"Le droit de démolir va s’arrêter là où commence la protection du domicile", Me Jean-Louis Sablon
La parution du « Traité de droit de la démolition » aux Editions du Moniteur met en valeur l’existence de ce droit hybride, varié et évolutif en raison notamment de la question prégnante de la gestion des déchets. Entretien avec son auteur, Jean-Louis Sablon, avocat honoraire spécialisé en droit de l’immobilier.
Propos recueillis par Sophie d'Auzon
Pourquoi cet ouvrage (1) aujourd’hui ?
Bien que l’heure soit aujourd’hui plutôt à la réhabilitation, laquelle peut d'ailleurs comporter des démolitions partielles plus ou moins importantes, l’activité de démolition reste conséquente. Notamment car le bâti se dégrade, et parce que la démolition permet de libérer du foncier. Si l’on regarde les chiffres, c'est au cours des années 1990 que la démolition des logements essentiellement sociaux s'est imposée, soit, au départ, environ 4 000 logements démolis par an pour atteindre en 2014/2015, un nombre cumulé d'environ 140 000 et aujourd'hui de l'ordre de 200 000. Mais en 2020, 7 800 logements seulement du parc locatif social ont été démolis contre 21 700 en 2011. Par ailleurs, le nombre de permis de démolir délivrés sont de l'ordre de 14 à 17 000 par an ces dernières années. Un dernier chiffre : selon l’Insee, en 2019, le secteur de la démolition et de la préparation des sites représentait 20 672 entreprises pour un chiffre d’affaires hors taxes de 17 103 millions d’euros.
Or il n’existait pas d’ouvrage consacré en tant que tel à ce droit, qui est en général évoqué via le permis de démolir ou les arrêtés de péril de façon accessoire au permis de construire, mais le sujet est bien plus large.
Que recouvre le droit de la démolition ?
Tous les aspects juridiques liés à la démolition mais aussi, en retenant une acception large, à la déconstruction. C’est un droit hybride, public et privé, qui fait appel au droit de l’urbanisme, de l’environnement, de la construction, des contrats, du travail, etc.
Génère-t-il beaucoup de contentieux ?
Absolument ! Taper l’occurrence sur Legifrance fait remonter environ 6 000 décisions des juridictions administratives et tout autant des juridictions judiciaires. Toutes ne sont pas significatives, il n’en demeure pas moins que la matière est abondante. Et les origines diverses : le contentieux de la démolition naît parce que l’on a construit chez le voisin, parce que l’on n’a pas respecté les règles d’urbanisme, parce que l’ouvrage est affecté de malfaçons non réparables, parce que l’on a construit sans droit (exemple d’un locataire)…
Le droit de démolir est-il de plus en plus contraint ?
Oui. La Cour européenne des droits de l’Homme a consacré le droit à la protection du domicile et de la vie privée. Et le droit de démolir va s’arrêter là où commence la protection du domicile, même si la démolition est justifiée. On le retrouve constamment dans la jurisprudence. Le juge préférera octroyer une indemnité à la partie lésée que d’autoriser la démolition. S’y ajoutent les règles de protection du patrimoine, des monuments historiques, etc., qui font également obstacle.
Les préoccupations écologiques imprègnent aujourd’hui fortement le droit de la démolition. De quelle façon ?
Le sujet de la déconstruction est soulevé aujourd’hui dès le stade de la construction. Si bien que certains auteurs ont pu se demander si l’on allait un jour introduire dans les marchés la clause suivante : « Cet ouvrage devra être conçu et construit pour être déconstruit dans 30 ans » (1). La gestion des déchets est au centre de l’activité de démolition : il y avait déjà l’amiante, le plomb, mais à présent il faut réaliser des diagnostics déchets, réemployer au maximum, et à défaut réutiliser ou enfin valoriser puis éliminer ce qu’il reste.
(1) "Traité de droit de la démolition - Déconstruction et réemploi", par Jean-Louis Sablon, Editions Le Moniteur, 320 pages, avril 2023, 59 euros.
(2) R. Albano, D. Mathieu, « D’Haussmann à l’amiante », Documents l’histoire des techniques, cahier n° 11, Cnam, EHESS, 2002.
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