Gestion de parc, est-on à la veille d’une révolution ?
Quarante directeurs matériel des plus grands groupes de construction français, membres de la Confrérie des mécaniciens, se sont penchés sur la gestion informatique des parcs de matériels lors d’un débat organisé par Le Moniteur. L’évolution technique bouscule le terrain.
Sabine Ganansia
Il n’y a encore pas si longtemps, la gestion des parcs de matériels nécessitait une grande quantité de papiers : bons de commandes, factures, rapports de maintenance et d’exploitation. Puis est venu le temps de l’informatisation, où chaque service possédait ses propres bases de données. Les services matériels ont adapté, puis créé des logiciels spécifiques. Le référencement de chaque matériel dans une base de données et le suivi analytique de chaque machine forment encore le cœur des systèmes actuels. Parmi ces logiciels, ceux de la dernière génération proposent de la GMAO, gestion de la maintenance assistée par ordinateur. Une étape importante consiste à inclure cette informatique au sein de progiciels de gestion intégré (PGI, plus connus sous leur acronyme anglais ERP). Ces métaprogrammes regroupent les logiciels des différents services tout en conservant une interface pour chacun d’entre eux. Et demain ? Quels logiciels extérieurs (fournisseurs, filiales, télématique, etc.) pourront, à leur tour, s’y intégrer ? Quelles sont les limites à la dématérialisation ? Autant de questions abordées lors du débat organisé par Le Moniteur avec quarante directeurs matériel, comme celle du temps de traitement des données récupérées, avec le témoignage de Michel Poncelet, directeur matériel d’Echangeur Lyon (groupe Colas). « Pour améliorer la consommation de carburant, nous avons équipé de débitmètres avec transmission de données 700 machines de notre parc, qui nous remontent des milliers d’informations chaque jour… Au-delà de l’équipement matériel des machines, il faut beaucoup de temps humain pour exploiter ces données ! »
L’information doit être utile et utilisée
« Une information doit avoir un but précis. On doit s’assurer qu’elle est utile et qu’elle est utilisée », souligne François Renault, qui cumule la fonction de directeur matériel et celle de directeur informatique chez Kiloutou. « Le propos n’est pas de s’amuser à développer des systèmes, mais de fournir les bonnes informations à des équipes pour qu’elles fassent leur boulot. » La technique risque de noyer l’utilisateur sous un flot d’informations, mais elle pourrait également l’aider dans le traitement, anticipe Fabrice Blanc, directeur matériel délégué d’Eurovia et président de la Confrérie des mécaniciens : « Tout cela est en train d’évoluer tellement vite que demain nous pourrions avoir des systèmes qui nous permettraient, non plus d’analyser toutes les données, mais de juste mettre des alertes à certains endroits. De cette façon, nous pourrions descendre dans le détail et voir ce qui se passe. » Encore faut-il que l’outil informatique soit taillé sur mesure pour le service matériel, ce qui n’est pas toujours le cas. « Souvent, c’est la direction générale qui décide du type d’ERP pour le groupe. Nous avons un métier particulier et il est important d’avoir un progiciel qui corresponde à nos besoins, et de ne pas se laisser imposer celui de nos exploitants, qui, eux, veulent avoir un ERP de suivi de chantier ou de consolidation rapide au niveau des comptes du groupe », met en garde Jean-Philippe Chaubier de SAML, filiale du groupe Fayat.
Reste que l’informatisation ne se résume pas à la seule technique. Elle pose des problèmes humains, financiers et organisationnels que Michel Ducasse, directeur des ressources techniques d’Eurovia, a pointés non sans humour : « L’ERP permet une intégration totale quelque soit le pays, la langue, qui fait que très rapidement on parle le même langage. De ce point de vue, c’est quelque chose de très positif. Mais c’est tout de même un outil qui peut multiplier les problèmes tout en en réglant quelques uns ! C’est un fantasme total. Quand on l’achète on vous explique qu’il va tout remplacer, et que si vous payez assez cher pour ajouter tous les modules, vous pourrez tout faire. Et très rapidement, on se retrouve avec une trentaine de satellites et d’interfaces qui ne communiquent plus… Quand on gère du matériel, on a besoin d’inventaires, de gestion, de comptabilité analytique, de suivis, de budgets et de technique. Combien de ces points sont résolus par les systèmes intégrés ? L’ERP qui marche le mieux, c’est Excel ! »
Fabrice Blanc Directeur matériel délégué d’Eurovia et président de la Confrérie des mécaniciens
« Il ne faut pas avoir peur de mettre nos données sur la place publique. »« On peut avoir peur d’un certain nombre de systèmes qui nous prennent nos informations et les mettent sur la place publique. Mais aujourd’hui les jeunes qu’on embauche sont sur Facebook, Viadeo, LinkedIn, et autres réseaux sociaux. Et notre évolution sera là aussi. Il ne faut pas avoir peur de mettre nos informations sur la place publique. La preuve, dans la Confrérie on les met en commun depuis plus de cinquante ans ! Demain nous arriverons à travailler mieux comme ça. »
Jacques Perron Directeur de Fayat construction achats et investissements
« L’ERP est le reflet de la culture de l’entreprise. »« Une interface avec une plateforme extérieure, même si elle est assez simple, ne correspond pas forcément aux besoins du service matériel qui recouvrent la technique, la gestion proprement dite avec les mouvements du parc et une interface comptable importante qui génère la facturation du matériel. L’ERP est le reflet de la culture de l’entreprise. Il faut également souligner que les ERP nécessitent une importante formation des personnes qui les utilisent si on veut une bonne véracité des données exploitées par la suite. »
François Renault Directeur matériel et informatique de Kiloutou
« Un investissement de 1,5 million d’euros par an. »« Un matériel qui entre chez Kiloutou est référencé par le service achats. Celui-ci saisit dans l’ERP toutes les informations techniques qui seront consultables par les équipes commerciales pour s’assurer de la disponibilité, ou par les techniciens pour le suivi des visites périodiques. C’est un outil unique qui permet de gérer les pièces détachées, suivre ses approvisionnements, programmer l’entretien préventif, suivre la productivité des techniciens, etc. Cet outil représente un investissement important : 1,5 million d’euros par an pour un budget informatique total de 10 millions d’euros, à rapprocher d’un chiffre d’affaires de 400 millions. »
Jean-Michel Bordes Directeur du matériel chez Eiffage Construction
« Nous avons développé en interne un système de traçabilité. »« Les matériels du bâtiment, comme les étais ou les coffrages, n’ont pas forcément de numéros de série comme en ont les gros engins de travaux publics. Nous avons donc développé en interne un système de traçabilité avec des puces RFID. Nous installons un « tag » sur nos matériels et lui attribuons un numéro. Quand elle le lit, la personne qui assure l’entretien et la réparation fait apparaître une fiche qu’elle peut modifier. Cela va nous aider aussi à gérer les entrées et les sorties. Les puces sont lues lors du chargement du camion et un bon de livraison est édité qui est remis directement au livreur. Simultanément, le matériel est localisé sur son futur chantier pour facturation. »
Philippe Brissonneau Directeur matériel du groupe Colas
« Comment faire face et traiter des dizaines de millions d’informations ? »« Dans des groupes comme les nôtres, la dimension internationale nous oblige à réfléchir l’outil GMAO dans un contexte multilangue, et à maîtriser une quantité de situations avec une qualité de réponses techniques qui doit être égale de Copenhague à Cape Town, de Bangkok à Los Angeles, en passant par Cotonou… Quand on a des matériels qui vivent dix, vingt, voire trente ans dans l’industrie, alors forcément les générations de machines se superposent et il faut gérer ces décalages. Enfin, comment traiter ces dizaines de millions d’informations qui circulent ? Nous voilà avec énormément de données techniques, événementielles, et financières : interrogeons-nous bien sur qui fait quoi avec tout cela. »
La confrérie des mécaniciensLa Confrérie des mécaniciens de travaux publics est une association née en 1960. Elle compte 109 membres dont 45 retraités, « décideurs du service matériel de leurs entreprises respectives avec un but commun : exploiter au mieux le parc dont ils ont la responsabilité ». Le parc de l’ensemble des directeurs matériel réunis au sein de la Confrérie des mécaniciens représente 80 % des machines utilisées en France.