Le futur Grand stade de rugby est-il bien raisonnable pour le portemonnaie de l’Etat ?
La Cour des comptes a rendu public, le 29 février 2016, un référé adressé au ministre de la ville, de la jeunesse et des sports, Patrick Kanner, sur l'impact budgétaire et patrimonial pour l'État du projet de construction du stade à Ris-Orangis porté par la Fédération française de rugby. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que ça va faire mal pour les finances publiques.
Frédérique Vergne
Le futur stade de 82 000 places avec son toit rétractable et sa pelouse amovible à Ris-Orangis, l’un des plus grands d’Europe, dont veut se doter la Fédération française de rugby (FFR), n’est pas qu’un joli cadeau pour accompagner sportivement et économiquement le formidable engouement du rugby en France. Derrière se cache un certain nombre de problèmes auxquels va être confronté l’Etat ; problèmes issus du bouleversement de l'économie des manifestations sportives et événementielles de grande ampleur en Île-de-France.
Le référé de la Cour des comptes, adressé à Patrick Kanner, ne se veut pas un document à charge, mais plutôt une mise en garde des conséquences qu’un tel stade engendrerait.
En 2021, le rugby français devrait avoir « son jardin » ; un stade de 82 000 spectateurs, prêt à recevoir la Coupe du monde de rugby en 2023, qui permettra à la FFR, propriétaire, de donner une assise emblématique à ce sport au niveau national et international, d’améliorer et de garantir les recettes en disposant d'un stade dont elle contrôlera l'exploitation commerciale sportive (billetterie...) et événementielle. Depuis fin juin 2012, date à laquelle l’emplacement du stade sur l’ancien hippodrome de Ris-Orangis a été choisi, le projet prend forme. Les cabinets d’architectes Populous et Ateliers 2/3/4 ont été retenus en 2013 pour la conception, ainsi que le groupement Icade-Besix et Cofely GDF Suez sélectionné en novembre 2014 comme « attributaire » du contrat pour la construction, l'entretien et la maintenance de l'équipement.
600 millions d'euros
Quant au financement de ce grand stade dont l’investissement est estimé à 600 M€ (hors abords et viabilisation), il repose à 90 % sur un appel de fonds extérieurs (sans subvention de l'État), dont un recours à l'emprunt d'au moins 400 M€. Le département de l’Essonne se portant garant du montage à hauteur de 450 M€. Et c’est l’un des points sur lesquels la Cour des comptes demande une attention particulière : « L'amortissement de cet emprunt et la rémunération d'autres ressources, notamment en capital, sur 20 ans exigent un rendement élevé et régulier du stade, pour ne pas pénaliser les moyens de la FFR en faveur du sport de haut niveau (entraînement des équipes olympiques et nationales) et de la pratique du rugby par tous. L'État ne peut ignorer, au-delà du risque de dégradation du soutien à la discipline sur une aussi longue période, un risque pour les finances de la collectivité locale qui apporterait sa garantie ».
Voilà un premier avertissement, mais surtout pour la Cour des comptes, le bouleversement de l'économie des manifestations sportives en Ile de France aurait de lourdes conséquences pour l'État, propriétaire et concédant du Stade de France.
Risque budgétaire
Le contrat de concession signé en avril 1995 entre l’Etat et le Consortium Stade de France pour la conception, la construction et l'exploitation du Stade de France jusqu'en 2025, est basé sur l'organisation chaque année de neuf à dix matchs, dont quatre à cinq manifestations rugbystiques, et le renouvellement, de 2013 à 2025, des accords conclus avec la FFR en 1995 (à des conditions économiques aussi avantageuses pour le concessionnaire que celles de l'accord récent pour 2013-2017). Par ailleurs, la suppression de l'indemnité compensatrice pour absence de club résident (IACR) versée par l'État au Consortium Stade de France est conditionnée au maintien de la FFR au-delà de l'été 2017. En cas de départ des compétitions de rugby du Stade de France, la Cour des comptes souligne que l’État devrait alors verser au consortium gestionnaire des compensations d’au moins 23 M€ par an jusqu’en 2025 (répartis entre 6,3 M€ pour non-tenue des manifestations réservées et non-renouvellement des accords avec une fédération contractante, et 17 M€ comme indemnité d'absence de club résident), soit entre 161 M€ et 186 M€ suivant la date d'entrée en fonctionnement du nouveau stade de rugby. « Ce risque budgétaire pourrait s'avérer supérieur selon l'intensité des revendications du concessionnaire, déjà très actif au plan contentieux à l'encontre de l'État », ajoute la Cour des comptes, qui souligne que le concessionnaire pourrait évoquer le «déséquilibre financier» induit de la concurrence entre les deux stades.
Risque patrimonial
Les compensations financières ne sont pas les seules conséquences pour l’Etat d’un stade concurrent. La Cour des comptes estime en effet que cette concurrence va faire chuter les valeurs économiques et patrimoniales du Stade de France, obligeant l’Etat qui en est propriétaire « à trouver un avenir durable, en terme de perspective d'activités, d'équilibre financier et de mode de gestion, à un équipement.
Face à ces risques prévisibles, la Cour recommande de « déterminer une position de l'État qui permette d'éviter les charges budgétaires supplémentaires, de se prémunir contre les risques juridiques et d'affronter le problème patrimonial concernant le Stade de France ». Alors que l’échéance approche, la Cour s’étonne que l’Etat n’ait pas à ce jour « explorer avec la FFR des alternatives différentes de celle de la construction du stade de rugby. Les délais connus actuellement, qui laissent vraisemblablement ouverte jusqu'en 2017 la question de la création du stade, offrent encore à l'État la possibilité d'agir ou de se préparer à le faire. Cette faculté doit être saisie, sauf à se trouver entre 2017 et 2020, acculé par inertie dans une impasse coûteuse », conclut-elle.
Rappelons que 760 M€ de dépenses publiques ont été engagées pour le Stade de France depuis 1998 (au titre de la construction du stade, de ses équipements de desserte et des indemnités versées au concessionnaire).
Rien n’est encore joué
Ce référé s’ajoute aux nombreux rapports sur les conséquences de l’éventuel retrait des matchs de rugby au Stade de France demandés aux inspections générales par les ministres des sports successifs, ou encore celui du Sénat. Certains explorent des solutions propres à l'État, telles que l'anticipation de la fin de la concession du Stade de France (après l'EURO 2016) afin de minimiser le coût des indemnités supplémentaires, la recherche d'un nouvel exploitant généraliste, voire la vente du stade lui-même. D’autres tablent plutôt sur un changement des intentions de la FFR, par le report ou l'abandon de son projet, un nouveau régime de concession à de meilleures conditions pour la fédération, qui pourrait participer au consortium délégataire ou encore la vente du stade de France à la FFR (la valeur d'assurance du Stade de France est de l'ordre de 400 M€).
Nouveau stade : 2021 ou 2025 ?
En réponse à ce référé, le ministre Patrick Kanner a rappelé que le projet du stade de la FFR est encouragé par le gouvernement parce que « la démarche vise à acquérir une plus grande maîtrise de son « outil de travail » pour renforcer les moyens alloués au développement de sa discipline ». Il indique, par ailleurs, que l’actualisation du plan d'affaires et de financement du projet de grand stade établi par le président de la FFR « sera de nature à objectiver la situation et à éclairer la décision des parties prenantes ». Quant à l’avenir du Stade de France, le ministre souligne que « ce modèle est déjà fragilisé en raison des nombreux contentieux qui opposent les différentes parties à ce contrat, indépendamment du projet de stade de la FFR dont le calendrier d'aboutissement ne sera vraisemblablement pas très éloigné de la fin du contrat de concession ». Pour lui, la solution pour assurer l’avenir du stade se trouve dans la perspective de l'organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 à Paris. C’est en septembre 2017 que l’on connaîtra la ville organisatrice. « C'est à la lumière de cette décision que le modèle économique du Stade de France », conclut-il.
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