Prix de l’Equerre d’argent 2013 : musée du Louvre à Lens
Le musée du Louvre à Lens, réalisé par les architectes Kazuyo Sejima et Ryue Nishizawa (Sanaa) pour le compte de la région Nord-Pas-de-Calais, a été distingué le 18 novembre par le Prix d’architecture de l’Equerre d’argent 2013. Pour accueillir les collections, l’agence japonaise a conçu des bâtiments évanescents sous le ciel laiteux du bassin minier.
Maxime Bitter et Cyrille Véran
Kazuyo Sejima et Ryue Nishizawa, les associés de la célèbre agence japonaise Sanaa, ont bien compris l’humilité des mineurs de fond. Le bassin minier a servi la France en charbon. Le Louvre-Lens, inauguré le 4 décembre 2012, a été construit dans ce même esprit, tant il joue la carte de la retenue et de la discrétion dans ce paysage de terrils et de corons. A l’emplacement de l’ancienne fosse n° 9 des mines de Lens , sur une parcelle de 20 ha recolonisée par la nature, les architectes ont posé cinq bâtiments (28 000 m2 au total) articulés par les angles. Par un jeu subtil de transparence et de réflexion, leur enveloppe se confond avec le ciel laiteux du Nord. « Nous voulions dresser une scène où s’organise la rencontre entre les visiteurs et les œuvres, le bâtiment seul n’est rien », justifient les architectes. Un exercice de modestie pour le plus grand musée du monde qui a séduit son directeur, Henri Loyrette, en 2005 lors du concours : « J’ai vu dans la proposition de Sanaa une idée de variation du palais parisien avec ce pavillon central qui se déploie. » Au cœur de la composition, le hall d’accueil, un carré de verre de 3 600 m² accessible par ses trois côtés. Il distribue de part et d’autre les deux galeries d’exposition, l’une semi-permanente de 3 000 m², la Galerie du temps, l’autre temporaire de 1 800 m². Ces boîtes de béton s’étirent sur le terrain, en suivant la topographie du site. Revêtues d’aluminium anodisé, elles semblent évanescentes. Effet renforcé par la légère courbure des façades. A l’extrémité est, un pavillon de verre (1 000 m²) accueille les œuvres contemporaines et offre un point de vue sur le parc et les terrils jumeaux de Loos-en-Gohelle. A l’extrémité ouest, un théâtre de 300 places (la Scène) complète le dispositif. La rencontre est au cœur du musée. Entre une architecture et un paysage, entre de nouveaux publics et des collections prestigieuses. Et aussi, de manière inédite, dans les coulisses, réserves et ateliers de restauration étant rendus visibles. Une rencontre qui reste à construire sur le territoire pour que le Louvre-Lens apporte au bassin minier l’élan économique et le dynamisme qui lui font encore défaut.
Article paru dans « Le Moniteur » n° 5702 du 08/03/2013, pp. 21-25.
Un parc de 20 hectares au cœur des cités minièresCarte maîtresse de la candidature lensoise, le site est un ancien carreau de mine pour partie recolonisé par la nature. La parcelle – 20 ha –, tout en longueur, est un terril horizontal formant un belvédère de schiste à 4 m au-dessus du niveau naturel du sol. Histoire industrielle et mémoire du site sont convoquées pour fabriquer un paysage qui « fusionne » avec son musée, révèle le grand territoire et constitue un véritable parc pour les Lensois. Les fuseaux est-ouest des cavaliers sont ainsi à l’origine des allées qui orienteront les visiteurs depuis les 11 entrées du parc. Au milieu de ces flux, les volumes fragmentés du musée épousent la topographie du site. « Il fallait être interpellé par les horizons, ouvrir des perspectives remarquables, ménager des transitions en douceur entre l’intérieur et l’extérieur, comme un travelling », souligne la paysagiste Catherine Mosbach. L’une des originalités réside dans le glissement progressif du minéral au végétal à mesure que l’on s’approche du musée : le parvis de béton est percé de « bulles » végétales qui recueillent les eaux de pluie sur site, comme les ourlets engazonnés.
210 œuvres mises en scène dans un volume uniqueSpectaculaire est l’entrée dans la Galerie du temps qui rassemble, dans un espace de 3 000 m2 dépourvu de tout cloisonnement, quelque 200 œuvres issues des collections du musée du Louvre. Un surplomb à l’entrée permet d’embrasser du regard cet espace monumental avant d’emprunter de grands emmarchements qui placent le visiteur à niveau avec les premières œuvres. Le sol de la galerie se développe ensuite en légère pente (0,3 %). Cette présentation, du scénographe Adrien Gardère, est une révolution pour le Louvre, qui jusqu’ici proposait ses collections de manière classique, par département. Les différentes civilisations et cultures de l’Antiquité, du Moyen Age et des Temps modernes sont ainsi rassemblées dans un volume libre de tout poteau, accompagnées d’une frise chronologique au mur pour le repérage du visiteur. Le cheminement offre une vue à 360° de la plupart des œuvres. La charpente métallique, des poutres fines et serrées, permet un éclairage zénithal réglable par ventelles mécaniques. Autre audace : pas d’accrochage sur les murs. Leur habillage, du même aluminium anodisé que les façades extérieures, crée ainsi des effets inédits de réflexion entre les œuvres et leur public. La visite s’achève dans le pavillon de verre dédié à l’art contemporain, qui s’ouvre sur le paysage des cités minières et des terrils. Quant à la galerie d’expositions temporaires, elle est actuellement traitée de façon plus classique, avec un cloisonnement qui laisse tout de même filer façade et plafond. Enfin, sous le hall, les visiteurs peuvent découvrir les 1 000 m² de réserves depuis l’espace pédagogique. Les plus curieux observeront aussi le travail des restaurateurs, autre originalité du dispositif.
Le souci du détail au service de la transparenceMagnifier plutôt que disparaître. Accompagner le regard, tordre les perspectives, plutôt que bloquer les vues. Ici, discrétion et modestie du bâtiment sont de rigueur pour mieux valoriser le paysage qui se reflète sur l’aluminium anodisé des façades, les œuvres qui semblent se démultiplier dans la Galerie du temps, et les visiteurs qui déambulent dans le hall d’accueil. Métal et verre jouent bien sûr leur rôle. Mais c’est leur mise en œuvre soignée qui garantit l’effet. Pas de joint apparent dans les panneaux d’aluminium anodisé de 6 m de hauteur. Il a fallu tout rabaisser de 50 cm pour y parvenir, aucun industriel ne pouvant répondre dans le budget. Les façades vitrées du hall d’accueil (simple peau) et du pavillon de verre (double peau) affleurent. Une appréciation technique d’expérimentation (Atex) a été demandée en raison des grandes dimensions des panneaux (6 x 1,5 m). Le parvis semble ainsi en totale continuité avec le hall. La finesse des poteaux (141 mm de diamètre) rappelle celle des profilés aluminium de la façade de verre, brouillant la perception entre l’intérieur et l’extérieur. Cette fluidité s’exprime aussi grâce à la qualité de la chape béton et à la totale discrétion des équipements techniques, pourtant fortement dimensionnés pour assurer une maîtrise parfaite de l’hygrométrie. Le regard libéré des obstacles habituels, les architectes ont introduit à l’intérieur des bulles de verre pour les fonctions d’accueil (librairie-boutique, cafétéria, etc.). Les légères inflexions des façades offrent à l’aluminium anodisé des reflets irréels. Certainement le chantier le plus exigeant conduit par Didier Personne, directeur du projet au conseil régional.
Ryue Nishizawa et Kazuyo Sejima, associés de l’agence japonaise SanaaEn visitant le site, nous avons été immédiatement frappés par cette lumière d’Europe du Nord, diffractée, ce ciel nuageux, mais lumineux. C’était nouveau pour nous, et cela nous appelait à nous fondre dans ce paysage magnifique. Pour la disposition des bâtiments, nous avons suivi la déclivité du terrain, 8 m au total sur la longueur de la parcelle, ce qui a permis de préserver la continuité du parcours qui mène au musée. Nous avons cherché à « naturaliser » les bâtiments sur cette île, en belvédère sur les cités minières. Le programme est lourd, et l’image du Louvre porte l’histoire, avec le palais parisien et ses œuvres prestigieuses, mais aussi avec la modernité de sa pyramide. Il fallait que le musée du Louvre-Lens soit tourné vers l’avenir, vers la région et ses habitants. Le bâtiment seul n’est rien, c’est la relation entre le musée, les œuvres, le parc et les visiteurs qui compte.
Fiche techniqueMaître d’ouvrage : conseil régional Nord-Pas-de-Calais.
Maîtrise d’œuvre : Kazuyo Sejima+Ryue Nishizawa/SANAA, architecte mandataire ; Tim Culbert, Celia Imrey/Imrey Culbert LP ; Catherine Mosbach, architecte paysagiste, coauteurs ; Yoshitaka Tanase, Yumiko Yamada, Louis-Antoine Grégo, Koji Yoshida, Nobuhiro Kitazawa, Lucy Styles, architectes assistants ; Studio Adrien Gardère, muséographe ; Antoine Saubot-Michel Lévi-Extra Muros ; Antoine Belin, architectes d’opération ; Bureau Michel Forgue, économiste ; Saps/ Sasaki and partners, BET structure ; Bollinger+Grohmann, BET structure métal et façade ; Betom, BET structure béton et fluides ; Hubert Pénicaud, SNC Lavalin, BET environnement ; Transplan, concept environnemental ; Arnaud de Bussière, BET façades ; Arup Lighting, BET éclairage ; Avel, BET acoustique.
Principales entreprises : Permasteelisa (enveloppe, charpente et façade) ; Eiffage (gros œuvre) ; Guintoli (terrassement) ; Grepi (chapes) ; Sterec (couverture) ; CRI (revêtements) ; Bonnardel (menuiseries) ; Loison (métallerie) ; Eiffage TP avec Euro-Vert et Sirev (paysage).
Coût : 201 millions d’euros TTC (parc et toutes révisions comprises).
Surface : 28 000 m2.
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