Tout le dossier Tout le dossier
-
Marchés publics
Introduire ou modifier une clause de révision en cours de marché : et si c'était permis ?
-
Marchés publics
Les formules de révision de prix: bourbier ou opportunité ?
-
Marchés publics
Flambée des prix : ce que Matignon demande aux acheteurs publics
-
Droit de la construction
Contrats - Les index pointés du doigt
-
Entreprises
"Nous sommes hostiles à une révision généralisée des prix", Marianne Louis (USH)
-
Marchés publics
Acheteurs publics : révisez, révisez !
-
Marchés publics
La DAJ de Bercy veut saisir le Conseil d’Etat sur la modification des prix en cours d’exécution d’un marché
Les formules de révision de prix: bourbier ou opportunité ?
En temps de crise, la question de la révision dans les contrats redevient cruciale. Mais encore faut-il savoir manier les formules de variation des prix. Mode d'emploi, par Gregory Pacaud et Françoise Lesimple, associés du cabinet de conseil Victoryus.
Par Gregory Pacaud et Françoise Lesimple, Victoryus
\ 10h37
Par Gregory Pacaud et Françoise Lesimple, Victoryus
Le chef d’entreprise, avant de soumissionner à un marché public, construit une offre technique et économique solide. Pour cela, il détermine ses charges futures et l’ensemble des moyens nécessaires à sa réalisation en fonction d’un contexte économique imaginé stable. Le soin apporté à cette étude de dimensionnement assure - en principe - une rentabilité constante au fil de l’exécution du marché. L’acheteur public a de son côté opportunément prévu un mécanisme amortisseur et protecteur, avec une formule de révision des prix standard. Grâce à ce dispositif, les prix du marché doivent évoluer à la hausse comme à la baisse tout au long de son exécution, pour garantir la marge initiale.
Un coup de tonnerre dans un ciel bleu
C’est sans compter sur un coup de tonnerre dans ce ciel bleu : le bouleversement des prix des matières premières, l’envolée des prix de l’énergie, les tensions salariales rendent les prévisions totalement caduques. Comment l’acheteur doit-il agir, dans ce contexte où il se doit d’examiner la situation au-delà des stipulations contractuelles ? Comment préserver les deniers publics sans provoquer des défaillances des entreprises ?
De leur côté, comment les entreprises peuvent-elles préserver l’équilibre économique de leur marché tout en honorant leurs engagements vis-à-vis de l’acheteur public ?
Sortir par le haut
Une situation contractuelle figée
L’acheteur public comme l’entreprise ont un objectif commun : faire le meilleur choix dans la durée. Pour l’entreprise, c’est générer de l’activité rentable, de la visibilité sur son activité, de la notoriété et l’assurance de la solvabilité de son client. Pour l’acheteur, c’est dépenser utilement l’argent public auprès d’un opérateur économique fiable, en garantissant l’exécution du marché dans la durée, conformément aux exigences initiales.
Or, par la contractualisation du marché, les prix et les règles de leur évolution deviennent intangibles. Les deux parties sont engagées durablement. Le risque de défaillance d’une entreprise entraînant l’arrêt de l’exécution du service est inenvisageable pour l’acheteur public (particulièrement dans des marchés essentiels au déroulement du service public). L’acheteur est donc devant un réel conflit de loyauté : d’une part, défendre les intérêts de sa structure ; d’autre part, prendre en considération les difficultés de son titulaire.
Des solutions imparfaites
Pour aider les acheteurs à résoudre ce dilemme, la Direction des affaires juridiques (DAJ) de Bercy a produit plusieurs notes, visant à donner des consignes aux acheteurs de l’Etat, et des conseils aux collectivités territoriales. De son côté, le Premier ministre a, dans une circulaire du 30 mars 2022, présenté ses recommandations pour faire face à cette situation.
À LIRE AUSSI
Flambée des prix : ce que Matignon demande aux acheteurs publics
La prise en compte du caractère imprévisible de la situation par une application mesurée des pénalités pour retards dus à des difficultés d’approvisionnement ou par le réaménagement des délais d’exécution fait partie des dispositifs. Le principal étant l’indemnisation des entreprises pour couvrir les envolées imprévisibles des prix…
Ces solutions, chacun le sait, sont imparfaites pour les deux parties. Elles présentent cependant une réelle opportunité pour des marchés fortement impactés par la crise. Les entreprises concernées ont donc la possibilité de sortir de ce bourbier en saisissant l’acheteur sur ce motif d’imprévisibilité afin de négocier la meilleure solution pour les deux parties.
Les acheteurs sont des interlocuteurs de qualité
Les acheteurs publics sont comme les chefs d’entreprises : ils ont des comptes à rendre car ils engagent leur responsabilité et leur crédibilité à chaque marché. Ces enjeux partagés doivent conduire naturellement à trouver des solutions de rééquilibrage des prix. Dans un contexte imprévu, il est important de faire en sorte que les risques et pertes soient partagées au mieux.
Etre factuel
Pour négocier, il faut des arguments. Plus ces derniers sont solides, plus ils seront convaincants. Il suffit pour le chef d’entreprise de décrire sa problématique de manière précise, en développant les conséquences pour l’entreprise. Une illustration des propos par des chiffres concrets, issus de sources vérifiables, sera la bienvenue.
Les solutions juridiques : l’indemnité…
Les prix et leur mode de révision étant figés, le titulaire du marché concerné peut solliciter une indemnité pour compenser la flambée des prix en se fondant sur la théorie de l’imprévision. La charge de la preuve lui incombe : l’imprévisibilité s’apprécie soit dans sa survenance, soit dans son ampleur.
Par ailleurs, l’indemnité accordée ne peut couvrir qu'une partie du déficit subi par l’entreprise. Les juges administratifs fixent généralement cette indemnité à 90 % du préjudice démontré par l’entreprise.
… l’avenant
Il est possible de proposer la signature d’un avenant sur le fondement de l’article R. 2194-5 du Code de la commande publique afin de modifier le périmètre des prestations ou d’adapter les conditions d’exécution du marché. Bien que la circulaire du 30 mars 2022 semble exclure cette possibilité s’agissant des « clauses fixant le prix lorsque cette modification du prix n’est pas liée à une modification du périmètre, des spécifications ou des conditions d’exécution du contrat », les acteurs sur le terrain pratiquent la conclusion d’avenants sur ce fondement. Sans cette solution, le risque de défaut des entreprises est grand, et tout le monde risque d’y perdre.
Ce sera le moment de discuter avec l’acheteur public de ce qu’est une bonne formule de révision de prix. Une bonne formule pour les deux parties, bien entendu.
À LIRE AUSSI
Introduire ou modifier une clause de révision en cours de marché : et si c'était permis ?
Quid pour l’avenir ?
En tout état de cause, pour les marchés à venir, les entreprises devront examiner avec soin la composition des formules de révision incluses dans le marché qui, compte-tenu du contexte, prennent une importance fondamentale. D’un autre côté, les acheteurs publics doivent reprendre en mains les critères de révision des prix afin de préserver au mieux les deniers publics tout en donnant encore envie de répondre aux entreprises. Pour cela, il faut pouvoir identifier une bonne formule.
Qu’est-ce qu’une bonne formule ?
Tout d’abord, une bonne formule doit être appréhendée à partir de six postes dans une démarche de comptabilité analytique que l’on retrouve dans les entreprises de construction, démarche qui suit l'approche
Ainsi, la formule idéale doit être constituée de l’ensemble de ces facteurs. Chaque item doit être pondéré proportionnellement à sa représentation dans le compte d’exploitation.
Une bonne formule doit être représentative
Une bonne formule doit être représentative
Prenons l’hypothèse d’une entreprise de terrassement avec des comptes composés comme suit :
Amortissements = 11%
Salaires (S)= 38%
Gasoil (G) = 17%
Entretien des matériels (Mat) =13%
Frais généraux (FSD) = 21%
Prix révisé = prix initial*[0.11+0.38*(S/So)+0.17*(G/Go)+0.13*(MAT/MATo)+0.21*(FSD/FSDo)]
Ainsi, chaque grand poste de charge de l’entreprise est pris en compte à l’aide d’un indice mensuel spécifique, auquel est appliqué un coefficient de pondération. Ce dernier doit être le plus proche possible de la réalité des charges. Si ce n’est pas le cas, les risques de décalages (voire de dévissage) entre l’évolution des prix du marché et celle des charges réelles est grand. L’entreprise court donc un danger financier.
Cette représentativité est bonne pour les deux parties. L’acheteur public assure l’équilibre économique initial du marché et donc la durabilité de son marché en évitant le risque de défaillance. Il est assuré de payer le prix le plus juste (à la hausse comme à la baisse). De son côté, l’entreprise bénéficie d’une évolution de prix plus conforme à la réalité de ses charges.
Pour construire une formule de révision efficace, il faut trouver des indicateurs pertinents. Il existe un choix assez important d’organismes et d’indices. Les indices publiés par l’Insee et/ou par Le Moniteur sont méthodologiquement solides et statistiquement représentatifs. En outre, les fréquences de publications sont élevées.
Une bonne formule doit être réactive
Une bonne formule doit être réactive
Augmenter la cadence
Augmenter la cadence
Il n’est qu’à observer les opérateurs boursiers qui pratiquent le Trading haute fréquence (THF). Cela consiste à transmettre des ordres à très grande vitesse sur les marchés financiers dès que les algorithmes ont détecté une légère variation d’un indice. Sans être familier du sujet des opérations boursières, on comprend que si ces opérateurs dépensent des sommes importantes dans ce sens, c’est que leurs gains en retour sont massifs (1). Ils vont même jusqu’à loger leurs serveurs et ordinateurs le plus près physiquement des bourses pour gagner quelques nanosecondes (2).
La variation des cours des matériaux est aujourd’hui un point sensible de nos marchés et les événements récents prouvent que les prix peuvent évoluer fortement en quelques jours. Inversement, une fois la cause du stress économique passé, le cours peut revenir à la normale, voire en dessous.
On comprend alors aisément que la dynamique est valable pour les deux parties et que chacun pourra en bénéficier, à la hausse comme à la baisse. Ainsi, plus la fréquence de révision sera élevée, plus les révisions de prix éviteront les risques de dérapages fragilisant la situation financière de l’entreprise. La sécurité contractuelle et la réalisation du contrat sont donc renforcées. De plus, cela évite à l’entreprise de prendre des « aléas » et donc de renchérir inutilement le montant du marché dans sa proposition.
Une solution validée dans le CCAG travaux 2021
Une solution validée dans le CCAG travaux 2021
Soucieux de préserver l’équilibre contractuel et de garantir la bonne exécution des marchés de travaux, les rédacteurs du CCAG travaux 2021 ont prévu la mensualisation de l’indexation des prix. Ce dispositif s’applique pour tous les marchés postérieurs à l’entrée en vigueur du CCAG, ou au 1er octobre 2021 (si l’acheteur a choisi de se référer au CCAG 2009 entre le 1er avril et le 1er octobre 2021).
L’acheteur public, même si cette pratique exige davantage de travail, anticipe le risque de prise d’aléas supplémentaires par les entreprises qui aurait pour conséquence de renchérir artificiellement le montant du marché.
Une solution préconisée par la DAJ
D’une manière plus générale, les acheteurs publics ont bien compris que désormais des révisions de prix plus fréquentes étaient recherchées par les chefs d’entreprises et bien souvent un critère de décision préalable de réponse à un marché public. « C’est pourquoi il convient d’éviter l’application systématique d’une échéance annuelle pour les clauses de révision des prix afin de maintenir l’équilibre financier du marché, sans porter préjudice à l’une ou l’autre des parties », recommande la Direction des affaires juridiques de Bercy (fiche technique « Les marchés publics confrontés à la flambée des prix et au risque de pénurie des matières premières », 18 février 2022).
De son côté, le Premier ministre, dans sa circulaire du 30 mars 2022 destinée aux acheteurs publics de l’Etat, ajoute qu’ « en outre pour ne pas pénaliser les entreprises, les clauses de révision de prix ne contiendront pas de terme fixe et les contrats ne contiendront ni clause butoir, ni clause de sauvegarde ».
Zoom : un terme fixe qui pèse lourd
Une formule se compose généralement d’un terme fixe et de termes variables. Or, plus le terme fixe est faible, plus les effets des indices sont grands et inversement. L’impact peut avoir des conséquences surprenantes.
Ainsi, lors d’une étude pour le compte d’une maîtrise d’ouvrage publique chargée de chantiers de plusieurs millions d’euros, l’étude des projets de formules a mis en lumière les incidences massives du terme fixe. Dans cette étude, un centième de point supplémentaire déclenchait une incidence favorable à l’acheteur de plusieurs millions pour l’acheteur public. Il est donc important de réfléchir au bon positionnement du curseur du terme fixe !
Une bonne formule doit être dynamique
Le dynamisme d’une formule se mesure par l’amplitude des écarts entre le point haut et le point bas sur une période courte. En d’autres termes, cet indicateur permet de s’assurer que la formule fait apparaître clairement les hausses comme les baisses dans des proportions proches de celles des charges de l’entreprise.
A l’opposé, une formule peu dynamique va montrer une évolution faible et relativement constante. Ainsi, s’opposent une formule dynamique (marge initiale mieux respectée mais avec des variations importantes) et une formule plus statique (marge qui se dégrade dans le temps avec des variations de prix très faibles).
Malgré toute l’attention portée à la rédaction de la clause de révision, sa mise en œuvre dans le temps comporte des risques de dérapages susceptibles de déstabiliser le marché. Personne n’est à l’abri d’une catastrophe économique bouleversant ces indices. C’est pourquoi il est prudent pour l’acheteur de prévoir un capage dont l’objectif est de protéger les parties en cas de variations trop importantes des indices. Bien entendu, ce capage devra contractuellement être assorti d’un dispositif de révision des conditions du marché.
Tester la formule de révision
Avant de soumissionner, les entreprises qui veulent préserver leur marge doivent tester la formule de révision incluse dans le marché sur les années écoulées et la compareront à l’évolution de leurs charges.
Si le passé ne détermine pas l’avenir, au moins c’est un moyen pour tester les trois critères (dynamisme, réactivité et représentativité) sur une période suffisamment longue afin de se rassurer sur les performances attendues.
En conclusion
Ainsi, une bonne formule de révision de prix doit être représentative, dynamique et réactive. Si ce n’est pas le cas, les dirigeants avisés ajouteront des aléas dans le calcul de leur prix lors de la remise de l’offre. Pour apprécier la qualité d’une formule, les entreprises doivent maîtriser leur comptabilité analytique en détail pour pouvoir tester la formule sur des temps suffisamment longs afin d’en analyser les effets cumulés. Elles doivent aussi mobiliser leur service facturation afin de suivre au plus près l’application des révisions de prix. Si l’acheteur a autorisé les variantes, elles proposeront une formule alternative mieux construite afin d’améliorer leur compétitivité par la réduction de prise d’aléas inutiles. Ces formules peuvent en effet être perçues comme des opportunités économiques pour les entreprises (et les acheteurs publics) à condition qu’elles soient parfaitement maîtrisées.
Quant à la périodicité des révisions, les propos ci-dessus montrent combien leur fréquence rapprochée est vertueuse pour les deux parties : avis manifestement partagé, puisque l’Insee réduit les délais de publication de ses index BT/TP, pour le bâtiment et les travaux publics. A compter de mi-mai, la publication se fera 45 jours après la fin du mois considéré (M+45), contre M+80. Reste à généraliser la pratique de révision mensuelle des prix, déjà très ancrée dans le secteur du BTP.
À LIRE AUSSI
L’Insee réduit le délai de publication des index de la construction
Pour les contrats en cours, il est à craindre que devant la situation inédite que nous rencontrons les dispositions juridiques actuelles ne suffisent pas à dénouer certaines situations complexes. Faudra-t-il pour cela une intervention des pouvoirs publics, comme le demande la FNTP dans un communiqué de presse du 17 mars 2022 ? Notons qu’elle réclame aussi une généralisation des clauses de révision à tous les marchés, qu’ils soient privés ou publics : les pratiques en vigueur dans le secteur public montrent l’exemple au secteur privé !
(1) La proportion varie selon les marchés, mais le trading à haute fréquence représenterait, actuellement, plus de 80 % des transactions mondiales (www.lafinancepourtous.com/decryptages/marches-financiers/produits-financiers/trading-haute-frequence/)
(2) En juin 2010, la société américaine Spread Network a inauguré un nouveau câble de fibre optique reliant Chicago au New Jersey (sur une distance de 1330 kilomètres), pour un coût total d’environ 300 millions de dollars. L’objectif : relier les serveurs de la bourse de Chicago à ceux du Nasdaq (dans le New Jersey, à quelques kilomètres de Wall Street) en moins de 13 millisecondes aller-retour, pour permettre aux traders haute-fréquence de profiter de potentielles anomalies sur les marchés. Une idée de l’effet : 13 millisecondes pour 2660 kilomètres (aller-retour), cela fait donc une vitesse d’environ 200 000 kilomètres par seconde : une vitesse proche de la vitesse de la lumière. Derrière cette anecdote, se cache un phénomène qui a pris une ampleur considérable depuis une vingtaine d’année : l’importance du développement des infrastructures (câbles sous-marins de fibre optique, antennes-relais micro-ondes…) et la course effrénée à la vitesse dans le monde de la finance (www.contrepoints.org/2016/01/19/235892-trading-haute-frequence-a-la-recherche-de-la-vitesse-de-la-lumiere)
Analyses de jurisprudence
Toute l’expertise juridique du Moniteur avec plus de 6000 commentaires et 25 ans d’historique
Je découvre1Commentaire
RéagirPARCOURIR LE DOSSIER