
Marseille : « L’éradication de l’habitat indigne est une action collective »
Christiane Wanaverbecq (Bureau Méditerranée du Moniteur) | le 26/11/2018 | Logement, Bouches-du-Rhône, Habitat indigne, Habitat insalubre à Marseille, Loi Elan
Arlette Fructus, adjointe au maire de Marseille, vice-présidente déléguée à l’habitat, au logement et à la politique de la ville à la métropole, et présidente de la SEM Marseille Habitat, appelle à la mobilisation de tous, dans une interview au Moniteur. Après le drame de l'effondrement de trois immeubles ayant provoqué la mort de 8 personnes, le 5 novembre, plus d’un millier de Marseillais ont été évacués de leur domicile. Martine Vassal, présidente de la métropole Aix-Marseille-Provence, doit présenter un plan spécifique dans quelques jours.
Depuis le drame du 5 novembre, la Ville de Marseille fait l’objet de toutes les critiques, dont la principale est de n’avoir pas pris la mesure de l’ampleur du phénomène de l’habitat indigne. Selon le rapport Nicol de mai 2015, Marseille compterait 40 000 logements potentiellement indignes, soit 13 % des résidences principales. Les politiques menées depuis près de 20 ans sous forme d’opérations programmées d’amélioration de l’habitat (Opah) ou de plans d’éradication de l’habitat dégradé n’ont pas été efficaces. Que préconisez-vous pour faire mieux ?
Nous avons une problématique, celle de concilier la longueur des procédures et l’urgence des situations. Aujourd’hui, le système légal ne nous permet pas de réagir dans l’urgence. Il faudrait créer une juridiction spécialisée qui nous accompagne sur des sujets comme l’habitat indigne. Nous sommes sur de la propriété privée. Il faut quelquefois dix ans avant de pouvoir obtenir la propriété d’un immeuble sur lequel la puissance publique veut intervenir. J’attends beaucoup de la loi Elan, qui a bien pris en compte cette problématique, avec des dispositions permettant notamment de raccourcir les procédures. Mais cela ne sera pas suffisant.
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Enfin, l’éradication de l’habitat indigne est une action collective. Il faut que la chaîne des acteurs concernés fonctionne bien et soit plus réactive. Or, aujourd’hui, elle ne l’est pas. Chacun agit de son côté. Il faut arriver à trouver une opérationnalité convergente.
A cela s’ajoute une autre problématique. A l’évidence, dans notre centre-ville paupérisé, notamment dans le quartier Noailles, de nombreux propriétaires privés n’entretiennent pas leurs biens : soit parce qu’ils n’en ont pas les moyens économiques, soit, pour d’autres raisons inavouables. La loi Elan prévoit des sanctions nouvelles contre les marchands de sommeil. C’est très bien d’accroître les sanctions existantes. Mais en contrepartie, il faut se donner les moyens d’identifier, et très rapidement, les marchands de sommeil. C’était tout l’intérêt du groupe opérationnel de lutte contre l’habitat indigne (Golhi). Créé en 2010, il faisait remonter au procureur de la République tous les signalements qui pouvait donc diligenter une action publique contre les marchands de sommeil. Nous devons réactiver cet outil et le renforcer.
Quels sont les autres freins ?
Le centre-ville de Marseille est protégé au titre d’une « Aire de mise en valeur de l’architecture et du Patrimoine » (Avap) de Marseille et sous contrôle de l’architecte des bâtiments de France (ABF) dont les prescriptions sont très contraignantes. Il a un avis bloquant. Pour prendre l’exemple d’un des immeubles qui s’est effondré le 5 novembre, l’ABF avait refusé le projet de la SEM Marseille Habitat, en charge de l’éradication de l’habitat indigne dans le centre-ville, d’y aménager des logements sociaux et une microcrèche. Il n’était pas conforme aux règles applicables dans ce site patrimonial remarquable. Il nous demandait, par exemple, la restitution de « la transition entre le rez-de-chaussée et les étages par un bandeau en légère saillie ».
Aujourd’hui, l’immeuble s’est effondré. Là encore, la Loi Elan prend des dispositions pour dégager les communes de la contrainte de l’ABF dans les sites remarquables.
Un autre frein est la difficulté à mobiliser les propriétaires quand on propose de les accompagner dans leurs travaux. La Ville et la métropole ont lancé en 2016 une nouvelle Opah-RU sur le centre-ville de Marseille pour améliorer environ 700 logements. Nous avons largement communiqué auprès des propriétaires, des administrateurs de biens et des syndics. Nous avons eu peu de retours.
Le 28 juin 2018, le conseil métropolitain a donc décidé de passer à une procédure plus contraignante, en l’occurrence la restauration immobilière, imposant des travaux d’amélioration sur une quinzaine d’immeubles très dégradés, soit 150 logements. Comme c’est une mesure contraignante, cela implique des procédures supplémentaires souvent longues.
"Dans la loi Alur, les logements déjà loués ne sont pas soumis à vérification"
La loi Alur a créé le permis de louer pour lutter contre l’habitat indigne. Qu’en pensez-vous ?
C’est un outil censé contrôler la qualité des biens et leur conformité aux règles de décence que les propriétaires-bailleurs mettent sur le marché. Il permet à la commune de vérifier la conformité du logement. Il oblige en effet les propriétaires à s’adresser à la mairie pour obtenir une autorisation avant une mise en location. Celle-ci envoie des agents sur place pour vérifier le bon état des logements. Si non, elle prescrit des travaux.
L’autre limite de ce dispositif est qu’il concerne les transactions locatives à venir. Cela signifie que tous les logements déjà loués ne sont pas soumis à vérification. Il n’y a pas d’effet rétroactif.
Troisième faille du dispositif : il s’agit d’une procédure déclarative qui demande au propriétaire-bailleur de se prendre par la main, d’aller à la mairie et de dire « je veux louer ». Les propriétaires de bonne foi le feront sans aucun doute. Mais ce ne sont pas eux qui nous posent problème. La loi a prévu un verrou. La caisse d’allocations familiales ne délivre les APL que sur production du permis de louer. Mais les publics captés par les marchands de sommeil ne perçoivent pas les APL.
Enfin, c’est un dispositif qui nécessite des moyens humains conséquents pour traiter les dossiers. On a 130 000 transactions locatives par an à Marseille. Cela signifie 130 000 vérifications. Là encore, cela demande un outil et des moyens financiers qui nous permettent d’assumer ces visites et ces expertises.
Ces limites ne m’empêchent pas de considérer que c’est une piste à suivre. Je souhaite d’ailleurs soumettre l’idée au conseil métropolitain, pour l’expérimenter dans certains périmètres de centre-ville des 92 communes membres.
Que pensez-vous du dispositif Orcod (opération de requalification des copropriétés dégradées) ?
C’est une piste évoquée dans le rapport Nicol de mai 2015 pour lutter contre les copropriétés dégradées. Cette forme d’intervention, qui n’est autre que le regroupement et la mutualisation de tous les moyens des acteurs et opérateurs concernés, nécessite un portage et pilotage par un opérateur unique.
Pour l’heure, en France, seules les villes de Clichy et de Grigny l’utilisent. Et c’est l’Etablissement foncier régional (EPF) d’Ile-de-France qui est le porteur de l’opération. Cette solution implique des moyens financiers supplémentaires. Evidemment ! Une solution pour en trouver est le recours à une augmentation de la taxe spéciale d’équipement (TSE), principale ressource des EPF. En s’appuyant sur l’exemple de Clichy-Grigny, nous avons saisi l’EPFR Provence-Alpes Côte d’Azur (Paca) proposant de devenir l’opérateur unique dans le cadre d’une Orcod. Le conseil d’administration a rejeté notre proposition. A l’époque, le Conseil régional Paca ainsi que les autres collectivités membres du conseil d’administration n’ont pas souhaité actionner ce levier.
"Les marins-pompiers reçoivent des signalements tous les jours"
Vous être en première ligne depuis le 5 novembre. Quelle est l’urgence ?
Rassurer la population. Il faut agir sur deux fronts. Le premier, le plus urgent, relève directement du drame de la rue d’Aubagne. Il a justifié la mise en place d’un périmètre de sécurité impliquant d’évacuer les résidents. Il concerne les immeubles sur le côté impair de la rue d’Aubagne, du n° 61 au n° 97, ceux du côté pair correspondants, ainsi qu’une partie de ceux située rue Jean-Roque. Cela concerne 48 immeubles et 446 personnes toutes hébergées à l’hôtel aux frais de la Ville. Les experts, dont une équipe du centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) venue de Paris, travaillent dans ce périmètre pour ensuite poser un diagnostic sur la sécurité des immeubles. Leur avis permettra ou non aux personnes évacuées de réintégrer leur domicile.
Le second front est la gestion des effets de l’emballement médiatique suite au drame de la rue d’Aubagne. Les marins-pompiers reçoivent des signalements tous les jours. La Ville ne peut prendre un arrêté de mise en péril que sur la base d’un rapport de l’expert judiciaire.
Vu le nombre de signalements, le tribunal administratif n’a pas le nombre d’experts suffisant pour les diligenter sur place. Ce qui bloque la procédure. En attendant, par principe de précaution, le maire a préféré mettre à l’hôtel les personnes habitant dans un logement où il y avait un doute. C’est pour cela que nous arrivons à plus d’un millier de personnes, en comptant celles habitant dans l’îlot de la rue d’Aubagne.
Insulae
27/11/2018 12h:25
Intéressante interview d'A.Fructus, en 1ere ligne sur l'habitat mais pas sur les procedures du peril ou de l'insalubrité, ni sur les services qui en ont la charge. La réponse des élus marseillais se concentre sur la longueur des procedures d'aménagement intéressant le bâti dégradé qui, reposant sur des déclaration d'utilité publique mettent en jeu la protection de la propriété privée. Mais les procedures d'insalubrité et de péril sont rapides à mettre en oeuvre - notamment les secondes, à condition que les services y mettent un minimum de célérité - et ne mettent pas en cause la propriété privée en rappelant leurs obligations aux propriétaires privés… Quant aux évacuations massives et sans arretés ni justifications étayées ni terme précis, elles sont totalement illégales et méconnaissent totalement les droits des occupants ... S'agissant du permis de louer, c'est une très mauvaise réponse à la question, car si les bailleurs honnêtes s'y plieront peut-être, surement pas les marchands de sommeil, car la location est un acte privé qui échappe à tout contrôle ou information à priori...donc tres difficile à poursuivre ...