La ville archipel, parfaite illustration du ZAN
« La ville n’est pas le plein qu’il faut opposer au vide représenté par la nature, l’agriculture ou la campagne. C’est l’ensemble qui forme un plein » estime l’ancien élu et consultant Jean-Yves Chapuis qui, pour illustrer les vertus du ZAN, s’appuie sur l’exemple de la « ville archipel » mise en œuvre à Rennes depuis les années 2000.
par Jean-Yves Chapuis, urbaniste
La Première Ministre Elisabeth Borne a précisé lors de son intervention devant les maires lors de leur congrès le 24 novembre « nous adapterons rapidement, en associant l’AMF, le décret relatif à la nomenclature de l’artificialisation, pour qu’il soit plus lisible et opérationnel. Nous voulons également tenir compte des projets de renaturation ».
La crainte des maires était une présentation seulement quantitative jusqu’à maintenant de cette non artificialisation des sols réduction de 50% d’ici 2030 et zéro artificialisation en 2050. Le dialogue proposé par la Première ministre permet d’aller au-delà de cette vision quantitative pour faire un vrai travail pour mieux aménager en améliorant l’extension aux unités bâties et dans le cadre d’une analyse fine de la morphologie urbaine des communes pour éviter l’émiettement et le mitage.
Cela demande pour les petites communes des études qualitatives urbaines qu’il faut financer quand celles-ci ne sont pas dans des intercommunalités qui ont les moyens de faire ces études. Il me semble que l’expérience de la métropole rennaise est intéressante par la prise en compte de ce travail d’études urbaines par la création d’une vice-présidence aux formes urbaines crée en 2002.
Rennes, ville archipel
La ville n’est pas le plein, qu’il faut opposer au vide représenté par la nature, l’agriculture ou la campagne. C’est l’ensemble qui forme un plein. En adoptant cette vision, appelée « ville archipel », la métropole rennaise a su préserver 78 % de son territoire pour la nature et l’agriculture.
C’est avec le schéma vert développé en 1983 sur l’ensemble des communes au-delà de la ceinture verte qui entoure Rennes, que naît l’idée que la ville, devenue métropole, devait se développer en gardant la singularité des communes qui composent la nouvelle entité. Cela s’est exprimée d’une façon forte et lisible par la ceinture verte qui forme une lisière entre la ville centre et les autres municipalités de la métropole, ainsi qu’entre les communes elles-mêmes.
La notion de ville archipel - proposée en 2001 par le 1er vice-président de l’époque, Philippe Tourtelier - s’est, elle, développée, en donnant une vision positive à la ville s’imbriquant avec la nature et l’agriculture. Parallèlement, il y a eu une volonté d’appliquer le Plan local d’habitat (PLH) et d’avoir des logements aidés dans toutes les communes. Voyant que ce plan était voté à la quasi-unanimité, mais pas suffisamment appliqué, le président de la métropole, Edmond Hervé, a décidé de le spatialiser commune par commune.
La création cette même année d’une délégation des formes urbaines - supprimée en 2014 mais réintroduite en 2020 par l’actuelle maire de Rennes présidente de la métropole, Nathalie Appéré - a permis de nourrir concrètement cette idée de ville archipel, en réduisant de moitié les terrains à l’urbanisation, tout en doublant le nombre de logements. Elle a été confiée à Marc Hervé 1er adjoint et adjoint à l’urbanisme de la ville de Rennes.
Cette délégation doit permettre aux élus de saisir l’évolution des modes de vie. Et de partager une culture urbaine qui permette de mieux agir, de mieux se comprendre entre élus, services et citoyens. Il s’agit ainsi de mieux répondre à une demande citoyenne de plus en plus diversifiée, mais aussi de mieux définir ce que doit être une communauté politique.
Saisir l'évolution des modes de vie
Pour que les élus et les services puissent mieux comprendre les évolutions sociétales, ont été organisées des conférences en présence d’experts, comme en autres Alain Ehrenberg, Pascal Picq, Gilles Lipovetsky. Cette délégation a ainsi été le creuset d’un travail de conviction, un lieu de rencontres, de discussions ouvertes, tout en offrant des réponses aux maires. Et en direction du grand public des expositions ont été réalisées et des guides-circuits ont été édités pour découvrir les réalisations marquantes de l’agglomération.
Ce travail sur les modes de vie et leurs conséquences sur la conception des logements a permis une diversification de l’habitat, en dépassant le débat sur la densité ou l’étalement urbain. Mais c’est surtout la manière d’agencer dans les opérations urbaines maisons avec jardins, logements intermédiaires, petits immeubles collectifs, qui a structuré la ville archipel.
Les métropoles sont en première ligne pour répondre au besoin croissant en logements. Rennes Métropole n'y échappe pas avec une très forte progression du nombre de demandeurs de logements sociaux (+ 49 % en cinq ans), une inflation des prix de l'immobilier (+ 18% en trois ans pour l'offre neuve), et une augmentation des prix du foncier brut pour la création de logements collectifs de plus de 20 % en deux ans !
Comment alors résoudre cette situation dans un contexte de sobriété foncière, certes justifié, mais imposé par l'adoption de la loi climat de 2021 qui stipule que l’artificialisation des sols doit être divisée par deux d’ici 10 ans et être ramenée à zéro d’ici 2050 ? D’autant que la métropole affiche une croissance démographique positive et que la composition sociodémographique de la métropole évolue également avec une population des + de 65 ans et de 75 ans qui augmente, ainsi qu’une population étudiante toujours plus nombreuse qu'il faut également loger (+ de 70 000 étudiants).
Ces constats amènent la métropole à vouloir s'engager sur un volume annuel de production de 5000 logements supplémentaires, avec une plus grande part en renouvellement urbain et des objectifs de densité revus à la hausse mais différents selon les communes. Pour le reste, le sujet principal reste celui d'une maitrise foncière publique, seule à même de permettre, par une régulation des prix du foncier, de développer une politique de l'habitat permettant de loger tous les publics.
Agriculture locale
La ville archipel c’est aussi 55% des terres dédiées à l’agriculture sur le 78% non bâtis. La politique agricole de la métropole ne se résume plus à sanctuariser les terres agricoles. Elle s’attache à dialoguer avec le monde agricole pour réfléchir ensemble à l’agriculture qui répondra aux besoins alimentaires de la société bien sûr, mais aussi aux exigences de cadre de vie, d’énergie, de qualité de l’eau et aux relations avec le vivant…
D'ici 2030, deux agriculteurs sur cinq partiront en retraite, et leurs enfants ne suffiront pas à les remplacer. La métropole est amenée à s'impliquer auprès des organisations agricoles pour relever ce défi d'installer de nouvelles générations d’agriculteurs, y compris issus de la ville. Pour cela, elle intervient même en achetant des terres agricoles et en s'impliquant dans le développement d’une agriculture durable.
Les enjeux de la qualité de l'eau et de biodiversité ont conduit à l'ambition de devenir un territoire zéro pesticide de synthèse en 2030. Et pour cela, il faut accompagner les agriculteurs dans cette transition et leur offrir des perspectives viables. Pour répondre à la demande de produits locaux et de qualité, ils sont invités à transformer leurs produits, ce qui leur permet de dégager de la valeur ajoutée, tout en renforçant le lien avec les habitants.
Ce travail entre agriculture et distribution alimentaire permet de développer le « bien manger local ». Cela constitue un élément à l’évolution de l’économie humano-centrée sur l’éducation, la santé, la culture et le bien-être.
La ville archipel, c’est aussi la possibilité d'accéder en proximité immédiate à une campagne ouverte, à des chemins, des bois, des étangs, à des fermes d'accueil, des espaces de nature, d'exploration... pour être en vacances dans sa ville. La collectivité se doit d'investir pour maintenir ce cadre naturel vivant en le rendant accessible aux habitants. La ville archipel, c'est une dynamique qui, par le cadre de vie autant que par l’alimentation, interroge la notion de bien-être urbain.
Jean-Yves Chapuis est urbaniste et consultant en stratégie urbaine. Elu à Rennes de 1983 à 2014, il a été vice-président de Rennes Métropole chargé des formes urbaines de 2001 à 2014. Directeur de l’Ecole d’Architecture de Bretagne de 1997 à 2002, Jean-Yves Chapuis a enseigné à l’I.F.U. (Institut Français d’Urbanisme) et à l’Ecole d’architecture de Paris Val de Seine. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages dont « Rennes la ville archipel » (entretien avec jean Viard, Editions de l’Aube, 2013), « Faire la ville ? Quelle ville ? » (Editions du Panthéon, 2021) ou encore « Le projet humain avant le projet urbain » (préface de Pascal Perrineau, Editions de l’Aube, 2022).
La ville archipel, parfaite illustration du ZAN
Tous les champs sont obligatoires
0Commentaire
Réagir