Marchés publics : extension du recours « Tropic » à tous les tiers !
C’est une véritable révolution juridique pour les praticiens des marchés publics : le Conseil d’Etat, dans un arrêt du 4 avril 2014, étend le recours en contestation de la validité du contrat, dit recours « Tropic », à l’ensemble des tiers justifiant d’un intérêt suffisant.
Nohmana Khalid et Sophie d’Auzon
Jusque-là réservé aux seuls concurrents évincés (lire notre article), le recours « Tropic » a été ouvert à tous les tiers intéressés à l’occasion de l’affaire « Tarn-et-Garonne » sur laquelle le Conseil d’Etat s’est prononcé ce vendredi 4 avril. Les sages du Palais-Royal opèrent, ce faisant, un virage jurisprudentiel considérable. Objectifs, selon le rapporteur public Bertrand Dacosta : mettre fin au « parcours d’obstacle » infligé aux tiers pour contester la validité d’un contrat public, et permettre de purger le contentieux dans des délais encadrés.
Avant, il y avait « tiers » et « tiers »…
Il fallait distinguer jusqu’à présent deux catégories de tiers.
- D’une part, les candidats évincés, c’est-à-dire celui qui a effectivement présenté une offre, et celui « qui aurait eu un intérêt à conclure le contrat, alors même qu’il n’aurait pas présenté sa candidature, qu’il n’aurait pas été admis à présenter une offre ou qu’il aurait présenté une offre inappropriée, irrégulière ou inacceptable » (CE, avis du 11 avril 2012, « Société Gouelle », n°355446). Ces tiers bénéficient, depuis l’arrêt « Tropic » de 2007 (CE, ass., 16 juillet 2007, « Société Tropic travaux signalisation », n°291545), d’un recours de pleine juridiction pour contester la validité du contrat signé, assorti, le cas échéant, de demandes indemnitaires. Ce recours devant être exercé dans les deux mois « à compter de l'accomplissement des mesures de publicité appropriées ».
- D’autre part, les autres tiers, qui jusque-là pouvaient seulement attaquer les actes détachables du contrat tels que la décision de signer, en vertu d’une jurisprudence ancienne dite « Martin » (CE, 4 août 1905, « Martin », n° 14220). Or l’annulation d’un acte détachable « ne débouchait qu’exceptionnellement sur l’annulation par ricochet du contrat lui-même », précise le Conseil d’Etat dans son communiqué de presse du 4 avril.
… aujourd’hui, « Tropic » pour tous !
Sur proposition du rapporteur public, l’assemblée du contentieux du Conseil d’Etat, dans son arrêt du 4 avril 2014, rebat les cartes et « signe la mort de l’acte détachable et l’abandon de la jurisprudence « Martin » (lire notre article). Désormais, tous les tiers pourront attaquer directement le contrat administratif ou certaines de ses clauses (« y compris, précise le communiqué, en faisant valoir l’illégalité des actes détachables du contrat »). A deux conditions, toutefois : qu’ils justifient que « leurs intérêts sont susceptibles d’être lésés de manière suffisamment directe et certaine » ; et qu’ils invoquent des irrégularités » en rapport direct avec l’intérêt lésé dont ils se prévalent », ou des vices d’une particulière gravité. Ces conditions ne valant pas pour les préfets et les membres de l’organe délibérant, car ils représentent l’intérêt local.
Corrélativement, le recours pour excès de pouvoir contre les actes détachables du contrat sera fermé aux tiers (1). Ce, afin d’éviter de fragiliser le contrat par l’existence de deux voies de recours. Par ailleurs, le recours « Tropic » ainsi élargi est, pour tous les tiers, enfermé dans un délai de deux mois à compter de l’accomplissement des mesures de publicité appropriées (2). Il peut être assorti d’une demande indemnitaire et/ou d’un référé suspension.
Application uniquement aux contrats conclus à compter du 4 avril
Comme il l’avait fait en 2007 pour l’arrêt « Tropic », le Conseil d’Etat n’applique pas cette jurisprudence « Tropic 2 » au litige tranché en l’espèce. L’ouverture du recours contre le contrat à tous les tiers s’appliquera donc pour les contrats conclus après la lecture de l’arrêt, soit à partir du 4 avril.
L’affaire portait sur un marché à bons de commande conclu par le département de Tarn-et-Garonne. Un conseiller général avait attaqué la délibération autorisant le président à signer le marché, invoquant un vice entachant l’avis d’appel public à la concurrence. Le tribunal administratif puis la cour administrative d’appel (CAA) avaient annulé la délibération et enjoint au département d’obtenir la résolution du contrat. Le Conseil d’Etat applique sa jurisprudence antérieure et annule l’arrêt de la CAA.
CE, ass., 4 avril 2014, « Département de Tarn-et-Garonne », n° 358994
Les pouvoirs du juge dans le recours « Tropic » élargi« […] Il revient [au juge du contrat], après avoir pris en considération la nature de ces vices, soit de décider que la poursuite de l’exécution du contrat est possible, soit d’inviter les parties à prendre des mesures de régularisation dans un délai qu’il fixe, sauf à résilier ou résoudre le contrat ; qu’en présence d’irrégularités qui ne peuvent être couvertes par une mesure de régularisation et qui ne permettent pas la poursuite de l’exécution du contrat, il lui revient de prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l’intérêt général, soit la résiliation du contrat, soit, si le contrat a un contenu illicite ou s’il se trouve affecté d’un vice de consentement ou de tout autre vice d’une particulière gravité que le juge doit ainsi relever d’office, l’annulation totale ou partielle de celui-ci ; qu’il peut enfin, s’il en est saisi, faire droit, y compris lorsqu’il invite les parties à prendre des mesures de régularisation, à des conclusions tendant à l’indemnisation du préjudice découlant de l’atteinte à des droits lésés […] »
CE, 4 avril 2014, ass., « Département de Tarn-et-Garonne », n° 358994
(1) sauf pour les actes administratifs détachables des contrats de droit privé, qui relèvent du juge judiciaire. De plus, souligne le communiqué du CE, « dans le cadre du contrôle de légalité, le préfet de département peut continuer de demander l’annulation des actes « détachables » du contrat tant que celui-ci n’est pas signé ».
(2) « notamment au moyen d’un avis mentionnant à la fois la conclusion du contrat et les modalités de sa consultation dans le respect des secrets protégés par la loi », précise la décision du CE.
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