Point de vue - Loi Confiance : "Pas de droit à l’erreur pour la sécurité incendie"
L’Assemblée nationale étudie actuellement le projet de loi Confiance, aussi connu sous le nom de « droit à l’erreur ». Le texte remet en cause l’un des droits acquis par les Français : celui d'être bien protégé contre le risque incendie. C'est l'avis du Colonel Eric Faure, président de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers, de Paul Villain, président de l’Association des Brûlés de France, et de Régis Cousin, président de la Fédération française des métiers de l’incendie. Ils souhaitent que la réglementation incendie soit exclue du champ du permis de déroger (1).
Colonel Eric Faure, pdt de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers, Paul Villain, pdt de l’Association des Brûlés de France, et Régis Cousin, pdt de l'association des métiers de l’incendie
\ 10h00
Colonel Eric Faure, pdt de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers, Paul Villain, pdt de l’Association des Brûlés de France, et Régis Cousin, pdt de l'association des métiers de l’incendie
Le projet de loi "pour un Etat au service d’une société de confiance" est discuté cette semaine en première lecture par les députés. Il prévoit que le gouvernement puisse prendre par ordonnances des mesures "visant à faciliter la réalisation de projets de construction". Les maîtres d’ouvrage pourront ainsi utiliser les moyens de leurs choix pour que leurs bâtiments respectent les normes en vigueur. Concrètement, il s’agit de remplacer une obligation de moyens par une obligation de résultats : plutôt que de respecter des normes, des listes de matériaux et des procédés de construction visant à protéger les bâtiments, entre autres, contre les incendies, le projet de loi instaure un permis de déroger ou « de travailler sans filet ».
Le nombre de victimes divisé par deux en trente ans
Quelques lignes dans un projet de loi puis un vote des députés pourraient balayer d’un revers de main une réglementation fruit des expériences tragiques du passé. L’incendie du dancing 5-7 à Saint-Laurent-du-Pont en Isère en 1970, celui du collège Pailleron à Paris en 1973, ou plus récemment les feux de l’hôtel Paris-Opéra en 2005 et du bar Cuba Libre de Rouen hantent encore la mémoire des Français. Il y a quelques jours dans le Pas-de-Calais, quatre personnes, dont deux sapeurs-pompiers, ont perdu la vie dans un simple feu de pavillon. C’est en souvenir de ces centaines de morts dans les incendies que les normes se sont renforcées au fil des années. Cette réglementation précise a fait ses preuves : le nombre de victimes par incendie a été divisé par deux en 30 ans. Si près de 600 victimes sont toujours à déplorer chaque année, c’est essentiellement dans les habitations anciennes pour lesquelles la réglementation est la moins exigeante.
L'atteinte d'un objectif de sécurité ne pourra être vérifiée qu'en cas de sinistre
En matière de risque incendie, la contrainte amène la sécurité. Passer d’une logique de moyens à une logique d’objectifs, sans avoir un retour d’expérience au long cours d’un tel changement de paradigme, reviendrait à jouer aux apprentis sorciers avec la sécurité des bâtiments et la vie des Français. Peu importe les procédures mises en œuvre, l’atteinte d’un objectif de niveau de sécurité ne pourra être vérifiée qu’en cas de sinistres. Devons-nous attendre qu’un bâtiment brûle et ses terribles conséquences pour vérifier si l’idée initiale était la bonne ? Les conséquences humaines et économiques seront catastrophiques. Tout comme les conséquences juridiques pour les maîtres d’ouvrage ayant utilisé les possibilités de dérogations. Ne sacrifions pas un schéma réglementaire éprouvé sur l’autel d’un dogme de simplification. L’incendie de la Tour Grenfell à Londres en juin 2017 nous rappelle que le laxisme réglementaire et la sécurité ne peuvent aller de pair.
L'innovation en matière de sécurité incendie est possible
L’innovation en matière de sécurité incendie, en général, est possible. Mais elle doit être encadrée par une méthodologie précise. Celle-ci est encore à l’état de projet, notamment sur la répartition des compétences et donc des responsabilités, entre les acteurs (rôle du maître d’ouvrage, de la commission de sécurité, des bureaux de contrôle, etc.). Une fois ces travaux aboutis, nous pourrons envisager plus sereinement le principe dérogatoire par obligation de résultats.
Inévitablement, l’allégement des contraintes de sécurité incendie fragilisera les services de secours. Les sapeurs-pompiers seront confrontés à des installations spécifiques, ce qui complexifiera leurs interventions et multipliera inutilement les risques. L’absence de réglementation préventive claire et précise combinée à la mise en œuvre de moyens techniques peu efficaces ou défectueux pèseront sur leur activité. Ils devront se doter de ressources supplémentaires pour faire face à des sinistres plus nombreux et plus graves.
La société de confiance est le projet ambitieux et fédérateur porté par le projet de loi. Cette confiance existe en matière de sécurité incendie. Le risque incendie est maîtrisé en France grâce à l’expérience acquise et aux mesures mises en œuvre en France. Ce risque n’est pas perçu comme tel par les Français car ils ont confiance dans la sécurité des bâtiments. Ne changeons pas une réglementation dans laquelle la société a confiance.
(1) NDLR : des amendements en ce sens ont été déposés lors de l'examen en première lecture par l'Assemblée nationale du projet de loi Confiance, mais se sont vu écartés.
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