Le gouvernement fait barrage à la proposition de loi jugulant la sous-traitance en cascade

L'exécutif ne souhaite pas faire avancer le texte déposé par le député Pierre-Morel-A-L’Huissier en mars dernier. Au grand dam de la Capeb. Il estime « plus opportun, explique Bercy dans une réponse écrite, de privilégier les outils dont disposent les acheteurs en matière d’information et de contrôle des prestataires en chaîne et d’en promouvoir un recours plus efficace ».

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Le gouvernement fait barrage à la proposition de loi jugulant la sous-traitance en cascade
Sous-traitance en chaîne

Pas d’endiguement de la cascade en vue. Interrogé dans le cadre des questions au gouvernement par le député Yannick Monnet (Gauche démocrate et républicaine – Allier) sur le point de savoir si l'exécutif entendait se saisir prochainement de la proposition de loi visant à limiter les rangs de sous-traitance dans le BTP pour l’inscrire à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, le ministère de l’Economie a répondu non, dans une réponse écrite publiée le 12 septembre.

Deuxième ou troisième rang

Pour mémoire, la proposition déposée par le député (Liot) de Lozère Pierre-Morel-A-L’Huissier le 7 mars 2023 visait à limiter, pour l’exécution des contrats de travaux de bâtiment et de TP, la sous-traitance au second rang s’agissant des marchés passés en lots séparés, et au troisième rang concernant les marchés non allotis.
Le premier article modifiait pour ce faire l’article 2 de la loi de 1975 sur la sous-traitance, et le second, l’article L. 2193-14 du Code de la commande publique. Selon l’exposé des motifs, la sous-traitance en cascade serait en effet à combattre car elle entraîne une « dilution des responsabilités », « risque de favoriser le travail illégal au bout de la chaîne », « pénalise les sous-traitants de troisième ou quatrième rang qui n’obtiennent pas toujours les garanties exigées par les textes », peut « favoriser les entreprises téléphone » et « tend à favoriser la course aux prix anormalement bas ».

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Une proposition de loi veut limiter les rangs de sous-traitance à deux ou trois

Le sujet avait été évoqué lors du lancement des Assises du BTP l’été dernier, sans aboutir lors de la première salve de mesures annoncées le 22 septembre 2022. La FFB confiait alors que « les organisations patronales [étaient] d’accord sur le principe, mais [qu'il y avait] une discussion sur le nombre de rangs de sous-traitance maximum à fixer » : deux ou trois pour la FFB, un pour la Capeb. La FNTP en revanche s'était opposée à ce que le sujet soit abordé, estimant qu'un tel encadrement n'était pas opportun en raison de la spécificité des activités du secteur des travaux publics (taille des opérations, sous-traitance de spécialité).

Les espoirs de la filière bâtiment de voir des annonces en la matière lors de la suite des Assises, qui devrait se tenir cet automne, sont douchés par la réponse écrite de Bercy.

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Un droit européen hostile

Pour le ministère en effet, le principe du libre recours à la sous-traitance est consacré par le droit européen et par le Code de la commande publique ». Bercy cite ainsi les directives « marchés publics » de 2014 qui « permettent à l'opérateur économique de recourir, pour un marché public déterminé, aux capacités d'autres entités, quelle que soit la nature juridique des liens qui l'unissent à ces entités ». Mais aussi un arrêt récent de la Cour de justice de l'Union européenne qui énonce qu' « il est de l'intérêt de l'Union que l'ouverture d'un appel d'offres à la concurrence soit le plus large possible » et que « le recours à la sous-traitance, qui est susceptible de favoriser l'accès des PME aux marchés publics, contribue à la poursuite de cet objectif (CJUE, 26 septembre 2019, C-63/18) ».

L’exécutif estime en outre que la législation proposée, « outre qu'elle méconnaîtrait les directives "marchés publics", serait susceptible d'être considérée comme une restriction à la liberté d'établissement et à la libre prestation de services ». Le Code de la commande publique, déclinaison nationale des directives européennes, consacre ainsi le droit de recourir à la sous-traitance et « précise que ses dispositions relatives à la sous-traitance sont d'ordre public (article L. 2193-3) ».

Pas de motif d’intérêt général suffisant

Légiférer ne semble pas plus simple au regard des normes suprêmes, à en croire Bercy, qui affirme qu’une « législation restreignant la liberté de sous-traiter pourrait, par ailleurs, être regardée comme portant une atteinte disproportionnée aux principes à valeur constitutionnelle de liberté d'entreprendre et de liberté du commerce et de l'industrie ».

Il reconnaît que des interdictions de sous-traitance au-delà du deuxième rang ont pu être posées pour l'exécution de contrats ou marchés relatifs à la surveillance humaine ou au gardiennage de biens meubles ou immeubles (loi n° 2021-646 du 25 mai 2021 pour une sécurité globale préservant les libertés), dans un objectif de sécurité publique. Mais « il n'est pas certain qu'un motif d'intérêt général suffisant soit reconnu pour restreindre d'une façon générale la sous-traitance dans le secteur du BTP compte tenu de l'impact de cette mesure sur l'accès des PME à la commande publique ».

Outils de contrôle

Enfin, conclut la réponse, des outils existent déjà pour atteindre les objectifs recherchés, et « le gouvernement estime plus opportun de [les] privilégier et d'en promouvoir un recours plus efficace » que d’introduire des restrictions légales. Et de citer les dispositions permettant de contrôler la chaîne de sous-traitance : possibilité pour l’acheteur public, lorsqu'il estime que le recours à la sous-traitance est susceptible de nuire à la bonne exécution de certains contrats, d'exiger que les tâches « essentielles » soient effectuées par le titulaire lui-même ; et obligation d’obtenir l’acceptation de tout sous-traitant et l’agrément de ses conditions de paiement auprès du maître d’ouvrage.

De « sous-traité » à « mal-traité »

Forcément déçue, la Capeb entend « continuer à insister et défendre ses positions », exprime David Morales, vice-président de la confédération, en charge des affaires économiques. « Nous persistons à penser que faire de la sous-traitance à tout va n’est pas une bonne idée. L’exemple de l’installation de la fibre le montre bien, à force d’être sous-traités, les gens sont mal traités, et la qualité n’est pas au rendez-vous. Dans le bâtiment, c’est pareil ! » De plus, en présence de plusieurs rangs de sous-traitants, chacun se prenant une mage, « il n’est pas certain qu’on aboutisse au meilleur prix pour le maître d’ouvrage ». Le représentant de la Capeb souligne que « la réponse ministérielle ne parle quasiment que de commande publique. Pourquoi ne pas expérimenter la limitation des rangs de sous-traitance dans les marchés privés ? »
Invitée à réagir à cette décision gouvernementale, la FFB n’a pas donné suite aux sollicitations du « Moniteur ».

QE n° 9534, réponse écrite à Yannick Monnet, JOAN du 12 septembre 2019

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