Comment Nantes stimule la maîtrise d’usage
Sur la voie de la construction de la ville par les usages, l’île de Nantes passe de l’expérimentation à la généralisation. Aménageur public des anciennes emprises portuaires, la Samoa a marqué cette transition par une rencontre professionnelle, le 9 novembre au cœur des chantiers.
Laurent Miguet
Championne de France pour la densité d’espaces partagés selon l’étude livrée cet automne par « Le sens de la ville », Nantes s’interroge : « Comment concilier la pérennité et l’adaptabilité de ces espaces ? Et comment bien accueillir ceux qui ne souhaitent pas s’y investir » ?
Alain Bertrand, directeur adjoint de la société publique locale d’aménagement Samoa, ne cesse de se poser cette question depuis le lancement, en 2012, des premières opérations immobilières de la Prairie-aux-ducs, sur l’Île de Nantes : une pièce urbaine pensée comme un laboratoire du « Faire la ville par les usages », thème de la rencontre professionnelle qui a précédé l’inauguration de la conciergerie de quartier et des 22 000 m² de l’opération mixte îlink, le 9 novembre 2018.
Fous rires
Entre effet de mode, erreurs d’anticipation, freins à l’appropriation générés par la domination des investisseurs sur le marché immobilier, l’aménageur ne dissimule pas les pièges d’une « foire aux fausses bonnes idées », selon l’expression du directeur adjoint : un thème traité sous les fous rires et sur le mode de la caricature lacanienne et surréaliste, par l’Agence nationale de psychanalyse urbaine (Anpu). Vêtu de sa blouse blanche et armé d’un balai, son directeur Laurent Petit a conclu la rencontre sur la vision d’une métropole nantaise en archipel d’îles flottantes rattrapées par la montée des eaux, « dessert de l’humanité » et « poisson-pilote d’un monde nouveau ».
La dérision n’efface pas les réelles promesses, comme le prouve l’étude sur « les nouveaux usages dans les opérations immobilières de l’Île de Nantes », socle de la rencontre du 9 novembre : « Les propositions restent d’actualité, tout au long du processus de conception », rassure son auteure Lucille Greco, associée du Sens de la ville. L’aventure participative confirme le propos : les six initiateurs de 2012 ont atteint leur objectif de 15 foyers maîtres d’usage de leur habitation, parties prenantes des 100 logements de l’opération Zellige. Fin 2019, ils intégreront leur immeuble avec sa buanderie, son garage à vélos, sa chambre partagée, sa terrasse habitée et sa salle polyvalente.
Bilan prometteur
De même, îIlink valide l’accompagnement d’une opération par un maître d’usage, sans effet de frein sur le calendrier, mais avec un enrichissement illustré par la conciergerie, son espace de coworking et son parking mutualisé.
Souvent décriés, les syndics de copropriété peuvent redorer leur blason par leur contribution à la viabilité économique et sociale des nouveaux usages : « Nous savons gérer un potager mutualisé », abonde Cédric Lefeuvre, directeur du cabinet éponyme, rappelant la compétence de sa profession dans la gestion des conflits de voisinage.
La prise en compte des usages se généralisera, dans les prochaines consultations publiques relatives à l'aménagement de l'île de Nantes.
La généralisation des acquis des expériences passera par une nouvelle mission confiée à Sens de la ville par la Samoa, pour intégrer la question des usages dans ses consultations, en particulier celles qui concerneront les espaces compris entre le Centre hospitalier universitaire et la place de la République, conformément au schéma directeur de Jacqueline Osty.
Les témoignages d’acteurs d’autres métropoles régionales consolident les perspectives ouvertes par les expériences nantaises, notamment sur le créneau des espaces plantés : jardin mutualisé à la Zac des Girondins de Lyon, parc habité de Bègles - lauréat des Victoires du paysage à côté de Bordeaux - ville jardin de Cesson-Sévigné, dans la banlieue de Rennes, ou potaginage multigénérationnel de l’opération Oréa, à Bordeaux.
Toutes ces références concrétisent les idées forces des expériences nantaises : refus de la ville générique, émergence de la communauté habitante comme créateur d’un urbanisme aimable, issu d’un contexte local.
Variantes extérieures
Les exemples venus d’ailleurs rappellent aussi le rôle majeur des espaces publics, dans la fabrication de la ville par les usages. Sur cette question peu approfondie le 9 novembre, les prochaines étapes chercheront à dépasser la forte bipolarisation constatée par Alain Bertrand dans l’île de Nantes : la tentation d’une surdétermination des usages, symbolisée par les équipements sportifs de Base Paysage inaugurés cet été, s’oppose à des postures de neutralité et d’ouverture à l’imagination des promeneurs urbains.
Plus séduit par la seconde voie, le directeur adjoint insiste pourtant sur le rôle du créateur d’espaces publics, à côté du maître d’usage : « Alors qu’il imagine facilement des agencements innovants dans son habitation, le citoyen questionné tend à reproduire ce qu’il connaît, dans l’espace urbain ». Avec des variantes, les voies de l’imagination restent aux commandes de la fabrique urbaine de Nantes.
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