Le patrimoine bâti : un gigantesque stock de matériaux recyclables
Combien pèse Orléans ? C’est sur cette étonnante question que se sont notamment penchées les équipes du projet ASURET. Objectif : évaluer le gisement de déchets BTP potentiellement recyclable que représentent les immeubles, réseaux et routes de la ville.
Floriane Dumazert
Pour optimiser la gestion des déchets de chantiers, il est primordial de connaitre le stock des matières premières secondaires, susceptibles d’être réutilisées. Or, dans le domaine des déchets du BTP, le stock est tout simplement constitué des ouvrages bâtis, voire d’une ville entière ! Pour quantifier cet énorme gisement, les membres du projet de recherche ASURET, visant à réduire les consommations de ressources naturelles en optimisant la valorisation de matériaux recyclés dans le BTP, ont procédé de manière systémique. Considérant qu’une ville est construite d’immeubles et d’infrastructures il fallait dans un premier temps évaluer le poids de chaque ouvrage. Comme terrain d’étude, les partenaires du projet ont choisi de s’intéresser à la ville d’Orléans.
Les immeubles, routes et réseaux comme autant de gisements de matériaux recyclables.
Pour réaliser l’estimation, l’équipe a élaboré une nouvelle méthodologie, incluant ratios et zonage de la ville. D’abord, elle a quadrillé la ville d’Orléans en quartiers, afin d’isoler des zones d’habitats types, par la suite étudiés indépendamment. Puis, les bâtiments de la zone ont été qualifiés en fonction de leur typologie structurelle (béton armé, pierre, …) et de leur géométrie (surface au sol, nombre de niveaux …).
Afin de déduire de cette modélisation une estimation du tonnage des matériaux, les chercheurs lui ont appliqué différents ratios (nombre de murs par m² de plancher, surface d’étanchéité par m² de plancher …). Ceux-ci ont été construits préalablement, lors du projet ASURET mené dans les Bouches-du-Rhône, par l’étude de trois établissements scolaires. En utilisant ces ratios, l’équipe du projet a été en mesure de fournir le poids des bâtiments, et de le décomposer en fonction de ses matériaux. Par exemple, l’équipe a calculé qu’un bâtiment en béton armé, d’une surface totale de 1975 m² répartie sur cinq niveaux, pèse 3431 tonnes, dont 92% sont relatifs au béton qui le compose, les 8% restants étant attribués à la terre cuite, l’acier, le plâtre ou le polystyrène.
28.6 millions de tonnes pour la ville d’Orléans !
Cette méthode d’estimation du poids d’un immeuble a ensuite été utilisée pour l’ensemble du patrimoine bâti d’Orléans, mais aussi pour le 2177 km de routes et les 1800 km de réseaux enterrés. « Par contre, nous n’avons pas pris en compte les églises dans le poids de la ville, considérant qu’elles ne seraient pas détruites dans un futur proche », précise Daniel Monfort Climent, membre de l’équipe d’ASURET. Conclusion de ces résultats : « la ville d’Orléans pèse pas moins de 28.6 millions de tonnes ! », souligne M. Monfort Climent. Autant de déchets potentiels qui l’incitent à considérer cette ville comme « un gigantesque stock de matières premières utilisables ». Bien entendu, il s’agit là d’un ordre de grandeur. M. Monfort Climent explique d’ailleurs que la seule façon de contrôler ce chiffre a été de le confronter aux résultats de Vienne et du Japon, portant sur le même objet. Se situant entre les poids relatifs de Vienne et du Japon, l’estimation d’Orléans a été considérée comme un ordre de grandeur acceptable.
Flux entrants, flux sortants
Après avoir estimé les stocks de la ville d’Orléans, l’équipe d’ASURET a voulu quantifier les flux entrants (les chantiers de construction) et les flux sortants (les chantiers de démolition) afin de connaitre les fluctuations du poids de la ville. Les acteurs du projet ont recensé les matériaux utilisés sur 466 chantiers de la ville d’Orléans, entre 2004 et 2006, avant de les regrouper selon la nature de leurs matériaux. M. Monfort Climent a ainsi avancé qu’à Orléans, les entrées dans le stock sous la forme de matériaux de construction ont représenté 358 000 tonnes, quand les sorties sous forme de déchets sont estimées à 166 000 tonnes. Sur la période étudiée, la variation du stock a donc été évaluée à +192 000 tonnes.
Connaissant les stocks de déchets potentiels, les flux entrants et les flux sortants, restait à connaitre leur destination. L’équipe a avancé plusieurs hypothèses. Alors que 35% des déchets de chantier pourraient être recyclés, il a estimé que seulement 29% d’entre eux l’étaient réellement. 14% des déchets étant valorisés en remblaiement de carrière, 28% enfouis et 29% envoyés dans des centres de tri.
Cet état des lieux de la gestion des déchets de chantier sur le territoire d’Orléans permet aux acteurs d’ASURET d’assurer qu’ils bénéficient d’une « grande marge de progrès » dans ce domaine. Plus globalement, la connaissance des données de stock et de flux semble être la condition sine qua non pour réduire le recours aux ressources naturelles sur les chantiers du BTP et optimiser la valorisation de matériaux recyclés.
Focus : Le projet AsuretAsuret (Analyse systémique de l’utilisation de ressources renouvelables de la technosphère) est un projet ANR Ecotech qui s’est déroulé entre 2010 et 2013. Il visait à étudier les échelles spatiale et temporelle auxquelles doivent être pensées les filières de recyclage et de valorisation des ressources secondaires issues des matériaux de construction, et à définir les conditions économiques, techniques et sociétales de leur optimisation. Le projet s’appuyait sur l’analyse des flux de matières mobilisées par deux territoires (ville d’Orléans, conseil général des Bouches-du-Rhône) et sur un processus participatif impliquant les acteurs de l’aménagement et du BTP de ces territoires.
Les objectifs étaient de développer un mode de représentation cartographique des flux, de définir des indicateurs d’incitation à la valorisation matière dans le cadre d’appels d’offres et de planification de grands projets, d’établir des propositions pour la mise en place d’observatoires chargés de collecter et de valoriser ces données, de calculer les performances environnementales des différentes filières de matériaux…
Des éléments d’aide à la décision basés sur l’analyse des flux et des stocks physiques et monétaires générés par l’utilisation et la valorisation de matières premières primaires et secondaires en ont résulté. Ils ont été testés à partir de différents scénarios sur des cas d’application choisis sur les territoires d’étude, et mis à disposition des acteurs concernés.
Coordonnateur du projet : BRGM
Partenaires : CSTB, 13 développement, InsaValor, UTT
Budget : 1,76 millions d’euros
Le patrimoine bâti : un gigantesque stock de matériaux recyclables
Tous les champs sont obligatoires
0Commentaire
Réagir