pour l'industrie ou le chauffage urbain), de brûleurs à air soufflé à gaz, fioul ou mixtes gaz et fioul destinés à équiper les chaudières, des chaudières murales à gaz, des radiateurs de chauffage central, des chauffe-eau et chauffe-bains gaz, des ballons d'eau chaude sanitaire incorporés ou associés aux chaudières ;

- des fabricants de chaudières pour l'industrie ou le chauffage urbain ;

- des exploitants de chaufferies dont le métier est « la gestion de l'installation de chauffe d'un immeuble par un tiers, prestataire de services du propriétaire », ainsi qu'il résulte des constatations opérées par le Conseil dans l'avis n° 90-A-13 relatif à la cession à la Compagnie générale des eaux des titres Blanzy-Ouest détenus par la Société nationale Elf-Aquitaine ;

- des opérateurs de réseaux de chaleur, dont le métier diffère de celui des exploitants de chaufferies dans la mesure où, à partir de chaufferies dont ils sont propriétaires ou dont le propriétaire leur a confié le service, leur activité consiste à vendre de la chaleur.

- Les réseaux ont une histoire et des caractéristiques spécifiques qu'il convient de décrire.

A. - UNE IMPLANTATION MARQUEE PAR DIFFERENTES PHASES DE DEVELOPPEMENT

Emergeant dans les années trente à l'initiative d'industriels (création du réseau de Paris en 1928), les réseaux de chaleur ont, au lendemain de la seconde guerre mondiale, connu trois phases de développement liées à l'intervention de l'Etat dans les secteurs de l'urbanisme, de la maîtrise de l'énergie et de la protection de l'environnement.

Au cours des années 1955-1975, les nouvelles zones de logement collectif construites ont été raccordées à des réseaux de chaleur alimentés par une chaufferie centrale dont le combustible était le plus souvent soit le fioul, soit le charbon. Deux cents réseaux ont été créés à cette période.

Plus tard, après le premier choc pétrolier, dans les années 1982-1986, des aides financières ont été mises en place par les pouvoirs publics pour permettre le développement des réseaux de chaleur alimentés par plusieurs énergies (charbon français, incinération des ordures ménagères, géothermie), afin de favoriser une certaine indépendance énergétique nationale. L'alimentation des chaufferies par une pluralité d'énergies permet en effet aux réseaux de s'adapter à la conjoncture énergétique. Près de deux cent cinquante réseaux ont bénéficié de ces mesures, dont une centaine de nouveaux réseaux.

Depuis la fin des années 1980, avec la chute du prix du pétrole, les pouvoirs publics n'encouragent la création des réseaux de chaleur que lorsqu'ils répondent à la fois à des préoccupations d'indépendance énergétique et de protection de l'environnement. Ainsi seuls sont installés des réseaux de chaleur utilisant le bois, les déchets, la chaleur industrielle et la cogénération. Aujourd'hui le nombre des réseaux s'accroît de 1 % par an.

Les réseaux de froid sont, pour leur part, embryonnaires en France. Le premier d'entre eux a été créé à l'occasion de l'opération d'aménagement de la Défense dans les années soixante. Les autres sont plus récents.

B. - UN POIDS INEGALEMENT REPARTI SUR LE MARCHE DU CHAUFFAGE DOMESTIQUE

En 1995, le Syndicat national du chauffage urbain et de la climatisation urbaine (SNCU) a recensé 379 réseaux de chaleur, dont 347 pour l'habitat. Ils sont localisés dans les zones à forte densité de population, principalement dans la moitié nord de la France et en région Rhône-Alpes (282 réseaux sur 379 soit 74 %). L'-le-de-France, avec 114 réseaux, totalise une puissance souscrite de 9 640 MW, dont 2 700 MW pour Paris, sur une puissance totale de 19 327 MW, soit près de 50 %. Les réseaux ont vendu 23 695 GWh de chaleur en 1995, dont 63 % à destination de l'habitat, 30 % dans le secteur tertiaire et 7 % pour l'industrie.

La même année, les réseaux ont consommé 3 millions de tonnes équivalent pétrole d'énergie (soit 1,4 % de la consommation d'énergie primaire à usage énergétique). Il sont alimentés principalement par quatre sources d'énergie : les résidus urbains (24 %), le fioul lourd (23 %), le charbon (21 %), le gaz de réseau (20 %). Le fioul domestique, le bois et la géothermie constituent également des sources d'approvisionnement des réseaux. Il est à noter que les deux tiers des réseaux consomment plusieurs sources d'énergie.

Selon les données 1995 du Centre d'études et de recherches économiques sur l'énergie (CEREN), les réseaux de chaleur desservaient avec 1 058 000 appartements 10,5 % de l'ensemble de ce type de logements et 24 % des appartements équipés d'un chauffage central en immeuble collectif. Ce chiffre ne représente toutefois que 4 % de l'ensemble des logements qui totalisent 22,7 millions de résidences principales en 1995 dont 12 687 000 maisons individuelles (55,8 %) et 10 033 000 appartements (44,2 %). Il convient d'observer que les logements raccordés sont majoritairement des logements d'habitat social (701 000 logements selon l'Union nationale des fédérations d'organismes HLM, soit 66,3 % de l'ensemble des logements raccordés).

Les réseaux de chaleur assurent le chauffage de près de 4 millions de personnes. La France est cependant nettement moins équipée en chauffage urbain que les pays nordiques où les réseaux peuvent représenter jusqu'à 40 % du chauffage des logements comme au Danemark.

En outre, les réseaux assurent le chauffage des équipements collectifs de la commune ou du groupement de communes où ils sont implantés (hôpital, écoles, piscines, gymnases, etc.) ainsi que des établissements industriels et tertiaires.

Six réseaux de froid importants étaient comptabilisés par le SNCU en 1995. Selon cet organisme, ces réseaux sont principalement localisés à Paris et en région parisienne (3) ainsi qu'à Lyon, Monaco et Montpellier. La vente de froid est réalisée essentiellement pour des établissements du secteur tertiaire. La puissance maximale installée est de 293,6 MW. La longueur totale des réseaux est de 62,7 km. Il n'existe pas de comptabilisation de la part des réseaux de froid dans l'ensemble des bâtiments climatisés. En France, la climatisation est principalement individuelle.

C. - DES CARACTERISTIQUES PARTICULIRES PAR RAPPORT AUX AUTRES MODES DE CHAUFFAGE

Le réseau de chaleur est une forme particulière de chauffage collectif, centralisée, organisée sous l'égide d'une ou plusieurs collectivités publiques, circonscrite géographiquement et dont l'équilibre économique repose sur des contraintes spécifiques.

1. Une activité de service public

Le réseau de chaleur consiste pour le propriétaire d'une chaufferie à vendre la chaleur produite par ses installations à des clients. Cette situation est spécifique puisqu'habituellement le propriétaire d'une ou de plusieurs chaufferies est directement l'utilisateur de la chaleur ainsi produite.

La distribution de chaleur peut être privée ou publique, selon le statut juridique de la personne morale qui est propriétaire du réseau. Le cas de réseaux privés regroupe la situation où le propriétaire est une société immobilière, une entreprise, un organisme d'HLM à statut privé. Lorsque le propriétaire est de statut public (Etat, commune, syndicats de communes, etc.), ce qui représente la majorité des cas, il y a distribution publique de chaleur, qui constitue un service public industriel et commercial, soumis par conséquent aux obligations d'égalité des usagers et de continuité du service. La distribution publique de chaleur s'effectue à l'intérieur d'un « périmètre », c'est-à-dire de tout ou partie du territoire d'une commune ou d'un groupement de communes. Lorsqu'il se situe dans une ZUP ou une ZAC, le réseau, élément d'infrastructure, est dit fermé dans la mesure où les acheteurs de terrain situé dans la zone ont l'obligation de se raccorder. Dans les autres cas, le réseau est dit ouvert.

La ou les collectivités locales qui détiennent un réseau de chaleur sont des distributeurs d'énergie. L'exploitation d'un réseau est techniquement complexe. Seules quelques communes gèrent leurs réseaux en régie directe (moins de 10 %, une quinzaine de réseaux). La plupart d'entre elles ne disposent pas de services techniques compétents, en conséquence elles procèdent à une délégation de service public (90 %). Celle-ci donne lieu soit à des contrats d'affermage (les installations sont financées par la collectivité mais exploitées par une entreprise privée), soit à des contrats de concession (les investissements et l'exploitation sont réalisés par la société concessionnaire qui verse à la collectivité une redevance pour l'utilisation du domaine public).

Dans l'hypothèse d'une concession, la société chargée de la gestion peut être une entreprise privée spécialisée ou une société d'économie mixte, laquelle peut exploiter elle-même ou passer un contrat d'exploitation avec une société privée spécialisée. En général, le contrat de concession ne concerne que les activités de production de la chaleur et d'entretien des installations primaires. L'entretien des installations secondaires fait l'objet d'autres conventions, conclues avec des opérateurs qui peuvent être soit le concessionnaire, soit des filiales de celui-ci, soit d'autres intervenants.

Les réseaux de froid sont également exploités sous forme de concession.

2. Une activité soumise à des obligations de transparence

La concession et l'affermage n'entrent pas dans le champ d'application du code des marchés publics. La conclusion de ces délégations est néanmoins soumise, depuis la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques, non à une obligation de mise en concurrence, mais à une obligation de transparence dont certains aspects peuvent contribuer à un renforcement de la concurrence. Il s'agit, d'une part, des dispositions prévoyant, au moment de la décision de délégation, un principe de publicité et, d'autre part, des prescriptions permettant la « remise » en concurrence de la délégation (limitation de la durée des conventions à la durée normale d'amortissement des installations, limitation des possibilités de prolongation de la durée à la réalisation d'investissements matériels nouveaux non prévus à l'origine, possibilité de conclure des avenants modificatifs dans la limite de 15 % du montant initial).

Il existe des modèles de contrats conseillés pour la concession et l'affermage des réseaux de chaleur et complétés par un modèle de règlement de service, publiés par l'administration. Certains des points sur lesquels les modèles précités appellent l'attention des collectivités locales présentent un intérêt du point de vue du fonctionnement de la concurrence, à savoir la durée de la concession (pour laquelle il est recommandé de ne pas dépasser une durée allant de 12 à 16 ans en affermage et 24 ans en concession), la durée des abonnements (pour lesquels la clause type recommandée prévoit l'annualité et une tacite reconduction par période d'un an). D'autres clauses, et notamment l'interdiction de la tacite reconduction, les conditions de reprise des ouvrages en fin de concession, sont également déterminantes pour le fonctionnement de la concurrence en fin de contrat. A cet égard, le modèle type prévoit la mise en concurrence des travaux pouvant faire l'objet de reprise en fin de concession, pour protéger les intérêts de la collectivité puisque la reprise des biens entraîne la mise à sa charge d'une indemnité. Le contrat type prévoit le droit, pour la collectivité, de mettre fin à la concession à partir de la quinzième année révolue, moyennant indemnité. Il n'est pas possible d'évaluer l'effectivité des modèles types dans la mesure où il ne semble pas qu'il existe d'inventaire permettant de définir les caractéristiques présentées par les contrats en cours, notamment pour les clauses intéressant le fonctionnement de la concurrence. Il résulte toutefois de l'instruction que la clause type relative à la durée des abonnements ne paraît pas être systématiquement appliquée.

3. Une activité dont les structures de coûts spécifiques rendent difficile la comparaison avec les autres modes de chauffage

La création d'un réseau de chaleur nécessite des investissements très importants, qui comprennent :

- la construction d'une chaufferie centrale équipée le plus souvent de plusieurs chaudières, chacune d'elle étant alimentée par une énergie distincte. Le coût moyen d'une chaufferie est estimé à 700F/kw ;

- l'installation d'un réseau de canalisations permettant la distribution de la chaleur dans la zone desservie. La longueur des plus gros réseaux français varie de 10 km (Vaulx en Velin) à 360 km (Paris). Le coût d'un mètre linéaire de canalisation en zone urbaine est évalué de 5 à 8 000 F et peut atteindre jusqu'à 15 000 F en zone très dense ;

- l'installation d'une sous-station par immeuble raccordé au réseau. Son coût est estimé de 150 000 à 200 000 F pour 50 logements.

Au total, d'après l'étude 1996 de l'Association des maîtres d'ouvrage des réseaux de chaleur (AMORCE), le coût d'investissement d'un chauffage urbain est de 24 600 F par logement.

Les coûts d'investissements des modes de chauffage collectif ou individuel autre qu'électrique (chaufferie, canalisation), selon la même étude, sont les suivants : immeuble alimenté au charbon 32 000 F par logement, immeuble alimenté au fioul et gaz 30 000 F par logement. Le chauffage individuel électrique, sans chaudière ni canalisation, se caractérise par le plus faible coût d'investissement (13 000 F par logement).

Par ailleurs, s'ajoutent à ces coûts initiaux des coûts d'exploitation, comprenant les coûts de production, dont l'approvisionnement en énergie, et les coûts d'entretien.

Les exploitants de réseaux ont une charge d'entretien particulière qui porte sur les installations primaires. En effet, l'exploitant, à l'issue de la concession, doit remettre ces installations au concédant en bon état de fonctionnement. Par ailleurs, il existe, pour tous les modes de chauffage, à l'exception du chauffage électrique, des coûts d'entretien (chaudière collective ou individuelle, canalisations, partie secondaire du réseau).

Le mode de tarification de la chaleur vendue par un réseau reflète l'ensemble de ces coûts puisque la chaleur produite est facturée à l'usager généralement sur la base d'une tarification dite « binôme », composée d'une part variable R1, correspondant au nombre de KWh consommés, et d'une part fixe R2, calculée en fonction de la puissance souscrite ou de la surface des locaux, et qui comprend l'abonnement au réseau, l'amortissement des investissements réalisés, l'entretien des équipements, les provisions pour leur renouvellement et la redevance payée par l'opérateur à la collectivité pour usage du domaine public. La facture est adressée à l'abonné (office d'HLM, copropriété, établissement public, entreprise) lequel est lié à l'exploitant par une police d'abonnement. Dans les immeubles à usage d'habitation, cet abonné n'est jamais le consommateur final de la chaleur vendue. Ce dernier (copropriétaire ou locataire) reçoit une facture reconstituée par l'abonné. Le prix qu'il paie est celui qui résulte de sa consommation d'énergie estimée forfaitairement, en général sur la base de la superficie habitée, ainsi que d'une part d'entretien. Cette situation peut être rapprochée de celle de l'habitant d'un immeuble doté d'un chauffage collectif.

Plusieurs tendances semblent pouvoir être dégagées en ce qui concerne les dépenses de chauffage, du prix de la chaleur au coût global du système choisi, qu'il soit collectif ou individuel.

Pour le chauffage collectif, l'étude comparée des prix de la chaleur vendue par les réseaux de chaleur et par les autres modes de chauffage collectif établie par l'AMORCE met en évidence que la facture annuelle TTC la plus élevée est celle du chauffage au fioul domestique (3 985 F), puis, par ordre décroissant, celle du chauffage urbain (3 895 F), celle du chauffage au charbon (3 368 F), le chauffage collectif le moins onéreux étant le chauffage au gaz (3 321 F).

La bonne place des réseaux doit cependant être relativisée puisque l'étude ne porte que sur un échantillon très limité de réseaux (56 sur les 377 réseaux de chaleur français, représentant la moitié de la puissance de l'ensemble des réseaux), le résultat retenu étant une moyenne pondérée. Cette moyenne ne reflète pas la très grande disparité des factures annuelles des réseaux de l'échantillon dont la plus basse est de 2 499 F TTC et la plus élevée de 6 136 F TTC.

Le coût de la chaleur n'est qu'un élément du coût global d'un système de chauffage. Pour un réseau de chaleur et selon la même étude de l'AMORCE, ce coût global s'établissait à 6 428 F TTC, contre 6 321 F TTC pour le chauffage collectif au gaz, 6 578 F TTC pour le chauffage collectif au charbon et 6 985 F TTC pour le chauffage collectif au fioul.

En ce qui concerne le chauffage individuel, le prix de la chaleur est estimé à 4 133 F TTC pour un chauffage au gaz, et à 7 298 F TTC pour le chauffage électrique. Le coût global du chauffage au gaz individuel est de 6 433 F TTC, contre 8 598 F TTC pour le chauffage électrique.

Globalement, il apparaît que le chauffage collectif (gaz, fioul, charbon, chauffage urbain) est moins cher que le chauffage individuel (gaz, électricité).

Il convient de souligner que les évaluations de l'AMORCE sont contestées, soit par les opérateurs concurrents des réseaux, soit par certains abonnés, tels que les offices d'HLM ou des associations de copropriétés raccordées. Ces derniers font valoir qu'à l'exception de quelques réseaux compétitifs, la chaleur fournie par la plus grande part des réseaux serait in fine plus chère pour l'usager. Si la méthodologie retenue par l'AMORCE paraît difficilement contestable, sous réserve de la définition des éléments entrant dans le coût global sur lequel les différents professionnels se divisent, sa portée pratique est limitée par le fait qu'elle porte sur des moyennes elles-mêmes établies sur un échantillon de réseaux restreint.

En toute hypothèse, l'ensemble de ces comparaisons doit être pondéré par l'effet des politiques commerciales des différents opérateurs, qui peut modifier ponctuellement l'attractivité de tel ou tel mode de chauffage (financement d'une chaudière, garantie de prix, etc.).

Le mécanisme de tarification des réseaux de froid est identique à celui des réseaux de chaleur. En revanche, compte tenu de leur très faible développement, il n'existe pas de comparaison de coût disponible avec les autres systèmes de climatisation.

D. - UNE ACTIVITE DOMINEE PAR DE GROS OPERATEURS

Les chiffres d'affaires cités ci-dessous au titre du secteur du chauffage sont ceux réalisés dans les seuls marchés de l'exploitation de chaufferies, de chauffage central, de réseaux de chaleur et de froid.

Deux opérateurs assurent 85 % de la puissance installée des réseaux de chaleur et 83 % de celle des réseaux de froid.

Filiale de Suez lyonnaise des eaux, le groupe Elyo exploite 109 réseaux de chaleur correspondant à une puissance installée de 9 000 MW, soit 46,5 % de la puissance totale installée en France. Figure, parmi ces 109 réseaux, celui de la ville de Paris qui représente un tiers de la puissance totale exploitée par Elyo. Son chiffre d'affaires dans cette activité était de 2,5 milliards de francs en 1997 sur 9,7 milliards de francs réalisés dans le secteur du chauffage, soit 26 %. Ce groupe exploite également deux réseaux de froid, l'un à Paris (société CLIMESPACE, 101 MW) et l'autre à Monaco (SMEG, 27,2 MW) représentant au total 43,7 % de la puissance installée des réseaux de froid.

Appartenant au groupe Vivendi (ex Compagnie générale des eaux), la Compagnie générale de chauffe constitue avec Esys-Montenay, désormais sous le nom de Dalkia, le pôle Energie-Services de ce même groupe. Elle exploite 174 réseaux de chaleur représentant une puissance installée de 7 433 MW, soit 38,5 % de la puissance totale installée en France. Son chiffre d'affaires dans cette activité s'est élevé à 1,6 milliard de francs sur 8,2 milliards de francs réalisés dans le secteur du chauffage, soit 19 %. Par ailleurs, Dalkia est présente dans le secteur de la climatisation urbaine, au travers de la Société de climatisation interurbaine de la Défense (CLIMADEF), de la société Production et distribution thermique (PRODITH) à Lyon, du Service urbain de climatisation des Hauts-de-Seine (SUCLIM) à Courbevoie. Au total, avec 116 MW, Dalkia représente 39,5 % de la puissance installée des réseaux de froid.

Parmi les autres opérateurs, une dizaine au total, trois exploitent plusieurs réseaux de chaleur :

- la société SOCCRAM qui assure l'exploitation de 22 réseaux et représente une puissance installée de 1 100 MW, soit 6 % de la puissance totale installée en France. Elle a réalisé en 1997 un chiffre d'affaires de 610 millions de francs dans le secteur du chauffage dont 450 millions de francs dans l'exploitation des réseaux, soit 74 % ;

- la société IDEX qui gère 12 réseaux de chaleur. En 1997, son chiffre d'affaires dans le secteur du chauffage s'est élevé à 548 millions de francs dont 127 millions de francs dans l'exploitation de réseaux de chaleur, soit 23 % ;

- nouvel intervenant sur le marché des réseaux de chaleur, la société COFATHEC, filiale du groupe Gaz de France, exploite 6 réseaux de chaleur correspondant à une puissance installée de 134 MW. Son chiffre d'affaires dans le secteur du chauffage s'est élevé à 826,4 millions de francs dont 42,3 millions de francs, soit 5,1 %, dans les réseaux de chaleur. COFATHEC exploite également le réseau de froid de Montpellier représentant une puissance de 21 MW, soit 7 % de la puissance totale installée en France.

Il convient de relever que les intervenants dans l'exploitation de chaufferies collectives ainsi que dans l'activité d'entretien dépannage maintenance d'appareils individuels de production d'eau chaude sanitaire et de chauffage fonctionnant au gaz, fioul ou électricité sont souvent des filiales des sociétés précitées. Une seule fédération professionnelle, la FG3E (Fédération nationale de la gestion des équipements de l'énergie et de l'environnement), regroupe les entreprises présentes dans l'ensemble de ces activités qui constituent une seule filière.

II. - LE REGIME JURIDIQUE DU CLASSEMENT DES RESEAUX DE CHALEUR ET DE FROID ET SES INCIDENCES SUR LE FONCTIONNEMENT DE LA CONCURRENCE

A. - UN NOUVEAU DISPOSITIF LEGISLATIF QUI RESTREINT LE NOMBRE DE RESEAUX POTENTIELLEMENT CLASSABLES

1. De nouvelles conditions mises au classement

La loi n° 80-531 du 15 juillet 1980 a instauré un dispositif de classement des réseaux de distribution de chaleur qui permet aux collectivités locales d'imposer le raccordement d'installation de chauffage d'une certaine puissance au réseau classé. Ce texte, adopté dans un contexte d'énergie chère, avait pour ambition de contribuer à l'indépendance énergétique de la France et à la réduction de la facture énergétique, compte tenu du mode d'approvisionnement diversifié des réseaux et de leur moindre consommation. Il visait à relancer la création de nouveaux réseaux et à favoriser le développement des réseaux existants. La procédure du classement telle que prévue dans la rédaction initiale de la loi du 15 juillet 1980, malgré l'adoption d'un texte d'application (décret n° 81-542 du 13 mai 1981), n'a jamais été mise en oeuvre, sans doute en raison de sa complexité.

Répondant cette fois à des objectifs de protection de l'environnement, l'article 23 de la loi n° 96-1236 du 30 décembre 1996 sur l'air et l'utilisation rationnelle de l'énergie modifie le titre II de la loi n° 80-531 du 15 juillet 1980 précitée portant sur les conditions et la procédure applicables au classement. Ces modifications allègent la procédure de classement, élargissent son champ d'application aux réseaux de froid, mais fixent des critères nouveaux devant être remplis par les réseaux prétendant à son bénéfice. Il doit être précisé que toutes ces dispositions ne concernent que les installations dites « primaires » d'un réseau de chaleur.

L'article 5 de la loi n° 80-531 du 15 juillet 1980 dispose désormais que : « En vue de favoriser une utilisation rationnelle des ressources énergétiques, et de prévenir, réduire ou supprimer les pollutions atmosphériques de proximité, une collectivité locale peut demander le classement d'un réseau de distribution de chaleur existant ou à créer et situé sur son territoire ».

Alors qu'aucune condition de ce type n'existait dans la rédaction initiale de cette loi, les nouvelles dispositions exigent désormais que, pour être éligibles à la procédure de classement, les réseaux soient « alimentés majoritairement par de la chaleur produite à partir d'énergies renouvelables, d'énergies de récupération ou par cogénération » (article 5).

Subsiste en revanche la subordination du classement « à la condition que, compte tenu des mécanismes de financement mis en place par les pouvoirs publics dans le cadre de leur politique des économies d'énergie, l'équilibre financier de l'opération pendant la période d'amortissement des installations soit justifié notamment par une étude des besoins à satisfaire et par un bilan prévisionnel d'exploitation » (article 5).

Le Conseil observe que la loi du 15 juillet 1980 s'est montrée, par l'instauration d'un critère relatif à la nature des énergies utilisées par les réseaux, plus restrictive quant au champ d'application du classement, limitant par là même la portée de celui-ci sur le fonctionnement de la concurrence. L'ampleur de cette restriction dépendra de la fixation du seuil d'approvisionnement par une ou plusieurs des énergies retenues par la loi. Le nombre de réseaux classables résultera également de la période (tout ou partie de l'année) sur laquelle ce calcul sera établi. En effet, les énergies retenues par la loi sont utilisées par les réseaux comme source d'approvisionnement pour la consommation de base, mais il est nécessaire de faire appel à d'autres énergies en période de pointe (hiver), pour répondre à la demande. Le fait de retenir l'année entière plutôt que la période de pointe sera de nature à faciliter le classement des réseaux. Le décret d'application devra définir les énergies permettant le classement et le mode de calcul du seuil d'approvisionnement.

La condition d'équilibre financier pourrait exclure du classement certains réseaux notoirement en difficulté, en raison de conditions d'exploitation déficitaires, notamment du fait d'une charge d'amortissement excessivement lourde liée à des investissements supérieurs aux prévisions pour cause de difficultés d'exploitation techniques. Tel pourrait être le cas de certains réseaux de géothermie.

Au total, le classement d'un réseau de chaleur est subordonné au respect de ces deux conditions prises cumulativement. L'exigence de l'équilibre financier est la seule condition mise au classement des réseaux de froid, désormais explicitement inclus dans le champ d'application de la loi n° 80-531 du 15 juillet 1980.

Le classement est prononcé après enquête publique par le préfet et non plus par décret en Conseil d'Etat, pour une durée déterminée qui ne peut être supérieure à 30 ans. Il appartiendra au gouvernement de définir la nature des informations qui devront être recueillies pour la constitution du dossier d'enquête publique, s'il apparaît nécessaire de compléter le dispositif antérieur au regard des nouvelles conditions exposées ci-dessus. L'arrêté de classement fixe la zone de desserte du réseau.

2. Les conséquences du classement

L'article 5 modifié de la loi 80-531 du 15 juillet 1980 prévoit que, dans la zone de desserte du réseau classé, « le préfet, en liaison avec la collectivité locale ou le groupement des collectivités locales concerné établit une coordination entre le plan de développement du réseau et les politiques commerciales des établissements publics nationaux du secteur de l'énergie ». La seule modification apportée sur ce point consiste dans la précision du nom de l'autorité compétente pour assurer cette coordination : le préfet.

L'article 6 prévoit que « la collectivité locale ou le groupement de collectivités locales bénéficiaire du classement peut définir, sur tout ou partie de la zone de desserte du réseau, un ou plusieurs périmètres de développement prioritaire ».

L'article 7 de la loi n° 80-531 du 15 juillet 1980, qui n'a pas été modifié, prévoit une obligation de raccordement en ces termes : « dans les zones délimitées par le ou les périmètres de développement prioritaire, la collectivité locale ou le groupement de collectivités locales bénéficiaires du classement peut imposer le raccordement au réseau de toute installation nouvelle ou de tout ensemble d'installations nouvelles, qu'il s'agisse d'installations industrielles ou d'installations de chauffage de locaux, de climatisation ou de production d'eau chaude excédant un niveau de puissance de 30 kilowatts ».

Cet article prévoit également que des dérogations à l'obligation de raccordement peuvent être accordées, sur décision de la collectivité locale ou du groupement de collectivités locales bénéficiaire du classement, lorsque les installations visées « utilisent des sources d'énergie renouvelables ou de la chaleur de récupération » ou « ne peuvent être raccordées au réseau dans des conditions économiques satisfaisantes ou dans le délai nécessaire pour assurer la satisfaction des besoins des usagers ».

Sont supprimées les dispositions résultant des articles 8 et 9 de la loi n° 80-531 du 15 juillet 1980 dans sa rédaction antérieure, qui prévoyaient l'absence de préjudice financier pour les propriétaires et exploitants des installations raccordées par obligation au réseau classé, ainsi que la prise en charge par la ou les collectivités bénéficiaires du classement des conséquences financières des modifications ou des résiliations des contrats de fourniture d'énergie des usagers.

Les mesures d'application du nouveau dispositif législatif n'ont pas été adoptées. Les professionnels du secteur ont été consultés dans le cadre de l'élaboration, par les services du ministère chargé de l'industrie, du projet de décret modifiant le décret n° 81-542 du 13 mai 1981 pris pour l'application de la loi n° 80-531 du 15 juillet 1980, projet qui a vocation à se substituer au titre II du décret précité consacré aux réseaux classés. Les informations recueillies au cours de l'instruction permettent d'indiquer qu'ont été discutées, dans le cadre de ces consultations, des modifications portant notamment sur :

- les conditions dans lesquelles le réseau éligible au classement devra atteindre un équilibre financier, au regard de la comparaison entre les coûts pour l'utilisateur final, des différents systèmes de chauffage ;

- la détermination, en volume (pourcentage à atteindre) et en nature (énergies concernées), de la nouvelle condition relative à l'alimentation énergétique des réseaux susceptibles d'être classés ;

- les pièces nécessaires à l'instruction de la demande de classement, et notamment les conditions tarifaires consenties aux différentes catégories d'abonnés raccordés au réseau ;

- les pièces nécessaires à l'instauration d'une procédure de contrôle des réseaux par le préfet, au regard des critères de classement (bilan annuel des énergies utilisées selon leur origine, comptes de résultats en recettes et dépenses, état des conditions tarifaires consenties aux différentes catégories d'abonnés) ;

- le déroulement de la procédure de classement ;

- la définition de la notion d'installation nouvelle susceptible d'être affectée par l'obligation de raccordement ;

- les conditions de dérogation à l'obligation de raccordement ;

- l'instauration d'une procédure de contrôle permettant de vérifier si les conditions présidant au classement du réseau ont été respectées lors de l'exercice écoulé et la possibilité d'abroger un arrêté de classement si les conditions exigées pour le classement ne sont plus réunies.

B. - UN CONTEXTE PROPICE AU CLASSEMENT DES RESEAUX DE CHALEUR

Le Conseil observe tout d'abord que des opinions très contradictoires se sont manifestées au cours de l'instruction sur l'applicabilité de cette loi, et donc sur le classement effectif de réseaux de chaleur ou de froid soit au regard des conditions d'application qui résulteront du décret (que celles-ci soient considérées comme trop restrictives ou au contraire trop permissives), soit au regard de l'attitude des collectivités locales ou groupement de collectivités locales face aux conséquences d'un classement du réseau de chaleur ou de froid (que l'obligation de raccordement soit considérée comme impopulaire et politiquement malvenue ou au contraire qu'elle soit perçue comme la restitution aux maires de la maîtrise de la politique énergétique locale). Il doit être rappelé que la loi n° 80-531 du 15 juillet 1980, malgré l'adoption d'un décret d'application, n'a jamais été mise en oeuvre.

L'appréciation des conséquences sur le fonctionnement des marchés résultant de la mise en oeuvre de procédures de classement ne peut évidemment que se situer dans l'hypothèse de mise en vigueur du système. Le nouveau dispositif législatif, en substituant une décision préfectorale à un décret en Conseil d'Etat, a bien pour objet de favoriser le classement des réseaux de chaleur et de froid. Encore faut-il que, localement, la ou les collectivités locales soient désireuses de procéder à celui-ci.

Le Conseil relève néanmoins que deux éléments créent un environnement propice au classement des réseaux de chaleur et de froid : la loi n° 92-646 du 13 juillet 1992 relative à l'élimination des déchets proscrit, à l'horizon 2002, l'existence des décharges et incite notamment à la valorisation énergétique des déchets, d'une part, et encourage les projets de cogénération, d'autre part.

Sur le premier point, il convient d'indiquer, tout d'abord, que l'énergie fournie par une usine d'incinération des ordures ménagères (UIOM) est une énergie de récupération entrant au nombre de celles qui permettent le classement d'un réseau de chaleur raccordé à une telle usine. Or, le nombre d'UIOM à construire d'ici 2002 pour respecter l'interdiction de mise en décharge des déchets ménagers à cette échéance a été évalué à une centaine, le nombre total d'usines susceptibles de fonctionner à cette date étant estimé à 200, soit une moyenne de 2 par département. Les réseaux de chaleur raccordés à des UIOM offrent à celles-ci une valorisation estimée par certains experts à 70 % de l'énergie potentielle des déchets. La construction d'une telle usine à vocation calogène (production de chaleur) est, selon les mêmes estimations, d'autant plus intéressante, du point de vue de la rentabilité de l'investissement de la collectivité publique, que l'on est certain de vendre la totalité de la vapeur produite pendant au moins six ans ou la moitié de la vapeur pendant douze ans. Cette garantie constitue donc une incitation au classement du réseau, l'obligation de raccordement assurant à la vapeur produite par l'UIOM un débouché commercial. A supposer que d'autres orientations en matière de gestion des déchets ménagers limitent la construction de nouvelles usines, l'intérêt du classement d'un réseau raccordé à une UIOM subsiste dans la mesure où un certain nombre d'entre elles doivent faire l'objet de travaux de rénovation pour respecter les récentes contraintes en matière de respect de l'environnement. Le coût de ces travaux peut ainsi être, pour partie, amorti par la vente de chaleur. Il résulte d'ailleurs de l'instruction que des projets de cette nature sont actuellement en cours d'étude ou de réalisation. Enfin, selon l'AMORCE, « c'est souvent la même entreprise qui est titulaire du marché d'incinération des ordures et du contrat de concession (ou d'affermage) du réseau de chaleur ». Il y a donc des effets de synergie qui peuvent conforter cette incitation au classement.

Sur le second point, la cogénération, qui consiste à produire simultanément de la chaleur et de l'électricité dans une même installation, permet d'améliorer le rendement énergétique d'une installation de production de chaleur de manière très significative. Ainsi, pour produire une quantité donnée de chaleur, on utilisera en cogénération 30 à 50 % de moins d'énergie primaire que dans un système de production classique. L'électricité produite non auto-consommée est vendue à EDF dans le cadre des dispositions du décret n° 94-1110 du 20 décembre 1994, qui a rendu permanente l'obligation d'achat de l'électricité produite par les installations de cogénération et les installations utilisant des énergies renouvelables ou des déchets. L'installation d'une cogénération, pour les réseaux qui n'en seraient pas encore dotés, permet à la fois de rentabiliser la production de chaleur dans le cadre de la signature de contrats avec EDF d'une durée de douze ans à un prix, fixé en mai 1997, garanti sur cette période et d'accéder au seuil d'alimentation énergétique fixé par la loi sur l'air et l'utilisation rationnelle de l'énergie pour obtenir le classement. Selon l'Agence régionale de l'environnement et des nouvelles énergies (ARENE) d'-le-de-France, en 1995, quarante réseaux fournissaient de la chaleur produite à partir de la cogénération. D'après l'AMORCE, le développement de la cogénération dans les centrales de production de chaleur devrait accompagner deux types d'opérations : la rénovation, d'une part, des chaufferies alimentant les réseaux de chaleur compte tenu de l'ancienneté d'une grande partie d'entre elles et, d'autre part, des UIOM.

C. - LES EFFETS DU CLASSEMENT

Le Conseil souligne que les dispositions législatives relatives au classement des réseaux de chaleur et de froid, sur le bien-fondé desquelles il n'a pas à se prononcer, ont un effet nécessairement restrictif sur la concurrence, en ce qu'elles instituent, à certaines conditions, une obligation de raccordement des installations de chauffage ou de climatisation aux réseaux classés, excluant toute compétition entre systèmes de chauffage ou de climatisation et sources d'énergies. Le Conseil observe à cet égard, s'agissant des réseaux de chaleur, que l'on est en présence d'un marché où le service est assimilé à un service public et pour lequel le législateur et les pouvoirs publics ont été animés, de longue date, par des préoccupations mettant au second plan l'exercice de la concurrence (politique urbanistique, indépendance énergétique, politique de l'environnement).

1. Un dispositif dont l'incidence sur le fonctionnement de la concurrence sera subordonnée, en l'absence de coordination locale, à l'obligation de raccordement

a) Un dispositif de concertation au niveau local qui tend à limiter la concurrence entre les opérateurs

Les promoteurs du dispositif de classement des réseaux font valoir que le principe d'une coordination prévu à l'article 5 modifié de la loi n° 80-531 du 15 juillet 1980 entre les différents offreurs d'énergie s'inspire d'une situation qui prévaut dans le nord de l'Europe, où chaque énergie se voit accorder, au plan local, une zone réservée de fourniture. Il s'agit d'éviter une concurrence entre les énergies de réseaux qui conduise à des coûts d'infrastructure entraînant une mauvaise allocation des ressources. Il convient de préciser à cet égard que, dans certains des pays concernés, il existe des offreurs multi-énergies, ce qui facilite l'existence de cette harmonisation.

En 1980, la coordination voulue par le législateur avait pour objectif de favoriser les réseaux pour des raisons économiques et se situait dans un contexte d'énergie chère. Son maintien dans la loi sur l'air et l'utilisation rationnelle de l'énergie, qui subordonne le dispositif de classement à des préoccupations environnementales, dans un contexte d'énergie peu chère, viserait plutôt à pérenniser la viabilité économique des réseaux de chaleur, une fois ceux-ci classés, étant rappelé qu'une des conditions du classement est l'équilibre financier du réseau. Celle-ci serait mise en péril, à défaut d'une telle concertation, par une politique commerciale agressive d'EDF et de GDF. Tel est le sens donné à cette procédure par l'AMORCE, selon laquelle : « Si on laisse jouer une concurrence non régulée entre les exploitants des trois réseaux, il est possible que la chaleur issue des énergies prioritaires ne soit pas totalement vendue. La logique commerciale des distributeurs de gaz et d'électricité risque de prendre le pas sur la nécessité d'utiliser des énergies renouvelables et non polluantes ».

Le Conseil relève que la mise en oeuvre d'un tel dispositif en France, où les opérateurs ne distribuent qu'une énergie, conduirait à une répartition de marché réalisée sous l'égide des autorités locales. C'est bien ainsi que l'entend l'AMORCE qui indique que la coordination « devrait se traduire par la répartition des immeubles clients entre les distributeurs de chaleur, de gaz et d'électricité dans les zones desservies par le réseau de chaleur ». Le principe même de l'exercice d'une libre concurrence entre les différents offreurs d'énergie est donc écarté indirectement par les dispositions de la loi. En pratique, on peut douter de la mise en ouvre de cette coordination qui supposerait qu'EDF et GDF acceptent une réduction de leur liberté commerciale. En cas d'échec de cette concertation, la loi prévoit que la collectivité locale ou le groupement de collectivités locales bénéficiaires du classement peut recourir au mécanisme de l'obligation de raccordement institué par son article 7.

b) Une obligation de raccordement dont le champ d'application dépendra de l'interprétation de la notion « d'installation nouvelle »

L'obligation de raccordement interdit toute concurrence entre offreurs de systèmes de chauffage dans la zone de développement prioritaire d'un réseau classé. Le Conseil observe qu'avant l'adoption de la loi n° 80-531 du 15 juillet 1980 et donc en l'absence même de procédure de classement, tout ensemble immobilier construit sur les terrains à bâtir était, dans le cadre de plans d'urbanisme (ZAC, ZUP), systématiquement raccordé au réseau de chaleur créé généralement à l'occasion de ces opérations d'aménagement.

La lecture des débats préparatoires à l'adoption de la loi du 30 décembre 1996 sur l'air et sur l'utilisation rationnelle de l'énergie fait apparaître qu'a été particulièrement discutée la nature des installations de chauffage et de climatisation susceptibles d'être concernées par l'obligation de raccordement.

Il résulte de l'instruction que les opérateurs présents sur les différents marchés concernés n'ont pas tous la même interprétation de la notion d'installation nouvelle prévue par la loi. Le débat porte sur le point de savoir si les installations de chauffage et de climatisation qui seraient renouvelées devraient être considérées comme des installations nouvelles entrant dans le champ d'application de l'obligation de raccordement. Le Conseil observe que, dans sa rédaction antérieure, la loi n° 80-531 du 15 juillet 1980 comportait un article 8 rendant applicable l'obligation de raccordement prévu à l'article 7 « aux installations existantes de chauffage de locaux ou de climatisation utilisant l'eau chaude comme valeur énergétique ». Or, cet article a été abrogé par l'article 23 de la loi 96-1236 du 30 décembre 1996. Il apparaît que seule subsiste, dans le nouveau dispositif législatif, la mention « d'installation nouvelle ou tout ensemble d'installations nouvelles ».

De cette interprétation dépendra le volume des installations de chauffage (ou de climatisation) concernées par l'obligation de raccordement et, partant, l'ampleur des restrictions apportées au fonctionnement de la concurrence en cas de classement d'un certain nombre de réseaux de chaleur ou de froid. Il en est de même des conditions dans lesquelles les demandes de dérogation à l'obligation de raccordement seront examinées.

c) Des dérogations dont l'octroi sera subordonné à l'appréciation de la notion de « conditions économiques satisfaisantes » pour l'usager :

Le Conseil relève que les articles 8 et 9 de la loi n° 80-531 du 15 juillet 1980, qui prévoyaient une indemnisation du préjudice financier éventuellement subi par les propriétaires et exploitants des installations raccordées par obligation au réseau classé, ont été supprimés. Dans ces conditions, le Conseil estime que la notion de « conditions économiques satisfaisantes » devra être interprétée de façon à ce que l'usager ait nécessairement un intérêt financier au raccordement.

Cette appréciation des « conditions économiques satisfaisantes » se heurtera à plusieurs difficultés.

La première consistera à identifier le bénéficiaire de cette appréciation qui pourra être soit l'abonné, soit l'utilisateur final.

La deuxième reposera sur l'établissement d'une comparaison objective entre le coût de l'installation de chauffage existante ou à concevoir et le coût du raccordement au réseau de chaleur classé. De ce point de vue, il apparaît que cette comparaison sera extrêmement difficile, ainsi qu'il résulte des constatations effectuées en I. C.3 du présent avis. Elle supposera l'élaboration d'un dispositif fiable ayant recueilli l'adhésion de tous les partenaires, prenant en compte notamment tous les éléments constitutifs du coût de la chaleur fournie (raccordement au réseau quel qu'il soit (chaleur, gaz), coût des équipements (chaudières, canalisations, radiateurs), coût des abonnements (réseau de chaleur, gaz, électricité), coût de l'énergie elle-même avec des hypothèses de variation des facteurs entrant dans la détermination de ce coût et reposant sur des éléments transparents. Cette transparence nécessitera la communication des conditions tarifaires offertes par les différents opérateurs. Parmi celles-ci devraient être intégrées les diverses aides commerciales éventuellement offertes par les opérateurs quels qu'ils soient. Cette analyse devra se faire au plan local, installation par installation. Il résulte de la loi qu'elle sera soumise à « l'avis des services administratifs compétents ».

La troisième est liée à l'appréciation du caractère « satisfaisant » des conditions économiques offertes aux usagers pour justifier de l'obtention d'une dérogation à l'obligation de raccordement. De ce point de vue, le Conseil observe qu'un refus de dérogation fondé sur un coût de raccordement au réseau de chaleur, qui ne serait pas supérieur au coût moyen de l'ensemble des autres systèmes de chauffage disponibles, ne serait pas nécessairement « satisfaisant » pour l'usager, dont l'intérêt est de recourir au système présentant le coût le plus bas à service équivalent, pas plus qu'il ne le serait en termes d'allocation des ressources.

Malgré ces difficultés, si ces comparaisons sont effectuées dans des conditions présentant des garanties d'objectivité, le Conseil estime que la possibilité d'obtention d'une dérogation dans les conditions prévues par la loi restreint le champ d'application de l'obligation de raccordement et est de nature à maintenir l'exercice de la concurrence dans le périmètre d'un réseau classé entre les différents offreurs de chauffage et d'énergie.

2. Un dispositif qui aura un effet sur le fonctionnement de la concurrence dans le secteur du chauffage principalement au plan local

Sur la base de l'enquête SNCU 1994, la FIM évalue à 122 sur 377 les réseaux utilisant la chaleur produite à partir d'énergies renouvelables (44 par de la géothermie, 5 par du bois), d'énergies de récupération (68 par des résidus urbains dont 14 avec de la cogénération) et de la cogénération sans résidus urbains (5). Parmi ceux-ci, elle considère que 19 d'entre eux, qui ont représenté, en 1994, 32,7 % de la puissance souscrite et 32,6 % de la chaleur totale vendue, entrent dans le champ d'application de la loi. Elle estime à un tiers des réseaux de chaleur existants les réseaux « classables ». Elle évalue à 2 % du chiffre d'affaires total réalisé en France par les fabricants de matériels (745 millions de francs en 1997) la perte résultant d'une hypothèse de classement d'un tiers des réseaux actuels, en précisant que ce pourcentage peut aller jusqu'à 20 % sur certains produits dans les zones de raccordement. Elle fait valoir que l'activité d'installation et de maintenance des matériels sera également touchée, celle-ci étant le fait principalement de PME-PMI.

Du point de vue des opérateurs de réseaux, l'estimation du nombre de réseaux classables, à supposer que l'on calcule le seuil d'approvisionnement en énergie renouvelable sur une année, varie de 40 à 100.

En l'absence du décret d'application de la loi précitée fixant les conditions de mise en ouvre des critères ci-dessus décrits, il n'est pas possible de procéder à une évaluation objective du nombre de réseaux de chaleur ou de froid susceptibles d'être classés, ni sur la puissance que ceux-ci représenteraient. A cet égard, le Conseil observe que le classement d'un seul réseau, en l'occurrence le réseau de chauffage urbain de Paris (CPCU), qui est le premier réseau de France, entraînerait le classement de 14 % de la puissance installée des réseaux français.

En conséquence, l'évaluation des effets de ce dispositif sur le jeu de la concurrence pour les marchés concernés ne peut être quantifiée. Néanmoins, le Conseil entend formuler quelques observations sur les effets théoriques que l'application du dispositif est susceptible d'entraîner.

Au plan national, à supposer que tous les réseaux de chaleur soient classés, ils ne fourniraient de la chaleur que pour 4,7 % de l'ensemble des logements, 10,5 % de l'ensemble des appartements et 24 % des appartements équipés d'un chauffage collectif, et au total 6 % de l'ensemble des bâtiments (logements et tertiaire). Dans un contexte où les professionnels du secteur s'accordent à estimer qu'il n'y aura pas de création de réseaux d'envergure, faute de grandes opérations urbanistiques, il apparaît que la marge de progression de la part de marché des réseaux de chaleur, estimée nationalement, est réduite. On peut d'ailleurs constater que la nature des constructions actuelle (habitat moins dense, aménagement de zones pavillonnaires en périphérie des villes) contribue vraisemblablement au faible taux de pénétration du chauffage urbain dans le logement neuf (2,2 % du total de ces logements -immeubles, maisons- sur la France entière). Enfin, certains fournisseurs d'énergie (gaz, fioul), concurrents des opérateurs de réseaux de chaleur mais qui les approvisionnent également, n'ont pas tout à perdre à leur développement. Dans ces conditions, et spécialement pour les établissements publics nationaux du secteur de l'énergie, le Conseil estime que le dispositif de classement des réseaux de chaleur modifié par la loi sur l'air et l'utilisation rationnelle de l'énergie n'affectera que marginalement le fonctionnement de la concurrence.

Au plan local, la situation s'appréciera tout à fait différemment en fonction ou non de la présence d'un réseau de chaleur et de l'importance des équivalents logement raccordés. A titre d'exemple, le classement du réseau de chaleur de Paris représenterait un quart des équivalents logements de la ville, contre la moitié pour celui de Massy.

D'ores et déjà et alors qu'aucun réseau n'est classé, il résulte de l'instruction que le taux de raccordement au chauffage urbain des logements neufs en immeubles collectifs, en zones desservies par le chauffage urbain, était de 39,6 % en 1997. Le Conseil relève qu'aucun réseau ne dessert la totalité du territoire de la commune ou du groupement de communes où il est implanté, et donc des logements existants ou à construire, en raison notamment du coût d'accès à certaines zones dont l'habitat est peu dense. Théoriquement, en cas de classement, suivi d'une obligation de raccordement pour les installations nouvelles et renouvelées, ce taux pourrait atteindre 100 % dans la partie dense de la zone de développement prioritaire, s'il n'y a pas de dérogations. Dans cette zone, le classement d'un réseau exclura du secteur du chauffage collectif et individuel les offreurs d'énergies concurrentes (charbon, fioul, électricité, gaz...), les fabricants de matériels de chauffage, ainsi que les sociétés présentes dans l'activité d'exploitation des chaufferies collectives et individuelles. Dans ces conditions, il appartiendra au Gouvernement, s'il souhaite réglementer les prix du chauffage urbain, de consulter le Conseil de la concurrence pour vérifier si les conditions de l'article 1er alinéa 2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 sont remplies.

Au total, le Conseil relève que l'impact sur le fonctionnement de la concurrence est plus important que celui qui peut être apprécié en tenant compte uniquement de la simple observation, au plan national, des parts de marchés respectives des différents modes de chauffage, dans la mesure où il s'agit de marchés locaux. Par ailleurs, le Conseil souligne que ce sont les mêmes opérateurs, fermiers ou concessionnaires de réseaux de chaleur, qui occupent également une part significative sur le marché connexe de l'exploitation de chaufferies. En outre, il convient de relever que les dits opérateurs interviennent souvent en amont de l'exploitation du réseau lorsque l'exploitation des UIOM leur est confiée. A cet égard, la rationalité économique peut justifier que les mêmes opérateurs gèrent les réseaux raccordés à ces usines. Compte tenu de la présence dans les groupes concernés de sociétés fournissant d'autres services aux collectivités locales (cantines, service de l'eau, gestion des parkings, câblage...), il existe un risque de constitution de positions dominantes sur les marchés des services aux collectivités locales.

D. - DES MESURES PERMETTANT UNE LIMITATION DES RESTRICTIONS DE CONCURRENCE APPORTEES PAR LE CLASSEMENT PEUVENT ETRE ENVISAGEES

Compte tenu de l'impact local potentiel du classement d'un réseau de chaleur sur le fonctionnement des différents marchés concernés, le Conseil estime possible d'envisager des mesures permettant de maintenir une certaine compétition dans le secteur du chauffage, afin que les conditions de mise en ouvre du classement n'excèdent pas, au regard du droit de la concurrence, ce qui est strictement nécessaire à la satisfaction des impératifs d'intérêt général poursuivis par la loi sur l'air et l'utilisation rationnelle de l'énergie.

1. Un mécanisme de classement qui pourrait être soumis à révision

Il serait utile de s'assurer périodiquement du respect des critères conditionnant le classement, sachant qu'il peut être prononcé pour une durée allant jusqu'à trente ans. L'instauration d'une procédure permettant un réexamen régulier du respect de ces critères peut être préconisée. Il serait nécessaire aussi de vérifier que les usagers raccordés par obligation puissent bénéficier d'une police d'abonnement, soit dont la durée les autorise à présenter des demandes de dérogation au terme d'un délai raisonnable, soit qui comporte des clauses autorisant la renégociation des conditions en cas de fortes modifications du contexte économique énergétique. Enfin, il serait pertinent de prévoir un mécanisme permettant de mettre fin au classement par anticipation dans l'hypothèse où les critères ne seraient plus remplis et où l'atteinte au fonctionnement de la concurrence ne serait plus justifiée pour des motifs tirés de la protection de l'environnement.

En pratique, pour que la concurrence entre systèmes de chauffage puisse à nouveau être opérante, ce déclassement éventuel doit pouvoir s'accompagner d'un « déraccordement » des installations. Le Conseil relève à cet égard que la loi n° 96-1236 du 30 décembre 1996 sur l'air et l'utilisation rationnelle de l'énergie prévoit dans le 5° de l'article 22 que « les autorités administratives compétentes sont habilitées à prescrire l'obligation d'équiper les immeubles d'habitation ou à usage tertiaire dont le permis de construire a été déposé plus de six mois après la date de publication de la présente loi, de dispositifs permettant le choix et le remplacement, à tout moment de la vie du bâtiment, de tout type d'énergie ». Ce texte qui pose le principe d'une réversibilité des installations utilisant de l'énergie trouve tout son intérêt dans le cadre de la procédure de classement des réseaux de chaleur. Le Conseil suggère que les mesures d'application de cette procédure en tiennent compte.

2. La concurrence au stade de la dévolution de la délégation du service public de la vente de chaleur peut encore être intensifiée

La concurrence dans ce secteur ne peut jouer qu'à l'occasion de la dévolution de la délégation du service public, que la concession ou l'affermage soient créés ou renouvelés. Sur ce point, il résulte de l'instruction que l'application des dispositions de la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques a favorisé l'exercice de la concurrence. Le principe de publicité au moment de la décision de délégation pondère l'avantage lié aux dispositions financières et comptables afférentes à ces contrats, dont le Conseil avait constaté en 1990, dans son avis n° 90-A-13 déjà cité relatif à la cession à la Compagnie générale des eaux des titres Blanzy-Ouest, qu'elle mettait « l'entreprise en place en position favorable lors du renouvellement de la convention d'exploitation et limite de ce fait le jeu de la concurrence ». La présentation d'offres concurrentes incite également le titulaire de la concession à des efforts importants pour obtenir la reconduction de son contrat. Compte tenu de la date de création des réseaux (1965-1970) et de la durée des concessions conclues à cette date habituellement fixée à trente ans, de nombreux contrats vont venir à échéance dans les prochaines années. Il conviendra donc de s'assurer que les mécanismes résultant de la loi précitée seront pleinement appliqués en vue de maintenir l'exercice de la concurrence.

Parmi ces mécanismes, la préconisation de la limitation de la durée des conventions à la durée normale d'amortissement des installations devrait permettre de réduire la durée des concessions ; de plus, l'absence de création de gros réseaux de chaleur limite en principe l'ampleur des investissements à consentir. A cet égard, même si les opérateurs indiquent que la tendance est à la réduction de la durée des concessions par rapport à celle observée dans le passé, des exemples récents de renouvellement de concessions démontrent que ces durées demeurent encore relativement longues (renouvellement en 1997 des délégations de service public des réseaux urbains de Calais pour 24 ans et de Freyming Merlebach pour 22 ans), ce qui justifie le maintien d'une vigilance sur ce point.

Il convient également de s'assurer que la limitation des possibilités de prolongation de la durée de la concession à la réalisation d'investissements matériels nouveaux non prévus à l'origine n'entraîne pas une prolongation excessive de cette durée au regard du temps de retour sur investissement. A cet égard, la mise en place d'installations de cogénération dans les réseaux de chaleur qui se développe actuellement de façon intensive offre l'opportunité de prolonger la concession existante. Or, compte tenu du temps de retour sur investissement relativement court (4 à 5 ans) de ce type de matériel, la prolongation octroyée ne devrait pas excéder cette durée.

La délégation de service public analysée précédemment ne concerne que l'exploitation du réseau primaire. Celle du réseau secondaire fait l'objet de contrats distincts conclus entre l'abonné et des sociétés spécialisées, qui peuvent être soit l'exploitant des installations primaires du réseau ou l'une de ses filiales, soit un exploitant de réseau concurrent ou l'une de ses filiales, soit une entreprise indépendante spécialisée dans la maintenance d'installations de chauffage. L'instruction a permis de mettre en évidence que les cas où l'ensemble de l'exploitation d'un réseau (primaire et secondaire) est assuré par le même opérateur sont rares, spécialement pour les grands réseaux : cette organisation est d'ailleurs déconseillée par l'AMORCE. Dans la mesure où cette séparation n'est pas incompatible avec l'efficacité économique, le Conseil relève qu'elle est de nature à favoriser l'exercice de la concurrence sur cette partie de l'exploitation d'un réseau de chaleur.

Au total, ainsi que l'avait observé le Conseil dans son avis n° 90-A-13 précité, le marché de la vente de chaleur reste dominé par des opérateurs puissants. Les opérateurs « dits indépendants » dont le Conseil avait constaté l'existence sont toujours en activité (SOCCRAM, IDEX). En outre, le Conseil relève que, depuis cet avis, certaines entreprises (SOCHAN, SOMETH) ont été rachetées par la filiale COFATHEC de Gaz de France qui pourrait devenir un acteur significatif, de nature à intensifier le fonctionnement de la concurrence entre opérateurs de puissance économique comparable.

Délibéré, sur le rapport de Mmes Annick Biolley-Coornaert et Carole Champalaune, par Mme Hagelsteen, présidente, M. Cortesse, vice-président, et M. Rocca, membre, désigné en remplacement de M. Jenny, vice président, empêché.

Le rapporteur général,

Marie Picard

La présidente,

Marie-Dominique Hagelsteen

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