Plan Bâtiment Grenelle : des pistes d’innovations dans la construction
Le groupe de travail « Innovation », constitué par Philippe Pelletier dans le cadre du Plan Bâtiment Grenelle en mai 2010, vient de rendre public son rapport sur « les leviers à l’innovation dans le secteur du bâtiment ». Les copilotes du groupe de travail, Inès Reinmann, associée chez Acxior Corporate Finance, et Yves Farges, ancien vice-président de l’Académie des Technologies, ont identifié quelques champs d’action prioritaires.
Propos recueillis par Julien Beideler et Isabelle Duffaure-Gallais
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Propos recueillis par Julien Beideler et Isabelle Duffaure-Gallais
Lorsque Philippe Pelletier nous a demandé de prendre en main le chantier de l’innovation dans le cadre du Plan Bâtiment Grenelle, notre mission était de donner corps à ce grand mouvement que sont les marchés du développement durable. Avec une philosophie qui tient en trois points : pas de censure des idées, pas ou peu de recours à l’argent public et du pragmatisme. Le tout en s’inspirant des bonnes idées expérimentées hors de nos frontières.
L’innovation dans le bâtiment existe. Les bases sont solides et les initiatives nombreuses. Il s’agit donc d’y mettre du liant et de favoriser les échanges. Surtout, il ne faut pas limiter l’innovation au seul volet technologique. L’innovation existe aussi dans le partage d’informations, dans les modes de financement, dans la certification des produits, la qualification des entreprises, l’assurance… Autant de volets que nous avons explorés lors de notre mission.
Nous l’avons dit, l’innovation ne se limite par à la technique. De ce point de vue, le secteur du bâtiment est même plutôt mature. Les industriels ont intensifié leurs efforts de recherche et développement et l’offre produits est de bon niveau. C’est plutôt du côté du processus de construction que des progrès peuvent être faits.
C’est tout le processus de la filière (commande, conception, réalisation, livraison et exploitation) qui doit être revisité. Le processus est à comprendre au sens large, et inclut les financements innovants, le dialogue entre les métiers, etc. La mise en œuvre intégrée des procédés de construction, de réhabilitation et d’exploitation est l’un des principaux leviers pour abaisser les coûts à des niveaux permettant une généralisation de la performance énergétique. Les coûts sont nécessairement plus élevés dans le cas d’un processus séquentiel et non intégré. Les grandes entreprises ont d’ores et déjà entrepris cette transformation, et celles de taille intermédiaire ont les moyens de le mettre en place en interne. Pour les autres, la première étape est le regroupement d’entreprises et de compétences.
Les groupements d’entreprises doivent s’adosser à un intégrateur. Ce « chef d’orchestre » doit mêler les compétences des différents acteurs du projet pour aller plus loin dans la mise en œuvre d’une offre globale apportant une garantie de résultat. Le membre du « groupement » qui endosse ce rôle supplémentaire peut être de tout type : architecte, bureau d’étude, entreprise de travaux, contrôleur technique, certificateur ou encore nouvel acteur spécialisé. Cette évolution doit être soutenue par les pouvoirs publics : création d’une qualification visant les intégrateurs, commande et aides publiques réservées aux « groupements » en possédant. Une telle exigence permet de garantir les coûts, la qualité et la performance énergétique après travaux mais aussi l’efficacité de la dépense publique. Au-delà de l’enjeu de qualité et de coût, il s’agit d’améliorer la productivité et la compétitivité des entreprises françaises.
L’intégration du processus requiert des outils facilitant le dialogue entre les différents corps de métier. Le maître d’ouvrage, l’architecte, le bureau d’étude, l’exploitant, l’utilisateur : autant de personnes qui doivent échanger informations et données tout au long de la vie d’un bâtiment. La solution est la maquette numérique. Au contraire des logiciels dédiés à chaque métier, avec leur propre langage, elle pose pour principe l’interopérabilité de l’ensemble des logiciels professionnels, grâce à des normes mondiales de description et d’échange des données des composants et systèmes.
L’intégration par le processus doit en effet inclure des objectifs de performance du bâtiment qui soient mesurables. Nous proposons d’établir des protocoles de mesure et de vérification adaptés à chaque type de bâtiment et à l’usage qui en est fait, puis d’imposer ces mesures et vérifications en commençant par les contrats de performance énergétique, la commande publique et les aides de l’Etat aux particuliers. Les compteurs intelligents permettant ces mesures devront être adaptés aux utilisateurs. Il faudrait instaurer une obligation de suivi de la performance énergétique à la réception du bâtiment puis pendant son usage, accompagné d’une caution financière.
Il faut en effet favoriser la récupération de chaleur perdue, tant dans les processus industriels, la production d'électricité que dans les rejets des bâtiments (eaux usées, ventilation). On pourrait fixer un objectif chiffré dans la programmation Pluriannuelle des investissements (PPI) concourant à l’objectif global d’atteinte de 23 % d’énergies renouvelables, et autoriser EDF ou tout autre industriel à vendre tout ou partie de la chaleur issue de ses processus de production. Enfin, généraliser le classement de tous les réseaux de chaleur d’ici 2020 et rendre obligatoire à terme le raccordement aux réseaux classés et performants.
Deux types de structures jouent un rôle privilégié pour exploiter le gisement d’innovation des territoires. Il s’agit des clusters et des plateformes Bâtiment-Energie Grenelle, qui visent toutes deux à regrouper les forces vives. En faisant le lien entre écoles et entreprises, ces structures doivent favoriser la mise en place des conditions de l’innovation. Les clusters, en tant que « catalyseurs » locaux du Grenelle de l’environnement appliqué au bâtiment, doivent être soutenus par les pouvoirs publics et les collectivités territoriales quand ils font la preuve de leur efficience économique. Ils peuvent faire le lien entre les pôles de compétitivité, les investisseurs, les organismes publics d’aide et leurs entreprises adhérentes. Les plateformes ont des missions plus étendues (formation, démonstration, R&D et attraction d'entreprises nouvelles) et doivent fonctionner en réseau pour mettre en commun compétences et projets et assurer leur efficacité économique.
Par ailleurs, des zones franches d'innovation devraient être créées dans les territoires afin de favoriser les expérimentations en relaxant certaines contraintes réglementaires, les rencontres et le partage de mesures innovantes.
Le premier levier à actionner est la mise en relation des PME/ETI innovantes avec les investisseurs. Les premiers ne savent pas à qui s’adresser ; les seconds ne savent pas où naît l’innovation. Pour gagner en efficacité, nous préconisons l’organisation d’un concours, porté par l’Agence Nationale de la Recherche, qui permettrait de faire émerger les projets pertinents. En parallèle, les entreprises sont appelées à se regrouper pour accéder à des financements plus importants, notamment en fonds propres.
Les copropriétaires doivent avoir une vision à long terme des travaux à réaliser mais la disparité de leurs situations ne favorise pas la prise de décision. L’idée d’un fonds de réserve – déjà obligatoire pour les copropriétés aux Pays-Bas- consiste à provisionner une certaine somme d’argent destinée à faciliter les démarches de travaux futurs. Nous préconisons une mise en place obligatoire pour les nouvelles copropriétés.
Pour établir objectivement un programme de travaux à effectuer, il faudra développer les missions d’assistance à maîtrise d’ouvrage en copropriété. Ces assistants seraient indépendants des syndics, des entreprise ou des industriels et se porteraient garants de la définition du programme de travaux, de leur mise en œuvre et du contrôle des résultats.
Dans le cas où les temps de retour sur investissement sont compatibles avec les attentes des investisseurs privés, le recours au mécanisme de «tiers investisseur» est possible. Le «tiers investisseur» est quelqu’un qui prend en charge tout ou partie du financement inhérent à la réalisation de travaux d’amélioration énergétique puis attend un retour sur investissement pour se rembourser avec une marge bénéficiaire. L’idée est d’ajouter le «tiers investissement» à d’autres ressources financières (participation du propriétaire, subventions…) pour être plus ambitieux en termes de performance énergétique. En logement privé, notamment en maison individuelle, il sera nécessaire de mutualiser les besoins pour faire appel au «tiers investisseur». Sinon, le volume de financement sera trop faible par rapport à la complexité du montage.
C’est possible. Mais il nous a semblé que pour compléter le système des certificats d’économie d’énergie (CEE), l’extension de la contribution au service public pour l’électricité (CSPE) à la distribution de combustibles fossiles consommés par les ménages et les entreprises était une bonne option. Les revenus de cette contribution seraient alors gérés localement en s’appuyant sur des structures existantes comme les agences régionales de l’Ademe ou de l’Anah. Les financements, prenant en compte les spécificités locales (énergies renouvelables, état du patrimoine, région climatique…) abonderont des projets de rénovation énergétique de grande envergure, qu’il s’agisse de traitement complet de lotissements ou d’actions ciblée de lutte contre la précarité énergétique.
Inutile d’inventer un nouveau schéma. Une gestion tripartite (Etat/collectivités/utilisateurs) de cette ressource, calquée sur le modèle des agences de l’eau, serait idéale.
Pour conduire à une garantie sur des risques réels, chaque acteur doit être responsabilisé. D’abord les entreprises dont il faudrait établir où elles seraient classées par nombre de sinistres rapporté à la taille de l’entreprise. L’idée est, en s’appuyant sur les bons élèves, d’encourager les entreprises à diminuer leur sinistralité responsable d’une grande part du coût des assurances. Du côté de la maîtrise d’ouvrage, nous souhaitons moduler la garantie décennale (coût et durée) en fonction du niveau de professionnalisme du maître d’ouvrage et du soin apporté à l’entretien-maintenance pendant les dix années de garantie.
Il s’agirait d’abord d’adapter les exigences d’évaluation et d’assurance au degré d’innovation des produits. Les primes de risque importantes sont à réserver aux produits et techniques les plus innovantes. Dans l’hypothèse d’une gestion plus décentralisée de l’innovation, le CSTB n’a pas les moyens d’être partout. D’où notre proposition, d’une part, de multiplier les moyens d’évaluation via des relais locaux (plateformes, clusters, centres techniques…) accrédités par le CSTB ; d’autre part, d’agréer les essais émanant d’autres acteurs (industriels, laboratoires…). Enfin, il faut penser à étendre les aides d’Oséo au-delà du Pass’Innovation. Car il ne s’agit là que de la première étape vers la mise sur le marché d’un nouveau produit. Il faut aller jusqu’aux avis techniques.
Pour consulter le rapport final "Leviers à l'innovation dans le secteur du bâtiment", cliquer ici