Point de vue – Le paysage, assemblier et médiateur

Jean-Jacques Verdier, paysagiste, plaide pour placer le paysage au centre des politiques territoriales, en ville comme à la campagne. Membre du Conseil d’Administration du Pays Val de Loire Nivernais - ex membre de la Commission Départementale de la Nature, des Paysages et des Sites de la Nièvre – il a initié la réalisation de l’Atlas des paysages de la Nièvre et a contribué aux Etats généraux du paysage avec la Fédération Française du Paysage ainsi qu'à l’Etat des lieux des paysages protégés d’Ile de France

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Point de vue – Le paysage, assemblier et médiateur

Au regard d’une dématérialisation technologique, de la compétition économique et de l’accélération communicante, le paysage demeure la connexion humaine primordiale et mesure de toute chose avec la proximité du monde alentour. Se définissant à la fois comme le milieu physique incluant l’usage du sol et le regard culturel que l'on porte sur ce milieu, il est donc une relation privilégiée, un outil de connaissance, un levier d'actions et une évaluation partagée de ces actions sur le territoire. Loin de représenter une difficulté, cette pensée complexe selon Edgar Morin apparaît comme un recours pour notre société de spécialistes s’ignorant trop souvent les uns les autres et dissociant trop souvent l’observateur de l’objet observé. Et sa prise en compte relève de la cohérence de la gestion de l'espace pour une riche diversité paysagère qui n'est pas délocalisable. Pour penser global le projet nécessite une vue d'ensemble, pour agir local il doit être situé.

Passerelle

Alors que la demande de paysage n’a jamais été aussi forte, on mesure ainsi le décalage avec sa prise en compte selon sa signification. Passerelle entre le matériel et l’immatériel, le paysage est un processus. Mais il est trop souvent réduit au zapping paysager de l’imagerie communicante et l’un des défis de la modernité ne réside t-il pas dans une réconciliation avec le territoire en terme de projet spatial ? Soit un dépassement de la limite et du cloisonnement qui permettrait d’articuler Sciences humaines et Sciences naturelles dites de la Vie et de la Terre.

Sur ce terrain de rencontre, la nécessité d’un choc de signification se fait jour pour un fonctionnement institutionnel inadapté avec des politiques sectorielles en manque d’implications paysagères si l’on veut répondre aux enjeux territoriaux contemporains qui réclament transversalité et démarche intégrée, c’est à dire la définition même de ce que devrait être le projet spatial de chaque territoire, aussi bien urbain que rural. Aujourd’hui, peut-on se satisfaire de politiques publiques et d’actions hors-sol et hors cadre de vie autour d’un développement qualifié précédemment de durable et d’une écologie qui seraient cependant dépourvus de l’horizon du paysage ?

Bien commun

A la fois une compétence spécifique et une médiation qui s’adressent tout autant à l’administration qu’aux habitants, aux élus et aux acteurs des territoires.

L’illustration du déploiement non maitrisé de l'énergie éolienne et son impact paysager interroge ainsi la stratégie globale dédiée aux différents types d'énergies renouvelables et la crédibilité de la double politique des Sites et des Paysages dans ce contexte avec des élus considérés comme non responsables. Il est une opportunité dans le sens où il apparait comme un révélateur de la nécessité de déclinaison-appropriation de la Politique de l'Etat par les Collectivités territoriales (compétence propre en interne aux communautés de communes par exemple) et des pistes ont été proposées afin d'améliorer sa prise en compte et la pertinence des études (adéquation de la méthodologie – sensibilités paysagères).
Devant ce besoin de cohérence et de clarification entre l’Etat et les collectivités, quel est ce désengagement potentiellement générateur de conflit concernant des études paysagères confiées aux exploitants de l’éolien ? Que vaut alors la nécessité pour les territoires de définir des objectifs de qualité paysagère selon la loi Alur et la Politique des paysages ?

Décloisonnement

Depuis les échanges avec les Services du Ministère de la Transition écologique et solidaire en relation avec cette interrogation, la Direction de l’Habitat, de l’Urbanisme et des Paysages a mis en place un groupe de travail paysage afin de produire un guide à destination des Collectivités locales. Car le manque de responsabilité d'une collectivité en termes de connaissance et d'évolution paysagère de son territoire est préjudiciable bien au-delà de la politique énergétique, pour son attractivité et la maîtrise de son développement, pour la transition écologique dont l'agro-écologie, pour le cadre de vie et l'aménagement de l'espace (étalement urbain, artificialisation des sols, banalisation-simplification, mitage, actions sans lien les unes avec les autres...). Et les objectifs de qualité paysagère ne sauraient se réduire aux seuls temps de réalisation des études de planification spatiale (Schéma de Cohérence Territorial, Plan Local d’Urbanisme intercommunal).

De son côté, le rapport du Conseil Général de l’Environnement et Du Développement Durable est arrivé opportunément pour relayer le constat du décalage entre d’un côté les besoins et attentes de paysage et de l’autre côté l'actuel fonctionnement institutionnel. Soit une prise en compte dans le cadre de la modernisation des politiques publiques afin de pouvoir apporter des réponses contemporaines selon les enjeux d'une renaissance du paysage. Le recours à une Démarche paysagère relationnelle et de médiation à l'encontre du cloisonnement des pensées et des actions est une condition de l'acceptabilité du développement humain pour une modernité qui ne peut-être seulement économique et technologique.

Les rapporteurs soulignent en conclusion les écueils d’une approche sectorielle du paysage : "Devant l’ampleur de la reconquête qualitative à mener et des défis contemporains, tels que les conséquences paysagères de la transition énergétique, les outils et actions actuels, pour certains innovants et efficaces, mais trop ponctuels et dispersés, ne sauraient suffire. Il convient à présent de définir une véritable stratégie d’ensemble pour les intégrer dans une perspective plus générale, en établissant des priorités en fonction des acteurs et des territoires concernés."

Convention européenne

En effet, expression de la diversité paysagère et culturelle de l'Europe des peuples, la novatrice Convention européenne du paysage tarde à pénétrer les rouages institutionnels, en particulier les implications multi-sectorielles et la pluridisciplinarité de la démarche paysagère (Géographes, Paysagistes, Urbanistes, Architectes, Agronomes, Ecologues). En 2007, le Collectif des Etats généraux du paysage avait recommandé en ce sens la création d'une délégation auprès du Premier Ministre (Enjeux distincts de ceux protectionnistes de la Commission supérieure des sites, perspectives et paysages). Pour cette acculturation concernant une approche spatiale s'appuyant sur les singularités de chaque territoire, la déclinaison-appropriation de la Politique des paysages comme compétence des Collectivités territoriales est donc une condition pour une politique aboutie. Cette modernisation en accord avec la définition même du paysage permettrait d'inscrire la transition écologique et la capacité des territoires dans les enjeux de l'interrelation villes-campagnes, non comme un désengagement de l'Etat vis à vis de sa politique paysagère historique mais selon un partage des responsabilités et une appropriation de la Politique des Paysages afin de la rendre plus efficiente.

Partir du territoire

S'il y a bien une forte nécessité de sensibiliser les collectivités locales, elles ne pourront se doter des compétences et d'une ingénierie appropriées que si la Démarche paysagère se revendique territoriale et relève de l'intérêt général ainsi que d'une règle générale de fonctionnement applicable aux collectivités, et plus particulièrement à l'échelon intercommunal et à celui régional relayant notamment l’usage multi-sectoriel des Atlas de paysage départementaux. Et le Rapport Bonnet commandé précédemment par Sylvia Pinel insistait sur cette nécessité d'une ingénierie adaptée aux territoires ruraux démunis.

De même, les avancées législatives du gouvernement précédent sont restées au milieu du gué. Comme illustration, la complémentarité biodiversité/paysage à présent établie mais dont la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages est toujours en attente d’un décret d’application en ce sens afin de gagner elle aussi en efficience et appropriation en articulant cette complémentarité. En outre, la conjugaison des compétences naturalistes/paysagistes d’inventaire, de préservation, d’aménagement et de mise en valeur, montre que la perception de la biodiversité est tout d'abord paysagère pour tout un chacun et pour le plus grand nombre. C’est par le paysage que l’on accède (physiquement, sensoriellement et territorialement) à la biodiversité. Pour une reconnaissance citoyenne, elle ne peut demeurer la seule affaire des spécialistes.

Contradictions

Or, ce 4/07/2018, présentation du Plan pour la biodiversité qui représente sans doute une avancée appréciable mais qui ignore la complémentarité biodiversité / paysage et dans lequel le mot paysage n’est jamais utilisé malgré son affichage dans l’intitulé de la loi précitée – et en contradiction avec les rapports, recherches, contributions, séminaires au sein même du ministère (Mission Paysage et Développement Durable, Paysages, Territoires, Transitions….) tous susceptibles de sensibiliser-agir comme défini dans la Convention européenne du paysage de référence ratifiée par la France (Les Services de l’Etat dédiés et les compétences appropriées ont-ils été sollicités pour ce plan ?).

Politique agricole, Politique énergétique, Stratégie biodiversité, Plan climat, Politiques de l’Habitat, de l’Education et du Patrimoine, (A)ménagement du territoire; n’est-il pas illusoire de méconnaître l’approche sensible par le paysage et selon ses enjeux territoriaux si l’on veut agir sur les comportements et la gestion de l’espace ? Qui dira ce qu’a coûté et ce que coûte cette impré-voyance qui fait primer le quantitatif sur le qualitatif ? Loin de représenter un coût pour la société, la vue d’ensemble et la médiation que procurerait une démarche paysagère de ménagement du territoire serait l’expression d’une attention et d’une intention collective, choisie et non subie. Car le regard n’est pas naturel et nous vivons dans une société culturelle et socialisée. Soit une alternative pour dépasser la dualité réductrice et conflictuelle développement économique débridé / défense de l’environnement arc-boutée.

Jean-Jacques Verdier

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