Mafia des déchets: «Enfin, on comprend qu’il y a des sanctions particulièrement lourdes quand on fait n’importe quoi», Ségolène Tuloup, LLC Avocats

Ce mardi 14 décembre, le tribunal correctionnel de Draguignan (Var) a rendu son jugement dans le cadre du procès de la « mafia des déchets » qui avait démarré le 22 novembre. Représentant la fédération du bâtiment et des travaux publics du Var (FPTB83) qui s’est portée partie civile pour atteinte à son image et préjudice moral, Me Ségolène Tuloup, LLC et Associés - Avocats (La Valette-du-Var), commente la décision du tribunal qu’elle juge exemplaire dans l’articulation des peines et des condamnations prononcées.

Partager
Mafia des déchets: «Enfin, on comprend qu’il y a des sanctions particulièrement lourdes quand on fait n’importe quoi», Ségolène Tuloup, LLC Avocats
Ségolène Tuloup, LLC et Associés - Avocats

En quoi ce procès est-il historique ?

Les prévenus ont été condamnés pour abandon et gestion irrégulière de déchets en bande organisée, au sens du Code de l’environnement. Ils l’ont été aussi, pour la plupart d’entre eux, au sens du Code pénal, pour escroquerie en bande organisée, menace, ou encore extorsion par violence, contrainte ou menace et blanchiment du produit et exécution d’un travail dissimulé. D’où ce qualificatif de « mafia des déchets » utilisé dans la presse.
Pour la première fois, la justice a retenu le chef de prévention de bande organisée. Cela veut dire que les 17 prévenus sont tous déclarés coupables et responsables de la gestion irrégulière des déchets. Ce n’est pas le cas pour l’escroquerie retenue contre certains seulement. Même si, sur un fait ou un autre, c’est plus l’un ou plus l’autre qui apparaît, on considère qu’ils sont toujours tous concernés. Et cela est très nouveau. D’ailleurs, les prévenus avaient pris soin de plaider sur l’absence de bande organisée. Ils ont admis qu’ils avaient parfois pu travailler ensemble mais qu’il n’y avait rien d’organisé. Or, le juge a considéré qu’on est face à une organisation.

À LIRE AUSSI

"Mafia des déchets" : les accusés condamnés à réparer les sites abîmés

Etes-vous satisfaite des condamnations ?

Oui. L’essentiel des réquisitions du procureur de la République ont été suivies. Novatrices et très complètes, elles tiennent compte à la fois des dommages causés à l’environnement et des préjudices causés aux propriétaires dont les terrains ont été dévastés. Elles ont aussi tenu compte de la double casquette des prévenus. Ont en effet été condamnées des sociétés et des personnes physiques.
Le juge a aussi prononcé des peines très variées : des amendes pour les entreprises, des incarcérations avec sursis probatoire pour les personnes physiques jusqu’à un travail d’intérêt général pour l’un des prévenus, assorties de différentes interdictions et de l’obligation de réparer. L’essentiel des personnes physiques se voient enlever le droit de gérer pendant cinq ans (voire dix pour l’une d’entre elles) une entreprise et de se livrer à des activités de transport de déchets. Quant aux sociétés, elles ont l’interdiction définitive d’exercer dans ces domaines, de percevoir des aides publiques, comme de pouvoir soumissionner à des marchés publics pendant cinq ans. Les matériels et véhicules ayant servi à la commission des infractions ou en constituant le produit ont été confisqués, tout comme les sommes saisies au cours de l’instruction.

Qu’ont obtenu les parties civiles(1)?

Le tribunal a pris en considération les demandes des parties civiles en leur accordant réparation des préjudices invoqués, à l’exclusion des frais de remise en état des terrains qu’il a traités par un autre biais.
En effet, il a ordonné la remise en état des sites saccagés aux frais des condamnés dans un délai d’un an par application d’un article du Code de l’environnement. Il permettra à l’Etat d’exécuter d’office les mesures utiles aux frais des condamnés dont la seule obligation sera de consigner, à cette fin, diverses sommes entre les mains du comptable public (pour un total de 3,28 millions d’euros tout de même).
Pour moi, c’est une bonne décision bien construite. Elle a un sens. Il n’y a pas de peines astronomiques. Et c’est l’Etat qui devra assurer la réparation et la remise en état des parcelles.

« Le procès démontre a contrario tout l’intérêt pour les entreprises d’être exemplaires en respectant leurs obligations »

En quoi la décision est-elle satisfaisante pour le BTP ?

Jusqu’à présent, peu d’affaires étaient sorties avec des condamnations emblématiques. Avec cette décision, la FBTP83, qui mène depuis 20 ans une action de sensibilisation, dispose d’un outil pédagogique efficace. Enfin, on comprend qu’il y a des sanctions particulièrement lourdes quand on fait n’importe quoi.
Le procès démontre a contrario tout l’intérêt pour les entreprises d’être exemplaires en respectant leurs obligations. Celles qui présentent des devis tenant compte de leurs contraintes réelles, en termes d’organisation et de coût, pour le suivi, la traçabilité et le retraitement des matières premières, pourront désormais mieux communiquer face à des maîtres d’ouvrage qui essaieraient de tirer les prix vers le bas. Il faut faire comprendre que les fauteurs de troubles cassent le marché en proposant des prix défiant toute concurrence. Ils empêchent les entreprises respectueuses des contraintes de pouvoir obtenir des marchés et de fonctionner normalement.

Une des nouveautés de ce jugement est la prise en compte environnementale…

En effet. D’ailleurs, le tribunal a mis en pratique une disposition du Code de l’environnement. Il ordonne une remise en état des sites par l’Etat et non pas par les personnes condamnées. Cela pour être sûr de la réparation des dégâts provoqués par ces décharges illégales car les prévenus n’ont plus vocation à le faire et ne le feraient pas. Les parties civiles ne peuvent pas non plus le faire. En revanche, l’Etat agira aux frais des personnes condamnées qui devront le rembourser des frais avancés.
Ensuite, le tribunal a bien pris la mesure des atteintes causées aux représentants des professionnels, dont font partie la FBTP83 et l’Unicem. Elles ont été déclarées recevables dans leur action. Par exemple, la FBTP83 a obtenu 50 000 euros de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral.
Par ailleurs, le juge a prononcé des amendes jusqu’à 300 000 euros pour les sociétés et des peines de prison qui vont jusqu’à quatre ans. On reste sur un procès qui aboutit à des condamnations très lourdes, même si, en deçà des réquisitions du Parquet, qui avait pu requérir jusqu’à 500 000 euros d’amende pour l’entreprise la plus impliquée.
Enfin, les enjeux en présence ont bien été considérés par le tribunal.

Qu’entendez-vous quand vous dites que les enjeux en présence ont bien été considérés ?

Ce procès est particulier en ce que les faits qui ont été jugés ont mis en évidence des pratiques illégales simples et bien organisées, alimentant une économie parallèle et causant des atteintes fondamentales à l’environnement, par les dizaines de milliers de mètres cubes de déchets, inertes et non inertes, déversés de façon inconsidérée dans des zones protégées et réglementées, des zones agricoles ou chez des particuliers. Au-delà, ces faits portent une atteinte marquée à l’image des professionnels du bâtiment et de travaux publics qui respectent, eux, la réglementation.
Il a fallu des moyens inédits et de grande ampleur pour permettre de mettre au jour ce système délétère. Il était donc important qu’au travers du jugement, un message puisse passer, qui permette de mettre en exergue à la fois la gravité des atteintes environnementales causées, l’importance de pouvoir tenter d’y remédier tout en responsabilisant les auteurs.

« Les maîtres d’ouvrage sont souvent volontairement ignorants des contraintes liées à la gestion des déchets de leurs chantiers »

Que manque-t-il à ce procès ?

Justement la présence de maîtres d’ouvrage. Dans cette affaire, ils n’ont pas été mis en cause. Ils sont pourtant souvent volontairement ignorants des contraintes liées à la gestion des déchets de leurs chantiers. Ils ne manifestent aucun intérêt pour celle-ci, alors même que la question se pose nécessairement pour tout chantier. Et, parfois, les pratiques dévoyées viennent d’incitations à faire toujours pour moins cher.

Quelle sera la suite ?

Les prévenus ont dix jours pour faire appel de la décision du tribunal correctionnel. Et compte tenu des enjeux pécuniaires, - ils doivent verser dans un délai d’un an des dommages et intérêts aux parties civiles et des consignations importantes -, des peines d’emprisonnement qui vont jusqu’à quatre ans même si elles sont assorties d’un sursis probatoire pendant deux ans, et du montant des amendes, il serait étonnant qu’aucun d’entre eux ne conteste la décision.
En réalité, aucun des prévenus condamnés à l’emprisonnement ne repartira immédiatement en prison à l’issue du procès. Ils verront avec le juge d’application des peines comment organiser leur peine et les obligations nées du sursis, notamment celles de réparer, de ne plus gérer et ne plus exercer d’activité touchant au terrassement et à la gestion des déchets.

(1) Les associations de protection de l’environnement ; les organismes professionnels dont la FBTP83 et l’Unicem ; les collectivités (département du Var, commune de Roquebrune, etc.), les personnes physiques ou morales dont les propriétés ont été atteintes.

Mon actualité personnalisable

Suivez vos informations clés avec votre newsletter et votre fil d'actualité personnalisable.
Choisissez vos thèmes favoris parmi ceux de cet article :

Tous les thèmes de cet article sont déjà sélectionnés.

  • Vos thèmes favoris ont bien été mis à jour.

Sujets associés

NEWSLETTER Réglementation

Nos journalistes sélectionnent pour vous les articles essentiels de votre secteur.

Votre demande d’inscription a bien été prise en compte.

Votre email est traité par notre titre de presse qui selon le titre appartient, à une des sociétés suivantes...

Votre email est traité par notre titre de presse qui selon le titre appartient, à une des sociétés suivantes du : Groupe Moniteur Nanterre B 403 080 823, IPD Nanterre 490 727 633, Groupe Industrie Service Info (GISI) Nanterre 442 233 417. Cette société ou toutes sociétés du Groupe Infopro Digital pourront l'utiliser afin de vous proposer pour leur compte ou celui de leurs clients, des produits et/ou services utiles à vos activités professionnelles. Pour exercer vos droits, vous y opposer ou pour en savoir plus : Charte des données personnelles.

LES ÉVÉNEMENTS LE MONITEUR

Tous les événements

Les formations LE MONITEUR

Toutes les formations

LES EDITIONS LE MONITEUR

Tous les livres Tous les magazines

Les services de LE MONITEUR

La solution en ligne pour bien construire !

KHEOX

Le service d'information réglementaire et technique en ligne par Afnor et Le Moniteur

JE M'ABONNE EN LIGNE

+ 2 500 textes officiels

Tout voir
Proposé par

ARTICLES LES PLUS LUS

Ajouter Le Moniteur à l'écran d'accueil