Habitat participatif : vers un nouvel essor ?

Jusque-là restée très anecdotique, la pratique de l’habitat participatif se voit dotée d’un statut juridique propre par la loi Alur du 24 mars 2014. L’article 47 de ladite loi, moins médiatique que nombre de ses autres dispositions, définit la notion d’habitat participatif et crée deux nouveaux types de sociétés. Le point avec Isabelle Carton de Grammont, associée, et Nicolas Albrespy, avocat, du département droit public des affaires de DS Avocats.

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Habitat participatif : vers un nouvel essor ?
Isabelle Carton de Grammont et Nicolas Albrespy, DS Avocats

L’habitat participatif se révèle être, bien au-delà d’un simple mode de production de logements, une démarche innovante pour ceux qui aspirent à habiter autrement. La loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (article 47) le définit en effet comme "une démarche citoyenne qui permet à des personnes physiques de s'associer, le cas échéant avec des personnes morales, afin de participer à la définition et à la conception de leurs logements, et des espaces destinés à un usage commun, de construire ou d’acquérir un ou plusieurs immeubles destinés à leur habitation et, le cas échéant, d’assurer la gestion ultérieure des immeubles construits ou acquis», cette démarche s’inscrivant «dans une logique de partage et de solidarité entre habitants".

Consacré par la loi Alur, il est resté jusqu’à ce jour une pratique embryonnaire comparativement à ce qui existe dans certains pays européens (5 % des logements suisses et 15 % des logements norvégiens, dont 40 % à Oslo, sont mis en œuvre selon des principes similaires (1)).
Au-delà de différences culturelles évidentes, le caractère confidentiel de la pratique française pouvait s’expliquer par l’absence de mécanismes juridiques spécifiques permettant la sécurisation des projets. Ceux qui s‘engageaient dans cette voie avaient alors recours à des outils variés - société coopérative de construction et société d’attribution de droit commun en tête, mais également association, simple copropriété, Vefa… - dont aucun ne répondait pleinement aux problématiques et attentes liées à l’habitat participatif.

Un nouveau cadre juridique

La loi Alur a donc ajouté au livre II du Code de la construction et de l’habitation consacré au «statut des constructeurs» un chapitre préliminaire (2) dédié à l’habitat participatif aux termes duquel sont introduits deux nouveaux types de sociétés : les sociétés coopératives d’habitants et les sociétés d’attribution et d’autopromotion.

Bien qu’ayant chacune leurs caractéristiques propres, ces deux sociétés partagent un certain nombre de principes communs. Il s’agit de sociétés à capital variable, de forme civile (3) ou commerciale, constituées pour une opération limitée à un seul ensemble immobilier destiné à accueillir la résidence principale de leurs associés personnes physiques (4). Des organismes de logement social (5) peuvent participer à la constitution de telles sociétés dans la limite de 30 % du capital ou des droits de vote et bénéficier ainsi d’une mise à disposition de logements proportionnelle à leur participation. Ces deux sociétés pourront par ailleurs développer des activités et offrir des services à leurs associés et, à titre accessoire, à des tiers non associés (6). Enfin, une charte fixant les règles de fonctionnement de l’immeuble, relatives notamment à l’utilisation des lieux de vie collective, devra être adoptée en assemblée générale et signée par tous les locataires non associés avant leur entrée dans les lieux.

La société coopérative d’habitants

La société coopérative d’habitants a pour objet «de fournir à [ses] associés, personnes physiques, la jouissance d’un logement à titre de résidence principale et de contribuer au développement de leur vie collective». Ce type de société intègre pleinement les principes de la philosophie participative et, en cela, apparaît être la formule privilégiée de cette démarche. Les associés coopérateurs tireront de la signature de leur contrat coopératif un simple droit de jouissance sur leur logement et sur les espaces de vie communs. Ce contrat précisera en outre le montant de la redevance dont ils devront s’acquitter à compter de leur entrée en jouissance effective. Cette redevance sera composée d’une fraction locative donnant droit à la jouissance du bien et d’une fraction acquisitive donnant droit à l’acquisition de parts sociales de la société. L’acquisition des parts se fera de façon différée, les associés coopérateurs remboursant graduellement les sommes qui seront prises en charge par la société lors de la construction ou de l’acquisition de l’immeuble. L’essentiel du financement initial de l’opération est donc assumé par la coopérative elle-même, l’objectif étant de permettre à tous de participer au projet, y compris aux moins aisés. Dans cette même logique, la loi Alur prévoit également la possibilité d’acquérir des parts en industrie (7). Des mécanismes anti-spéculatifs sont prévus afin que la revente des parts ne puisse donner lieu à aucune plus-value.

La société d’attribution et d’autopromotion

La société d’attribution et d’autopromotion vise à «attribuer aux associés, personnes physiques, la propriété ou la jouissance d’un logement à titre de résidence principale, et d’entretenir et d’animer les lieux de vie collective». Qu’il s’agisse d’un projet d’acquisition ou de construction d’un immeuble, les associés devront, lors de la constitution de la société, décider de l’attribution en jouissance ou en propriété des futurs logements. Dans l’hypothèse d’une attribution en propriété, la société aura en principe vocation à disparaître une fois la construction achevée pour se transformer en copropriété classique. La société sera toutefois pérenne en cas d’attribution en jouissance. A la différence de la société coopérative d’habitants, les associés devront participer au financement de l’opération dès le stade de la construction ou de l’acquisition de l’immeuble. Sans que cela ne soit un obstacle insurmontable à la mixité sociale induite par l’approche participative(8), ce type de société semble donc privilégier la participation d‘associés disposant de moyens financiers suffisants pour assumer un investissement de départ conséquent. Enfin, en raison de l’existence d’un état descriptif de division annexé aux statuts et de dispositions précises sur les conditions de dissolution de la société, la sortie du cadre de l’habitat participatif, même en cas d’attribution en jouissance, apparaît mieux encadré et donc plus facile à mettre en œuvre que pour ce qui concerne les coopératives d’habitants.

Les perspectives d’évolution

Les projets d’habitat participatif présentent de nombreux atouts. Ils véhiculent une image positive indéniable eu égard aux principes de partage, de solidarité et de démocratie qui les caractérisent et sont source de potentielles économies substantielles. L’implication des associés dès le stade de la conception permet en effet une réduction du coût global de l’opération.

Les partenaires institutionnels, banques et assurances en tête, devraient en outre être rassurés par l’existence d’un statut juridique spécifique, prévoyant notamment l’obligation pour l’assemblé générale, quel que soit le type de société choisi, d’approuver avant tout commencement des travaux les conditions techniques et financières de leur exécution.

Mais une véritable généralisation de ce mode d’habitat semble en revanche très incertaine. Les retours d’expérience montrent que l’une des principales difficultés reste la cohésion du groupe d’associés à toutes les étapes d’un projet complexe et nécessairement long. Or, si les facilités juridico-administratives induites par la loi Alur leurs épargneront de nombreux sujets de discorde, l’essor de l’habitat participatif nécessitera surtout un meilleur accompagnement des porteurs de projet bien souvent profanes en la matière (9).

Son développement dépendra en grande partie de la manière dont les acteurs locaux (collectivités, aménageurs, organismes de logement social) se mobiliseront pour promouvoir cette démarche. Les organismes de logement social ont, en particulier, un rôle déterminant à jouer tant à l’égard des institutionnels que des futurs associés qui, solidement accompagnés dans leurs démarches, pourront envisager de s’engager plus facilement dans cette nouvelle manière de vivre ensemble. En autorisant la participation active de ces organismes dans les nouvelles structures, la loi Alur a ainsi probablement offert à l’habitat participatif ses meilleures perspectives de développement.

(1) Cf. étude d’impact de la loi Alur.

(2) Articles L. 200-1 à L. 202-11 du Code de la construction et de l’habitation.

(3) En pareille hypothèse, la responsabilité des associés est limitée à leur apport dans le capital.

(4) Un décret en Conseil d’Etat viendra préciser les conditions dans lesquelles les résidences secondaires pourront être concernées par l’habitat participatif.

(5) mentionnés à l’article L. 200-4 du Code de la construction et de l’habitation : organismes d'habitations à loyer modéré, sociétés d'économie mixte mentionnées à l'article L. 481-1 du Code de la construction et de l’habitation ou organismes agrées mentionnés à l'article L. 365-2 ou L. 365-4 du même code.

(6) Le décret en Conseil d’Etat précisera également ce point.

(7) Les conditions d’acquisition de parts en industrie seront également précisées par le décret en Conseil d’Etat à venir.

(8) Les sociétés d’attribution et d’autopromotion pourront se porter partiellement caution des emprunts contractés par les associés dans les conditions fixées par l’article L. 202-11 du Code de la construction et de l’habitation. 

(9) Le dispositif national d’accompagnement et d’information des projets d’habitat participatif annoncé (cf. étude d’impact de la loi Alur) n’est toujours pas mis en place.

 

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