Le BIM relance le coût global
Outil de construction et de gestion, le Bâtiment et informations modélisés (BIM) peut se nourrir des données financières d’exploitation pour aborder les ouvrages sous un nouveau jour?: celui de la démarche en coût global qui associe les coûts d'exploitation à ceux de la construction.
La construction s’apprête-t-elle à une nouvelle révolution industrielle?? C’est la question que l’on se pose à la lecture du livre blanc sur la maquette numérique et la gestion patrimoniale (1), et du rapport «?BIM et gestion du patrimoine?» (2). Les deux ouvrages mettent en avant le Bâtiment et informations modélisés (Building Information Model) promis à un bel avenir et qui suscite un regain d’intérêt depuis que Cécile Duflot, ex-ministre du Logement, a annoncé, le 21?mars, qu’il sera obligatoire dans les marchés publics d’Etat à partir de 2017 («?Le Moniteur?» n°?5756 du 21?mars 2014).
L’objectif est simple?: gagner en performance, en qualité et réduire les coûts.
Au Royaume-Uni, l’obligation de recours au BIM programmée pour 2016 vise à réduire de 20?% les coûts grâce à l’ingénierie collaborative et à une meilleure gestion des délais.
A la fois base de données 3D, outil d’ingénierie concourante et de process de production, le BIM apporte une nouveauté révolutionnaire?: il est un formidable outil, à la fois de construction et d’exploitation des bâtiments. Et c’est là que se situe son modèle économique, en particulier pour les opérations de taille modeste. Cela ne va pas sans rappeler une démarche similaire initiée il y a une trentaine d’années et qui peine à s’imposer dans le secteur de la construction?: le coût global.
Ce dernier prend en compte des coûts d’investissement initiaux, d’exploitation et de recyclage du bâti. Il s’agit pour cette démarche de développement durable de faire basculer le bâtiment dans une nouvelle économie?: celle des choix de conception opérés en fonction de l’usage attendu du bâtiment dans une période donnée (trente ans par exemple). Sans être totalement nouvelle, cette approche des maîtres d’ouvrage accompagnés par leurs concepteurs est restée jusqu’ici parcellaire, voire essentiellement intuitive. BIM et coût global procèdent d’une vision similaire?: faire entrer la construction et l’exploitation sous le même toit, à des fins économiques et de performances dans une démarche quasi industrielle.
Le cœur des échanges
En réalité, l’interface entre les deux phases de la vie d’un bâtiment est restée le plus souvent problématique. Les dossiers des ouvrages exécutés (DOE) et d’intervention ultérieure sur l’ouvrage (DIUO) demeurent les parents pauvres des opérations de construction. Au moment du transfert de l’ouvrage entre constructeurs et gestionnaires ou syndics, beaucoup d’informations sont perdues. Le BIM, avec sa base de données, facilite cette interface et constitue désormais le cœur des échanges entre ces deux univers qui, jusqu’ici, s’ignoraient trop souvent. Pourtant, les constructeurs ont beaucoup à apprendre de l’usage (de l’usure...) des bâtiments, et les gestionnaires des spécificités des ouvrages dont ils assurent l’administration et l’entretien. Disons-le simplement?: un acheteur dispose aujourd’hui de plus d’informations sur sa cafetière que sur l’appartement qu’il acquiert. Pourtant, les montants en jeu n’ont rien à voir, et 80?% des coûts d’exploitation, de maintenance et de recyclage d’un bâtiment sont déterminés dans les premiers 20?% des coûts investis (3). «?Alors pourquoi le coût global n’est-il que très rarement mis en œuvre?? s’interrogent Catherine Charlot-Valdieu et Philippe Outrequin, auteurs de “Coût global des bâtiments et des projets d’aménagement?: mode d’emploi” (4). Parce que le passage à l’acte est surtout lié à la volonté politique du maître d’ouvrage d’intégrer dans ses cahiers des charges une obligation de calcul en coût global assortie d’une méthode de calcul.?»
Le coût global serait également freiné par des obstacles culturels de poids?: une démarche-projet qui n’est pas encore dans la culture des gestionnaires, une absence de transversalité entre service gestion et service projets, qui pousse au choix du moins-disant, une culture de fractionnement des réglementations et des modes d’organisation que l’on retrouve également comme frein au développement du BIM avec le séquençage du process de production d’un bâtiment.
Révolution culturelle
Une révolution, plus culturelle que technique, serait donc indispensable. Elle viendra peut-être de la crise actuelle?: le renchérissement de l’énergie et la baisse de la solvabilité des collectivités locales comme des ménages questionnent les pratiques. «?On va tout droit vers un relèvement des exigences de garanties
de performance?», assure François Pélegrin, architecte. L’obligation de résultat s’affirme
avec son cortège de labels et de certifications.
Nul doute que l’obligation de tenir des objectifs de performance de consommations dans le temps relèvera, à terme, d’exigences réglementaires. Maintenir les bâtiments, pendant dix, vingt ou trente ans, au niveau de leurs performances de livraison ne sera alors plus un tabou.
La culture de l’immédiateté et du zapping trouverait ici ses limites. L’économie en coût global encourage des surcoûts d’investissement pour des gains conséquents de consommation d’énergie et d’eau. Une démarche pas forcément nouvelle mais qui reprend du sens à l’heure où l’argent se fait rare. Le coût global, démarche économique plus que financière, serait le gage d’une gestion responsable
dans un contexte de refonte des financements publics où chaque euro compte. A plus long terme, on peut s’interroger sur le poids de l’entretien et la maintenance que nous céderons aux générations futures par rapport aux besoins présents.
Comme pour le coût global, le BIM tend à effacer la rupture entre constructeur et gestionnaire. Comme pour le coût global, le principal bénéficiaire est le maître d’ouvrage/propriétaire et exploitant de son parc immobilier. Dans les deux cas, il s’agit d’anticiper et de maîtriser l’information?: «?Correctement exploitées – à jour, accessibles et partageables –, les données ont d’autant plus de valeur qu’elles n’ont pas besoin d’être indéfiniment ressaisies?», renchérit Pierre Mit, président de l’Union nationale des économistes de la construction. Des bailleurs sociaux, régions, grands propriétaires de parc immobilier se dotent actuellement de systèmes informatiques BIM-compatibles avec des premiers retours sur investissement d’environ deux?ans (lire (1)). Pour le groupe de travail du plan bâtiment durable, la maquette numérique est rentable à l’échelle du coût global et n’a pas besoin d’une nouvelle rémunération des acteurs. A la clé des premiers retours d’expériences, le BIM facilite en particulier le reporting financier, les démarches d’obtention de labellisation, l’évaluation de la durabilité
des actifs, le dimensionnement des contrats d’entretien, l’obtention de documentation de qualité avec schémas (vues en 3D, éclatés), la programmation de l’entretien, le changement de pièces répertoriées, l’affichage des consommations «?et des vues-métier qui permettent à chaque professionnel de ne voir que ce dont il a besoin pour travailler?», complète Pierre Mit.
L’information crée de la valeur
D’autres facteurs entrent en scène et qui plaident en faveur de la prise en compte conjointe des démarches BIM et coût global?: obligations de diagnostic réglementaires et carnet de santé du bâti (plomb, amiante, assainissement…). Ces derniers réclament désormais une gestion rigoureuse
conditionnée par de lourdes responsabilités. Enfin, cette gestion nécessite d’organiser
les remontées de données patrimoniales pour que les concepteurs les intègrent
dès le départ.
En somme, le BIM relance le coût global dans lequel il trouve également son modèle économique. Ici, deux mondes – les constructeurs et les gestionnaires – partagent peu à peu la même culture de performance et de projet au service d’un utilisateur. «?C’est le sens dans lequel évolue la future Réglementation bâtiment responsable (RBR 2020), qui vise à qualifier le bâtiment sur une base multicritère et non plus seulement énergétique?», poursuit François Pélegrin.
Les gisements d’économie cités par le livre blanc sont éloquents?: jusqu’à 20?% d’économies sur les coûts de construction à qualité et performance équivalentes, et jusqu’à 7?% des budgets travaux d’entretien et de maintenance du parc immobilier des bailleurs. Au point que l’Europe s’en mêle et demande aux Etats de s’emparer rapidement du BIM. Ce qui se pratique empiriquement aujourd’hui ne résiste pas à l’attrait du numérique qui n’a pas fini de bousculer les pratiques professionnelles.
(1) Livre blanc sur la maquette numérique et la gestion patrimoniale : « Préparer la révolution numérique de l’industrie immobilière » (avril 2014).
(2) Rapport du groupe de travail BIM et gestion du patrimoine « Un avatar numérique de l’ouvrage et du patrimoine au service du bâtiment durable : le bâtiment et informations modélisés (BIM) » (mars 2014).
(3) Calcul en coût global : objectifs, méthodologie et principes d’application selon la norme ISO/DIS 15686-5 (février 2009), Meddat/CGDD/Seei.
(4) « Coût global des bâtiments et des projets d’aménagement : mode d’emploi », par Catherine Charlot-Valdieu et Philippe Outrequin, Editions Le Moniteur (2013),46,55 euros.
Le BIM relance le coût global
Tous les champs sont obligatoires
0Commentaire
Réagir