Le plan pour faire basculer le bâtiment dans le BIM

Aux acteurs du bâtiment qui s’intéressent aux opportunités offertes par la maquette numérique, on ne saurait trop recommander la lecture du rapport que viennent de présenter Franck Hovorka et Pierre Mit dans le cadre du Plan Bâtiment Durable. Les deux copilotes font un vaste état des lieux avant de dévoiler leurs propositions pour faire entrer le bâtiment dans une nouvelle ère. Rien que ça.

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Le plan pour faire basculer le bâtiment dans le BIM
Maquette numérique

C’est un riche travail qu’ont présenté le 27 mars 2014, Franck Hovorka (département pilotage du Groupe Caisse des Dépôts) et Pierre Mit (président de l’Union nationale des économistes de la construction). A la demande de Philippe Pelletier, président du Plan Bâtiment durable, les deux co-pilotes ont exploré les conditions de l’émergence de la maquette numérique/BIM dans le bâtiment notamment en regard de la gestion du patrimoine. Ce qui tombe à point nommé puisque dans le cadre de la concertation «Objectifs 500 000», une des mesures retenues par Cécile Duflot consiste à rendre progressivement obligatoire l’usage de la maquette numérique pour les équipements de l’Etat à horizon 2017 (voir notre article ici).

Plus que d’émergence, il s’agit même de faire basculer le bâtiment dans une nouvelle ère numérique. Un basculement comparable selon Pierre Mit à ce que fut le passage du «Rotring aux outils de conception assistée par ordinateur». Un rapport ambitieux et pédagogique dont voici les principales lignes de force.

Les extraits du rapport sont indiqués en italique.

D’abord, savoir de quoi on parle

Il y a pratiquement autant de définitions du BIM que d’utilisateurs ou supposés tels. Dans une première approximation, les termes de BIM et maquette numérique sont utilisées de manière interchangeable. Dans les faits, le BIM est à la fois un logiciel, une base de données, un processus collaboratif voire une méthode de management. La maquette numérique contient une base de données et une représentation graphique, en 2D ou en 3D, du bâtiment. Plus précisément, la base de données associée à la maquette numérique contient l’ensemble des composants techniques du bâtiment. Des composants traités comme des objets et à chaque objet peuvent être associées des caractéristiques techniques, marque, modèle, taille, résistance au feu, acoustique…

Devant les différences d’approche et pour éviter qu’elles n’induisent des incompréhensions ou pire, des contradictions, les auteurs du rapport proposent une déclinaison en français du terme BIM : Bâtiment et Informations Modélisés. Cette définition recouvre le modèle (au sens avatar virtuel) numérique de l’ouvrage ou du patrimoine, que ce soit en termes graphiques (2D ou 3D BIM) ou informatifs (base de données dynamique).

La France n’est pas en retard mais il ne faudrait pas trop tarder quand même

«Nous nous sommes livrés à un benchmark international sur l’utilisation du BIM et pour identifier les bonnes pratiques, explique Pierre Mit. Nous en avons identifié de nombreuses en Finlande, en Norvège, aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, à Singapour…» A Singapour justement, le Building and Construction Authority a mis en place une feuille de route en 2010. Objectif : 80% de chantiers réalisés en BIM d’ici à 2015 et 100% en 2016. Avec à la clé un gain de productivité estimé à 25% à l’horizon 2025.

A la lecture du rapport, force est de constater que c’est massivement le secteur public qui est à la manœuvre. Dans beaucoup de pays cités par Pierre Mit, le BIM se propage par une utilisation rendue obligatoire sur le patrimoine immobilier de l’Etat. En revanche, l’appétit des acteurs du parc privé laisse à désirer.

Pour les auteurs du rapport, pas de doutes, le secteur public a un rôle primordial à jouer dans l’amorçage d’une dynamique visant la mise en place de la maquette numérique. Les auteurs du rapport n’identifient pas d’incompatibilité majeure entre cet objectif et la loi MOP, aussi demandent-ils aux instances concernées de s’emparer de la question. Les recommandations de la MIQCP (mission interministérielle pour la qualité des constructions publiques) et l’AQC (agence qualité construction) pourraient inciter à l’utilisation de la maquette numérique.

Autre piste pour développer un savoir-faire français spécifique : l’intérêt du BIM en exploitation délaissé par les différentes initiatives internationales. Il est à noter que peu de pays ou de collectivités locales utilisent le BIM comme un outil de gestion du patrimoine. […] Il paraît plus judicieux d’utiliser, dès le départ, le BIM tout au long de la vie du bâtiment afin d’optimiser l’investissement fait lors de la constitution de la maquette. Sur ce dernier point, nous n’avons pas identifié d’initiative majeure à l’étranger, ce qui permettrait de positionner stratégiquement la France sur ce segment.

L’exploitation des bâtiments comme booster du BIM

C’est LE point majeur du rapport de Franck Hovorka et Pierre Mit. Impossible d’envisager un déploiement du BIM si les opérations aval de construction, tout ce qui se passe après la réception des travaux, n’en bénéficient pas. Outre qu’il puisse être envisagé pour gestion numérique et durable du patrimoine, le BIM doit permettre des gains en phase exploitation. En exemple, une réduction du coût de l’assurance construction grâce à une meilleure maîtrise des risque liées au bâtiment par une meilleure maîtrise de l’information ; une exploitation plus adaptée au bâtiment et donc plus performante grâce à l’obtention des données et calculs de conception et à un suivi de la performance des matériels ; une réduction des coûts de non-qualité et des coûts du «mal vivre». «Ce peut être aussi l’occasion de mettre en place une «carte vitale» du bâtiment, souffle Pierre Mit. Tout au long de la vie d’un bâtiment, un nombre important de données sont collectées. Elles sont dispersées et surtout deviennent rapidement obsolètes. Le BIM pourrait résoudre une partie du problème en entretenant ce carnet de santé».

Une des clés du gain de valeur en exploitation réside en effet dans l’«entretien» des données. Pour garantir sa tenue à jour, devra-t-on créer pour chaque professionnel intervenant sur le bâtiment une obligation de mise à jour de la maquette numérique (surtout si des éléments touchant la sécurité ou la santé des occupants sont affectés) ? Les auteurs du rapport posent la question. A raison si l’on se réfère à l’expérience des réseaux en VRD qui, à force de plans de récolement peu ou mal faits, ont nécessité une remise à plat générale, la reconstitution des données et la mise en œuvre d’un guichet unique.

Franck Hovorka et Pierre Mit recommandent une approche pragmatique. La constitution de la base de données ne doit pas se faire de façon intensive à «un instant T» de la vie du bâtiment, mais au contraire, au fur et à mesure de l’acquisition des données, à la livraison du bâtiment, lors de rénovations, d’audits… […] La maquette numérique doit être évolutive et pouvoir intégrer de nouvelles données au fur et à mesure des nouveaux besoins. Il est indispensable de garder toute la donnée, y compris celle qui ne paraît pas indispensable dans l’immédiat. […] Sa conservation permettra d’économiser des frais de ré-acquisition de la donnée (environ 5 euros du mètre carré).

D’une manière générale, les auteurs du rapport proposent de réaliser des études économiques approfondies (assorties ou pas d’un observatoire ad hoc) pour mesurer l’impact du BIM, et plus largement du numérique, sur le coût global du bâtiment.

Après le mariage, le BIM pour tous

Pour Pierre Mit, il n’y a aucun doute : «pour que ça fonctionne, il faut faire la promotion de la maquette numérique pour tous, c’est-à-dire une maquette numérique utilisable en construction neuve comme en rénovation, par les particuliers comme les gestionnaires de patrimoine, par les artisans comme par les grandes entreprises». Pour y parvenir, il est impératif que les utilisateurs n’aient pas à se soucier du fonctionnement du BIM mais puissent opérer leurs missions le plus simplement possible, c’est-à-dire en ayant accès à toute la donnée nécessaire, à jour (voir ci-dessus), avec un niveau de précision associé, aux travers d’interfaces ergonomiques et adaptées.

Par ailleurs, les formats de données sont nombreux, divisés en deux catégories : «propriétaires» et «open». C’est évidemment vers cette seconde catégorie que penchent les auteurs du rapport. Le format ouvert a vocation à être interopérable, c’est à dire qu’il a vocation à être compatible avec l’ensemble des logiciels métiers et donc utilisables par tous. […] Cela permet à chaque métier, ayant sa plateforme adaptée et ergonomique, de disposer aisément des données communes de travail. Si tous les acteurs travaillent sur une base de logiciel ouverte, cela favorise la concurrence entre les acteurs et répond aux critères de non-discrimination des appels d’offres publics.

Profitant de ce que «La Nouvelle France Industrielle», pilotée par le ministère du redressement productif, a le vent en poupe, les auteurs du rapport proposent que des moyens soient données afin de développer des solutions techniques au BIM et notamment de nouveaux logiciels et applications métiers fiables, sécurisés et interopérables aux formats ouverts.

Profiter de chaque occasion pour diffuser et encourager l’usage du BIM

Parmi les propositions du rapport, nombreuses sont celles qui visent à introduire le BIM dans les démarches existantes ou à venir. Par exemple :

- intégrer le futur «passeport énergétique» sous une forme interopérable dans un univers BIM,

- imposer la délivrance d’un DOE (dossier des ouvrages exécutés) et d’un DIUO (dossier d’intervention ultérieure sur ouvrage) dans un univers BIM, dans la construction neuve du secteur tertiaire à partir de 2018 et dans le logement à compter de 2020,

- faire converger l’ensemble des obligations réglementaires afin qu’elles soient fournies en format compatible BIM de manière obligatoire à partir de 2017. L’idée serait de profiter d’obligations telles que l’annexe environnementale (pour les baux des bâtiments tertiaires) ou les diagnostics (amiante, plomb, gaz, électricité, DPE, loi Carrez…) pour compiler les informations sous un format convergeant afin de constituer le socle de la maquette numérique,

- créer une procédure accélérée pour la délivrance d’actes administratifs (permis de construire, autorisation de travaux…) si la demande est fournie en BIM. Une expérimentation pourrait être engagée dès 2015 dans les territoires pilotes, avant une généralisation à l’ensemble du territoire en 2017,

- intégrer le BIM comme, à terme, un élément obligatoire des certifications environnementales, à la fois dans le logement et le bâtiment tertiaire.

Former, former et … former

Côté formations, l’Ecole des Ponts ParisTech, l’ESTP, les Arts et Métiers ParisTech ou encore les écoles d’architecture de Marseille, Toulouse, Paris Val-de-Seine ont toutes engagé des initiatives en formation initiale mais aussi, de manière moins marquée, en formation continue. Mais toutes ces initiatives manquent d’articulation et «de pilotage au plus haut niveau», déplorent les auteurs du rapport. D’où leur proposition de généraliser la formation sur le BIM à l’ensemble des métiers du bâtiment et de l’immobilier et de créer une filière de formation dédiée à la fonction de «BIM manager».

Pour la formation continue, Franck Hovorka et Pierre Mit proposent de s’inspirer de l’exemple anglais, la RICS (Royal Institution of Chartered Surveyors) ayant créé le «Certificate for BIM implementation and management». Dans le cadre des formations FEEBat dédiées à l’efficacité énergétique, une initiation au BIM pourrait être incluse, en particulier dans le cadre des diagnostics et des travaux d’efficacité énergétique.

Responsabilités et droits d’auteur : deux points à ne surtout pas négliger

L’angle juridique de l’émergence de la maquette numérique n’a pas été oublié. Et les auteurs du rapport n’ont pas pris à la légère les questions de responsabilités et de droits d’auteur. Par essence, les formats ouverts ou l’open data ne semblent pas, de prime abord, très compatibles avec la confidentialité nécessaire à certaines phase de l’acte de construire. L’open data ne signifie pas une accessibilité illimitée et sans contrôle des données. Le recours aux systèmes libres de droit pour utiliser le BIM ne doit pas exonérer les acteurs d’une réflexion approfondie en ce qui concerne les droits d’accès et l’usage des données.

Le rapport ne prétend pas donner de réponse immédiate mais liste les questions soulevées : d’abord, qui est responsable d’erreurs dans la maquette aboutissant potentiellement à des erreurs et/ou à des sinistres ? En première approche, la traçabilité des données, facilitée par l’usage d’outils numériques, pourrait apporter une partie de la solution.

Plus sensible encore est la question des droits de propriété intellectuels. La maquette numérique contient toutes les données concernant le bâtiment et est très facilement reproductible, ce qui facilite le plagiat ou la contrefaçon. Il faut d’une part s’assurer que la propriété intellectuelle de l’architecte est respectée mais également que l’ensemble des données soit transmis au maître d’ouvrage afin que celui-ci puisse s’en servir afin de gérer son patrimoine. Cela peut passer par une rémunération spécifique en ce qui concerne la cession des droits sur la maquette. Mais cela pose également la question de la sécurité des données sur le long terme. Prudents, les auteurs du rapport préconisent que ces questions juridiques de droit d’accès aux données des différentes parties prenantes soient abordées en détails par des travaux ultérieurs. Affaire à suivre donc.

Une charte pour renforcer la dynamique de filière

La proposition n°4 du rapport de Franck Hovorka et Pierre Mit  vise à «renforcer la dynamique de filière, par la réalisation d’une charte d’engagement volontaire des acteurs et d’un comité d’animation et de suivi.

Dans cette charte, ils préconisent :

- de lister les usages pour établir une connaissance mutuelle des besoins de chacun,

- de s’engager à maintenir l’interopérabilité des données et les rendre accessibles quels que soient les systèmes utilisés,

- de garantir l’implication et l’adhésion des industriels en vue de la structuration de leurs catalogues électroniques de produits,

- de faire du BIM l’outil principal de «supervision des contraintes» pour organiser l’autocontrôle des professionnels,

- d’engager les investisseurs et gestionnaires à utiliser le BIM pendant la vie du bâtiment,

- d’inciter les gestionnaires à identifier la valeur qu’ils accordent à la donnée en lui affectant un prix indépendant du prix de l’immeuble,

- d’intégrer les assureurs afin de travailler à ce que le BIM devienne véritablement un outil de maîtrise de risque dans les bâtiments,

- de s’engager à l’archivage dynamique des données afin d’assurer leur pérennité,

- de demander la récupération des données d’intérêt statistique pour l’étude et la recherche sur l’efficacité énergétique des bâtiments dans une banque de données nationale avec mise à disposition en open data dans des conditions qui préservent les confidentialités légales.

Trois questions à Pierre Mit, co-auteur du rapport et président de l’Union nationale des économistes de la construction

Quelle était la mission du groupe de travail ?

A l’occasion de la conférence environnementale de septembre 2752851612, l’efficacité énergétique des bâtiments a été réaffirmée comme l’une des priorités du quinquennat. Par ailleurs, les enjeux de la transition énergétique et écologique vont potentiellement obliger tous les acteurs à revoir leur façon de concevoir, de réaliser et d’entretenir les bâtiments, mais aussi d’interagir entre eux. Ce que permet justement la maquette numérique. Dans ce contexte, Philippe Pelletier, président du Plan bâtiment durable, nous a confié l’organisation de la concertation des acteurs de la filière et la rédaction d’un rapport afin de développer la maquette numérique.

Comment ont travaillé les membres du groupe de travail ?

Ouvert à toutes les personnes qui le souhaitaient, le groupe de travail a permis de faire participer plus de 275285167528516 personnes sur 9 mois au cours de six réunions, qui se sont tenues entre le 4 juillet 2752851613 et le 17528516 mars 2752851614. Outre leurs participation physique, les membres ont proposé des contributions écrites toutes publiées sur le blog www.bimgestiondupatrimoine.fr Une trentaine de contributions provenant d’industriels, d’architectes, d’entreprises de la construction et de maîtres d’ouvrages y sont disponibles.

Pourquoi avoir orientée votre approche sur la gestion de patrimoine ?

Tout d’abord parce que les gestionnaires de patrimoine sont convaincus de l’utilité de la maquette numérique et commencent à la mettre en place. Pour eux, disposer d’un outil ouvert et interopérable permet une meilleure connaissance de leur patrimoine et ainsi une prise de décision adaptée à sa conservation et à sa valorisation.

Mais aussi parce que plusieurs pays ont déjà lancé d’importantes expérimentations sur la maquette numérique afin de faire adopter le Building Information Modeling (BIM) par l’ensemble des acteurs de la construction. Or, si le BIM est très utilisé en conception, peu de pays ou de collectivités locales l’utilisent comme un outil de gestion de patrimoine. C’est dommageable dans la mesure où des maquettes qui ne sont ni exploitées ni mises à jour deviennent rapidement obsolètes. L’utilisation de la maquette numérique en phase exploitation permettrait de positionner stratégiquement la France sur ce segment.

Propos recueillis par Julien Beideler et Julie Nicolas

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