Paul Chemetov : "Les mirages annoncés du Grand Paris se sont dissipés"

Dans une tribune exclusive adressée au Moniteur, l'architecte et urbaniste Paul Chemetov réagit aux propos de Jean Nouvel sur "l'ensablement" de la consultation sur le Grand Paris, et se tourne vers Christian Blanc.

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Paul Chemetov :
L'architecte et urbaniste Paul Chemetov

Dans un article récent, Jean Nouvel décrivait la succession des méandres dans lesquels s'étaient ensablés les projets de la consultation internationale sur la métropole parisienne. Entre le discours inspiré du président de la République sur la colline de Chaillot pour l'inauguration de l'exposition du Grand Paris et son avatar actuel : le "grand huit", les grands gestes architecturaux et le grand Monopoly pour financer le tout, les mirages annoncés se sont dissipés.

Faudrait-il changer un secrétaire d'Etat qui n'aurait pas compris le message présidentiel ? Le changer ou le supprimer, non l'homme mais le poste ? En effet, si tous se plaisent à souligner le bon fonctionnement des métropoles provinciales, est-ce en nommant un gouverneur du Grand Paris, un résident comme s'il s'agissait d'une île des DOM-TOM d'avant la départementalisation, que l'on donnera un lendemain au projet métropolitain ?

L'intitulé même de la fonction : secrétaire d'Etat pour la Région capitale montre qu'il faut, a minima, rassembler trois volontés, celles de l'Etat, de la région, de la capitale et de leurs élus, pour provoquer le consensus nécessaire à tout projet et singulièrement à ce projet.

Car sinon, la désignation d'un ministre pour une seule ville, une seule agglomération, une seule région, voudrait dire un régime d'exception sans égal dans aucune démocratie en Europe.

Tirer la synthèse des travaux

Christian Blanc qui négocia avec habileté les accords de Nouméa serait parfait pour construire le consensus nécessaire à un tel projet, s'il voulait tirer la synthèse des travaux exposés à la Cité de l'architecture, et surtout des milliers de pages, de plans et de schémas qui les ont accompagnés, fruit du travail de plus de 500 chercheurs et praticiens de toutes disciplines.

Certes, ils n'ont travaillé que moins d'une année, mais avant de réduire, par la méthode Jivaro, leur apport à un tube automatisé de 130 km passant sous et au-delà des problèmes et des hommes du cœur de la métropole, un périphérique de très grande volée en quelque sorte, il faudrait les entendre, les lire, les écouter. Le monde de demain, ce n'est pas le monde d'avant les crises économiques et écologiques, prolongé sur son erre et ses errements, c'est un autre monde, dont la capacité d'action réside avant tout dans la transformation de l'existant par l'ajout d'implants neufs. Il faut voir ce qu'il y a de mobile dans l'existant et le mettre en mouvement.

Quelle est la synthèse que l'on peut dès à présent dégager du travail des équipes consultées ? Je peux en témoigner puisqu'avec Michel Lussault, géographe et universitaire, j'ai présidé le conseil scientifique de la consultation. L'Atelier du Grand Paris que réclame Jean Nouvel et que je posais comme condition à toute issue positive des travaux engagés doit rassembler certes les dix équipes, mais aussi les élus de la Métropole, l'Apur (Atelier parisien d'urbanisme) et l'Iaurif (Institut d'aménagement et d'urbanisme de la région Ile-de-France), la Diact (délégation interministérielle à l'aménagement et à la compétitivité des territoires) et évidemment l'Etat.

Remédier aux maux

Si le temps historique de la transformation des villes est long, le temps des humains, celui des passagers harassés de la ligne 13 et des RER, ceux des exilés, captifs dans les fins fonds de la Seine-et-Marne, ceux des isolés dans des territoires exclus de la métropole et pourtant situés à quelques kilomètres de la capitale, se compte en semaines, en mois, en années. A leurs maux, il faut remédier dans l'urgence.

La question urbaine est la question politique centrale de notre temps. Peut-on l'administrer comme un protectorat ou doit-elle être la question même qui sous-tend la vie politique, l'engagement des élus, l'intervention des citoyens.
Car, avant toute chose, vouloir relier les Hauts-de-Seine à Roissy, projet certainement utile, est-ce vraiment anticiper les évolutions du trafic, et les conséquences de la crise écologique : combien de tonnes de CO 2 produit un vol transatlantique ? L'avenir des transports est terrestre et maritime. Et la nouveauté en France, et demain en Europe, c'est tout de même les TGV qui ont changé la carte de la France et son espace-temps.

L'interconnexion des TGV entre Massy, Chessy et Roissy est certainement prioritaire, comme l'ouverture de nouvelles lignes, celle du Havre en particulier, mais tout autant Lyon-Turin, une voie plus courte vers l'Angleterre et le tunnel transmanche, les liaisons vers Barcelone ou Francfort. Est-ce parce que Christian Blanc présida Air France et la RATP qu'un tube vers un aéroport est son seul souci ?

Le projet du "grand huit" a un autre défaut, il étend les territoires de la métropole, car son économie même est basée sur les plus-values foncières escomptées au nord comme au sud. Pour reprendre la forte formule de Jean Nouvel, "étendre la ville (à l'heure de l'après-Kyoto) est aujourd'hui criminel pour notre descendance". Rappelons que la chenille spéculative du "grand huit" voudrait dire l'urbanisation de terrains grands comme quatre fois la surface du Paris intramuros.

Relever les défis

Quels sont les défis réels qui doivent être relevés pour assurer la compétitivité parisienne ?

- 1. Enrayer la stagnation démographique et pour cela éviter le départ des familles avec enfants, éviter le départ des jeunes retraités. Pour y répondre, construire en quantité des logements au plus près des transports et des services actuels. Le président de la République parlait de 70 000.

- 2. Mailler les transports existants, en commençant par les liens de banlieue à banlieue, car c'est ainsi que l'on peut remédier à la profonde inégalité des territoires, des poches de pauvreté et de richesse qui s'installent et se renforcent, de la difficulté d'accès aux bassins d'emploi, de la dévalorisation de fonciers pourtant déjà équipés en partie. Il est peu admissible qu'il faille 1 h 40 pour relier Clichy-sous-Bois au centre de Paris et trois fois moins pour atteindre la même distance dans l'Ouest parisien. L'équipe Secchi estimait qu'il manque à ce jour 600 km de lignes de tramway.

- 3. Cesser d'épurer par le haut - la formule est de Guy Burgel - les activités métropolitaines. Toujours plus d'emplois dans les technologies de pointe et les secteurs intellectuels supérieurs et aucune offre dans la production matérielle ; la dévalorisation corrélative de la force-travail conduit à un chômage structurel, à une perte de pouvoir d'achat qui rend impossible la solvabilité recherchée pour les logements qui manquent.

- 4. Equiper massivement ; il manque des équipements métropolitains dans Paris même et que dire des pôles de la périphérie ! Equiper, c'est vrai pour l'enseignement et la formation, pour le commerce et la culture de proximité au détriment des hypers et des multiplexes de rase campagne.

- 5. Enfin, favoriser l'agriculture vivrière de proximité et planter de la biomasse. Le groupe Descartes a calculé que la seule reforestation des aires inconstructibles de Roissy ferait baisser de 2° la température de la métropole.

Pour tout cela, il faut de l'argent. Beaucoup d'argent. On est loin des vingt milliards estimés du seul "grand huit". Il faut pouvoir - si la France veut garder à sa capitale son rang mondial - investir cent milliards en dix ans. C'est beaucoup, cela suppose les apports du public et du privé, cela prend en compte des sommes déjà budgétées et planifiées par toutes les collectivités, mais c'est moins, pour la part de l'Etat, que la somme des avantages fiscaux accordés successivement à divers groupes de pression, sans aucune retombée économique.

Ce point de vue a été publié dans "Le Moniteur des Travaux Publics et du Bâtiment" n°5528, daté du vendredi 6 novembre 2009, pages 6-7.

Si vous souhaitez réagir, écrivez-nous à courrier.moniteur@groupemoniteur.fr

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