Les effets induits sur la prévention des accidents du travail

Mon intervention consistera à vous donner le point de vue d'un opérationnel de la prévention et d'expliquer la problématique de l'entreprise et de ses collaborateurs face aux responsabilités liées aux accidents du travail. La question qui se pose au chef d'entreprise est de savoir comment préserver l'intégrité de ses employés et respecter la loi, en d'autres termes, comment mettre en place une politique de prévention. Avant de parler de prévention je vous propose quelques définitions de base. Toute activité génère des risques. L'activité de l'homme au travail génère des risques pour lui-même. Il convient à ce niveau-là de préciser la définition de certaines notions : - le risque est la combinaison de la probabilité d'occurrence et de la gravité d'un dommage ; - la prévention s'attache à évaluer les risques, c'est-à-dire à prendre en considération ces deux variables, occurrence et gravité, avec comme soucis de faire tendre le risque vers zéro ; - la sécurité est la conséquence des actions de prévention mises en oeuvre. C'est le sentiment de l'individu d'être à l'abri du danger. Il s'agit donc d'une notion subjective, éphémère et qui est variable dans le temps. Il faut garder à l'esprit que le risque zéro n'existe pas. L'objectif de la prévention est d'atteindre le zéro dommage corporel. Voyons comment nous mettons en oeuvre ce principe dans le groupe INEO.

Une politique de prévention dans un groupe de 14000 personnes repose sur 3 axes :

- Une organisation commune

- Des actions de terrain ciblées

- Un management intégré cohérent

L'organisation commune, c'est la charpente, l'ossature de la prévention. Pour bien fonctionner, cette organisation nécessite une Direction Générale fortement impliquée et porteuse d'un message clair. Chez INEO, nous avons mis en place une charte sécurité qui montre l'engagement de la Direction Générale.

Il faut également une hiérarchie volontaire, engagée, consciente de ses responsabilités. Nous utilisons la délégation de responsabilité associée à une définition de fonction, comme outil de management. De plus, les responsables opérationnels suivent une sensibilisation sur les enjeux de la prévention en insistant sur les conséquences pénales, commerciales et économiques des accidents du travail. Voilà pour l'aspect managérial.

Aux cotés des opérationnels, le groupe dispose d'une quarantaine de spécialistes de la sécurité : les chargés de prévention. Le rôle de ces «préventeurs» consiste à conseiller les différentes entités, à organiser et à proposer des plans d'actions visant à améliorer nos résultats sécurité.

Enfin, au niveau des centres de profits, il existe des correspondants sécurité qui sont les relais sur le terrain des chargés de prévention et qui intègrent dans leur organisation les CHSCT.

Avec cette organisation très décentralisée, la prévention est diffusée jusque sur le terrain, là où se situent les risques les plus importants.

Tout au long de la chaîne hiérarchique, l'échange d'information permet une amélioration constante des résultats sécurité.

L'organisation prévention mise en place, qu'en est-il des actions de terrain ?

En ce qui concerne le travail sur le terrain il s'agit de mettre en place des actions concrètes qui permettent de traiter plusieurs préoccupations : d'abord le souci du respect de la réglementation en vérifiant qu'à tous les niveaux, l'entreprise se conforme aux lois. Puis, un travail sur l'analyse de l'accident qui permet de mieux comprendre l'enchaînement des événements et de traiter les causes réelles.

Pour bien comprendre le travail d'analyse il faut expliquer les conditions de survenance d'un accident (voir schéma n° 1 ci-après).

Au départ, il y a une personne et un danger. Jusque-là il n'y a pas de risque. Dès lors que la personne est mise au contact du danger, il y a création d'une situation dangereuse. Un événement dangereux peut alors se produire activant le mécanisme de l'accident. Il peut s'agir d'un déclenchement d'origine matérielle ou humaine. A ce stade l'accident peut être encore évité ou limité, par exemple, par un équipement de protection individuelle. Si aucune possibilité d'évitement du dommage n'est mise en oeuvre, l'accident intervient.

Exemple concret dans notre métier d'électricien (voir schéma n° 2 ci-après) : prenons le cas d'un électricien intervenant dans une armoire électrique. Dans cette armoire, il y a des conducteurs nus sous tension de 230 volts. Jusqu'à présent, il n'y a pas de situation dangereuse mais juste une personne à proximité d'un danger. Mais l'électricien ne porte pas ses équipements de gants spéciaux et travaille avec ses mains nues à quelques centimètres du conducteur électrique. Il s'agit là d'une situation dangereuse.

Soudain l'électricien est bousculé par un tiers, le tournevis ripe et l'électricien prend appui sur le conducteur. La main de l'électricien entre en contact avec le conducteur. Il s'agit là d'un événement dangereux. A ce stade-là il n'y a plus de possibilité d'évitement ou de limitation du dommage car l'employé ne portait pas ses gants isolants. Dans ces conditions le dommage est inéluctable.

Cet exemple montre l'intérêt de l'analyse qui permet ensuite d'agir sur les trois facteurs concernés que sont la personne, le danger et la manière de limiter le dommage.

Sur l'homme, il s'agit de le former, de le sensibiliser et de le responsabiliser. Dans notre exemple, l'électricien a suivi une formation spécifique et possède une habilitation pour ce travail.

Pour limiter le danger, il s'agit de trouver des solutions moins risquées. Dans notre exemple on aurait pu travailler dans une armoire électrique hors tension, supprimant totalement ce risque.

Enfin pour limiter le dommage il faut donner à l'homme des équipements de protection adaptés. Dans notre exemple, les gants isolants font partie des équipements des électriciens habilités aux travaux sous tension. En effet, correctement portés, ceux-ci auraient évité l'accident.

La prévention tient compte de l'expérience passée pour se prémunir des risques futurs.

Troisième point, le management cohérent : La prévention avance si l'on souhaite la faire avancer. Il s'agit de faire partager ces valeurs par l'ensemble des collaborateurs du groupe. La prévention est un des éléments de développement durable d'INEO. A ce titre l'exemplarité de la hiérarchie est nécessaire à tous les niveaux, ainsi que la sanction apportée en corollaire à tout manquement aux règlements institués.

La prévention ne doit plus être considérée comme une contrainte mais doit être la norme de travail.

Pour résumer la politique de prévention chez INEO, c'est :

- une organisation commune ;

- des actions ciblées ;

- une philosophie partagée.

La prévention : quels résultats (voir schéma n° 3 ci-après) ?

Sur vingt ans, les statistiques montrent que les accidents ont baissé continuellement. Les courbes de notre branche d'activité indiquent un taux d'accidents divisé par deux en dix ans. En ce qui concerne les accidents mortels, toujours dans notre branche, on déplorait 50 morts en 1980 et 9 en 1998.

Ces chiffres sont à comparer aux 800 décès par an dus aux accidents du travail et aux 8000 morts des accidents de la route. De gros efforts ont donc été faits pour diminuer les accidents, faut-il s'en satisfaire ? Non bien sûr. Mais comment continuer à progresser ?

Les indicateurs sécurité ont progressé par étapes, par seuils (voir schéma n° 4 ci-après).

Première étape : hier, par l'amélioration des conditions de travail, par le progrès technologique, par la mécanisation du travail.

Deuxième étape : aujourd'hui, par l'amélioration due à l'organisation du travail, à la réglementation, aux procédures, aux équipements de protection adaptés, au progrès technique.

Troisième étape : demain, si l'on veut continuer à progresser, il faut aller vers un changement de mentalité, une modification dans le comportement individuel et collectif ; bref tendre vers une « culture prévention ».

Si l'on veut progresser durablement, il faut travailler sur l'homme, le placer au centre des préoccupations.

La responsabilité du décideur existera toujours mais il faut qu'il y ait aussi une responsabilité de l'individu. En effet 80 % des accidents ont une cause humaine ou comportementale. La question peut se poser ainsi : face à un accident du travail, faut-il toujours trouver un coupable parmi la hiérarchie opérationnelle ?

En effet la condamnation de la personne physique, maillon hiérarchique me paraît de plus en plus difficile à retenir et à démontrer, sauf cas de manquement délibéré au règlement.

Dans ces conditions et compte tenu de l'organisation prévention mise en place, notamment dans les grands groupes, seule la condamnation de la personne morale permet à mon sens un jugement plus équitable, préservant à la fois l'indemnisation de la victime et la tranquillité d'esprit de nos responsables hiérarchiques.

En conclusion, si la sécurité est l'affaire de tous, elle est aussi la responsabilité de chacun.

SCHEMAS : Schéma n°1

Conditions de survenance d'un dommage

Le dommage n'a lieu que si les trois conditions suivantes sont réunies :

- une personne est exposée à un phénomène dangereux ou à un danger (elle se trouve alors en situation dangereuse),

- un événement dangereux se produit, activant le mécanisme de l'accident,

- aucune possibilité d'évitement du dommage n'est mise en oeuvre.

Schéma n°2

Exemple de conditions menant à un dommage

Schéma n°3

Evolution du taux de fréquence de 1987 à 2000

Schéma n°4

Rapport Indicateurs de sécurité/temps

PHOTO : François Barjon directeur « prévention et sécurité » du groupe INEO (Filiale de Tractebel, pôle d'électricité du groupe Suez)