Le plus grand pont mobile d'Europe entre en service à Rouen
Defawe Philippe
Attendu depuis 40 ans, ce pont levant à deux tabliers indépendants devrait permettre de décongestionner le centre-ville de Rouen. Baptisé Gustave-Flaubert, cet ouvrage d'art exceptionnel a été récompensé au grand prix de l'ingénierie en 2006.
Quand ses tabliers seront en position haute, 55 m aux-dessus des eaux, cet ouvrage formera comme une arche monumentale marquant la transition entre le port et la ville. Mais à l’automobiliste qui expérimentera sa traversée, le pont levant ne dévoilera que ses clairs pylônes et ses mécanismes apparents. La durée de la traversée (les travées levantes font 120 m et pèsent quelque 1.300 tonnes) ne permettra pas à l’usager d’en voir davantage. Il ne verra pas les deux socles elliptiques qui servent d’appuis aux pylônes. Ces structures, qui abritent une partie des mécanismes de levage, sont protégées par 4 gabions de 20 m de diamètre pour résister au choc éventuel d’un bateau.
Devant l’impossibilité de construire ces boîtes (35 x 20 m, 2 700 t) à quai, le groupement mené par Quille a commencé par battre 18 tubes en acier avant d’y forer et bétonner des pieux de fondation. Le radier des socles, décomposé en 19 éléments en béton préfabriqués, a été "suspendu" aux tubes avant qu’un complexe dispositif hydraulique ne descende l’ouvrage jusqu’à tutoyer le lit du fleuve après que son voile périphérique a été édifié.
A deux reprises, l’automobiliste croisera les pylônes béton dédoublés de 67 m de hauteur, constitués chacun de deux fûts pseudo-elliptiques. Remarquera-t-il la qualité de fini ? Pour y parvenir, le groupement a conçu un outil métallique coffrant grimpant spécial (sans tiges traversantes) et formulé un béton très spécial. Pour optimiser l’utilisation des coffrages, par ailleurs isolés et chauffés, les équipes de chantier ont surveillé la prise du béton par maturométrie. Le ciment choisi, un CEM III/A 42,5 présentant un indice de clarté élevé, est dosé à 400 kg/m3. Il participe à la teinte claire des fûts.
Des moyens exceptionnels
En traversant la Seine, l’automobiliste se doutera-t-il des moyens exceptionnels qu’il aura fallu déployer pour mettre en place les travées levantes ? Du travail réalisé par la grue flottante Taklift 7 bientôt rejointe par sa cadette Matador 3 pour prendre en charge papillons et tabliers. Et au vu des câbles et des papillons, imaginera-t-il que chaque travée est manœuvrée grâce à des treuils et des contrepoids glissés dans les pylônes opposés ? Chaque travée est guidée par des galets Inox dans des rails Inox intégrés au génie civil avec une rectitude de 0,75 mm/m ! Le centre de gravité du caisson métallique est excentré par rapport à la verticale de levage pour obliger la travée à s’appuyer sur le pylône. Ce dispositif a valu en 2006 un prix spécial de l’ingénierie à ses concepteurs : l’équipe composée de Michel Moussard, Bernard Gausset (Arcadis), Jean-Pierre Ghilardi (Eurodim), Claude Servant (Eiffage TP), Michel Virlogeux (ingénieur consultant) et Aymeric Zublena (architecte).
Au grand dam des concepteurs, tout cela, l’automobiliste ne le verra pas. Ce qu’il retiendra de sa traversée du sixième pont de Rouen, c’est le temps précieux gagné entre l’autoroute de Normandie (A13) au sud et l’A150 au nord. Un temps précieux qui a un prix. L'ouvrage a coûté 155 millions d'euros en comptant ses viaducs d'accès et son financement a été assuré par l'Etat (27,5%), maître d'ouvrage, et les collectivités locales (72,5%).
Mais des sommes bien plus considérables vont devoir être mobilisées pour relier l'ouvrage aux grands axes de circulation. "Compte-tenu de la densité du tissu urbain et de la topographie, il faudra compter entre 115 et 130 millions d'euros rive gauche et 250 à 380 millions rive droite", assure Jean-Luc Rolland, ingénieur à la Direction départementale de l'équipement (DDE) de Seine-Maritime.
Le calendrier comme le financement de cette deuxième phase ne sont pas arrêtés et font l'objet de négociations entre l'Etat et les collectivités locales. "J'alerte tous les préfets, à leur arrivée, sur le caractère provisoire des accès et de l'impérieuse nécessité d'aller jusqu'au bout du projet", souligne Frédéric Sanchez, vice-président de l'Agglomération de Rouen et maire du Petit-Quevilly.
J-Ph.D. (avec la rédaction du Moniteur)
Les intervenants
Maîtrise d’ouvrage : ministère de l’Equipement, des Transports et du Logement.
Maîtrise d’oeuvre général : DDE de Seine-Maritime
Maîtrise d’oeuvre particulier et conception : Arcadis (mandataire), Eurodim, Serf ; Michel Virlogeux ; Aymeric Zublena
Coordonnateur SPS : Présents
Entreprises : sous-groupement Quille (filiale de Bouygues Construction) (mandataire), Eiffage TP (génie civil) ; sous-groupement Eiffel-Victor Buyck (charpente métallique et mécanismes) ; Presspali (sous-traitant fondations).