L’agence ANMA se «projette» sur Instagram
Le confinement oblige parfois à réfléchir à haute voix. L’agence de Nicolas Michelin lance un nouveau format, live, sur Instagram : « Projections ». Le premier épisode, « Attachement et certitude », proposait, le 8 avril 2020, une discussion-débat entre l’architecte-urbaniste et l’artiste plasticien David Saltiel. Transcription de quelques éléments offerts au public par ces deux créateurs.
Bertrand Escolin (Bureau de Bordeaux du Moniteur)
Nicolas Michelin… « J’ai lu Ulrich Beck La société du risque, il parle de modernité réflexive, chaque fois qu’on produit de la richesse, on produit du risque. C’était l’époque de Tchernobyl. On joue à l’apprenti sorcier, cette catastrophe pose la question du sous-politique, les médecins, une certaine forme d’ingénierie, qui devrait rééquilibrer le politique, être un contre-pouvoir. C’est un livre prémonitoire ».
Puis Nicolas Michelin pose la question d’une autre modernité, après le confinement : « la modernité, ce sont les machines à vapeur, l’idée de progrès, la certitude que l’homme peut être heureux. Mais on ne se rendait pas compte de l’impact sur le monde. On arrive à une période d’alarme, comment freiner cet immense paquebot du profit, du capitalisme, du modèle dominant qui nous fait faire tant de bêtises ? ».
« Quelle activité voudrais-tu arrêter ? »
David Saltiel réplique : « le confinement peut être pris comme un miracle, la moitié de la population s’arrête totalement, on peut repenser le modèle d’une modernité réflexive. Et Nicolas Michelin de reprendre « Comme le questionnaire de Bruno Latour, je pourrai dresser l’inventaire des activités qu’on aimerait ne pas reprendre. Difficile de répondre : quelle activité voudrais-tu arrêter ? Beaucoup de choses que je voudrais arrêter ne dépendent pas de moi. On peut certes travailler pour des coopératives et produire des logements qui ne cherchent pas à faire des marges. On pourrait croiser les envies, les possibles, au lieu de faire du business as usual, faire du projet dans une toute autre logique, celle qui continue à fragiliser la terre ».
Avec cette économie naturelle, Nicolas Michelin envisage que « le premier critère n’est pas le CO2 émis, mais le ré-attachement à la nature. Dans notre métier, à la question du comment faire 100 logements à tel endroit, en général les architectes et urbanistes sont sous la coupe d’un opérateur privé, ce qui représente 80 % de la commande, et conçoivent un projet avec le plus de mètres carrés possibles par rapport au terrain et la réglementation. Si on peut faire 20 000 m2 sur ce terrain, le vendeur pourra vendre et l’opérateur pourra acheter le plus cher possible. Le marché est dérégulé parce que dès le foncier, la question de l’optimisation d’une opération est posée : des fenêtres de 1,3 m de large plutôt que 1,5 m, une seule façade vitrée et pas de lumière traversante ».
« On doit pouvoir arriver à produire comme la nature, qui ne produit pas de déchets »
La solution, ébauchée sur plusieurs opérations de l’agence ANMA, notamment les Bassins à flots à Bordeaux, c’est l’archéo-géographie, ou l’économie naturelle d’un projet : « pourquoi ce terrain est orienté comme ça, comment est le sol, le vent, tout ce qui fait que ton bâtiment peut devenir aussi économique à construire et à exploiter : minimiser les terrassements, les sous-sol, orienter le bâtiment par rapport au soleil, se ré-attacher à la nature et au paysage. Aujourd’hui, on en est très loin ». David Saltiel évoque certains exemples de réutilisation, d’économie circulaire, comme « Caterpillar qui reconditionne des machines pour en refaire de nouvelles, ont doublé leurs marges et production d’engins. On doit pouvoir arriver à produire comme la nature, qui ne produit pas de déchets ».
« Une architecture issue du terrain, qui vient du sol »
Enfin, Nicolas Michelin revient sur une doxa dont il s’éloigne désormais . Depuis des années, « le fait métropolitain est vu comme une chose formidable, avec la concentration des emplois, on a tué les villes moyennes, cette logique de surconcentration a vidé les villes moyennes et les campagnes. Dans cette modernité réflexive, la métropole est en question : j’ai défendu le fait métropolitain, je sais que l’on peut faire une belle métropole, vivable, comme les pays nordiques. Mais le fait métropolitain, a pour conséquence de vider ce qui n’est pas décrit comme métropolitain, cet endroit où les aides économiques se concentrent. Je pense avoir changé d’avis. Philippe Madec en parle très bien, dans son manifeste de la frugalité heureuse, auquel j’adhère totalement. Faire 50 logements en Morbihan ou 100 en Dordogne, aucun promoteur ne voudra le faire. »
Nicolas Michelin milite pour « une architecture issue du terrain, qui vient du sol, aboutit à un projet très doux. L’inverse du spectaculaire, comme si le projet, quand le quartier sera construit, avait toujours été là ».
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