Marchés publics : la nécessaire professionnalisation des acheteurs
Voici l'avant-dernier épisode de notre feuilleton d’été, qui met en perspective les nouveaux textes marchés publics par rapport aux recommandations exposées dans la note d’avril 2015 du Conseil d’analyse économique par Stéphane Saussier et le prix Nobel Jean Tirole. Le thème du jour : la professionnalisation des acheteurs publics et la modernisation de leurs pratiques.
Point de vue de Pierre Desroches, formateur et consultant en marchés publics
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Point de vue de Pierre Desroches, formateur et consultant en marchés publics
Après avoir étudié la question des objectifs de la commande publique, puis des rapports d’analyse des offres avant et après négociations et de leur publication, et enfin de la publicité des avenants, le consultant Pierre Desroches poursuit sa comparaison entre la réglementation des marchés publics 2016 et les recommandations de la note du CAE intitulée « Renforcer l’efficacité de la commande publique ».
Stéphane Saussier et Jean Tirole préconisaient dans leur note d’avril 2015 (recommandation n° 8) de "renforcer la professionnalisation et les compétences des acheteurs publics et des gestionnaires de projets [et de] stimuler l’attractivité de ces métiers par des possibilités d’évolution professionnelle".
La note rappelle que la majorité des acheteurs publics arrivent à ce poste de manière fortuite, sans expérience préalable, ou avec un profil de juriste.
Les formations à l’achat public font le plus souvent l’impasse sur l’apprentissage du métier d’acheteur. Très rares sont celles qui abordent les thèmes de la connaissance du tissu économique, de la veille technologique, de l’art et des techniques de négociation, des méthodes pour capitaliser l’expérience. Elles sont presque entièrement consacrées à la connaissance de la réglementation, au suivi de son évolution et à l’apprentissage de la mise en œuvre des diverses procédures de passation des marchés. On y explore les jurisprudences permettant de comprendre les textes réglementaires et de situer les limites à ne pas dépasser. L’efficacité de la commande publique et la bonne utilisation des deniers publics passent au second plan.
C’est, toutes proportions gardées, comme si une auto-école n’enseignait la conduite à ses élèves qu’en leur faisant apprendre par cœur la position des radars !
Que dit la nouvelle réglementation des marchés publics ?
Evidemment, l’ordonnance du 23 juillet 2015 et le décret du 25 mars 2016 relatifs aux marchés publics ne disent rien de la formation des acheteurs. Mais – c’est nouveau -, ils évoquent le métier aux articles 4 et 5 du décret en abordant le sourcing .
Ce sont les textes en préparation qui suscitent le plus d’inquiétudes. Dans le projet de loi « relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique » (Sapin 2) sur lequel le Sénat a délibéré le 8 juillet, l’article 16 bis prévoit (parmi d’autres perles) un complément à l’article 53 de l’ordonnance : « L’acheteur met en œuvre tous moyens pour détecter les offres anormalement basses lui permettant d’écarter ces offres. Un décret en Conseil d’État définit ce qu’est une offre anormalement basse et une méthode de détection à destination des maîtres d’ouvrage publics. ».
Depuis trente ans, on a vu fleurir une poignée de méthodes de détection des offres anormalement basses. Elles ont un défaut : elles donnent toutes des résultats différents. Ce n’est pas étonnant : elles utilisent toutes les statistiques, et on ne fait pas de statistiques sur un nombre d’échantillons de l’ordre de la dizaine (et souvent beaucoup moins).
Si une méthode était appropriée, elle serait appliquée depuis longtemps.
C’est pourquoi les jurisprudences, notamment celles émanant de la Cour de justice de l'UE, insistent fortement sur leur manque de fiabilité et sur la nécessité d’un examen contradictoire des justifications fournies.
Rappelons qu’une méthode mathématique peut aussi être utilisée de manière perverse pour faire apparaître des offres comme anormalement basses et jeter la suspicion sur leur sérieux. A une époque où les entrepreneurs oublient leurs bénéfices et puisent dans leurs réserves pour survivre, la plupart des offres ne sont pas « normales » ; il faudrait en tenir compte.
C’est précisément le métier d’acheteur qui, par la connaissance du tissu économique et du prix des choses ou prestations achetées, permet de détecter une anomalie dans une offre faisant peser un risque de défaillance en cours d’exécution.
Et dans la foulée, la loi en projet prévoit à l’article 10 une sanction pénale (art. 432-14 du Code pénal) pour l’acheteur qui attribuerait le marché au moins-disant sans avoir mis en œuvre la fameuse méthode !
Il n’est pas étonnant que, devant cette frénésie normative, les acheteurs publics aient plus besoin d’une interprétation des textes que d’une vraie formation d’acheteur.
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