Entente dans les travaux publics en Ile-de-France
Décision du conseil de la concurrence du 21 mars 2006 relative aux pratiques mises en oeuvre dans le secteur des travaux publics
Sommaire
Décision n° 06-D-07 du 21 mars 20063
I. Constatations3
A. LE SECTEUR, LES ENTREPRISES3
1 - LE SECTEUR3
2 - LES ENTREPRISES3
3 - L’HISTORIQUE DU DOSSIER3
B. LES APPELS D’OFFRES CONCERNES ET LES PRATIQUES RELEVÉES4
1 - L’ENTENTE GÉNÉRALE4
2. LES APPELS D’OFFRES CONCERNES ET LES PRATIQUES RELEVÉES, MARCHE PAR MARCHE.7
C. LES GRIEFS NOTIFIES38
1 - Le grief d’entente générale39
2 - Les griefs d’entente lors de chaque appel d’offres39
II. Discussion47
A. SUR LA PROCÉDURE47
1. Sur la prescription47
2. LA DURÉE DE LA PROCÉDURE49
3. SUR LA DÉCISION DE SAISINE D’OFFICE50
4. SUR LA COMMUNICATION DU DOSSIER PÉNAL52
5. SUR LES NOTIFICATIONS DE GRIEFS55
6. SUR LE RAPPORT58
7. SUR LA RÈGLE NON BIS IN IDEM58
B. SUR LES PRATIQUES59
1. SUR L’ENTENTE GÉNÉRALE59
2. ENTENTES PROPRES A CHAQUE MARCHE65
3. Sur l’imputabilité des pratiques et les suites à donner83
4. Récapitulation des sociétés à mettre hors de cause ou à l’égard desquelles aucune pratique ne peut être retenue.87
5. SUR LES SANCTIONS87
DÉCISION94
Décision n° 06-D-07 du 21 mars 2006 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteurdes travaux publics dans la région Ile-de-France
Le Conseil de la concurrence (section IV),
Vu la décision, relative à la saisine F 949, en date du 13 mars 1997, et par laquelle le Conseil de la concurrence s’est saisi d’office de la situation de la concurrence dans le secteur des travaux publics constatée à l’occasion de la passation de divers marchés publics dans la région Ile-de-France ;
Vu le livre IV du code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié et le décret n° 02-689 du 30 avril 2002 fixant les conditions d’application du livre IV du code de commerce ;
Vu les observations présentées par les sociétés Bec frères, Bilfinger Berger, Botte Fondations, Bouygues Bâtiment Ile-de-France, Bouygues SA, Campenon Bernard Construction, Chantiers Modernes, Coccinelle (La), Colas SA, Colas Ile-de-France Normandie, Compagnie Générale des eaux, Creusement et Soutènement Mécanisé (C.S.M. Bessac), Demathieu et Bard, Devin Lemarchand Environnement, DG Entreprise, Effiparc IDF, Eiffage, Eiffage TP, Emulithe, Europe Fondations, Fougerolle-Ballot, France travaux, Franki Fondations, GTM Construction, Guintoli, HBW, INEO, Lyonnaise des Eaux, Montcocol, Nord France Eau Environnement (NFEE), PARENGE, Rabot Dutilleul Travaux Publics, Razel, Sacer Paris Nord Est, Sade CGTH, Satelec, SBTP, Schneider Electric SA, Screg IDF Normandie, Sefi Intrafor, Sogea Construction, Soletanche Bachy France, Spie Batignolles TPCI, Spie Fondations, Spie Trindel, SPM (Les Paveurs de Montrouge), STP et TP, TPI, Urbaine des travaux, Valentin, Vinci, Vinci Construction, par les mandataires judiciaires des sociétés Entreprise Chagnaud, Nord France TP et Muller TP et par le commissaire du gouvernement ;
Vu les autres pièces du dossier ;
La rapporteure, la rapporteure générale adjointe, le commissaire du Gouvernement et les sociétés Bec frères, Bilfinger Berger, Botte Fondations, Bouygues Bâtiment Ile-de-France, Bouygues SA, Campenon Bernard Construction, Chantiers Modernes, Coccinelle (La), Colas SA, Colas Ile-de-France Normandie, Compagnie Générale des eaux, Creusement et Soutènement Mécanisé (C.S.M. Bessac), Demathieu et Bard, Devin Lemarchand Environnement, Effiparc IDF, Eiffage, Eiffage TP, Emulithe, Europe Fondations, France travaux, Franki Fondations, GTM Construction, Guintoli, INEO, Lyonnaise des Eaux, Montcocol, Nord France Eau Environnement (NFEE), PARENGE, Rabot Dutilleul Travaux Publics, Razel, Sacer Paris Nord Est, Sade CGTH, Satelec, SBTP, Schneider Electric SA, Screg IDF Normandie, Sefi Intrafor, Soletanche Bachy France, Spie Batignolles TPCI, Spie Fondations, Spie Trindel, SPM (Les Paveurs de Montrouge), STP et TP, TPI, Urbaine des travaux, Valentin, Vinci, Vinci Construction entendues lors de la séance des 21 et 22 novembre 2005, les sociétés DG Entreprise, Eiffage construction, Entreprise Chagnaud, HBW, Muller TP, Nord France TP, Sogea Construction et Union des travaux ayant été régulièrement convoquées ;
Adopte la décision suivante :
I. Constatations
A. LE SECTEUR, LES ENTREPRISES
1 - LE SECTEUR
1. La nomenclature des activités établie par la Fédération nationale des travaux publics (FNTP) distingue douze catégories principales de travaux publics : les travaux routiers, les terrassements généraux, les travaux souterrains, les travaux de pose de canalisations à grande distance et de réseaux de canalisations industrielles, les travaux de la filière eau, les travaux électriques, les fondations spéciales, les travaux en site maritime, les voies ferrées, les ouvrages d’art et d’équipement industriel, les ouvrages d’art et d’équipement industriel en construction métallique et les travaux de génie agricole.
2 - LES ENTREPRISES
2. Parmi les entreprises concernées, nombre d’entre elles appartiennent aux cinq grands groupes de bâtiment et travaux publics (BTP) français existant à l’époque : le groupe Bouygues, premier groupe européen en matière de travaux publics, le groupe Société Générale d’Entreprise (SGE), pôle BTP de la Compagnie générale des Eaux (comprenant notamment Campenon Bernard et Sogea), le groupe Lyonnaise des Eaux – Dumez GTM (comprenant notamment Chantiers Modernes), le groupe Eiffage, issu du regroupement de Fougerolle et de la SAE (sociétés Borie et Quillery notamment) et le groupe Schneider (sociétés Spie Batignolles et Spie Citra).
3 - L’HISTORIQUE DU DOSSIER
3. Au second semestre 1994, Mme X…, épouse d’un ancien ingénieur licencié par Bouygues, a adressé des courriers à un certain nombre d’autorités pour dénoncer l’utilisation d’un logiciel dit « Drapo » –Détermination Aléatoire du Prix de l’Offre- à des fins anti-concurrentielles. L’objet de cet outil informatique dont son mari avait été chargé de réécrire une nouvelle version était, précisait-elle, de fournir des données chiffrées à des sociétés afin qu’elles puissent présenter des offres de couverture dans les marchés publics.
4. Constatant que cette personne ne pouvait être regardée comme une entreprise et n’avait donc pas qualité pour saisir le Conseil, le président du Conseil de la concurrence, destinataire d’un des courriers, a répondu en lui suggérant de s’adresser au procureur de la République ou à la DGCCRF.
5. Saisi parallèlement par une autre voie, le procureur de la République de Paris, a fait procéder le 6 décembre 1994, à une enquête préliminaire puis s’est dessaisi en faveur du procureur de la République de Versailles, lieu du siège social de la société Bouygues, lequel a ouvert une information judiciaire le 30 juin 1995 du chef de pratiques anticoncurrentielles, infraction prévue et réprimée par les articles 7, 8 et 17 de l’ordonnance du 1er décembre 1986.
6. Le 24 mai 1995, la DDCCRF des Yvelines a adressé au président du Conseil de la concurrence un dossier établi à la suite de la plainte déposée par M. X…, dossier sur lequel le procureur de la République adjoint de Versailles souhaitait obtenir son avis. Dans sa réponse du 11 juillet 1995, le président du Conseil de la concurrence s’est borné à donner des renseignements relatifs à la jurisprudence du Conseil et a retourné au procureur de la République les documents transmis, le Conseil ne pouvant être saisi d’une demande d’avis que par une juridiction.
7. Fin 1995 notamment, la presse s’est fait l’écho des développements de l’instruction menée à Versailles par le juge saisi du dossier, M. Y… (articles intitulés « Un logiciel étrange fait trembler le bâtiment », « le groupe Bouygues est fragilisé par l’affaire Drapo », « Bouygues : nouvelle perquisition au siège social », « Bouygues candidat au titre d’entreprise la plus perquisitionnée », « La série noire continue en sous-sol pour Bouygues », « Les grands chantiers de Bouygues passés au crible », cotés 308 à 315 du rapport).
8. Le 13 mars 1997, le Conseil de la concurrence s’est saisi d’office de la situation de la concurrence dans le secteur des travaux publics constatée à l’occasion de la passation de divers marchés publics dans la région Ile-de-France.
9. En application de l’article 26 de l’ordonnance du 1er décembre 1986, devenu l’article L. 463-5 du code de commerce, une demande aux fins de communication des procès-verbaux et des rapports d’enquête ayant un lien direct avec les faits dont le Conseil s’était saisi, a été adressée au juge d’instruction de Versailles le 2 mai 1997. La remise de copies de ces documents a été effectuée les 11 octobre 1999 et 10 février 2000.
10. Les pièces et documents communiqués par le juge d’instruction au Conseil de la concurrence et, en particulier, le rapport d’enquête de la DGCCRF établi sur commission rogatoire de ce juge ont mis en évidence des indices de pratiques anticoncurrentielles. Les investigations ont porté d’une part, sur l’existence d’une entente générale entre les chefs de file de groupes du BTP qui, grâce à un système de tours de table, auraient organisé, préalablement aux appels d’offres, une répartition des marchés de travaux publics de la région Ile-de-France avec un système de compensations et de dépôt d’offres de couverture. Elles ont porté d’autre part, sur l’existence d’ententes concernant chaque appel d’offres qui soit seraient l’illustration du fonctionnement des « tables de répartition », soit se situeraient dans leur prolongement, soit résulteraient d’une concertation propre au marché considéré, inclus dans le même secteur géographique et afférent au même secteur d’activité.
11. Au vu des éléments rassemblés, les rapporteurs ont établi, successivement, trois notifications de griefs, adressées aux parties et au commissaire du Gouvernement, la première les 14 juin et 15 septembre 2000, les deux autres à titre complémentaire, l’une le 9 novembre 2001, l’autre le 29 octobre 2004.
B. LES APPELS D’OFFRES CONCERNES ET LES PRATIQUES RELEVÉES
1 - L’ENTENTE GÉNÉRALE
12. Plusieurs responsables d’entreprises ont évoqué, lors de leur audition, l’existence d’une concertation généralisée organisée entre les « majors de la profession » des travaux publics, concertation organisée sous forme de répartitions de marchés dénommées « tours de tables ». Le dossier comporte également un certain nombre de documents se référant à des « tables » ou « tours de tables ».
13. M. Z…, ingénieur d’études de prix au service Études de Prix de la société Nord France TP jusqu’en janvier 1995 a déclaré le 25 octobre 1995 (cotes 453 – 454 du rapport) : « M. A…, PDG et M. B… définissent les marchés qu’ils souhaitent pour Nord France, où l’entreprise doit être présente. Dans la profession il existe des tours de tables, c’est-à-dire que les responsables des entreprises, qui connaissent les marchés à venir, se réunissent et indiquent aux autres leurs vœux, c’est-à-dire les chantiers qu’ils souhaitent obtenir. Pour Nord France TP, à ma connaissance, ce sont MM. A… et B… qui participent à ces tours de table. Ensuite lorsque l’appel d’offres sort il faut identifier les entreprises consultées ou sélectionnées, rôle dévolu à MM. A… et B…, qui les contactent pour connaître leur position ; si ils remettent ou non une offre. Si Nord France revendique un marché et obtient des confrères leur accord, pour les laisser passer et donc couvrir, Nord France va faire son étude de prix, ce qui n’exclut pas que les autres ne fassent pas un dossier complet puisqu’il faut aussi répondre au cahier des charges, fournir des certifications, fournir des plans, décrire la méthode, etc… Dans un certain nombre de cas Nord France prépare pour les confrères des grilles de prix leur indiquant par grand poste et au final les prix à remettre. Ces grilles étaient préparées par M. B… et son adjoint à l’époque M. Dominique C…, qui était chargé de les communiquer aux confrères ; en général par téléphone. De son côté Nord France reçoit ou recevait des grilles quand c’est à elle de couvrir soit par téléphone, soit déposé sur place entre les mains du chef des études, du directeur technique ou du commercial. Après usage ces grilles ne sont pas conservées ».
14. M. D…, responsable du service Étude de Prix de la société Nord France TP jusqu’en décembre 1994 a déclaré le 8 janvier 1996 (cotes 456 à 457 bis du rapport) :
« Au service des études de prix nous savions qu’il existait des concertations entre les entreprises, et nous avions entendu parler du terme de stables. Pour moi cela signifiait que les entreprises se réunissent autour d’une tables pour convenir entre elles des marchés qu’elles souhaitent obtenir en fonction de leurs objectifs de chiffre d’affaires. Il m’est impossible d’en dire plus car le service études de prix ne participait pas à ces tables, nous en avions connaissance par ouï-dire.
Les ingénieurs d’études préparent l’étude de prix pour un chantier pour Nord France en fonction des paramètres techniques. Ce travail achevé il y a, suivant le montant des affaires, soit un comité des risques au dessus de 20 millions de francs, soit un simple arrêt de prix, avec MM. A… et B…, ou l’un des deux seulement, et au comité des risques un représentant de la Direction Générale de Nord France. Ceux-ci fixaient le prix défini. Ce sont donc eux qui ont le pouvoir de décision en matière de prix et qui sont donc susceptibles de participer aux tables avec la profession. Concernant ces tables je ne les connais pas toutes, j’ai surtout souvenir de tables par département pour la région parisienne, à savoir le 92, le 93, le 78.
Il m’est arrivé de préparer, ou de faire préparer par des ingénieurs d’études, outre l’étude de prix pour NFTP, des montants, des listes de prix ou des grilles, pour des confrères, afin qu’eux-mêmes les remettent comme offres, les montants qui leur étaient proposés étant bien entendu supérieurs à l’offre de NFTP. En général, c’est le directeur commercial qui me demandait de préparer ces documents, sans toujours me dire à qui ils étaient destinés. Par rapport à l’offre NFTP je lui proposais des montants soit le prix total de l’offre qu’il approuvait ou qu’il remaniait. Parfois, outre le montant total, il me demandait de préparer la liste des prix afférente. Vous me demandez de vous citer des affaires pour lesquelles il m’a été demandé de préparer des montants pour des confrères. A brûle pourpoint, il m’est très difficile de me souvenir d’affaires précises.
Il m’est arrivé aussi de recevoir, soit par téléphone, soit par MM. A… ou B…, soit beaucoup plus rarement par téléphone ou par porteur, des montants de soumission à remettre, au profit de confrères. A mon niveau il ne m’était pas possible de savoir qu’elle était l’entreprise bénéficiaire, car c’était ma hiérarchie qui me signalait que pour telle affaire telle personne allait me contacter pour indiquer le prix à remettre. Là où compte tenu du très petit nombre d’études sur lesquelles nous devions travailler (6 à 10 par mois), il m’est très difficile de me souvenir d’affaires précises. Je peux toutefois citer le Pont Charles de Gaulle à Paris.
Je précise que le service études de prix ne savait pas à l’avance les affaires arrangées ; chaque ingénieur faisait son étude sur des bases normales. C’est au dernier moment qu’était indiqué le prix final à remettre, dans tous les cas de figures, et lorsque nous recevions de l’extérieur des montants à remettre, c’était aussi au dernier moment avant la date de remise des offres, voire la veille le plus souvent ».
15. Ayant pris connaissance des dépositions de MM. D… et Z…, M. B… directeur général adjoint de la société Nord France TP, a d’abord déclaré, lors de son audition du 16 janvier 1996 : « Ces déclarations relèvent du fantasme et je suis sidéré de les entendre ». Dans sa deuxième déposition, il a évoqué l’existence d’échanges d’informations qui « interviennent tantôt avant la remise des offres, tantôt après la remise. Il nous arrive dans certains cas d’aborder le montant des offres respectives et si cela est fait avant la remise des offres, nous n’en tenons pas compte pour modifier le montant de notre offre car ces informations ne sont peut-être pas sincères » (cotes 458 à 461 du rapport). Lors de sa troisième déposition le 17 janvier 1996, il a indiqué : « Je soupçonne l’existence de réunions entre grandes entreprises sur les marchés qui vont être lancés » et cité comme participants vraisemblablement à ces réunions « Générale des eaux, Lyonnaise des eaux, Eiffage, Bouygues ». (cotes 462 – 463 du rapport).
16. Les dépositions précédemment évoquées ont été communiquées à M. A…, PDG de Nord France TP, qui a fait les déclarations suivantes le 17 janvier 1996 (cotes 464 à 466 du rapport) :
« Question : Dans votre première déposition, vous avez indiqué que Messieurs D… et Z… font une interprétation de discussions entre vous qui dénotent des tables parisiennes dont nous supposons l’existence. Pouvez-vous être plus précis sur ce point ?
Réponse : J’ai connaissance qu’il existe des sociétés qui sur des tables bien particulières essaient de s’octroyer des parts de marchés. Cela fait l’objet de discussions préalables au cours desquelles elles indiquent les marchés qu’elles souhaitent obtenir.
Question : Comment le savez-vous ?
Réponse : Toute la profession est au courant.
Question : Quelles sont les sociétés qui participent à ces tables ?
Réponse : Les grands leaders. Nous sommes obligés de passer par ces grands leaders.
Question : Participez-vous avec ces grands leaders à ces discussions au travers d’un groupement ?
Réponse : Non, c’est le leader qui discute.
Question : Quels sont les grands leaders ?
Réponse : Bouygues, Fougerolles, Lyonnaise des Eaux et Générale des Eaux et Spie. Question : Avec qui intervenez-vous ?
Réponse : C’est variable bien que j’aie des affinités avec SPIE pour des raisons historiques.
Nous sommes obligés de subir le système parfois mais nous nous démarquons le plus souvent ».
17. M. E…, directeur chargé du génie civil au sein de la société Sogea (cotes 467 à 470 du rapport) a déclaré : « Vous me présentez au scellé I du 13 septembre 1995, de la société Bouygues, bureau de M. F…, le feuillet 93 où sont mentionnées 10 tables sur la région parisienne dont un METEOR + EOLE. Vous me demandez ce que c’est qu’une table. Je pense que c’est la réunion de plusieurs entreprises en vue de prévoir une affectation des affaires entre elles (…)».
18. M. G… directeur général adjoint de la société Chagnaud, et responsable des travaux publics France Nord a déclaré le 9 juillet 1996 (cotes 471 à 475 du rapport) : « Vous me demandez si j’ai connaissance de tables de répartition des affaires. Je ne peux dire effectivement que j’ignore que cela existe, j’en ai entendu parler par mes confrères de la profession, à diverses occasions. Il m’est arrivé, lorsque Chagnaud s’intéressait à une affaire, qu’on me fasse savoir qu’un confrère était positionné ou très intéressés, ce qui sous-entendait qu’il y avait un consensus entre des entreprises, et que nous risquions de le perturber.
Ce système de tables concerne essentiellement les grosses affaires, et de fait ne nous concerne pas ou peu directement. Sur de gros projets nous nous associons avec un partenaire important qui va suivre l’affaire, comme cela a été le cas pour le Bassin du Grand Stade. Chagnaud peut se lancer seule sur des affaires jusqu’à 20/30 millions de francs, au-delà, pour répartir les risques, il vaut mieux s’associer.
Dans ces associations nous recherchons des partenaires équivalents à nous ayant la même culture que nous : démarche qualité, certification (9001) un bureau d’études. Chagnaud est une entreprise moyenne, indépendante des grands groupes, et elle ne joue pas de rôle moteur dans ces tables de répartition ».
19. M. H…, directeur commercial de la société Chagnaud jusqu’en 1995, a déclaré le 10 juillet 1996 (cotes 476 à 478 du rapport) : « Effectivement je savais qu’il existe des discussions entre les entreprises des grands groupes, en vue de se partager, de se favoriser plutôt pour obtenir les grandes opérations. J’ai entendu effectivement parler de ce terme de tables, où des entreprises se réunissent pour émettre leurs vœux vis-à-vis des affaires qui sortent, leurs souhaits d’obtenir telle ou telle affaire. On entendait parler de ces tables au cours de réunions diverses dans la profession, au détour de conversations. Je ne puis dire avec précision quelles étaient ces tables. Tout au plus je pouvais penser qu’il en existait là où Chagnaud n’arrivait pas à avoir d’affaire. Je pense par exemple à EOLE, aux gros travaux pour l’Aéroport de Paris sur Roissy. Il est arrivé, pour certaines affaires que je suivais, qu’une entreprise m’indique qu’elle était très intéressées par cette affaire et qu’elle souhaitait l’obtenir ».
20. Une note manuscrite non datée rédigée par M.F…, directeur du service travaux publics de la région parisienne (TPRP) de la société Bouygues, intitulée « Politique commerciale TPRP », saisie au sein de la société Bouygues le 13 septembre 1995 (cote 479 du rapport) indique :
« 1988
199 (…) By 8 %265 MF (…)
Organisation commerciale :
(DDE : 78/95, 92, 93, 94)
(VdP) Part BY
10 TABLES (Paris nord -> SNCF)
(Météor-Eole) 8 à 10 %
(Béton à plat)
(SIAPP : 2.)
Accroissement du nombre d’entreprises sur le marché (…)
(…) 1991, 92, 93 TPRP traite environ 15 affaires par an - 60 à 80 % dans un contexte organisé.
(…) L’afflux des entr. extérieures à la région parisienne entraîne les difficultés.
Le mauvais comportement Lyonnaise, Be, Mont, Guintoli, Quillery entraîne la perte de confiance ».
21. Cette note fait état de dix tables :
– Quatre pour des directions départementales de l’équipement de la région parisienne,
– Une pour la ville de Paris (initiales VDP),
– Une pour les projets Météor et Eole,
– Une concernant le secteur Paris Nord de la SNCF,
– Une pour les travaux en « béton à plat »,
– Et deux concernant le Syndicat intercommunal d’assainissement de l’agglomération parisienne (SIAAP).
22. La part attribuée à Bouygues sur l’ensemble de ces tables est évaluée à 8 –10 %.
23. Un document manuscrit, saisi également le 13 septembre 1995 au sein de Bouygues SA (cote 480 du rapport), également non daté, établi par M. I…, directeur du développement de TPRP Bouygues contient les annotations suivantes :
« Clôture avec le SIAAP sera faite pour le Grand Stade (…)
Vu avec Bieza
rappeler 1- W…, V… Barber
2- O… R… - balinot
3– 21... –1... +Séfi
4– 2...-B… (NF) + (illisible)
5– 25...-27...-28... (illisible)
6– 3... + (illisible)
7– 23...
Générale2 x 1,2 = 2, 4 = 3, 08
Lyonnaise 2 x 1,2 = 2,4
Eiffage2,5x 1,2 = 3 Fg Balt+ Quill-Borie
Spie Citra 1 x 1,2 = 1,2 By = 0
BY 1,12 = 1,5 x1,2 = 1,8Qui = 0
Tpi = 0
« Résultat table stations : 1 Borieretard + 1 5
2 CB-8
3 CMavance -10
4 Fgavance - 8
5 GTMretard + 10
6 Citraretard +25 ».
24. Ainsi, en concertation avec sa hiérarchie (mention « vu avec Bieza »), le directeur du développement des travaux publics de la région parisienne de Bouygues SA fait, dans ce document, la liste de confrères « à rappeler », puis énumère cinq grands groupes de travaux publics, en l’occurrence les cinq majors de la profession à l’époque, avec des indications chiffrées :
– Le groupe Bouygues (abréviation « BY ») ;
– La Compagnie Générale des Eaux (« Générale »), qui intervient par l’intermédiaire de la Société Générale d’Entreprise (S.G.E.) et ses filiales parmi lesquelles figurent, en premier lieu, les sociétés Campenon Bernard SGE et Sogea ;
– Le groupe Suez-Lyonnaise des Eaux (« la Lyonnaise »), opérateur sur le marché par le biais de GTM et ses filiales (Chantiers Modernes notamment) ;
– Le groupe Eiffage, dont dépendent notamment Borie, Quillery, Razel et Fougerolle-Ballot (« Fg Balt + Quill-Borie ») ;
– Le groupe Spie-Batignolles (détenu à plus de 58 % par la société Financière Spie) qui intervient sur le marché notamment par l’intermédiaire des sociétés Spie Citra et Spie Batignolles TP.
25. Ce document présente en outre un décompte intitulé « résultat table stations », avec un classement d’entreprises (de 1 à 6) ayant des « avances » ou des « retards » : « CB » sont les initiales de Campenon Bernard, « CM » sont celles de Chantiers Modernes, « FG » celles de Fougerolle, « GTM » celles de Grands Travaux de Marseille et « CITRA » désigne Spie-Citra.
26. Un cahier de notes manuscrites rédigées par M. A…, directeur général de la société Nord-France Travaux Publics (NFTP), portant la date du 2 juin 1992, a été saisi, le 18 octobre 1995 au sein de cette société (cotes 481 à 483 du rapport). Les travaux sont classés selon les donneurs d’ordre, les deux départements 78 et 95 formant ensemble une seule rubrique.
27. Figure en outre dans le même cahier, une liste (cote 484 du rapport) qui fait notamment référence aux tables « Meteor-Eole » et « 78/95 », regroupées. Ces notes ne sont pas datées mais se situent, chronologiquement, entre des notes, qui sont, elles, datées des 14 et 15 mai 1992.
28. Dans un autre cahier appartenant à M. A… (cote 485), il est également indiqué : « Les tables -> 25/30 % du C. A ».
29. Auditionné sur ces notes, leur rédacteur a expliqué qu’il s’agissait d’un recensement des affaires, par maître d’ouvrage, devant faire prochainement l’objet d’appels d’offres.
30. Une note manuscrite, de type « post-it » et intitulée « comment voir l’avenir », saisie chez le directeur commercial de la société Nord France TP, M. B…, fait apparaître les mentions suivantes (cote 486 du rapport) :
- « contact profession
- organiser tables et alliance,
- coordonner avec P. CH et CT.
- -> donc s’éloigner des études”.
31. M. B… a déclaré (cotes 462 - 463) : « Il s’agit bien des notes que j’ai écrites moi-même. Par contact professionnel, j’entends la nécessité de prendre des contacts avec des professionnels dans le but d’être plus performant en organisant avec les bureaux d’études de ces confrères des tables afin d’aboutir à une alliance ».
32. Plusieurs notes manuscrites ont été saisies dans le bureau de M. J…, de la société Quillery. Sur l’une, datée du 1er mars 1994 (cote 487 du rapport), il est indiqué : « Table Paris-Nord -> étendue à l’ensemble des aff. SNCF ».
33. Sur une autre (cote 489), il est mentionné : « TABLE RATP :
– ligne 13 –lot 1
– lot 2
– ventilation ».
34. Pour leur rédacteur, il s’agit de la « mise en commun en interne de la clientèle SNCF », le mot « table » signifiant « les affaires concernant la SNCF direction Paris-Nord ».
35. Plusieurs documents ont été saisis dans le bureau de M. K…, directeur de l’agence Paris/Ile de France et Est de la société Soletanche. Sur l’un, daté du 6 février 1993 (cote 491 du rapport), il est indiqué : « une table Sagep. Razel n’est pas dedans. Ne couvre pas pour l’instant ». Un autre, daté du 10 avril 1995 (cote 492 du rapport), mentionne une somme de 600 kF et indique « oui mais paix à la table ! sinon on paie à la table ». Une troisième note manuscrite, datée du 4 février 1994 (cote 493 du rapport) porte les mentions suivantes : « RATP CASANOVA - BOUYGUES est bien placé (table) ».
2. LES APPELS D’OFFRES CONCERNES ET LES PRATIQUES RELEVÉES, MARCHE PAR MARCHE.
36. Les marchés ont été regroupés en fonction des donneurs d’ordre et leur numérotation suit celle du rapport : les marchés de la SNCF (n° 1 à 11), les marchés de la RATP (n° 12 à 23), les marchés de l’EPAD (n° 41 et 42), les marchés du SIAAP (n° 30, n° 43 à 57), les marchés des différents départements organisés soit par la DDE, soit par le Conseil général, du département de l’Essonne 91 (n° 24 et 25), du département des Hauts-de-Seine 92 (n° 26 à 29), du département de Seine-Saint-Denis 93 (n° 31 et 32), du département du Val de Marne 94 (n° 33 à 37), du département de Seine et Marne 77 (n° 38), du département des Yvelines 78 (n° 39), un marché de la Ville de Paris (n° 40), et un marché de l’aéroport de Paris (n° 58).
a) Les marchés SNCF
37. Deux documents manuscrits ont été retrouvés dans les locaux de la société Quillery. Ils ont été établis par M. J…, un de ses salariés.
38. Le premier, en date du 1er mars 1994 (cote 488 du rapport), mentionne : « Affaire Gare de Puteaux – GTM/Citra
BS 13 Semapa/AIF – Sogea/D.G.
- RD 50
– Pt Michelet
table PARIS NORD -> étendue à l’ensemble des af SNCF RP
Tunnel de Breval =
Étang la Ville = D. G
Pont des Muses = ».
39. Le second, daté du 12 avril 1994 (cote 487 du rapport), mentionne :
« SNCFNF -> pt de Magny
EQ -> RD 50
BY -> Jean Mermoz à Versailles
RD 48 à Cormeil
DG -> St Cloud
Étang la Ville
Fg -> Escade d’Orly ?
CD PT NITARD (Argenteuil) ».
1 - La suppression du PN 14, rue Jean Mermoz à Versailles
• - La procédure d’appel d’offres
40. Les travaux consistaient, sur la ligne Paris-Invalides/Versailles Rive Gauche, en la suppression du PN 14, au km 16+572, à Versailles. L’avis d’appel à candidatures a été publié le 19 décembre 1995, la date limite de réponse étant fixée au 19 janvier 1996. 33 candidatures ont été reçues, 23 retenues. L’appel d’offres a été lancé le 31 janvier 1996, la date limite de remise des offres étant fixée au 18 mars 1996. Le dépouillement est intervenu le 20 mars 1996.
41. Le tableau suivant récapitule les offres reçues : TABLEAU
42. Seules les sociétés Bouygues et Soletanche ont présenté des variantes à la fois techniques et de délai.
43. La SNCF a retenu, pour l’attribution, la variante de la société Bouygues à 8 363 630 HT, inférieure de 18,6 % à la variante de Soletanche et inférieure de 17,7 % à la solution de base de Soletanche.
• – Les pratiques relevées
44. Le document manuscrit évoqué plus haut daté du 12 avril 1994, trouvé dans les locaux de la société Quillery (cote 487 du rapport), soit 11 mois avant l’ouverture des plis, porte la mention : « BY -> Jean Mermoz à Versailles » (BY : Bouygues).
2 - L’élargissement de la RD 50 à Issy-Les-Moulineaux
• – La procédure d’appel d’offres
45. Les travaux consistaient, sur la ligne Puteaux/Issy Plaine, à procéder à la reconstruction du pont-rails de la rue Rouget de l’Isle pour l’élargissement de la route départementale 50. L’appel d’offres a été lancé le 13 décembre 1994, la date limite de remise des offres étant fixée au 10 janvier 1995. 23 entreprises ont été consultées. Le dépouillement est intervenu le 11 janvier 1995.
46. Le tableau suivant récapitule les offres reçues : TABLEAU
47. L’entreprise Quillery, moins disante, a été déclarée adjudicataire.
• – Les pratiques relevées
48. Le document rédigé par un des salariés de la société adjudicataire du marché, M. J…, et daté du 12 avril 1994 (cote 487 du rapport) soit 9 mois avant l’ouverture des plis, porte la mention : « EQ -> RD 50 » (Eq : Quillery). L’intéressé n’a pas été en mesure de fournir la moindre explication au sujet de cette mention (« je n’ai aucune réponse »).
49. Il existe un écart très sensible entre l’offre Quillery et l’ensemble des autres offres, l’offre classée deuxième étant d’un montant de 30 % plus élevé que le moins disant et l’écart s’élevant jusqu’à + 60 % pour l’offre classée la dernière.
3 - La gare de Puteaux (travaux de génie civil – TVS Puteaux)
• – La procédure d’appel d’offres
50. Les travaux consistaient à élargir et à prolonger la plate-forme actuelle de la ligne Puteaux-Issy Plaine en vue de sa transformation en mode d’exploitation tramway. Ils comprenaient également la construction d’un ouvrage de franchissement de l’infrastructure routière, du cheminement piétonnier ainsi que d’escaliers d’accès. L’appel d’offres a été lancé le 15 février 1994, la date limite de remise des offres étant fixée au 21 mars 1994. 21 entreprises ont été consultées, 11 ont répondu. Le dépouillement a eu lieu le 23 mars 1994.
51. Le tableau suivant récapitule les offres reçues : TABLEAU
52. Le marché a été attribué au groupement GTM/Spie Citra pour un montant de 18 471 000 F HT.
• – Les pratiques relevées
53. Sur le document daté du 1er mars 1994, trouvé dans les locaux de la société Quillery et déjà évoqué (cote 488 du rapport), figure la mention « table Paris Nord - étendue à l’ensemble des af. SNCF RP ». Sur ce même document, antérieur de 20 jours à la remise des plis, il est indiqué « Affaire Gare de Puteaux – GTM/Citra ».
4-5-6 - Les projets relatifs au pont Nitard à Argenteuil, à l’estacade d’Orly et à la RD à Cormeil
• – La procédure d’appel d’offres
54. La SNCF a précisé au cours de l’instruction que ces travaux étaient restés à l’état de projet.
• – Les pratiques relevées
55. Sur le document déjà évoqué (cote 487 du rapport), saisi dans la société Quillery et rédigé le 12 avril 1994 par M. J…, figurent les mentions : « Fg : estacade ORLY ? » ; « CB = Pt Nitard (Argenteuil) » ; « BY -> RD 48 à Cormeil ».
7 - Le marché SEMAPA –BS 13
• – La procédure d’appel d’offres
56. Le marché divisé en deux lots consistait, dans la zone de Tolbiac, à réaliser la déviation du pont de Tobiac. L’appel d’offres a été lancé le 18 février 1994, la date limite de remise des offres étant fixée au 5 avril 1994.
57. Les entreprises étaient invitées à répondre sur 2 lots, 2 solutions pouvant être retenues : à 7 mois et à 10 mois. L’estimation du lot n° 1 s’élevait à 18 613 000 F HT, celle du lot n° 2 à 15 782 490 F HT. La SNCF a privilégié pour faire son choix la solution à 10 mois.
58. Le tableau des offres reçues figure au rapport (page 99).
59. Pour le lot 1, la SNCF a écarté le moins-disant, Spie Citra, car son offre était « notoirement incomplète » et n’a pas retenu le deuxième, Caroni, car il avait proposé une technique non conforme au projet. C’est donc la société Chagnaud, classée troisième, qui obtient le marché.
60. Le lot 2 a été attribué au moins-disant, le groupement DG Construction/Richard Ducros, pour un montant de 9 043 073 F. HT.
• – Les pratiques relevées
61. Le document Quillery mentionné plus haut (cote 488 du rapport), en date du 1er mars 1994, porte, plus d’un mois avant la date de remise des offres, la mention :
« BS 13 – Semapa/AIF - Sogea/D. G ».
8 - La création d’une base de maintenance à Issy-Plaine
• – La procédure d’appel d’offres
62. Les travaux portaient, sur la ligne C du RER, sur la création d’une base de maintenance (2e phase), à Issy-Plaine, par la construction d’un mur de soutènement. L’appel d’offres a été lancé le 14 avril 1995, la date limite de remise des offres étant fixée au 12 mai 1995. 21 entreprises ont été consultées. Le dépouillement est intervenu le 16 mai 1995.
63. Le tableau suivant récapitule les offres reçues : TABLEAU
64. Le groupement DG Construction/Bec Frères/Bachy, moins disant, a été déclaré attributaire du marché.
• – Les pratiques relevées
65. Des notes manuscrites de M. K…, de la société Soletanche, relatives à ce marché ont été retrouvées. Sur le feuillet 84 (cote 554 du rapport) daté du 26 avril 1995 figure la mention : « demande de DG Construction ». Le feuillet 86, qui comprend des notes datées du 28 avril 1995, indique notamment : « Coef. EG probable en accord 100/110 ? (…) vérifier auprès de DG ». Sur le feuillet 89 (cote 555), également du 28 avril 1995 et donc antérieur de quinze jours à la date limite de remise des offres, il est mentionné :
« DG Construction
-> Essaie de monter l’opération
A la liste complète
Concurrent frère
-> partager les pieux
(…)
Consultés : 22
Voir avec BACHY pour partager les pieux ».
66. Il est également fait état d’un montant de 750 KF pour les prix de série, sachant que le groupement DG Construction a remis un montant de 750 759 F en prix de bordereau.
67. Parmi les offres des onze entreprises, cinq d’entre elles ont été écartées car elles ne répondaient pas aux deux conditions essentielles définies dans le règlement d’appel d’offres, à la rubrique « critères d’annulation des offres », l’attestation de visite des lieux et le sous détail des prix. Les sociétés ou groupements Bouygues, Razel/Urbaine, Soletanche et Spie Citra n’ont pas remis de sous détail et les sociétés Spie Citra et Cochery n’ont pas remis d’attestation de visite.
9 - Le lot 34 B de la ligne Eole
• – La procédure d’appel d’offres
68. L’appel à candidatures est intervenu le 25 juillet 1992. Vingt-sept entreprises, constituées en dix groupements, ont été retenues. L’appel d’offres a été lancé le 10 novembre 1992, la date limite de remise des offres étant fixée successivement au 2 février, puis au 1er mars, enfin au 8 mars 1993.
69. Le tableau suivant récapitule les offres reçues : TABLEAU
70. Le rapport d’analyse des offres indique que les offres des deux premiers groupements ont été jugées les meilleures, tant au plan technique qu’au plan économique. La SNCF a alors souhaité introduire des modifications techniques et demandé des précisions sur les offres des deux groupements, notamment l’incidence du passage d’une partie des travaux en tranche optionnelle. Le résultat après ce complément de consultation a été le suivant : variante Chantiers Modernes : 704 898 225 F, base Bouygues : 724 113 758 F, base Chantiers Modernes : 736 664 254 F. La SNCF a attribué le marché au groupement de Chantiers Modernes.
• – Les pratiques relevées
71. Un projet de convention entre le groupement Bouygues/Quillery/Demathieu et Bard et un groupement Nord France/Urbaine de Travaux/Montcocol (cotes 556 à 558) a été envoyé en télécopie depuis le fax de la société Urbaine de Travaux, le 4 mars 1993 à 10 h 59, soit 4 jours avant la date limite de remise des offres. L’article 2 du projet de convention indique : « bien que répondant séparément, les parties ont décidé de réaliser ensemble les travaux, en constituant une société en participation, au cas où le groupement BOUYGUES serait déclaré adjudicataire ».
72. Un tableau intitulé « lot 34 B EOLE », également daté du 4 mars 1993, saisi au sein de la société Nord France TP (cote 559 du rapport) mentionne : (voir tableau en haut de la page 10)
73. Au verso, figurent des notes manuscrites qui attestent que Nord France TP était informée du niveau des offres de ses confrères :
– la mention « 715 - MV 30 » correspond à l’offre du groupement Bouygues et à la moins value pour abandon des exigences architecturales ;
– la mention « SPIE 684 – 745/28 » est à mettre en relation avec la remise par le groupement représenté par Spie Batignolles d’une offre d’un montant de 746 241 KF, ce qui correspond à une moins-value de 27 416 KF ;
– les chiffres « 71 5/597 » sont le rapport entre le montant de l’offre de Bouygues et le prix de revient de cette entreprise figurant dans le tableau ci-dessus.
74. Auditionné sur ces documents, M. A…, directeur général de Nord France TP, a déclaré (cotes 464 à 466 du rapport) :
« Vous me présentez le scellé 19 en date du 18.10.95 de la DNEC et plus particulièrement le feuillet coté 42 intitulé « lot 34 B EOLE ». Je constate comme vous qu’il s’agit d’un tableau comportant des listes de sociétés du BTP et de montants relatifs à des coûts pour ce chantier. Ce document est daté du 4 mars 1993.
Je constate également que ce document a été découvert par les fonctionnaires de la DNEC dans le bureau de Madame L… et de M. M… Madame L… est ma secrétaire et elle partage le bureau avec M. M… qui se charge des études de prix. Il s’agit d’un document comparatif d’estimation entre les divers groupements pour ce chantier. Ce document m’a été remis, il me semble par M. F… de la société Bouygues.
Il est question de créer un groupement pour cette affaire avec Bouygues notamment. La remise de ce tableau se situait dans le cadre du projet de convention qui figure dans le même scellé dans les feuillets 343 à 52. Ce tableau implique que M. F… avait reçu des informations des différents groupements. Le groupement ne s’est pas fait et c’est Chantiers Modernes qui a obtenu le marché. A ma connaissance cette convention n’a pu aboutir, Chantiers Modernes n’ayant pas adhéré à la convention.
Je prends connaissance que ce document est daté du 4 mars 1993 quatre jours avant la remise des offres qui était fixée le 8 mars 1993.
Sur interpellation (S.I.) : Effectivement, on sait de manière globale comment se situent les entreprises les unes par rapport aux autres.
Question : Ce tableau constitue-t-il une forme d’entente ?
Réponse : Ce tableau permet aux entreprises de se rapprocher pour envisager à posteriori de faire les travaux ensemble. TABLEAU
S.I. : une réunion a eu lieu avec cinq ou six personnes. J’ai participé à cette réunion. Il y avait F… pour Bouygues ; N… de Chantiers Modernes, un représentant de Montcocol dont je ne me souviens plus du nom et deux ou trois autres personnes dont je ne me souviens plus du nom également ni de la société qu’ils représentaient.
S. I : Sur d’importantes affaires, lorsqu’il y a des prises de risque importantes, il est bon de savoir comment des professionnels évaluent le risque. Il nous arrive donc dans ce cas de nous réunir à 2 ou 3 avant attribution du marché. A ma connaissance il n ‘y a eu que l’affaire 34 B ».
75. Il est à noter que tous les détails estimatifs sont datés du 5 mars 1993 alors que les lettres contenant les offres adressées à la SNCF portent soit la date du 1er mars (NFTP et Pizzarotti), soit celle du 5 mars (Borie SAE et Spie Batignolles) soit encore celle du 8 mars 1993, date limite de remise des plis (Bouygues et GTM).
76. La SNCF indique, dans sa note de présentation du marché (cote 596 du rapport) que « certains prix jugés élevés (notamment : injections, évacuation des matériaux, bétons et armatures, comblement de puits et de galeries) par rapport aux prix obtenus sur des chantiers similaires ont été renégociés à la baisse » et qu’un « approfondissement d’étude » de la composition des bétons clairs a « entraîné une diminution du montant de ce poste ». Elle n’a pu obtenir des rabais sur « certains autres prix ».
10 - Le lot 37 B de la ligne Eole
• – La procédure d’appel d’offres
77. Le marché porte sur la réalisation des travaux de génie civil dans la gare Saint-Lazare-Condorcet en souterrain et à ciel ouvert. Ce lot estimé à 971 millions de francs est le plus important du projet EOLE (Est-Ouest-Liaison-Express).
78. L’appel à candidatures est intervenu le 7 janvier 1993, la date limite des candidatures étant fixée au 17 février 1993. Trente-huit réponses ont été recensées, dont treize émanant d’entreprises étrangères. Treize entreprises ont été écartées par la SNCF. L’appel d’offres a été lancé le 5 avril 1993. Il comportait deux options techniques en solution de base (« jet-groutny » ou « parois moulées »), deux tranches conditionnelles (impasses de sécurité et correspondance ligne 9 RATP), et trois variantes (sur contre-voûte et techniques d’étanchéité). La date limite de remise des offres a été fixée successivement au 30 juin 1993, puis au 19 juillet 1993 et enfin au 30 juillet 1993.
79. Trois entreprises se sont excusées : Razel, Chantiers Modernes et Borie SAE. Le tableau suivant récapitule les offres reçues (cote 572 du rapport) : (voir tableau page 11)
80. L’entreprise moins-disante était le groupement Sogea suivi, dans l’ordre, du groupement Bouygues, du groupement GTM et du groupement Nord France. La SNCF a estimé que les offres des deux premiers étaient les meilleures et, après les avoir examinées, a retenu celle du moins-disant. Ce groupement Sogea/TPI/Spie Batignolles/Fougerolle-Ballot/Muller a été officiellement informé avoir été choisi par la SNCF par une lettre de commande en date du 17 décembre 1993.
81. Ces cinq entreprises ont constitué une société en participation (SEP) le 8 janvier 1994. Un avenant n° 1, daté du 5 mai 1994, a intégré les sociétés Pico et Bouygues, ce qui a conduit à la nouvelle répartition suivante : TABLEAU
82. Il a également été retrouvé un acte de SEP entre Pico, GTM et Razel, daté du 28 juin 1994, au terme duquel la part de 21 % de Pico est répartie à 16 % pour le groupe Pico/Razel et 5 % pour GTM, et un acte de SEP entre Sogea et Campenon Bernard, daté du 21 juin 1994 au terme duquel la part de Sogea dans le groupement se trouve réduite à 12,5 %, Campenon entrant à hauteur de 5 %.
83. Ont en outre été saisies 38 conventions de prêt de main d’œuvre entre Campenon Bernard et Fougerolle, le montant global des facturations de Fougerolle pour EOLE-37 B étant de 14 401 995 F TTC. Fougerolle a également signé des conventions de prêt de main d’œuvre, cette dernière étant fournie par Razel, Pico, Campenon Bernard, Nord France TP, Bouygues et GTM.
• – Les pratiques relevées
a - Les faits antérieurs à la remise des offres
84. Dans un cahier de notes de M. A…, directeur général de Nord France TP (cote 573 du rapport) figure au feuillet 52 la mention : « Eb SEP lot 37 ». Les lettres « Eb » correspondent aux initiales de M. Eugène F… de la société Bouygues. Le feuillet qui précède immédiatement cette mention est daté du 12 janvier 1993.
85. Des indications concernant le lot « Condorcet » apparaissent dans un autre cahier appartenant à M. A…, feuillet 77 (cote 574 du rapport), situé entre des mentions respectivement datées du 18 mai et du 24 mai 1993. Dans l’encadré, sont mentionnés les noms de plusieurs entreprises ayant participé à l’appel d’offres dans des groupements concurrents (SPIE, Campenon Bernard, GTM). Le mot « Condorcet » est associé à « Spie », qui fait partie du groupement Sogea, lequel a finalement obtenu le marché. Il est en outre fait mention d’un contact à établir avec les responsables de la société Chantiers Modernes, MM. N… et O…, sachant que la société Chantiers Modernes s’est excusée.
86. Sur les feuillets 34 et 35 du scellé n° 9 des pièces saisies au siège de la société Nord France TP (cotes 575 – 576 du rapport), figurent deux résumés d’études de prix concernant le marché, datés du 28 mars 1994, soit 8 mois après la remise des offres.
87. Le premier document indiquant l’heure 15 h 44, comprend une mention manuscrite « vente » puis en bas du document « total vente » suivi d’un montant de 1 091 511 599 F qui correspond à l’offre remise en juillet 1993 (1 091 285 494, avec 0,2 % d’écart) tandis que le second indiquant l’heure 16 h 05, comprend la mention manuscrite « prix normal » puis en bas du document « total vente » suivi d’un montant de 949 373 747 F.
88. Une note manuscrite du 30 mars 1994, intitulée « étude récapitulative et comparative des études du groupement pour Eole 37b » évoquant une offre de la société NFTP moins élevée que celle effectivement remise par cette société au maître d’ouvrage, a également été saisie chez Nord France TP (cotes 577 à 581 du rapport).
89. Le feuillet 52 du scellé III, qui comprend les pièces saisies ensemble au siège d’une deuxième société, Soletanche (cote 582 du rapport), mentionne notamment, s’agissant du marché Eole-Condorcet, « réunion avec confrères – 4 juin ».
90. Les feuillets 60 à 64 qui suivent sont datés du 24 juin 1993. Il s’agit d’un compte-rendu de réunion comprenant Soletanche, GTM et Spie où sont abordés les aspects techniques et pratiques de la consultation. Le premier feuillet (n° 60, cote 583 du rapport) indique :
« r/v avec GTM
SPIE EG. (P…) Æ - avancés que GTM ».
(la société Spie Batignolles, qui emploie M. P…, appartient à un groupement différent de celui constitué par la société GTM, auquel appartient la société Soletanche).
91. Les feuillets 72 à 78 du même scellé (cotes 584 à 590 du rapport), sont un projet de convention préliminaire datée du 7 juillet 1993 et relative au lot 37 B, qui envisage le regroupement de deux des groupements concurrents à l’appel d’offres, celui de Bouygues et celui de GTM. Les entreprises n’ont pas donné suite à ce projet, qui avait pour but la remise d’une offre commune. La SNCF n’a pas été informée des contacts entre les entreprises lors des réunions organisées en vue de la constitution du groupement concerné par la convention du 7 juillet 1993. MM. Q…, directeur régional TP Ile-de-France de la société Quillery et R…, directeur adjoint de la société GTM ont déclaré ignorer ou ne pas se souvenir de l’existence de cette convention.
92. Le feuillet 83, daté du 17 juillet 1993 (cote 591 du rapport), comprend les mentions suivantes :
– « Bouygues - Quillery
– Spie. Sogea - Fougerolle
– Campenon – GTM ».
93. Une flèche indique que la société Soletanche doit se rattacher au dernier groupement cité, tandis que le groupement Nord-France n’apparaît pas sur ledit document.
94. Le 29 juillet 1993, soit la veille de la date limite de remise des offres, la société Soletanche a adressé à M. E… de la société Sogea une télécopie intitulée « affaire : Paris-St-lazare-Condorcet-Lot 37 B » (cote 592 du rapport), où il est fait mention d’une réunion commune tenue le matin même et d’un accord intervenu pour que Sogea confie des travaux spéciaux à un groupement constitué des principaux spécialistes en parois moulées et injections.
95. Dans une note manuscrite non datée de Monsieur K…, de la société Soletanche (cote 593 du rapport), il est mentionné :
« Réunion hier Condorcet
celui qui doit gagner Sogea-TPI
Spie 1er en base
Fougerolle-Razel
Bouygues Quillery 2ème
GTM Campenon SE avec
variantes
croisées ».
96. Cette note a été rédigée avant le dépôt des offres puisque dans le groupement gagnant Razel a été remplacé par Müller et qu’en deuxième position figure le groupement Bouygues–GTM un moment envisagé, mais finalement non réalisé.
b - Les faits postérieurs à la remise des offres
97. Dans un cahier intitulé « EOLE lot 37 B – St Lazare – Condorcet », saisi chez M. I…, du service TPRP de la société Bouygues (cote 594 du rapport), un feuillet 1 verso, non daté, donne une liste des entreprises du groupement attributaire et de concurrents avec des chiffres qui correspondent à un projet de répartition du montant des travaux entre les entreprises. Le chiffre 971 apparaissant sur ce document correspond au montant du marché (971 MF). Les entreprises Campenon Bernard et GTM, appartenant au groupement classé 3e à l’appel d’offres, se voient attribuer un montant de 99 MF, tandis que le « groupe 4 » auquel appartiennent les sociétés Bouygues, Quillery et Demathieu et Bard (« D et B »), bénéficient d’un montant de 132 MF. La société Razel, qui s’était excusée lors de l’appel d’offres, reçoit un montant de 157 MF, soit 16,6 % du montant total du marché. Le document précise que le montant de 34,60 MF affecté à la société Demathieu et Bard se trouve « coupé en deux » au profit des sociétés Nord France TP (initiales NF) et TPI.
98. Un autre document correspondant aux feuillets 5 verso et 6 du cahier (cote 595 du rapport), est daté du 7 février 1994. Il s’agit du compte rendu d’une réunion entre des responsables des entreprises à la fois attributaires du marché, et d’autres concurrentes de celles-ci à l’appel d’offres. On y trouve mention des discussions pour la mise en place d’une S.E.P. et les pourcentages de répartition des travaux du marché entre les entreprises qui en feraient partie. Parmi les personnes citées, M. E… appartient alors à Sogea, et M. S… est le responsable de la SNCF, agence Ile-de-France (A.I.F.). Une divergence apparaît concernant la date d’une intégration des sociétés Pico et Bouygues (initiales BY) dans la société en participation initiale (SEP), Sogea voulant repousser cette intégration en avril et Bouygues la voulant dans l’immédiat.
99. Les feuillets 8 verso (cote 596 du rapport) jusqu’à 11 recto du même cahier saisi chez Bouygues sont les comptes-rendus d’un « comité de direction » du 23 février 1994 entre les représentants des entreprises Fougerolle (M. T…), Sogea (M. E…), GTM (MM. R… et U…), TPI (MM. V… et 4…), Razel (M. 5…), Soletanche (M. 6…), Bouygues (M. F…), Spie Batignolles (M. 7…), et Nord France TP (M. A…). Des notes similaires ont été saisies chez M. A…, directeur général de la société Nord France TP (procès-verbal de saisie du 18 octobre 1995 de la société Nord France TP, scellé n° 3, procédure DNEC n° JUR/95-02/16), sous le titre « réunion lot 37 chez Fougerolle ».
100. Le document Bouygues fait par ailleurs référence à un autre marché, « Bellerive » en indiquant : « Option A : Bellerive normal pour SPIE » « Option B : à cause de Bellerive » puis : « SOGEA -> NF bénéficie de 9 sur Bellerive + Quillery 9 + TPI 9 ». La référence à Bellerive (« Bell ») figure également dans le document Nord France TP qui indique « 1ère option : Bell. OK pour SPIE » « 2ème option : Bell. Non OK ». Bellerive désigne un marché de la DDE des Hauts-de-Seine, portant sur le génie civil de la couverture de Bellerive, déviation de Rueil-Malmaison, passé sous forme d’appel d’offres en juin 1993. A cette occasion, le groupement Spie/Fougerolle/Dumez/Soletanche s’est présenté comme le moins-disant et a obtenu le marché. Les sociétés Nord France TP et TPI avaient également remis une offre, tandis que la société Quillery, dont la candidature avait été admise, s’est désistée.
101. M. T…, présent aux comités de direction en tant que représentant de Fougerolle a déclaré :
« Vous me demandez quelle a été ma participation dans le cadre de la réalisation du lot 37 B EOLE – Gare Condorcet. J’étais le représentant titulaire de Fougerolle-Ballot aux comités de direction, Fougerolle-Ballot étant le gérant, le mandataire étant Sogea. Pendant les discussions avec la SNCF pour la mise au point technique notamment pour régler les problèmes de rabattement de nappe et donc de traitement des sols, j’ai commencé à être associé à cette affaire. Début 1994 notre groupement a été sollicité d’abord par Bouygues prétendant avoir l’accord de la SNCF pour participer aux travaux. C’est Bouygues qui a sollicité son entrée. D’autres entreprises, ayant des déficits de commandes et ayant des moyens disponibles, se sont manifestées et ont pris l’initiative de les proposer au groupement pour Condorcet. Pour Campenon Bernard, elle est entrée par le biais de Sogea, car elles appartiennent au même groupe. Pour ma part, je souhaitais que ces entrées ne se fassent qu’avec l’accord de la SNCF, d’autre part que les risques financiers soient moindres et donc j’acceptais de voir réduite la part de Fougerolle dans l’opération. J’en ai référé à Monsieur 8…, qui a avalisé la réduction de notre part, et l’entrée des nouveaux arrivants.
Vous me présentez au scellé I du 13 septembre 1995 de la société Bouygues, bureau de M. I…, un cahier « EOLE – lot 37 B » cote 29, les feuillets 8 verso et 9, qui concernent le comité de direction du 23/02/94, où notamment sont envisagées différentes options dans la répartition des parts, avec des références à Bellerive. Je ne crois pas qu’ait été abordée une répartition des parts de Condorcet en liaison avec l’affaire Rueil-Bellerive ».
102. Monsieur E…, directeur chargé du génie civil, de la société Sogea, mandataire du marché EOLE 37 B (cotes 467 à 470 du rapport), a déclaré :
« Pour la gare EOLE Magenta nous avions fait l’étude en groupement avec Bouygues, étude faite en commun avec les gens de TPI, mais nous étions loin du groupement attributaire. Bouygues/Quillery/Demathieu et Bard, avec lequel nous étions sur les lots 32 B – 33 B nous a sollicité pour repartir ensemble sur Condorcet. Vu le précédent résultat nous avons décliné cette proposition.
J’ai demandé à M. 9… de SPIE-Batignolles de s’associer à nous, ils ont accepté, sachant qu’étant déjà associés à Fougerolle/Ballot/Muller, nous avons donc constitué un groupement avec eux, après avoir demandé à M. S…, de la SNCF, la possibilité de la faire. Nous avons obtenu le marché à fin 1993. Quand Bouygues a su qu’il avait perdu, Monsieur F… m’a appelé pour envisager de faire participer ses équipes occupées sur les lots 32 et 33 avec les équipes de TPI.
Sachant que le groupement Bouygues/Quillery sur les lots 32 B et 33 B dont ils étaient attributaires, avait accepté d ‘y faire travailler des équipes de TPI dans le cadre d’une SEP, celle-ci incluant également le lot 34 C (galeries préparatoires de la gare Magenta), nous avons agréé leur demande pour Condorcet, après d’une part l’accord de nos associés, d’autre part l’accord verbal de M. S… d’officialiser leur présence. J’ai accepté en conséquence de céder pour l’entrée de Bouygues, 10 % de la part de Sogea/TPI.
De son côté, Campenon, autre filiale de SGE comme Sogea, présente sur le lot 37 F associée à GTM, nous a fait une demande similaire, et je leur ai cédé 5 % sur la part de Sogea/TPI GTM, pour le même motif de la présence de ses équipes sur 37 F, a pu s’arranger avec Pico.
Nord France TP a sollicité tout le monde pour entrer dans l’affaire, et c’est Spie qui l’a acceptée sur sa part ».
103. A noter qu’a été saisi au sein de la société Nord France TP (NFTP), un « tableau récapitulatif » qui mentionne, à la rubrique « EOLE 37B », la société NFTP avec l’indication « 10,00 % occulte ».
104. Un document émanant de la direction juridique TP, relatant une réunion organisée le 25 mars 1994 portant sur l’« organisation de la SEP Condorcet » a été saisi chez Monsieur F… de la société Bouygues (cote 597 à 599 du rapport). Il porte la mention « confidentiel (à déchirer absolument après lecture) ». Il est reproduit intégralement ci-après :
« DIRECTION JURIDIQUE T.P. 29 mars 1994 G. CABRIDENS/SB/164.94
CONFIDENTIEL(A DÉCHIRER ABSOLUMENT APRÈS LECTURE)
Dest:AMAL
Copie:MCE – APV – EB – DLA – JMK
Objet;ORGANISATION SEP CONDORCET
J’ai assisté le 25.03.94 à une réunion « juridique » qui avait pour but de mettre en œuvre le montage juridique exposé dans votre note du 23.02.94 (réf. 94373).
Je vous informe qu’il a été procédé à l’« habillage » juridique de l’opération selon les termes déjà convenus par les commerciaux.
Hypothèses de base :
SEP actuelle déjà constituée et enregistrée par 6 partenaires : SOGEA/TPI, SPIE, FOUGEROLLE/BALLOT, MULLER.
Introduction officielle de BOUYGUES et PICO dans la SEP, dès que le client aura accepté, par avenant, leur candidature présentée par le mandataire de la SEP actuelle (et contresignée par les autres membres).
Arrivée occulte de NF, CBC, GTM par le biais de cessions de parts ; présence des occultes au Comité de Direction ;
Mise en forme juridique :
Annulation de la SEP initiale et création d’une nouvelle SEP à 8 introduisant BOUYGUES et PICO :
- Dès que l’avenant avec le client aura été signé.
- Avec reprise des actes déjà effectués par FOUGEROLLE et SOGEA (pour éviter toute discontinuité d’existence).
- Modifications à introduire pour préparer la phase « cession de parts ».
- Le Nouvel acte sera enregistré.
Participation des « 3 occultes ».
- Cessions de parts 2 à 2
SPIE à NF
SOGEA à CBC
FOUGEROLLE à GTM
- Valorisation symbolique (risque fiscal faible).
- Chaque cession de parts sera enregistrée officiellement en des lieux différents et surtout en un lieu différent de l’acte de SEP regroupant les co-contractants déclarés (minimise les possibilités de recoupement).
- Cession de parts motivée par un échange de courriers « habituel » du type « se prêter les moyens ».
- La cession de parts sera notifiée par LRAR aux membres, et non par acte extrajudiciaire (statuts actuels à modifier).
- Aménagement des statuts (article cession de parts,…) et du fonctionnement (qui sera signataire du compte A ?). Comment seront visées les factures ? [seule certitude, FOUGEROLLE et SOGEA s’opposent à ce que les onze membres signent]… : ces problèmes n’ont pas été résolus mais évoqués comme devant l’être (tâche laissée au C.D.).
- Le C.D. entérine cession et aménagement des statuts. Intervention du juriste de GTM (quelque peu marginale) :
- GTM ne veut pas supporter de frais relatif à l’opération « cessions de parts » et précise que ces frais seront refacturés à la SEP, ainsi que « convenus ».
SOGEA a rétorqué que rien n’avait été convenu et que ce sujet doit être débattu en Comité de Direction.
- Pour GTM, le fait de travailler sur un chantier mitoyen lui permettra d’expliquer tout naturellement sa présence.
Il lui a été répondu que ce moyen de défense devrait tenir 5 secondes lors d’une enquête, le temps de réfléchir à la phrase suivante.
~ GTM est pressé que soient mises en place SEP et cessions de parts car son chantier mitoyen s’achève et que son personnel va être rendu incessamment disponible.
SOGEA a rétorqué que la SEP augmentera ses moyens en fonction de ses stricts besoins et que, de toute façon compte tenu de la qualité d’occulte de GTM, il sera instauré un système de prêt de main-d’œuvre pour toute la durée du chantier.
OBSERVATIONS :
A l’exception du juriste de GTM, tous les autres présents étaient à priori d’accord pour estimer que les commerciaux ont décidé en toute connaissance de cause de prendre des risques et qu’il n’existe pas de moyens pour prévenir l’ensemble de ceux-ci, que ce soit la présence officielle de BOUYGUES ou la présence des 3 occultes, compte tenu entre autre du gigantisme de cette opération qui ne peut que se trouver sous les feux de l’actualité en cas d’incidents ou d’accidents, et de la concurrence délivrée par l’ensemble des entreprises.
Il sera quasi impossible, en cas d’enquête approfondie, de justifier une telle « mise en commun de moyens ».
Seul conseil utile qui peut vous être donné : il faut absolument éviter de laisser circuler au sein de BOUYGUES papiers, agendas et autres documents avec des traces de NF/CBC/GTM. Or il est certain que les intervenants sont déjà nombreux, et le seront encore plus et nous craignons qu’il s’avère très difficile d’effacer tout indice.
Il serait bon que la SEP sous-traite à ces trois sociétés diverses prestations, afin de pouvoir légitimer un peu plus aisément panneaux de chantier et présence (ainsi que cela a d’ailleurs été évoqué en réunion).
Je reste à votre disposition ».
105. M. A…, directeur général de Nord France TP, à qui la note de Bouygues a été présentée, s’est exprimé dans les termes suivants (cote 465 du rapport) :
« Question : pourquoi toutes ces précautions prises et cet habillage ?
Réponse : parce que les entreprises avaient conscience que ce montage posait un problème au niveau du respect des règles de concurrence ».
11 - Les travaux de génie civil de la future avenue de France – secteur Tolbiac
• – La procédure d’appel d’offres
106. L’appel d’offres concernait la réalisation d’une structure, principalement en béton armé, destinée à supporter une portion de la futur avenue de France, artère principale de la ZAC Seine Rive Gauche et de l’amorce de la desserte d’une future voie souterraine. La date limite de remise des offres a été fixée au 10 mai 1995. L’estimation s’élevait à 60 287 895 F.
107. Le tableau suivant récapitule les 12 offres reçues : TABLEAU
108. La commission d’appel d’offres a décidé d’attribuer le marché au groupement Fougerolle-Ballot/DG Construction/Chagnaud/Bachy, le moins-disant.
• – Les pratiques relevées
109. Le dossier transmis au Conseil de la concurrence (cotes 626 bis à 681) comporte le détail des prix par poste. D’importants écarts de prix par poste entre les concurrents ont pu être constatés. Par ailleurs, pour de nombreux postes, la différence entre deux offres repose sur un seul chiffre. Il peut même s’agir des mêmes chiffres présentés dans un ordre différent et un seul chiffre différent. Par exemple, pour le poste « 00 1 000 installation de chantier », Fougerolle Ballot a fait une offre de 2 250 000 et Spie Citra de 2 650 000 (voir les autres exemples dans le rapport).
b) - Les marchés RATP
110. Un document saisi dans le bureau de M. R…, directeur adjoint de la société GTM ayant la responsabilité des travaux publics Ile-de-France, concerne les marchés de la ligne METEOR dont le maître d’ouvrage est la RATP. Cette pièce, datée du 22 février 1991, regroupe sur un même feuillet un ensemble de marchés pour un client donné et un projet spécifique, celui de la future ligne METEOR. Des noms d’entreprises sont mentionnés face à chacun des lots du chantier METEOR. Les remises d’offres pour l’ensemble de ces lots se sont échelonnées d’avril 1991 à septembre 1992 (cote 179 du dossier pénal et 682 du rapport d’enquête).
111. Ce document est reproduit ci-après :
113. Questionné sur ce document, M. R… a apporté les réponses suivantes (cotes 682-2 et 3 du rapport) :
« Vous me présentez un document coté 179 au procès-verbal de saisie du 16 octobre 1995, scellé n° 1, pour la société GTM, saisi dans mon bureau et qui concerne METEOR.
Les mentions manuscrites qui y figurent sont de ma main.
En prévision d’une réunion de la direction générale, M. 10… m’a demandé de récapituler les résultats de METEOR et EOLE. J’ai donc pris une photocopie d’un document schématisant les lots de la ligne METEOR pour y reporter les résultats des appels d’offres de chaque lot.
Ces résultats étaient connus car ils ont été publiés peu de temps après que cet ensemble de résultats ait été établi. En fait ils ont été publiés après que j’ai établi ce document (soulignement ajouté).
Vous me signalez que pour les lots 13/14/15 et M. 21/22 des entreprises que j’ai citées comme étant attributaires dans les groupements signalés, ont en fait répondu séparément ou dans un autre groupement et donc que cela ne correspond pas aux résultats exacts. J’ai pu faire des erreurs car j’ai établi ce document rapidement et de mémoire.
Vous m’indiquez que ce document est daté du 22 février 1991, alors que les résultats des appels d’offres sont postérieurs à cette date. Ceci s’explique par le fait que je me suis servi d’un document antérieur ou figurait le schéma de la ligne, et comme je vous l’ai dit ci-dessus, sur lequel j’ai reporté ce résultat.
Ce document a été établi en même temps que le suivant (feuillet 180 du scellé 2) concernant EOLE où figurent les résultats des quelques lots déjà attribués et que je connaissais. Je ne puis me souvenir de la date exacte à laquelle j’ai établi ces documents, sans doute 15 jours à 1 mois avant la publication par la RATP des résultats pour METEOR ».
12 – Meteor – Lot M. 04
• - La procédure d’appel d’offres
114. L’appel à candidatures est intervenu le 10 janvier 1992. La date limite de candidature était fixée au 17 février 1992. Sur 22 candidatures, 17 ont été retenues. L’appel d’offres a été lancé le 22 mai 1992, la date limite de remise des offres étant fixée au 30 juin 1992 puis au 16 juillet 1992, le premier appel d’offres ayant été déclaré infructueux (le moins-disant se trouvant à 18 % au dessus de l’estimation de la RATP qui s’élevait à 245 000 000 F).
115. Le tableau suivant récapitule les offres reçues : TABLEAU
116. Après l’examen des offres des deux moins-disants, Borie en variante et Nord France en base, la RATP a retenu le groupement Borie/Perforex pour un montant de 239 909 000 F HT.
• - Les pratiques relevées
117. Ce résultat coïncide avec celui prévu sur le document n° 179 retrouvé dans les locaux de GTM. Sur ce document, figure la mention manuscrite « Borie – Perforex » associée au lot 4 par une flèche.
118. En outre, le groupement a rétrocédé des travaux de sous-traitance à la société Fougerolle Ballot, pourtant concurrent à l’appel d’offres (offre classée 4ème), pour un montant de 10 973 900 F HT.
13 à 15. Meteor – Lot 3, 5, 7, 8, 9 – Lot D3 et M.10 – Lot D4 et M11
• – La procédure d’appel d’offres
119. Pour le marché n° 13, l’appel d’offres a été lancé le 13 février 1991, la date limite de remise des offres étant fixée d’abord au 15 avril 1991, puis au 9 juillet 1991, à la suite de modifications dans la consistance des travaux. L’offre du moins-disant comportant des prix anormalement élevés, l’appel d’offres a été déclaré infructueux et des négociations ont été engagées avec les deux moins-disants. Le marché a été attribué au groupement Bouygues/Chantiers Modernes/Dumez/Perforex pour un montant de 605 070 000 F HT.
120. Pour le marché n° 14, l’appel d’offres a été lancé le 12 avril 1991, la date de remise des offres étant fixée, d’abord au 15 mai puis au 31 mai 1991. En raison du dépassement de 12 % de l’estimation de la RATP par le moins-disant et des anomalies de certains prix, l’appel d’offres a été déclaré infructueux et des négociations ont été engagées avec les moins-disants. Le marché a été attribué au groupement GTM/Campenon Bernard/Soletanche pour un montant de 296 565 000 F. HT.
121. Pour le marché n° 15, l’appel d’offres a été lancé le 8 mars 1991, la date limite de remise des offres étant fixée au 19 avril 1991. Le marché a été attribué au groupement Ballot/Chagnaud, dont l’offre était inférieure de 3,5 % à l’estimation de la RATP.
• – Les pratiques relevées
122. Sur le document n° 179 du 22 février 1991, trouvé dans les locaux de GTM :
– figure la mention manuscrite « M. 3, 5, 7, 8, 9 : Bouygues, Dumez, Chantiers modernes, Perforex », ce qui correspond aux lots du marché n° 13 et à leur attribution ;
– figure la mention manuscrite « D3 M10 : GTM, Campenon, Soletanche », ce qui correspond aux lots du marché n° 14 et à leur attribution ;
– figure la mention manuscrite « M11 : Ballot Chagnaud », ce qui correspond, pour partie, aux lots du marché n° 15 et à leur attribution.
16 - Meteor – lot M12
• – La procédure d’appel d’offres
123. L’appel à candidatures est intervenu le 31 janvier 1992. Il mentionnait comme date limite des candidatures le 17 février 1992. Sur les vingt-trois candidatures reçues, onze entreprises et groupements ont été retenus. L’appel d’offres a été lancé le 7 mai 1992, la date limite de remise des offres étant fixée au 15 avril puis au 19 juin 1992.
124. Le tableau suivant récapitule les offres reçues : TABLEAU
125. Après négociation avec les deux moins-disants, la RATP a retenu la variante HBW (n° 2 du classement ci-dessus), moyennant un rabais, car cette solution permettait de maintenir la circulation et de réaliser le chantier en une seule phase.
• – Les pratiques relevées
126. Sur le document n° 179 retrouvé dans les locaux de GTM évoqué ci-dessus (paragraphe 111) figure la mention manuscrite, pour le lot M. 12, « HBG (hollandais) », censée être les initiales accolées des deux premières lettres de HBW et de Guintoli.
17 - Meteor - lot M. 13 à 15
• – La procédure d’appel d’offres
127. L’appel à candidatures est intervenu le 16 janvier 1992. Il mentionnait comme date limite des candidatures le 17 février 1992. Sur les vingt-quatre candidatures reçues, dix-sept entreprises et groupements ont été retenus. L’appel d’offres a été lancé le 19 mai 1992, la date limite de remise des offres étant fixée au 26 juin 1992.
128. Le tableau suivant récapitule les 6 offres reçues : TABLEAU
129. Après mise au point, le marché est attribué au groupement moins-disant pour le montant de son offre initiale.
• – Les pratiques relevées
130. Sur le document n° 179 GTM, sont mentionnées, pour le lot M. 13 – 14 – 15, les entreprises Borie/Nord France/Urbaine.
131. Le feuillet 145 du scellé II saisi dans les locaux de la société Soletanche, daté du 17 juin 1992 (cote 683 du rapport), qui figure parmi de nombreuses notes concernant ce marché, indique :
« les gens de BORIE – URBAINE tournent autour pour 13-14-1 5 (table)
Aller rapidement les voir (…)
Se voir rapidement sur prix/proportions
A dit à l’Urbaineo on part avec SE (…)
Cuit sur le coup (…)
OK pour modifier plus avant en respectant les équilibres ».
132. En décembre 1992, le groupement Borie a procuré des travaux de parois moulées à Soletanche pour 13 685 915 HT, puis de nouveau courant 1993, des travaux d’injections pour un montant de 25 MF HT, soit 14 % du montant total du marché.
18 - Meteor – lot M. 16 à 18
• – La procédure d’appel d’offres
133. L’appel à candidatures est intervenu le 16 janvier 1992. Il mentionnait comme date limite des candidatures le 17 février 1992. Sur les vingt-trois candidatures reçues, seize entreprises et groupements ont été retenus. L’appel d’offres a été lancé le 4 mai 1992, la date limite de remise des offres étant fixée au 15 puis 25 juin 1992.
134. Neuf entreprises se sont excusées, quatre ne se sont pas manifestées. Le tableau suivant récapitule les cinq offres reçues : TABLEAU
135. Une seule offre est inférieure à l’estimation de la RATP, qui s’élevait à 393 000 000 F. La RATP a déclaré l’appel d’offres infructueux, le 10 juillet 1992, et a engagé une négociation avec les trois moins-disants.
136. Après négociations, le regroupement Spie/Fougerolle, qui est resté le moins disant, se voit attribuer le marché pour un montant de 381 977 000 F HT.
• – Les pratiques relevées
137. Le document n° 179 saisi chez GTM indique pour ce lot « SPIE/FOUGEROLLE/MULLER ».
19 – Meteor – lot 21/22
• – La procédure d’appel d’offres
138. L’appel à candidatures est intervenu le 16 janvier 1992. Il mentionnait comme date limite des candidatures le 17 février 1992. Sur les vingt-quatre candidatures reçues, dix-sept ont été retenues. L’appel d’offres a été lancé le 13 mai 1992, la date limite de remise des offres étant fixée au 22 juin 1992.
139. Le tableau suivant récapitule les six offres reçues : TABLEAU
140. L’estimation de la RATP était de 219 MF. Celle-ci a déclaré l’appel d’offres infructueux et a négocié avec les deux moins disants. A l’issue de ces discussions, l’entreprise Torno, qui était toujours mieux placée, a été écartée notamment par manque de garanties financières. C’est donc le groupement Fougerolle/Nord France/Holzmann/Muller/Cogefar qui a obtenu le marché pour un montant de 212 329 000 F. HT.
• – Les pratiques relevées
141. Sur le document n° 179 GTM, les entreprises Nord France TP, Fougerolle et Urbaine sont mentionnées au titre de ce lot comme devant être attributaires.
142. Deux éléments attestent de l’antériorité des mentions manuscrites figurant sur ce document par rapport à la remise des offres en juin 2002 :
– Sur ce document, L’Urbaine de Travaux est citée comme attributaire. Or, cette entreprise était dans un autre groupement, avec Montcocol et Borie, qui a remis l’offre la plus élevée ;
– Il manque en revanche sur celui-ci la moitié des attributaires effectifs, en l’espèce Holzmann et Cogefar.
143. Les deux marchés suivants dont les appels d’offres ont été lancés deux ans après les précédents, n’ont pas été répertoriés sur le document n° 179.
20 - Meteor - ouvrage Danièle Casanova
• – La procédure d’appel d’offres
144. L’appel d’offres a été lancé le 14 janvier 1994, la date limite de remise des offres étant fixée au 10 février 1994.
145. Le tableau suivant récapitule les 9 offres reçues : TABLEAU
146. Le marché a été attribué à Bouygues, sur la base de sa variante, pour un montant de 10 898 000 F. HT.
• – Les pratiques relevées
147. Le feuillet 244 scellé II de la société Soletanche (cote 684 du rapport) fait état d’un contact avec M. D…, chef des études de prix chez Nord France TP, quatre jours avant la date limite de dépôt des offres. Ces notes font partie de plusieurs pages ayant trait à ce marché. Il y est indiqué :
« M. D… 6/12/94 Puits Casanova
N’a pas de nouvelles officielles
Pas le 1er
N’en sait pas plus ».
148. Le feuillet 247 (cote 685 du rapport), également daté du 6 février, porte les mentions suivantes : TABLEAU
149. Une note manuscrite de M. K… de la société Soletanche, datée du 4 février 1994 (cote 686 du rapport) indique, 6 jours avant la remise des offres :
« RATP – CASANOVA
BOUYGUES est bien placé (table) ».
21 - Meteor - ouvrages Deux Écus/Quai de Gesvres
• – La procédure d’appel d’offres
150. L’appel d’offres a été lancé le 26 janvier 1994, la date limite de remise des offres étant fixée au 23 février 1994.
151. Le tableau suivant récapitule les 14 offres reçues : TABLEAU
152. Après avoir demandé au moins-disant des précisions sur son offre le 5 avril 1994, la RATP a attribué le marché au groupement Quillery – Razel pour un montant de 35 891 905 F. HT.
• – Les pratiques relevées
153. Dans un document manuscrit de M. B…, directeur commercial de la société Nord France TP, daté du 3 janvier 1994 (cote 687 du rapport), figurent, en face de la mention « quai de Gesvres », les initiales « RZ – Q », qui sont celles des entreprises à qui le marché a été attribué plusieurs mois après.
154. Dans un document saisi chez Soletanche, dans le bureau de M. K… et daté “4/2” (cote 688 du rapport), il est mentionné :
« Quai de Gesvres dans l’ordre :
1er Quillery – Razel 1er 30. 5
2eme Nord France 2eme 30.9 (flèche) ne l’a pas présenté ».
155. Le groupement Nord France/Perforex, qui a été classé 2ème, a obtenu 40 % de ce marché.
156. Sur un cahier de M. A…, directeur général de Nord France TP, figurent des notes prises lors d’un comité de direction du 14 mars 1994 (cote 690 du rapport), soit après la remise des offres, mais avant attribution du marché, puisque la RATP interrogeait encore sur son offre le moins-disant, le 5 avril 1994. Il y est mentionné :
« RATP Perte de CASANOVA (…)
Gain d’une affaire avec Quillery et Perforex Quai de Gesvres ».
157. Dans un autre cahier de M. A…, feuillet 35 verso (cotes 691 – 692 du rapport), il est indiqué parmi des notes d’un comité du 8 août 1994 « quai de Gesvres : l’acte de SEP circule ».
158. Au scellé 15 de la société Nord France TP figure un tableau récapitulatif du 16 février 1995, des groupements ainsi constitués. Pour le Quai de Gesvres, il est mentionné (cote 693 du rapport) :
«NFTP: 20, 00 % - Occulte
- PERFOREX: 20, 00 % - Occulte
- RAZEL: 30, 00 %
- QUILLERY: 30,00 %».
22 et 23 - Ligne 13 – lots 2 et 3
159. Ces deux marchés concernent la réalisation de travaux pour le prolongement de la ligne 13 du métropolitain jusqu’à la station « Université de Saint-Denis. Ils ont été traités dans la notification des griefs complémentaire de 2004.
• – La procédure d’appel d’offres
160. La date limite de remise des offres pour l’appel relatif au marché n° 22 a été fixée au 31 mars 1994. Le marché a été attribué au groupement Chantiers Modernes/Chagnaud, moins-disant dans une proportion importante par rapport à l’estimation de la RATP.
161. La date limite de remise des offres pour l’appel relatif au marché n° 23 a été fixée au 11 août 1994. Le marché a été attribué au groupement Quillery/Franki/Montcocol, moins-disant dans une proportion importante par rapport à l’estimation de la RATP.
• – Les pratiques relevées
162. En ce qui concerne le premier appel d’offres, un document saisi dans les locaux de Quillery porte la mention suivante « Table RATP : ligne 13- lot 1, lot 2 » (cote 694 du rapport). Par ailleurs, l’examen du tableau des dix-neuf offres a permis d’observer que les chiffres composant le montant de l’une des offres correspondent à ceux de l’offre du groupement attributaire, placés dans un ordre différent, et dans trois autres cas que la différence de prix repose sur un seul chiffre. La comparaison des prix par chapitre ou par poste de certaines offres a révélé tantôt des écarts de prix inexplicables, tantôt la présence de prix identiques alors que l’éventail des prix est très large, tantôt la présence de prix unitaires dont la différence ne repose que sur un seul chiffre (cf. les exemples cités dans le rapport page 156 et suiv.).
163. En ce qui concerne le deuxième appel d’offres qui présentait des similitudes avec le précédent, il a été relevé des écarts de prix importants entre les vingt et une offres, un positionnement de la plupart des soumissionnaires surprenant par rapport aux résultats du précédent appel d’offres remontant à moins de six mois, une différence entre deux offres ne reposant que sur un seul chiffre, dans huit cas. La comparaison des prix par chapitre ou par poste de certaines offres a donné lieu aux mêmes constatations que pour l’appel d’offres précédent (cf. exemples cités dans le rapport pages 164 et suiv.).
c) - Les marchés du département 91
24 – L’échangeur d’Arpajon
• - La procédure d’appel d’offres
164. L’appel d’offres a été lancé le 8 février 1995. L’estimation de la tranche ferme s’élevait à 16 MF, l’estimation conditionnelle à 17,50 MF. Les travaux avaient pour objet les terrassements, l’assainissement, les chaussées, les équipements urbains, les glissières de béton et murs de soutènement des chaussées définitives de l’échangeur Nord d’Arpajon, entre la RN 20 et la RD 97. Il s’agissait du marché principal d’une opération pour laquelle des marchés avaient déjà été conclus (deux avec l’entreprise Bec et un avec le groupement SCREG-Colas). La date limite de remise des offres a été fixée au 5 avril 1995. Les plis ont été ouverts le 7 avril 1995. Le marché a été attribué à Razel, entreprise moins disante.
• – Les pratiques relevées
165. Le rapport du directeur départemental de l’équipement de l’Essonne, daté du 6 juillet 1995 (cotes 715 à 730 du rapport), propose d’attribuer le marché à la société Razel, moins-disante. Ce rapport mentionne un certain nombre d’anomalies, au nombre desquelles l’écart important de l’offre de la société Razel sur les postes « généralités et terrassements » par rapport aux offres concurrentes, l’offre du groupement SCREG-Colas-Sacer, qui comporte des anomalies (lacunes de certaines prestations, certains prix aberrants, erreur de métré).
25 - Le marché des archives de Chamarande
• – La procédure d’appel d’offres
166. Un concours architectural pour la conception et la réalisation des archives départementales de l’Essonne au Château de Chamarande, impliquant la présence d’un architecte des monuments historiques, a été organisé en 1995. Les entreprises devaient s’engager sur un lot principal, un lot accessoire et étaient invitées à répondre sur une option et des variantes. La procédure utilisée a été celle de l’appel d’offres sur performance.
167. L’appel d’offres a été lancé le 27 septembre 1995, la date limite des offres étant fixée au 28 décembre 1995, puis au 12 janvier 1996. L’ouverture des plis est intervenue le 15 janvier 1996. Pour le lot principal les groupements GTM et Screg ont proposé un montant identique qui s’élevait à 54 800 000 F porté à 54 834 000 F par le groupement Quillery. Le marché a été attribué au groupement GTM.
d) - Les marchés du département 92
26 - Le siphon Ernest Renan (marché DDE)
• – La procédure d’appel d’offres
168. L’avis d’appel à candidatures a été publié le 29 juillet 1994, mentionnait comme date limite de remise des candidatures le 31 août 1994. La date limite de remise des offres a été fixée au 7 mars 1995.
169. Le tableau suivant récapitule les 9 offres reçues : TABLEAU
170. Après avoir été invité à fournir des précisions lors d’une réunion qui s’est tenue à la direction départementale de l’équipement des Hauts-de-Seine le 30 mars 1995, le groupement Solétanche/CSM Bessac/France-Travaux/Simep a finalement été déclaré attributaire du marché pour un montant de 21 223 760, 57 F TTC, supérieur à l’offre présentée en variantes par le groupement Fougerolle Ballot/TPI.
• – Les pratiques relevées
171. Des notes datées du 31 mars, de M. K…, directeur de l’agence Paris/Ile de France et Est de Soletanche, entreprise attributaire du marché, ont été saisies au siège de cette société :
- « Ballot-Fougerolle font un forcing tous les jours. Ils nous cassent du suc (sic…) sur le dos en disant que c’est So qui a trahi » (cote 743 du rapport) ;
– « Dans cette affaire, [il existe] un groupement correct, [il existe] un groupement qui a envoyé des coups de canif ds le contrat… » (cote 744 du rapport) ;
– « Fougerolle dit : c’est SO qui nous a planté. Vous avez fait un dossier uniquement pour SO et Bessac nous a mis le couteau sous la gorge. Comme il est trop cher, on a été obligés de […] les puits pour diminuer nos coûts. Bessac était beaucoup trop cher ! » (cotes 745 à 747 du rapport).
172. Il en ressort que le groupement Fougerolle Ballot, moins-disant en offre de base ou en variante aurait dû se voir attribuer le marché mais que la « trahison » de Soletanche a empêché cet arrangement.
173. Une compensation de 600 kF, à la charge de trois des attributaires (Solétanche, France Travaux et Simep) est évoquée au profit de Fougerolle Ballot (cotes 748 à 750). Figure notamment sur les mêmes notes la mention « 600 kF. Oui mais paix à la table ! sinon on paie à la table ».
174. Le responsable de la DDE, M. 11…, a eu des soupçons quant à la réalité de la concurrence : « A peine les offres ont été remises, il courait dans les couloirs le bruit que tout était entendu -> ce n’est jamais bon (…) impression -> vous êtes tous de connivence par derrière » (cote 746 du rapport).
175. Ces éléments de preuve se situent après la remise des plis et avant l’attribution définitive du marché, le maître d’ouvrage ayant ouvert des négociations après l’ouverture des plis pour mettre en concurrence les mieux placés, avant de faire son choix définitif.
176. Le dossier comporte en outre la déposition de M. 12…, directeur commercial de la société Solétanche (cotes 751 à 759 du rapport), qui déclarait le 18 juin 1996 :
« Ces documents concernent le siphon Ernest Renan à Nanterre. Pour cette affaire, Solétanche a étudié l’affaire avec France Travaux, Simep et Bessac spécialiste tunnel à air comprimé. Mais Bessac a aussi été consulté par Fougerolle, très intéressée par l’affaire. Bessac était à 45 % filiale de Solétanche. Solétanche, à savoir moi-même, a autorisé M. 13… à remettre une offre de sous-traitance à Fougerolle-Ballot. Ce qu’ils ont fait. De notre côté, nous avons demandé à Bessac que son prix dans notre groupement soit au moins aussi bien placé que celui donné à Fougerolle. Concernant le feuillet 284 qui fait état de « coup de canif dans le contrat » ou encore au feuillet 299 « c’est SO qui a trahi », je crois me souvenir qu’avant la remise des offres et suite aux démarches de Bessac précitées, j’ai participé à une réunion chez Fougerolle, notamment avec M. 14…, car nous avons envisagé de répondre ensemble. Cela n’a pas été possible, compte tenu des exigences de chacun au regard des techniques de travaux, mais il a été évoqué que si l’un d’entre nous avait l’affaire, éventuellement il reverserait en quelque sorte des indemnités d’études à l’autre. A ma connaissance, ceci n’a pas été appliqué ».
177. M. 15…, ingénieur d’affaires auprès de la société Solétanche a déclaré le 18 juin 1996 (cote 760 à 764) :
« Sur cette affaire nous sommes partis en groupement avec France-Travaux, SIMEP et Bessac. Dans un premier temps Fougerolle s’est rapprochée de nous pour répondre ensemble. Il y a eu des réunions techniques, 1 ou 2 au maximum, auxquelles j’ai assisté, Fougerolle envisageant les puits en traditionnel, Solétanche en parois moulées. Faute d’accord, chacun a décidé de répondre de son côté. Après la remise des offres, ayant appris qu’on risquait de la perdre car nous n’étions pas 1er en base, j’ai défendu notre solution technique variante auprès de la DDE et la maîtrise d’œuvre et nous avons été retenus. Par la suite, devant préparer la convention de groupement avec nos partenaires désignés, M. K… m’a demandé de prévoir une indemnisation de 600 000 francs pour Ballot sans m’en donner le motif. Cette indemnisation apparaît de fait dans ma note du 12 avril 1995 au feuillet 266. Cependant je ne saurais dire si elle a été finalement versée ».
178. M. 16…, directeur général adjoint de la société Fougerolle-Ballot a indiqué le 8 juillet 1996 (cote 765 à 768 du rapport) :
« Je ne me souviens pas d’avoir eu des contacts sur l’affaire du Siphon de Nanterre, avec des gens de Solétanche. Sur ce marché il nous fallait un partenaire ou un fournisseur en tunnelier et nous avons d’abord contacté les étrangers, mais en vain. Nous avons alors demandé une offre à Bessac, mais ils étaient déjà groupés avec leur maison-mère ».
179. Un document daté du 30 mars 1995 atteste cependant de sa participation à une réunion qui s’est tenue avec des représentants de Solétanche au sujet de ce marché, ledit document comportant par ailleurs l’indication de leurs offres respectives (cote 769 du rapport).
27 - Le souterrain du Boulevard National(marché DDE)
• – La procédure d’appel d’offres
180. L’appel à candidatures est intervenu le 1er mars 1995, mentionnant comme date limite de remise des candidatures le 13 avril 1995. Sur les vingt-sept réponses reçues, seize ont été retenues. L’appel d’offres a été lancé le 16 juin 1995, la date limite de remise des offres étant fixée au 26 juillet 1995. L’ouverture des plis est intervenue le 31 juillet 1995. L’estimation de l’administration s’élevait à 119 825 055 F TTC.
181. Le tableau suivant récapitule les 10 offres reçues : TABLEAU
182. Le marché a été attribué au groupement moins-disant, celui de Bouygues, pour un montant de 99 810 303 F. HT, lequel montant a finalement été fixé à 120 371 225,42 TTC après corrections et après la modification du taux de TVA (de 18,6 % à 20,6 %).
• – Les pratiques relevées
183. Une note manuscrite de M. 15… (initiale PGL) à son collègue M. K… (JPG), le premier faisant le point sur des affaires en vue du retour de congé du second, a été saisie chez Soletanche. Datée du 28 juillet 1995, soit trois jours avant l’ouverture des plis (cote 772 du rapport), elle est rédigée en ces termes :
« 8, Boulevard national
– remise des offres dans l’ordre –
– offre globale du groupement BO – UR – INT à [environ] 90 MF (<< au budget) -> voir 18…
BO n’a répondu qu’en solution de base :
(…….)
Un protocole existe sur le sujet (reste à définir la clé de répartition). J’ai eu 18… et 17… le jour de la remise de l’offre ».
184. Les entreprises citées dans le document sont Bouygues (BO), Urbaine de Travaux (UR) et Intrafor (INT), membres du groupement ayant déposé l’offre la moins disante.
185. Les personnes citées appartiennent aux sociétés Soletanche (MM. 15… et K…), Bouygues (M. 17…) et Intrafor (M. 18…), entreprises ayant répondu dans le cadre de groupements différents.
186. M. 15…, a déclaré, au sujet de cette note (cotes 760 à 764) :
« Feuillets 33 à 38 : il s’agit d’une note qui fait le point sur les affaires en cours avant mon départ en vacances, adressée à M. K… au feuillet 35 pour le Boulevard National il s’agit de l’appel d’offres relatif au souterrain national de l’A 86. La mention « remise des offres dans l’ordre » signifie pour moi que les offres ont été remises conformément aux instructions que m’avait passées M. K… Pour le protocole cela signifie sans doute que M. K… m’avait indiqué que Soletanche pouvait prétendre obtenir une partie des travaux spéciaux en vertu d’un protocole existant. M. 18… est de la société Intrafor. C’est probablement lui qui m’a communiqué des informations sur l’offre de son groupement. La finalité de la démarche était, en y participant, de proposer une solution meilleure techniquement, en coût, et en délai ».
28 - La station de pompage Leclerc à Nanterre (marché Conseil Général)
• – La procédure d’appel d’offres
187. L’appel à candidatures est intervenu le 16 août 1995. Il mentionnait comme date limite de remise des candidatures le 22 septembre 1995. Sur les vingt-neuf réponses reçues, douze ont été retenues. L’appel d’offres a été lancé le 9 novembre 1995, la date limite de remise des offres étant fixée au 30 novembre 1995. L’ouverture des plis est intervenue le 19 décembre 1995.
188. Le tableau suivant récapitule les offres reçues : TABLEAU
189. Le marché a été attribué au groupement moins-disant TPI/Chantiers Modernes/Cegelec/GTMH, pour un montant de 56 987 819 F. HT.
• – Les pratiques relevées
190. Des notes manuscrites de M. B…, directeur commercial de la société Nord France TP intitulées « Perspectives », ont été saisies (cotes 773 du rapport). Elles énumèrent différents projets concernant des stations dans les départements 93 (« stat. 93 »), 92 (« DSED 92 ») et 94 (« VITRY-BUS »). Au milieu du document figure, à la rubrique « actuellement », la mention : « TPI + CM = Sion LECLERC ».
191. Ces notes ne sont pas datées, mais le document est datable. En effet, les notes de la page précédente sont datées du 10 avril 1995, tandis que la date suivante qui figure trois feuillets plus loin est le 23 août 1995. Le document dont l’intitulé est « Perspectives », évoque également d’autres marchés, assortis pour leur part de la mention « projet ». Ces notes ont été rédigées plusieurs mois avant la remise des offres et l’ouverture des plis pour le marché de la station Leclerc qui ont eu lieu en fin d’année 1995.
192. Les initiales mentionnées correspondent à celles de deux entreprises du groupement ayant remporté le marché (TPI et Chantiers Modernes), ce qui tend à établir que la société Nord France, classée sixième lors des résultats de l’appel d’offres, connaissait par avance le résultat de la consultation.
193. Il faut noter que les noms des sociétés Borie, Campenon-Bernard, Chantiers Modernes et GTM figurent sur le document comptabilisant les retards et avances de la table « stations » saisi chez M. I…, dans les locaux de la société Bouygues, figurant cote 480 reproduit ci-après :
194. « Résultat de la table stations : 1 Borie retard + 1 5
2 CB- 8
3 CM avance – 10
4 fg avance – 8
5 GTM retard + 10
6 Citra retard + 25 ».
29 – RD 39 Passage sous les voies du RER – (marché Conseil Général)
• – La procédure d’appel d’offres
195. L’ouverture des plis a eu lieu le 17 mai 1994.
196. Bien que moins-disante, la société Parenge s’est vue préférer Viafrance, en raison d’incompatibilités techniques de son offre avec le cahier des charges.
• – Les pratiques relevées
197. Parmi les documents saisis au sein de la Société Parenge figurent des devis estimatifs pour cette affaire, adressés à Parenge par l’Urbaine de Travaux respectivement les 7 mars 1994 et 8 mars 1994, soit plus de deux mois avant l’ouverture des plis. Il y figure également un détail estimatif « U.T. » établi par la société Parenge le 10 mai 1994.
198. Un bordereau de fax de transmission du 7 mars 1994 à entête Urbaine de travaux, intitulé « proposition de prix UT –RN 39 Passage sous les voies RER Rueil Malmaison » adressé à PAR. EN. GE a également été retrouvé (cote 774 du rapport).
e) - Les marchés du département 93
30 – Le Bassin du Grand Stade – Lots 1 et 2
• – La procédure d’appel d’offres
199. Le marché, ayant pour maître d’ouvrage le SIAAP, porte sur la construction d’un bassin de retenue d’eaux pluviales de 165 000 m3 sur le site du Grand Stade à St Denis, surmonté d’un parking de 1 400 places. L’opération comporte deux lots : l’un concerne le bassin et le parking, l’autre, dit « tuyaux », concerne les collecteurs d’alimentation et de vidange de bassin, de diamètre 3 à 3 m 50 pour une partie, de 4 m à 4 m 50 pour le reste.
200. L’appel à candidatures est intervenu le 17 mars 1995. Il mentionnait comme date limite de remise des candidatures le 24 avril 1995. Sur les vingt-et-une réponses reçues tant pour le lot 1 que pour le lot 2, huit groupements ont été retenus pour le lot 1, neuf groupements et deux entreprises pour le lot 2. L’appel d’offres a été lancé le 26 avril 1995, la date limite de remise des offres étant fixée au 6 juin 1995. L’analyse des offres est intervenue les 7 et 8 juin 1995, l’attribution le 9 juin 1995.
201. Le tableau suivant récapitule les offres reçues pour le lot 1 estimé par le SIAAP à 247 000 000 F. HT. : TABLEAU
202. Le marché a été attribué au groupement moins-disant, Bouygues/Sif/Bachy/Soletanche, la société Bouygues étant leur mandataire.
203. Tableau des offres pour le lot 2 estimé par le SIAAP à 78 400 000 F. HT. : TABLEAU
204. Le marché est attribué au groupement moins-disant Quillery/Sade/Devin Lemarchand.
• – Les pratiques relevées
205. Une pièce manuscrite a été saisie chez M. J… de la société Quillery (cote 775 du rapport). Elle comporte en haut de page la mention : « C.R. de la réunion du SNBATI du 10 février 1995 », ainsi que « SIAAP » et les pièces font effectivement référence à des marchés du SIAAP. : Clichy-la-Briche, Colombes, Cachan/Charenton. En bas de page figurent les mentions suivantes : « STATIONS : ~ bassin du Grand Stade -> BY – voir à compenser sur tuyaux». Dès le 10 février, Bouygues était pressenti pour le lot bassin et Quillery pour le lot tyaux, en compensation.
206. Dans une chemise intitulée « Grand Stade », saisie chez M. I…, de la direction TPRP de Bouygues, en charge du secteur de l’eau et de l’assainissement, figure l’avis d’appel de candidatures et une chemise de couleur jaune sur laquelle sont inscrits à la main des noms d’entreprises (cotes 776 – 777 du rapport). Au verso du feuillet 9 (cote 778), un tableau non daté à deux colonnes mentionne les deux lots prévus (bassin/tuyaux). Chaque colonne comprend une liste d’entreprises ou de groupements, recensant ainsi les entreprises ayant répondu à l’appel de candidatures, avec des points d’interrogation devant certaines (CB, GTM).
207. Dans un cahier de notes manuscrites appartenant également à M. I… est mentionnée, au verso du feuillet 6 (cote 779 du rapport), une liste de responsables d’entreprises en face du nom desquels sont indiqués des numéros de téléphone. Dans trois cas (Razel, Bachy et Fougerolle-Ballot), la mention « fait » est apposée. Le recto dudit feuillet porte la date du 23 mars 1995. La date suivante mentionnée au verso du feuillet 7 est le 11 avril 1995. Lors de son audition, M. I… a indiqué que ces mentions concernaient la consultation du bassin du Grand Stade et qu’il avait contacté les entreprises et responsables signalés pour « connaître leur intention vis-à-vis de cette affaire », avant la soumission des offres (cotes 780 à 782 du rapport).
208. Dans ce même cahier, M. I… a inscrit au feuillet 10, à la rubrique « rappeler », les noms des responsables des entreprises concurrentes pour le bassin du Grand Stade. Au feuillet 11 verso du même cahier (cote 783 du rapport), daté du 17 mai 1995, il est fait état d’une réunion avec les représentants de trois groupements concurrents, Urbaine/Nord France (filiale de la société Philippe Holzmann) représentée par M. B…, directeur commercial de Nord France TP, Bilfinger en groupement avec Razel et Balineau, en groupement avec Chantiers Modernes.
209. Auditionné sur ces documents M. I… a donné les précisions suivantes (cotes 784 à 786 du rapport) : « En ce qui concerne le chantier Bassin du Grand Stade, vous me présentez des notes manuscrites dans mon cahier au 10 mai 1995, feuillet dix cote deux scellés I DNEC, la première partie mentionne les noms des responsables des autres sociétés consultées. J’ai contacté le 10 mai 1995 ces personnes pour leur demander quelles étaient leurs intentions et si elles souhaitaient éventuellement faire un regroupement avec nous et quelles étaient leur position. M. 19… est directeur de Citra, M. V… est le DG de TPI, M. 20… est commercial chez Intrafor, M. O… est commercial chez Chantiers Modernes, M. R… est directeur travaux publics chez GTM, Monsieur 21… est commercial chez Fougerolle et M. 16… est directeur adjoint chez Fougerolle. M. 22… appartient à la société Bilfinger et M. 3… est de la société Borie et M. 23… travaille à la société Quillery. » Il est à noter qu’en l’espèce, les groupements ont été constitués à l’occasion de l’appel de candidatures et agréés comme tels en avril 1995 par le maître d’ouvrage.
210. Des tableaux établis par M. I… ont également été saisis. Trois de ces tableaux sont manuscrits. Le premier tableau date du 24 mai 1995 (cote 787 du rapport). Le 2ème tableau est une correction du précédent (cote 788). Le 3ème tableau figure entre deux feuillets datés respectivement du 30 et du 31 mai 1995 (cote 789). Le 4ème tableau est également non daté mais saisi en intercalaire (cote 790).
211. Le tableau en bas de page reprend les données succéssives de ces différents tableaux et les rapproche du tableau d’ouverture des plis établi le 6 juin 1995.
212. Ces tableaux, antérieurs à la remise des offres, comportent des surcharges et ratures. Ils répertorient les approches successives initiées par Bouygues afin d’élaborer des offres en liaison avec les autres entreprises soumissionnaires.
213. Les montants des offres de Bouygues, TPI, Chantiers Modernes et Urbaine de travaux pour le lot 1 figurant sur le tableau 4 et des offres de Coccinelle, Bouygues, Borie, Perforex, Urbaine de travaux et TPI pour le lot 2 (tableau 3) sont très proches, voire identiques à celles effectivement remises le 6 juin 1995.
214. M. I… a déclaré, lors de son audition (cote 780 à 782 du rapport) :
« Vous me présentez mes notes manuscrites figurant cote deux, feuillet 12 verso et 13 sous scellé III DNEC, comportant le nom des entreprises ou groupement d’entreprises et des montants en MF. Ces montants ont été communiqués pour TPI par M. Barrisat, pour Quillery par MM. 24… et 23…, pour Razel par M. 25… sans certitudes, pour Borie par Negrier, pour CM-GTM par M. 26… ou M. R…, pour le groupement Nord France, A… ou M. B… Ces montants ont été communiqués après la remise des plis.
Question : Quel est l’intérêt pour vos concurrents et pour BOUYGUES de connaître ces offres après leur remise ?
Réponse : Il s’agit de connaître très rapidement à quel niveau se situe mon offre par rapport aux autres concurrents.
Vous me faites remarquer que figure sur ce document un montant de 240 MF pour Bouygues, il s’agit de ce que j’ai déclaré à mes concurrents comme montant de ma soumission, et qui ne correspond pas au montant réellement remis.
Vous me présentez un tableau récapitulatif figurant sous votre cote 2, feuillet 14, scellé III DNEC, ce tableau a été établi à ma demande par monsieur Marteau me semble-t-il. Il reprend les différents chiffres figurant dans mes notes et correspondant aux offres de mes concurrents.
Ce tableau a été réalisé après la remise des plis.
Question : Quel est l’intérêt d’établir un tel tableau reprenant les offres des concurrents alors que les plis ont déjà été déposés ?
Réponse : Ceci devait me permettre de situer mes concurrents pour répondre à d’éventuelles questions.
Question : A quels types de question, ce type de tableau peut-il vous permettre de répondre ?
Réponse : ceci me permet de savoir si je peux augmenter mon offre sans risque dans le cadre de la mise au point du marché qui peut faire varier le montant du marché en plus ou en moins.
Question : les chiffres portés sur ce tableau ne correspondent-ils pas en fait à des offres de couverture réalisées par Bouygues, désireuse d’obtenir le marché et remises à ses concurrents ?
Réponse : Non ».
215. M. 25…, de la société Razel, a indiqué avoir été contacté par M. I… en ces termes (cotes 791 – 792 du rapport) :
« Vous me présentez au scellé III du 13 septembre 1995 de la société Bouygues, bureau de M. I…, un cahier cote « 2 » les feuillets 6 verso et 10 où figurent mon nom. Vous me donnez lecture des dépositions de M. I… sur ces documents. J’ai effectivement été contacté par monsieur I… Dans cette affaire, j’avais à faire l’étude du coût technique. J’ai renvoyé Monsieur I… sur Monsieur 27…, car en ce qui me concerne je n’avais aucun rôle en matière de relations avec les confrères. Vous me présentez dans ce même cahier les feuillets 12 verso, 13, 14 et 1 5 qui sont des tableaux avec les entreprises consultées pour l’affaire du bassin du Grand Stade et des montants, Razel figurent sur ces listes. Je n’étais pas à la réunion de bouclage sur cette affaire, le prix de vente a été fixé par la direction Ile-de-France soit Monsieur 27…
Je ne m’explique pas ces tableaux. Après la remise des offres, je n’ai pas été contacté par M. I… ou tout autre personne de Bouygues et je ne leur ai pas communiqué le montant de notre offre ».
31 - La couverture de l’autoroute A1
• – La procédure d’appel d’offres
216. L’appel à candidatures est intervenu le 22 février 1995. Il mentionnait comme date limite de remise des candidatures le 3 avril 1995. L’appel d’offres a été lancé le 16 mai 1995, la date limite de remise des offres étant fixée au 30 juin 1995.
217. Le marché a été attribué au groupement moins-disant Quillery/Chantiers Modernes, pour un montant, après certaines mises au point, de 89 232 394 F. HT.
• – Les pratiques relevées
218. Un document manuscrit non daté (cote 793 du rapport), saisi chez M. B…, directeur commercial de la société Nord France TP, fait référence à deux marchés, dont la couverture de l’autoroute A1. Il est précédé d’un feuillet daté du 29 mai 1995. Il y est indiqué :
« Couverture A1
2eCM 87
3e92
4e TPI 95
Sobea – DG – Segex 98
By98
NF 118
FO120».
219. Auditionné sur cette pièce, M. B… a fait les déclarations suivantes (cotes 458 à 463) :
« Vous me présentez le scellé treize DNEC, feuillet coté deux. C’est bien moi qui ai rempli ce document, cependant ce n’est pas moi qui l’ai agrafé à cet endroit.
Les chiffres portés sur ce feuillet, sous la mention « couverture A1» correspondent à des informations approximatives sur le niveau de l’offre des concurrents. Ces niveaux m’ont été communiqués après la remise des offres. En ce qui concerne la société TPI, mon interlocuteur était probablement M. 29… Je n’ai jamais contacté la société Chantiers Modernes et le montant de son offre a dû m’être communiqué par un autre confrère contacté dont je ne me souviens plus l’identité.
En ce qui concerne Fougerolle, nous avions fait un groupement, et les montants de 118 MF et 120 MF indiquent l’offre de base et la variante. Pour Sobea, je ne me souviens plus qui m’a donné cette information. (…)».
220. Il est à noter que les sociétés Nord France et Fougerolle ont répondu séparément, la première en groupement avec l’entreprise Chagnaud, la seconde en groupement avec Fougerolle Ballot. Le classement indiqué ne coïncide en outre pas avec le résultat effectif, dans la mesure où la société Chantiers Modernes (CM) a été 1ère moins disante et TPI 2ème.
32 - La tranchée couverte Repiquet
• – La procédure d’appel d’offres
221. L’appel à candidatures est intervenu le 29 novembre 1993. Il mentionnait comme date limite de remise des candidatures le 10 janvier 1994. Sur les quarante et une réponses reçues, vingt entreprises et groupements ont été retenus. L’estimation s’élevait à 440 MF. La date limite de remise des offres a été fixée au 6 mai 1994. Le marché a été attribué au groupement Razel, le moins-disant.
• – Les pratiques relevées
222. Les indices qui ont été recueillis et analysés par le rapporteur (cf. page 205 et suiv. du rapport) reposent :
– sur l’examen comparatif des offres par poste, à partir d’un échantillon pris dans chacune des neufs séries de prix afférents à ces postes, révélant tantôt des prix identiques ou très proches, tantôt la répétition d’une différence de prix résultant uniquement de l’inversion des chiffres ou de la modification d’un de ces chiffres, tantôt l’ajout d’un chiffre pour les prix les plus élevés ;
– sur la référence à une table « DDE 93 » dans la note « Politique commerciale TPRP » datant de 1994, retrouvée dans les locaux de la société Bouygues ;
– sur la répartition presque égalitaire des travaux entre les entreprises soumissionnaires appartenant aux deux groupements ayant fait les meilleures offres : Razel et Bouygues, 30 % chacun, Solétanche, 25 %, Demathieu et Bard, 15 %.
f) - Les marchés du département 94
223. Chaque année, le Conseil général du Val-de-Marne lance un appel à candidature général relatif au programme de travaux du département, notamment en travaux publics/voiries, ouvrages d’art, terrassement, éclairage et signalisation, appel d’offres identifié par les initiales « RD VDM ». Parmi les documents saisis au siège de la société France Travaux a été trouvée une chemise intitulée « Départ. 94 » contenant :
- une note manuscrite (cote 794 du rapport) avec les indications suivantes : « Lévy- Villejuif le 14 juin 94
Voie de l’épi d’Or= 8 MF de GC(à Villejuif)
SPM + F TX1, 5 MF TTC6, 5 MF TTC
en 1995 2ème trimestre1996
Date offre
Villejuif RD 55 (Ave Aragon RN7/Rue de la Commune
3, 5 MF TTC
Emulithe ».
- une autre note manuscrite datée du 30 janvier (cote 795 du rapport), classée entre le document précédent du 14 juin 1994 et deux lettres dactylographiées du 10 janvier 1994 et du 25 avril 1994 : elle comporte les indications suivantes :
« Opérations Levy FTX
n° 1 (2)345(6)
RD 127 àRD 55 2A
ArcueilRue J. Jaurès +
Dulcie September Guynemer à Villejuif
+ SPM5 000 kF
(à partager)
EPI D’OR en 95
1 = RD 57 L’Hay les Roses Sacer+ Colas = 4 MF
(2) = RD 127 Arcueil FTX + SPM = 2 MF = Dulcie September
3 = RD 60 à Chevilly Larue –Kéravec et Mercier = 3 MF
4 = Carref. RD 126bis/R60 à Chevilly Larue SPTP = 2 MF
5 = Carrefour (un mot illisible) Paris RD65/R60 Thiais = 2 MF
SNPR+Emulithe
(6) = RD 55 2 A rue J Jaurès à Villejuif
FTX + SPM 5 000 QF ».
224. Des investigations entreprises, il ressort :
– Qu’aux dates d’établissement des documents susmentionnés aucun de ces appels d’offres n’avait encore été lancé ;
– Que pour la RD 57 et la RD 60 les attributaires des marchés sont bien ceux prévus dans ces documents ;
– Que la société SPM a obtenu le marché concernant la RD 127, la société France Travaux (« F TX ») ayant finalement présenté une offre séparée classée en deuxième position ;
– Que le marché concernant le carrefour RD 126 bis/RD60 a finalement été attribué au groupement constitué par les sociétés SPTP/Urbaine de travaux.
33 - La RD 57 à l’Haÿ-les-Roses
• – La procédure d’appel d’offres
225. L’appel d’offres a été lancé le 7 juin 1994, la date limite de remise des offres étant fixée au 7 juillet 1994.
226. Le tableau suivant récapitule les 11 offres reçues : TABLEAU
227. Le marché a été attribué au groupement le moins-disant, Sacer/Colas, pour le montant de son offre.
• – Les pratiques relevées
228. Le document manuscrit (cote 795 du rapport) daté du 30 janvier, trouvé dans les locaux d’un des compétiteurs, la société France Travaux, classée neuvième sur onze, porte la mention : « 1 = RD 57 L’Haÿ-les-Roses Sacer+ Colas = 4 MF » (paragraphe 249). Ainsi, quatre mois avant le dépôt des offres, il a été convenu que le marché serait attribué au groupement Sacer/Colas. Au vu du montant du marché mentionné dans ce document, 4 MF, soit une différence de plus de 2 MF par rapport au montant de l’offre retenue, ce document ne peut être interprété comme transcrivant le résultat de l’appel d’offres.
34 – La RD 127 à Arcueil (élargissement au droit du collège Dulcie September)
• – La procédure d’appel d’offres
229. L’appel d’offres a été lancé le 16 mai 1994, la date limite de remise des offres étant fixée au 7 juin 1994.
230. Le tableau suivant récapitule les 11 offres reçues : TABLEAU
231. Le marché a été attribué à SPM, entreprise la moins-disante.
• – Les pratiques relevées
232. Le document manuscrit (cote 795 du rapport) daté du 30 janvier, trouvé dans les locaux de la société France Travaux, classée en l’espèce 2e, porte la mention : « (2) = RD 127 Arcueil FTX + SPM = 2 MF = Dulcie September » (paragraphe 249). A l’époque, il a été convenu que le marché serait attribué à la société « Les paveurs de Montrouge » (SPM), en groupement avec France Travaux, pour un montant se rapprochant du montant de l’offre déposée et retenue.
35 - La RD 60 à Chevilly-la-Rue
• – La procédure d’appel d’offres
233. L’appel d’offres a été lancé le 12 juin 1995, la date limite de remise des offres étant fixée au 4 juillet 1995.
234. Le tableau suivant récapitule les 12 offres reçues : TABLEAU
235. Le marché a été attribué au moins-disant, Keravec et Mercier.
• – Les pratiques relevées
236. Le document manuscrit (cote 795 du rapport) daté du 30 janvier, trouvé dans les locaux de la société France Travaux, classée huitième sur douze, porte la mention : « 3 = RD 60 à Chevilly Larue –Kéravec et Mercier = 3 MF » (paragraphe 249). Le montant du marché y est estimé à 3 MF, ce qui correspond à l’offre de France Travaux. Cette somme est supérieure au montant de 2,76 MF de l’offre déposée, par le moins-disant, ce qui atteste qu’il ne peut s’agir du résultat de l’appel d’offres.
36 - Le carrefour RD 126 bis/RD 60 à Chevilly-la-Rue
• – La procédure d’appel d’offres
237. L’appel d’offres a été lancé le 5 août 1994, la date limite de remise des offres étant fixée au 2 septembre 1994.
238. Le tableau suivant récapitule les 11 offres reçues : TABLEAU
239. Le marché a été attribué au groupement SPTP et TP/Urbaine de Travaux, moins-disant en l’espèce.
• – Les pratiques relevées
240. Le document manuscrit (cote 795 du rapport) daté du 30 janvier, trouvé dans les locaux de la société France Travaux, classée septième, porte la mention : « 4 = Carref. RD 126bis/R60 à Chevilly Larue SPTP = 2 MF » (paragraphe 249). Ce résultat coïncide avec la note manuscrite avec cependant deux différences :
– Il n’était pas envisagé à l’époque que la Société Parisienne de Taille de Pierres et Travaux Publics (SPTP et TP) soumissionne conjointement avec la société Urbaine de Travaux ;
– Il existe une différence notable entre le montant de l’offre envisagée (2 MF) et celui de l’offre effectivement déposée (3 MF).
241. Ceci confirme que le document du 30 janvier retrouvé chez l’une des entreprises soumissionnaires ne peut être interprété comme le résultat de l’appel d’offres.
37 – Le prolongement de la voie de l’Epi d’Or à Villejuif, jusqu’à la RD 55
• – La procédure d’appel d’offres
242. L’appel d’offres a été lancé le 30 octobre 1995, la date limite de remise des offres étant fixée au 21 novembre 1995.
243. Le tableau suivant récapitule les 12 offres reçues : TABLEAU
244. Le marché, estimé par l’administration à 9 489 212 F. HT, a été attribué à la société Urbaine de Travaux, moins-disante.
• – Les pratiques relevées
245. Le document manuscrit (cote 795 du rapport) daté du 30 janvier, trouvé dans les locaux de la société France Travaux contient la mention « (6) = RD 55 2 A rue J Jaurès à Villejuif FTX + SPM 5 000 QF » (paragraphe 249).
246. Plusieurs autres documents relatifs à ce marché ont été saisis chez France Travaux, entreprise classée deuxième.
247. En premier lieu, une chemise intitulée « RD 55 étude FTX » comprend notamment une télécopie adressée par France Travaux à Urbaine de Travaux, le 15 novembre 1995, soit six jours avant la remise des offres, par laquelle France Travaux lui transmet ses prix (cotes 809 à 811 du rapport). Le message, expédié sous l’en-tête EVEN, la filiale espaces verts et environnement de la société France Travaux, située à la même adresse, porte la mention : « ci-joint nos prix concernant la tranche ferme ». Il comporte deux séries de chiffres, des chiffres tapés à la machine ainsi que des chiffres manuscrits, ces derniers correspondant à ceux effectivement remis le 21 novembre 1995. Figure également dans cette chemise un tableau informatique, daté du 10 janvier 1996, soit postérieur à l’appel d’offres (cotes 812-813). Les premières colonnes sont les prix de tous les postes du marché. Les deux suivantes sont intitulées « URBAINE » et les deux dernières « FRANCE TRAVAUX ».
248. En deuxième lieu, un détail estimatif, daté du 13 novembre 1995, soit antérieur à la date limite des offres, a également été saisi. Les montants tapés à la machine correspondent à ceux de la télécopie adressée à Urbaine de Travaux le 15 novembre 1995 (cotes 814 à 818). Le premier feuillet (cote 814) porte, à l’encre rouge, la mention : « répondre 2ème – ST à prendre ». Il atteste qu’il était donc convenu que France Travaux fasse une offre qui la situerait en deuxième position et qu’en compensation, une partie des travaux devait lui être accordée en sous-traitance.
249. En dernier lieu, une autre chemise (cotes 819 à 827) portant les initiales « UT/FT » contient une télécopie datée du 17 novembre 1995, soit quatre jours avant la remise des offres, par laquelle Urbaine de Travaux adresse à France Travaux son détail estimatif.
g) - Le marché du département 77
38 - La déviation de Soignolles
• – La procédure d’appel d’offres
250. L’appel à candidatures est intervenu les 4 et 11 février 1994, la date limite de remise des candidatures étant fixée au 18 mars 1994. Sur les cinquante réponses reçues, dix entreprises et groupements ont été retenus le 1er juillet 1994. Les plis ont été ouverts le 29 octobre 1994.
251. Le tableau suivant récapitule les neuf offres reçues :
252. Le marché a été notifié le 3 février 1995 à la société GTM (sur la base de sa variante), laquelle a constitué une société en participation avec Chantiers Modernes par un acte en date du 9 février 1995, chaque associée détenant 50 % des parts.
• – Les pratiques relevées
253. Des notes manuscrites établies par M. A…, président directeur général de la société Nord France TP, intitulées « CG 77- Soignolle- Montessuy » ont été saisies dans les locaux de cette société (cote 828 du rapport). Elles sont apposées sur un cahier dont les précédentes notes sont datées du 27 avril 1994 et les suivantes du 3 mai 1994. Les indications suivantes ont été identifiées :
Razel : répond (… ) avec variante
BY prix (…) - forfait
CB 30… - OK ».
254. Appelé à s’expliquer, M. A… a déclaré (cote 464 à 466) : « Vous me présentez le scellé n° 4 du 18 octobre 1995 de la DNEC. Sur le feuillet 6, en bas de page, pour une consultation du Conseil général du 77, où sont notées trois entreprises concurrentes avec des indications de ce qu’elles ont fait pour cet appel d’offres. Ces indications m’amènent à dire que M. B… a eu des renseignements avec le client ou les entreprises ».
255. M. B…, directeur commercial de la même société, a indiqué : « Vous me présentez le scellé 6 et vous me donnez connaissance des notes de M. A… et de ses déclarations sur cette pièce. Je ne me souviens pas. C’est sans doute la recherche de partenaires, du fait du manque de combativité du personnel de Nord France » (D 310).
256. M. Z…, salarié de Nord France TP jusqu’au 31 janvier 1995, a déclaré : « En 1994, Nord France a laissé passer sur Déviation de Soignolles en Brie (près de Melun) ».
257. M. 30…, adjoint au directeur technique de la société Campenon-Bernard (CB), a fait la déposition suivante (cote 829 à 832) : «Je ne vois pas à quoi ces mentions font référence. Je ne pense pas avoir été contacté par M. A… ou toute autre personne de Nord France à propos de ces affaires. Vous me présentez au même scellé le feuillet 6 verso avec en bas de la page la mention « 30… -Ok. Je ne vois pas ce que cela signifie ».
h) - Le marché du département 78
39 - Le marché de l’adduction d’eau de la ZAC d’Ablis
• – La procédure d’appel d’offres
258. L’appel à candidatures est intervenu le 11 août 1994, la date limite de remise des candidatures mentionnée étant le 2 septembre 1994. Sur les trente et une réponses reçues, dix ont été retenues. La date limite de remise des offres a été fixée au 29 septembre 1994.
259. Le tableau suivant récapitule les quatre offres reçues : TABLEAU
260. Le marché a été attribué au groupement SOBEA/OGCA moins-disant. Par acte de sous-traitance d’avril 1995, Nord France Eau et Environnement (NFEE) a obtenu une part de travaux sur la commune de Ste Mesme, pour un montant de 533 367, 92 F TTC, soit 10, 5 % du marché.
• – Les pratiques relevées
261. Plusieurs documents manuscrits relatifs à ce marché ont été saisis dans les locaux de la société Sobea Ile-de-France.
262. En premier lieu, le feuillet 60 (cote 833 du rapport) évoque une « répartition des travaux » entre Sobea, OGCA, Nord France, Pichon et un cinquième intervenant, Sorier. Figure également la mention « sous traitant NFEE PICHON/2e temps » et « 2e temps/groupement additif à la convention/entrée de NFEE et PICHON suivant travaux à réaliser ». L’original de ce document a été présenté au directeur juridique de la société Sobea Ile-de-France, qui a déclaré (cote 22) : « Je constate qu’il y a deux dates qui ont marqué le papier sans que l’on sache si cela a été fait par une écriture sur le papier lui-même gommée ensuite ou par surimpression à partir d’un autre feuillet. Ces dates semblent être celles du 3.09.94 et du 16.09.94, sans que l’on soit certain de pouvoir lire le chiffre 6 et le chiffre 9 de l’année concernant cette deuxième date ».
263. En second lieu, les trois autres feuillets saisis, qui comprennent de nombreuses indications, correspondent également à des projets de répartition des travaux sur les territoires des lieux-dits traversés, entre les quatre sociétés des deux groupements concurrents à cet appel d’offres. Les chiffres diffèrent d’un document à l’autre. L’acte d’engagement du groupement Sobea/OGCA ne comportait aucune indication concernant une éventuelle sous-traitance (cotes 840 à 843).
i) - Le marché de la Ville de Paris
40 - Le collecteur arrière d’Austerlitz
• – La procédure d’appel d’offres
264. L’appel à candidatures est intervenu le 4 mars 1994, la date limite de remise des candidatures mentionnée étant le 21 mars 1994. Sur les quarante-cinq réponses reçues, vingt-six ont été retenues. L’appel d’offres a été lancé le 19 juillet 1994, la date limite de remise des offres étant fixée au 29 septembre 1994.
265. Le tableau suivant récapitule les vingt-trois offres reçues :
266. Le marché a été attribué à la société DG Construction, moins-disante en l’espèce.
• – Les pratiques relevées
267. Plusieurs documents saisis dans les locaux de la société Parenge concernent ce marché :
– Un bordereau de fax daté du 9 septembre 1994, soit 17 jours avant la remise des offres atteste que M. 31…, de la société Parenge, a transmis à M. 32…, de la société Chantiers Modernes, la « page 2 du métré rectifiée » (cote 844 du rapport).
– Une note manuscrite à entête Parenge datée du 21 septembre 1994, soit 5 jours avant la remise des offres, mentionne (cote 845) : « Affaire : SEMAPA collecteur arrière/objet : bouclage - CM/32… Parenge/31… ». Il y est question de personnel (« équipe 8 hommes »), de moyens en matériels, de prix et de frais de chantier.
- Un bordereau de fax du 26 septembre 1994, date limite de la remise des offres, atteste que la société Parenge a transmis à la société Chantiers Modernes le double de l’étude effectuée ainsi que la proposition de la société Botte avec laquelle elle a présenté une offre conjointe (cote 846). La transmission vise à la fois la solution de base, la solution de base aménagée et la base variante. Pour chacune, figure tout à la fois le planning, le métré revu, le « 2A », le DQE, le cahier de sous détails et la liste « Éléments triés par ND et rubriques ». La télécopie de Botte faisant état d’un rabais de 10 % consenti est également communiquée.
j) - Les marchés de l’EPAD
268. L’EPAD est l’établissement public d’aménagement de la Défense. Il a notamment lancé des marchés pour la construction de l’autoroute A14 entre la Grande Arche et le Pont de Carrière sur Seine.
41 – Le marché passé pour la construction de l’A14 – lot 6 (tranchée couverte entre PK 2025 et 2865)
• – La procédure d’appel d’offres
269. L’appel à candidatures est intervenu le 23 juillet 1993, la date limite de remise des candidatures mentionnée étant le 16 août 1993. Sur les trente-six réponses reçues, vingt ont été retenues le 6 octobre 1993. L’appel d’offres a été lancé le 22 octobre 1993, la date limite de remise des offres étant fixée au 25 décembre 1993. L’estimation des travaux par l’EPAD s’élevait respectivement à 350 MF en base et à 320 MF en variante.
270. Le tableau suivant récapitule les quinze offres reçues (Quillery s’étant excusée) : TABLEAU
271. Le groupement Bouygues/Campenon Bernard/Demathieu/Urbaine de Travaux a présenté l’offre la plus compétitive tant en offre de base (366 884 320 HT), qu’en variante (343 889 966 HT), tandis que Dumez a présenté la deuxième offre la plus compétitive. L’EPAD a retenu pour examen les offres des deux premiers, afin de les départager en demandant aux entreprises d’approfondir leurs études et d’assouplir les délais de réalisation, la remise des nouvelles offres étant prévue pour le 27 janvier 1994. Dumez a répondu en maintenant son offre précédente, tant en base qu’en variante. Bouygues a maintenu son offre en base et proposé une variante en baisse de 5 MF HT. Le marché a été attribué au groupement Bouygues, le 14 février 1994, pour un montant de 339 902 466 F HT.
• – Les pratiques relevées
272. Dans son rapport de présentation du marché à la commission consultative des marchés, l’EPAD relève une « très grande disparité dans les principaux prix unitaires d’une entreprise à l’autre, alors même que les montants de leurs offres sont voisins ». De fait l’écart entre l’offre Bouygues et Dumez ne s’élève respectivement qu’à + 0,97 % en base et à + 0,32 % en variante, tandis que la comparaison des prix unitaires révèle les écarts suivants : TABLEAU
273. Dans le procès-verbal de la séance du 21 février 1994, le président de la commission consultative des marchés, M. 33…, ingénieur général des Ponts et Chaussées, « regrette que l’EPAD, dans son rapport de présentation, se soit borné à constater une très grande disparité dans les principaux prix unitaires d’une entreprise à l’autre, alors même que les montants de leurs offres sont très voisins, sans en tirer de conclusions ».
274. Plusieurs pièces manuscrites relatives à ce marché ont été saisies au sein de la société Soletanche. Une note manuscrite de M. K… de la société Soletanche, datée du 13 novembre 1993, soit 1 mois avant la remise des offres (cote 847 du rapport), porte la mention suivante : « Epad lot 6/pour Bouygues –Campenon-Quillery-Urbaine-DB ». Un autre feuillet (cote 848) daté du 6 décembre 1993, soit 18 jours avant la remise des offres indique :
« Epad lot 6
o report du dossier au 24 Déc.
Réunion de bouclage à décaler
2 nouvelles solutions à étudier
coup de fil Nicoletti –Bieza -> pas d’accord
Gireaudeau : Bilfinger -> en discussion
Faur – Rioux dit :
Bachy a demandé 60 MF de Tx spéciaux
34… a proposé 20 MF pour tt le groupement
Guintoli ne poserait pas de pb. -> terrassements. + tous ceux qui en veulent
28… confirme réunion bouclage ce matin
Comptabilité 350 ?
400 ?
engagement que tt ce qui est remis aux autres compte dans leur part de 350
[il existe] une table Sagep
Razel n’est pas dedans. Ne couvre pas pour l’instant ».
275. Il est à noter que « BIEZA » correspond à M. F… de la société Bouygues, que M. 34… appartient à la société Bachy, que la société Guintoli a répondu en groupement avec HBW, que M. 35… était le directeur du développement de la société Dumez et que M. 28… appartenait à la société Spie Citra, laquelle avait été autorisée à présenter une offre en groupement avec les sociétés Spie Batignolles, Spie Fondations et Wiame et a finalement décidé de s’excuser. La mention selon laquelle « tout ce qui est remis aux autres compte dans leur part » vise l’existence d’une répartition qui peut concerner plusieurs affaires ou une « table », ce qui confirme d’ailleurs la dernière mention relative à une « table SAGEP ».
276. Les feuillets 114, 116 à 120, et 112 également saisis dans les locaux de Soletanche retracent les approches successives des études de prix du groupement Razel/Soletanche, entre les 10 et 21 décembre 1993, soit entre 14 et 3 jours avant la remise des offres. Le 17 décembre 1993, il est mentionné en base les prix suivants : 299,60 MF ; 359 ; 298 ou 318 MF. Le 21 décembre 1993, quatre prix sont envisagés : 289 ou 314 MF en base, 257 ou 282 MF en variante. Ces prix sont inférieurs aux propositions remises par Bouygues et auraient permis au groupement de l’emporter, s’il avait décidé de concourir.
277. Des études de prix datées du 15 décembre 1993, soit 9 jours avant la remise des offres, saisies au sein de la société Quillery (cote 849 du rapport) aboutissent notamment à la somme de 328 978 158 F en base aménagée, soit une offre qui, si elle avait été déposée, aurait été mieux placée que celle de Bouygues. Quillery s’est aussi excusé.
278. Bachy et Bilfinger Berger, membres des groupements classés dixième et douzième ont obtenu la sous-traitance de travaux de parois de la part de Bouygues (d’un montant respectivement de 61 250 025 F. HT et 15 807 165 F HT). Guintoli, membre du groupement classé quatorzième a obtenu la sous-traitance des terrassements à hauteur de 41 360 412 F. HT. D’autres entreprises ayant participé à l’appel d’offres et n’ayant pas été signalées dans son offre par le groupement Bouygues au maître d’ouvrage comme sous-traitants, ont également obtenu des sous-traitances du groupement Bouygues. Il s’agit des sociétés DG Construction pour 1 850 000 F. HT et Prigent, en groupement avec Guintoli. Or le règlement particulier d’appel d’offres (RPAO), mentionnait notamment comme critère de jugement complémentaire des offres l’existence de « sous-traitants éventuels nommément désignés dans l’acte d’engagement ».
42 - L’échangeur A14-A86 (enceinte étanche sud/déviation du collecteur sud)
• – La procédure d’appel d’offres
279. L’avis d’appel à candidatures est paru le 6 juillet 1995, la date limite de remise des candidatures mentionnée étant le 1er août 1995. Sur les treize réponses reçues, douze ont été retenues. La date limite de remise des offres a été fixée au 5 décembre 1995. L’estimation des travaux s’élevait à 60 MF HT.
280. Le tableau suivant récapitule les dix offres reçues : TABLEAU
281. Le marché a été attribué le 19 décembre 1995 à la société Sif Bachy au prix sus-indiqué.
• – Les pratiques relevées
282. Parmi les documents saisis dans les locaux de la société Soletanche, classée sixième, figurent deux notes manuscrites de M. K…, antérieures à la remises des plis, relatives à cet appel d’offres. La première de ces notes, datée du 1er décembre 1995 (cote 863) soit quatre jours avant la date limite de remise des offres, comporte les mentions suivantes :
« EPAD – Beckaert
3 boîtes entre 41 et 42 !
mélange de grosses boîtes et petites boîtes
SEFI = 43, 4 en base
à - de 40 en variante
Bilfinger 48
Budget EPAD [illisible] 50
10 réponses
+ de 20 entreprises consultées
Intrafor ni Bachy dans les trois premiers
Probablement Spie Fond.
Bachy à 42, 450»
283. M. 36…, chargé de la diversification et du développement auprès de la société Razel Ile de France, entreprise classée dixième lors de l’appel d’offres, entendu en raison de la mention « Beckaert » sur le document, a déclaré : « C’est une affaire de parois moulées, préparée essentiellement par notre maison-mère, Bilfinger & Berger qui a cette spécialité, et à laquelle nous sommes associés. Je n’ai pas le souvenir d’un contact avec M. K… » (cotes 864 – 865).
284. La seconde note, établie le 4 décembre 1995 (cote 866), soit la veille de la date limite de remise des offres, indique :
« 2/3 entreprises- 41/42 prix GC
JS
1) Entreprises généralesTPi
GTM
2) Entreprises spécialisées
SEFI
BACHY le mieux placé
INTRAFOR».
285. Soletanche était bien informée, puisque, d’une part le nombre d’offres effectivement remises (« 10 réponses »), le montant de l’offre de Sefi en base et en variante (« 43,4 en base ; à – de 40 en variante », le rang de la société Intrafor (« Intrafor ni Bachy dans les trois premiers ») sont bien ceux annoncés dans la note du 1er décembre 1995, et que d’autre part, si le positionnement de la société Bachy indiqué dans la première note ne correspondait pas aux résultats, la seconde note, datée du 4 décembre 1995, précisait que Bachy était la mieux placée pour obtenir le marché.
286. Plusieurs documents relatifs à ce marché ont également été saisis auprès de la société Parenge, entreprise qui n’a pas demandé son admission à concourir.
287. Les 30 novembre et 4 décembre 1995, c’est-à-dire peu avant la date du 5 décembre 1995 fixée pour la remise des offres, M. 37…, de la société Parenge, a transmis par fax à MM. 38… de la société Botte (cotes 850 – 851 du rapport), 39… de la société Bachy (cote 852) et 40… de la société Spie Fondations (cote 853) des détails estimatifs concernant les travaux de ce marché, des documents présentés dans les mêmes formes, intitulés « quantités étude » (cotes 854 à 856) ou « quantités client » (cotes 857 à 861). Ceux qui portent sur les mêmes postes comportent parfois des prix différents (chiffres placés dans un ordre différent et un chiffre différent).
288. Dans une lettre du 12 janvier 1996, postérieure à l’attribution du marché, la société Bachy, attributaire du marché, demande à Parenge de lui faire connaître ses meilleurs prix pour les lots 2.1 à 2.19, 3.1 à 3.8 et 4, ce qui correspond aux rubriques des documents échangés avant la remise des plis (cote 862).
k) - Les marchés du SIAAP
289. Le Syndicat Interdépartemental pour l’Assainissement de l’Agglomération Parisienne (SIAAP) est le maître d’ouvrage en matière de grands travaux d’équipement pour l’assainissement, l’adduction d’eau et les stations d’épuration en région parisienne. Pour ces travaux qui sont l’objet des marchés n° 43 à 57, il organise des consultations en propre ou en liaison avec les directeurs des services de l’eau et de l’assainissement des départements.
43 – Le collecteur de liaison Fresnes – L’Haÿ-les-Roses
• – La procédure d’appel d’offres
290. L’appel à candidatures est intervenu le 24 février 1993, la date limite de remise des candidatures étant le 5 avril 1993. Sur les quarante-quatre réponses reçues, dix-sept ont été retenues le 21 avril 1993. L’appel d’offres a été lancé le 26 avril 1993, la date limite de remise des offres étant fixée au 3 juin 1993. Les plis ont été ouverts le 11 juin 1993.
291. Le tableau suivant récapitule les onze offres reçues :
TABLEAU
292. Le marché a été attribué au groupement Borie/Bessac, sur la base de sa variante n° 1, d’un montant HT de 83 538 530 F.
• – Les pratiques relevées
293. Une note manuscrite de l’agence TP 2 de la société Sobea Ile-de-France datée du 10 février 1993, donc antérieure à l’appel des candidatures (cote 867 du rapport) dresse la liste des affaires, dont celle de l’Haÿ-les-Roses. S’agissant de ce marché, 3 entreprises y sont mentionnées : « Borie/Cocc/Bessac ». Une autre pièce manuscrite relative à ce marché a été saisie au siège de la société Bouygues, service TPRP (cote 868 du rapport). Datée du 19 février 1993, elle mentionne au verso, la date du 5 avril, le nombre (quinze ou seize) d’entreprises concernées par l’appel d’offres (en fait, il y en a eu dix-sept), l’énumération de celles-ci, le nom des futurs mandataires de groupements devant se constituer (Campenon Bernard, Bouygues, Borie ou Devin Lemarchand), le futur attributaire (Bessac), souligné sur le document, et les partenaires envisagés pour le creusement, soit « Coccinelle et/ou Borie ».
294. Le rapport du SIAAP note que seules deux offres comportaient l’ensemble des pièces demandées au règlement de la consultation, à savoir le groupement attributaire et Chantiers Modernes (offre classée cinquième).
295. Le groupement attributaire du marché a rétrocédé une part importante des travaux à l’un des participants à l’appel d’offres, la société Sade, dans le but de réaliser des puits.
44 – le bassin de l’Haÿ-les -Roses
• – La procédure d’appel d’offres
296. L’appel à candidatures est intervenu le 28 avril 1995, mentionnant comme date limite de remise des candidatures le 5 juin 1995. Sur les trente réponses reçues, dix ont été retenues le 9 juin 1995. L’appel d’offres a été lancé le 22 février 1996, la date limite de remise des offres étant fixée au 10 mai 1996. Les plis ont été ouverts le 14 mai 1996.
297. Le tableau suivant récapitule les offres reçues : TABLEAU
298. Le marché a été attribué au groupement Borie/Satelec/Robert, pour son offre de base soit 142 245 862 F HT, la moins-disante. Ce groupement était aussi moins-disant en variante. L’offre du groupement Soletanche/Cegelec/Viapark a été écartée car parvenue hors délai.
• – Les pratiques relevées
299. Deux documents saisis dans le bureau de M. K…, de la société Soletanche, concernent ce marché.
300. Le premier, daté du 17 septembre 1993, récapitule différentes affaires à venir (cote 870 du rapport). Pour le bassin de l’Haÿ-les-Roses, il est indiqué que l’appel d’offres est prévu pour « début 94 » (l’autorisation du projet date du 16 décembre 1992). Il y figure notamment la mention «40 MF, Borie».
301. Le second document est un tableau récapitulatif des affaires daté du 21 janvier 1994. Le bassin de l’Haÿ-les-Roses y figure en fin de tableau. Il y est précisé que l’appel de candidatures est prévu pour fin 1994. A la rubrique « A.O. » (appel d’offres), il est mentionné « initialement 01/12/94 mais glissement », ainsi que « BOR », ces trois lettres correspondant au début du nom de Borie.
45 – Le doublement de l’ouvrage XI
• – La procédure d’appel d’offres
302. L’appel à candidatures est intervenu le 16 avril 1993. Il mentionnait comme date limite de remise des candidatures le 24 mai 1993. Sur les 39 réponses reçues, 14 ont été retenues. L’appel d’offres a été lancé le 16 août 1993, la date limite de remise des offres étant fixée au 4 octobre 1993. Les plis ont été ouverts le 6 octobre 1993.
303. Le tableau suivant récapitule les 9 offres reçues : TABLEAU
304. Le marché a été attribué au groupement Quillery/GTM/Urbaine de Travaux sur la base de sa variante n° 1, pour un montant de 175 409 299 F HT.
• – Les pratiques relevées
305. Le rapport de présentation du marché relève (page 4 – « analyse des offres ») que « les offres relatives au projet de base n’appellent pas d’observations particulières si ce n’est qu’elles sont toutes très supérieures au montant estimé par le maître d’œuvre », lequel s’élevait à 183 millions de francs.
306. Des notes prises par M. I… de la société Bouygues (cote 867 du rapport) datées du 19 février 1993, soit plus de sept mois avant l’ouverture des plis, mentionnent :
« Doublement ouvrage 11 – 2 -> lots 1 150 (GTM – QUILLERY – URBAINE
-> lot 2 hors périmètre
(…)
GTM)
QUILL) AO 11
URB)».
307. Un document de la société Soletanche daté du 17 septembre 1993, présenté comme étant un compte-rendu d’une réunion qui s’est tenue le 17 septembre 1993 à la direction des services de l’eau et de l’assainissement (DSEA) du Val-de-Marne, en présence d’un certain M. 41… (feuillet 82 du scellé I de Soletanche – carton n° 22), fait apparaître les indications suivantes :
« 1) Doublement collecteur XI
(en cours d’appel d’offres) – Urbaine-Quillery-GTM 41… aimerait avoir notre avis sur les Tx spéciaux
-> réponse sous 1 5 jours ».
308. Questionné sur le document saisi dans son entreprise, lors de sa seconde déposition, M. I… de la société Bouygues, a déclaré à propos de ces mentions qu’elles signifiaient pour lui « qu’il savait que ces trois sociétés étaient très intéressées par l’obtention de ces marchés ».
46 – L’ouvrage de liaison Clichy-la-Briche – lot 3
• – La procédure d’appel d’offres
309. L’appel à candidatures est intervenu le 13 février 1992. Il mentionnait comme date limite de remise des candidatures le 23 mars 1992. Sur les vingt-huit réponses reçues, quatorze ont été retenues. L’appel d’offres a été lancé le 13 mai 1992, la date limite de remise des offres étant fixée au 19 juin 1992. Les plis ont été ouverts le 1er juillet 1992.
310. Le tableau suivant récapitule les 6 offres reçues dans les délais : TABLEAU
311. Le marché est attribué au groupement moins-disant, sur la base de sa variante pour 88 398 375 F. HT.
• – Les pratiques relevées
312. Un document relatif à ce marché (cote 884 du rapport) a été saisi chez M. K… de la société Soletanche, entreprise classée n° 4 sur 6 lors de l’ouverture des plis. Il s’agit d’une copie de l’appel à candidatures paru au Moniteur des travaux publics du 21 février 1992, à côté de laquelle figure la mention « 4/3 » ainsi que l’indication : « pour BORIE – SPIE – TPI ».
313. La société Soletanche, dans les locaux de laquelle le document litigieux a été saisi, a obtenu du groupement attributaire, la réalisation de travaux de sous-traitance pour un montant de 19 851 600 F. HT, soit 22,4 % du montant du marché.
47 – L’ouvrage de raccordement sur les émissaires Nord-Est et Clichy-Achères, branche d’Argenteuil à Gennevilliers
• – La procédure d’appel d’offres
314. L’appel à candidatures est intervenu le 22 novembre 1993. Il mentionnait comme date limite de remise des candidatures le 17 janvier 1994. Sur quarante et une réponses reçues, quatorze ont été retenues. L’appel d’offres a été lancé le 25 avril 1994, la date limite de remise des offres étant fixée au 30 mai 1994. Les plis ont été ouverts le 1er juin 1994.
315. Le tableau suivant récapitule les neuf offres reçues : TABLEAU
316. Le marché a été attribué au groupement Chagnaud, classé quatrième sur le tableau des offres, pour un montant de 31 593 580 F HT.
317. Le rapport de l’ingénieur en chef du SIAAP du 1er juillet 1994 indique que « l’offre de Soletanche Entreprise a révélé une grossière erreur sur le montant de l’acte d’engagement », le montant de l’offre ne correspondant qu’à une partie de l’ouvrage du raccordement de Gennevilliers, laissant de côté l’ouvrage de Clichy. Une correction de l’offre, effectuée par le maître d’œuvre, place la société Soletanche Entreprise en cinquième position. L’acte d’engagement de cette société n’était par ailleurs pas signé. Il ressort en outre de ce rapport que les offres présentées tant par la société GTM BTP (classée quatrième) que par le groupement Montcocol/Nord France TP sont irrecevables car ne présentant pas de solution de base. L’offre de la société Urbaine de Travaux, classée huitième sur neuf, a également été jugée irrecevable, au motif que la société Urbaine de Travaux avait été admise à présenter une offre non pas seule, mais avec la société Sefi.
• – Les pratiques relevées
318. Des documents manuscrits ont été saisis au sein de la société Soletanche, dans un dossier relatif au marché examiné.
319. Le feuillet 165 (cote 891 du rapport), de la main de M. K…, est daté du 20 mai 1994, soit 10 jours avant la date limite de remise des offres et indique notamment :
« groupement Campenon – Giral– Fougerolle Ballot - Fougerolle
SO -> = sous-traitant agréé. -> faire une réponse en groupe avec Perforex ?
9 offres SO au milieu
GTM 2
Chagnaud 3».
320. La composition du groupement supposé faire la meilleure offre une fois rectifiée l’erreur imputable à Soletanche, le classement des différentes offres (GTM 2e ; Chagnaud 3ème ; Soletanche en milieu de classement) ainsi que le nombre d’offres (9 au total) sont conformes au résultat constaté 11 jours plus tard, à l’ouverture des plis, le 1er juin 1994.
321. Entendu, M. 42…, de la société Soletanche a fait la déclaration suivante (cote 892 à 896) : « Feuillet 165 : il s’agit d’une réunion à laquelle j’ai participé, avec M. K…, M. 14… de la société Fougerolle, Deligneris de la même société probablement, M. 43… aussi. Cette réunion concerne l’affaire du raccordement de l’émissaire Clichy Achères à Gennevilliers. Le groupement Fougerolle, et Soletanche remettent chacune une offre en entreprise générale pour le chantier global, mais en raison de la spécificité des travaux de fondation (puits de 50 m de profondeur, circulaire, en parois moulées), il est convenu que si Fougerolle est adjudicataire il sous-traitera ces travaux à Soletanche. Pour les mentions concernant le classement de Soletanche (initiales SØ), GTM et Chagnaud, elles sont de M. K… et je ne puis dire à quoi elles correspondent ».
322. Les feuillets 167 – 168 (cotes 897 – 898) datés du 24 mai 1994, soit 6 jours avant la date limite de remise des offres, mentionnent un contact avec les mêmes personnes que sur la pièce précédente. Il est indiqué que Soletanche “soumissionne à 29.9”.
323. Les sociétés Fougerolle-Ballot et Soletanche ont signé un protocole le 27 mai 1994, soit 3 jours avant la remise des offres, garantissant à Soletanche que Fougerolle la retiendrait comme sous-traitant si elle obtenait le marché (cotes 899 - 900). Il s’avère que le groupement dont faisait partie Fougerolle a déposé une soumission de 29 991 kF.
324. Cette concertation s’est poursuivie, après la remise des offres, par un partage entre soumissionnaires à l’appel d’offres.
325. Un document saisi chez Soletanche et intitulé « Argenteuil » (cote 901), daté du 22 juillet 1994, évoque la tenue d’une réunion entre MM. G… de la société Chagnaud, 14… de la société Fougerolle-Ballot et 44… du SIAAP. Il y est notamment mentionné :
«Vaguier (sic) a compris le message que les intérêts de SO soient protégés
A le projet de protocole
Respectera les accords
(…) De toutes façons, il est prévu que Chagnaud en prend la moitié Giral et Ballot ¼ ¼».
326. La société Chagnaud a le moment venu sous-traité des travaux à Soletanche pour un montant de 9 271 600 F HT, soit 29,3 % du marché. La société DG Constructions (Desquenne et Giral Constructions, devenue DG Entreprise), a bénéficié d’une sous-traitance pour un montant de 1 500 000 F HT, soit 4,7 % du marché.
48 - Ouvrage de raccordement entre l’émissaire Clichy-Achères, branche de Bezons et le futur intercepteur Genevilliers-Nanterre, Chambre de Nanterre
• – La procédure d’appel d’offres
327. L’appel à candidatures est intervenu le 28 janvier 1994. Il mentionnait comme date limite de remise des candidatures le 8 mars 1994. Sur les trente-six réponses reçues, onze ont été retenues. L’appel d’offres a été lancé le 4 août 1994, la date limite de remise des offres étant fixée au 7 novembre 1994. Les plis ont été ouverts le 9 novembre 1994.
328. Le tableau suivant récapitule les neuf offres reçues : TABLEAU
329. Le marché a été attribué au groupement moins disant Fougerolle-Ballot/Perforex pour un montant de 69 489 390 F HT.
• – Les pratiques relevées
330. Un compte-rendu de réunion rédigé par M. K… de la société Soletanche, daté du 17 novembre 1993, soit presqu’un an avant l’ouverture des plis, mentionne (cote 908 du rapport) :
« 2) Affaires SIAAP/DSEA 94
ouvrage de raccordement tête amont du siphon de Bezon sur le Genevilliers-Nanterre près du pont de Bezon affaire pour Fougerolle A/O Janv 94.
6… [de la société Campenon Bernard] ds le coup ».
331. Ce document atteste qu’avant même l’appel à candidatures, Fougerolle, Soletanche et Campenon Bernard étaient d’accord pour agir de concert afin que Fougerolle, le moment venu, obtienne le marché.
332. La société Soletanche s’est par ailleurs rapprochée de son concurrent Fougerolle, pendant la période de l’appel d’offres, afin de conclure un protocole en vue d’obtenir une part des travaux. Ce protocole d’accord signé entre les sociétés Fougerolle et Soletanche fait partie des pièces saisies (cotes 909 – 910). Il porte la date du 3 novembre 1994, soit 4 jours avant la date limite de remise des offres. Il y est prévu (article 1) qu’« au cas où Fougerolle Ballot serait retenu par le client, elle confierait à Soletanche Entreprise les travaux spéciaux sur la base d’un contrat de sous-traitance transparent qui sera basé sur les éléments du détail estimatif ci-joint en annexe ». Cet accord préalable à la remise des offres a été appliqué. Fougerolle a, le moment venu, consenti à deux reprises des sous-traitances à Soletanche. Le montant de celles-ci s’est élevé à 23 609 kF HT, soit 34 % du montant du marché.
49 – L’émissaire de Clichy-la-Briche – lot 4
• – La procédure d’appel d’offres
333. L’appel à candidatures est intervenu le 29 juin 1994. Il mentionnait comme date limite de remise des candidatures le 12 septembre 1994. Sur les vingt et une réponses reçues, dix ont été retenues. L’appel d’offres a été lancé le 9 novembre 1994, la date limite de remise des offres étant fixée au 6 février 1995.
334. Le tableau suivant récapitule les huit offres reçues : TABLEAU
335. Le 8 février 1995 l’appel d’offres est déclaré infructueux car la meilleure proposition excédait de 20 % l’estimation du maître d’ouvrage (145 M.F.H.T.). Celui-ci a relancé un appel à candidatures le 11 février 1995 et a reçu quinze réponses dont huit provenaient des candidats ci-dessus énumérés. Le SIAAP a retenu uniquement cinq entreprises, qui se sont avérées être les cinq premières du précédent appel d’offres. Après modification de la structure de prix de certains éléments, la date limite fixée pour la remise de leurs nouvelles offres était le 27 mars 1995.
336. A l’ouverture des plis, le nouveau tableau des offres était le suivant : TABLEAU
337. Le rapport de présentation relève que « si le montant des offres reste encore sensiblement supérieur à l’estimation de l’opération (145 000 000 francs), l’écart entre les entreprises s’est considérablement réduit ». Après négociation avec les trois premiers, le maître d’ouvrage obtient finalement les résultats suivants : 1er groupement Borie : 163 487 185 F HT, 2ème Campenon Bernard : 169 384 246 F HT, 3ème Quillery : 170 882 213 F HT. S’agissant de la « baisse générale de la quasi-totalité des prix » constatée, la société Campenon-Bernard a eu recours à la justification selon laquelle « sa méthode très particulière du calcul de ses prix prend en compte l’ensemble de frais généraux de l’entreprise qui sont ensuite reportés sur l’ensemble des prix » (rapport de présentation du 21 avril 1995).
338. Le marché est attribué au groupement Borie pour le montant de sa dernière offre.
• – Les pratiques relevées
339. Un document relatif à ce marché a été saisi dans les locaux d’une des entreprises soumissionnaires, la société Soletanche, classée quatrième en l’espèce (cote 922 de rapport). Il fait partie de plusieurs feuillets où sont listées de nombreuses affaires à venir, avec quatre colonnes : la première identifie le marché et ses caractéristiques, la deuxième mentionne les initiales de la personne désignée chez Soletanche pour suivre le dossier (par exemple : J. SO soit M. 45… ou PGL soit M. 15…), la troisième indique la date prévue de l’appel d’offres, la quatrième mentionne des montants.
340. Le marché en question figure en bas du feuillet 21, sous le numéro 541. Il est indiqué que l’appel d’offres est prévu pour février 1995, et il y est mentionné : « EG = BORIE + ?». L’abréviation EG signifie entreprise générale.
341. Si la pièce n’est pas datée, les mentions qui y apparaissent établissent que sa rédaction est antérieure à la remise des plis. Ce document retrace en effet une longue liste d’affaires en cours et les dates prévues pour les appels d’offres. La présence aux côtés de Borie de « + » suivi d’un point d’interrogation, censé représenter l’entreprise co-traitante, tend à confirmer que lors de la rédaction de ce document, l’opération n’était pas encore « bouclée ».
50 – Le bassin de régularisation de Vitry-sur-seine –EV 3 – Lot génie civil
• – La procédure d’appel d’offres
342. L’appel à candidatures est intervenu le 11 juin 1991. Il mentionnait comme date limite de remise des candidatures le 18 juillet 1991. Sur les vingt-huit réponses reçues, douze ont été retenues. La date limite de remise des offres a été fixée au 5 mars 1992.
343. Le tableau suivant récapitule les huit offres reçues :TABLEAU
344. Le 22 juin 1992, le marché a été attribué au groupement Botte/Parenge/Soletanche sur la base de sa variante « recalculée », pour un montant de 1 16 958 844 F HT.
• – Les pratiques relevées
345. Un document relatif à ce marché a été saisi chez M. K…, de la société Soletanche (cote 884 du rapport). Daté du 26 février 1992, soit 7 jours avant la date limite de dépôt des offres, il se présente comme le compte rendu d’une réunion entre, d’une part, les membres du groupement Parenge, et, d’autre part, un responsable de la société Chantiers Modernes (initiales C.M., 2e sur le tableau des offres), M. 46…, « arrivé en retard » à la réunion qui était terminée. M. 47… appartient à la société Botte, MM. 48…, 49…, 50… et 51… à la société Parenge, les initiales « Chl », désignent M. 42… de Soletanche. Il y est fait mention d’une « atmosphère d’agacement vis à vis de C. M car - ne « participe » pas (est sur d’autres coups) – envoie un projet de protocole de 14 pages en tirant la couverture à lui ». Il y est également indiqué que GTM (3e sur le tableau des offres) est « OK sous réserve que le groupement soit dans le budget » et que la société Quillery, non soumissionnaire, « veut 1/3 d’EV3 » ou l’assurance de « récupérer » d’autres chantiers. Les avis sont partagés, M. 47… étant partisan de « temporiser » alors que M. 48…, a la tentation de « virer CM et d’emmener Quillery ».
346. A propos de ce document rédigé de sa main, M. 42…, ingénieur d’affaires de Soletanche a déclaré : « Feuillets 193 – 194 : je rends compte à M. K… d’une réunion tenue à propos du bassin de régulation de Vitry dit EV3, entre les partenaires sur cette affaire. Dans mon esprit, à ce moment là, Chantiers Modernes (initiales C.M.), était avec nous dans le groupement. Vous m’apprenez aujourd’hui qu’il a remis une offre de son côté. Pour les mentions concernant GTM et Quillery, je me contente de rapporter à M. K… les informations données par les autres participants. Je n’ai pas de commentaires particuliers à apporter là-dessus ».
347. Lors de l’exécution du marché, Chantiers Modernes a obtenu des sous-traitances à deux reprises, le 31 mars 1993 pour 6 100 000 F HT, le 4 juillet 1994 pour 3 111 351 F HT, soit un total de 8 % du montant du marché.
51 – La réhabilitation de l’émissaire Nord Est
• – La procédure d’appel d’offres
348. L’appel à candidatures est intervenu le 16 avril 1993. Il mentionnait comme date limite de remise des candidatures le 24 mai 1993. Sur les trente-deux réponses reçues, huit ont été retenues. L’appel d’offres a été lancé le 20 juin 1993, la date limite de remise des offres étant fixée au 13 septembre 1993. Les plis ont été ouverts le 15 septembre 1993. Le marché était divisé en trois lots distincts.
349. Le tableau ci-dessus récapitule les six offres reçues :
350. Le marché est attribué aux groupements moins disants sur chaque lot, le groupement Soletanche pour les lots 1 et 2 et le groupement Chantiers Modernes pour le lot 3.
• – Les pratiques relevées
351. Un document de la main de M. K… de la société Soletanche, daté du 25 août 1993, soit 3 semaines avant la remise des offres concerne ce marché (cote 929 du rapport). Sur ce document, un tableau des 3 lots indique en 1ère colonne une approche à 135 MF HT.
352. Le tableau comparatif suivant peut être dressé : TABLEAU
353. En face du lot 3 figurent, entre parenthèses, les initiales des sociétés Chantiers Modernes et Quillery (« CM – QY »), futurs attributaires de ce lot.
354. Plus bas figurent les mentions « 52… Ok » et « Cm Ok ». M. 52… est salarié de la société Sade, qui a participé à l’appel d’offres des 3 lots, et les initiales CM sont celles de la société Chantiers Modernes.
355. Il est également indiqué :
«budget maxi pour passation marché 135 MF HT (…)
possibilité éventuelle de modifier un peu la répartition financière entre les lots 1,2 et 3
à condition que les confrères soient OK à condition d’en convaincre Rachet ».
52 – Le collecteur d’eau usée VL 10 – tronçon amont
• – La procédure d’appel d’offres
356. L’appel à candidatures est intervenu le 28 janvier 1994. Il mentionnait comme date limite de remise des candidatures le 22 mars 1994. Sur les dix-neuf réponses reçues, seize ont été retenues. L’appel d’offres a été lancé le 6 juin 1994, la date limite de remise des offres étant fixée au 25 juillet 1994. Les plis ont été ouverts le 28 juillet 1994. L’estimation de l’administration (solution de base) s’élevait à 167 MF.
357. Le tableau suivant récapitule les huit offres reçues : TABLEAU
358. Le marché est attribué au groupement Campenon Bernard SGE, moins disant, sur la base de sa variante, pour un montant rectifié de 164 M.F. HT.
359. Soletanche et Botte ont obtenu la réalisation d’une partie des travaux en sous-traitance, en constituant un sous-groupement travaux spéciaux.
• – Les pratiques relevées
360. Deux documents saisis chez M. K… de la société Soletanche, concurrente de Campenon Bernard à l’appel d’offres et finalement classée septième sur huit au moment de l’ouverture des plis concernent cet appel d’offres.
361. Le premier est un tableau manuscrit, sur lequel figure la mention « édition 21/01/94 », récapitulant les données de six appels d’offres de la DSEA 94 (cotes 930 – 931). Pour le VL10, sont mentionnées les initiales « CB » soit Campenon Bernard.
362. Le second document, également manuscrit est daté du 11 juin 1994, soit un mois et demi avant l’ouverture des plis et mentionne : « VL 10 AMONT Campenon/GTM/Sade = EG ».
363. Les trois entreprises mentionnées appartiennent au groupement ayant, le moment venu, remporté le marché.
53 – Le collecteur d’eau usée VL 10 – tronçon central
• – La procédure d’appel d’offres
364. L’appel à candidatures est intervenu le 28 janvier 1994. Il mentionnait comme date limite de remise des candidatures le 22 mars 1994. Sur les dix-neuf réponses reçues, quinze ont été retenues. L’appel d’offres a été lancé le 1er juin 1994, la date limite de remise des offres étant fixée au 25 juillet 1994. Les plis ont été ouverts le 28 juillet 1994.
365. Le tableau suivant récapitule les huit offres reçues :TABLEAU
366. Le rapport de présentation relève que toutes les offres de base sont d’un montant supérieur à l’estimation de l’administration qui s’est élevée à 210 900 000 F. Comme pour le tronçon amont, seuls les deux groupements classés premier et deuxième ont remis une offre variante et leur classement est inversé. Le marché est attribué au groupement Bouygues/Fougerolle en fonction de sa variante, par décision du 5 octobre 1994.
• – Les pratiques relevées
367. Sur le document Soletanche daté du 21 janvier 1994 déjà évoqué (paragraphe 361), il est mentionné, s’agissant du VL10 tronçon central, les lettres « BO » soit le début du nom de Bouygues, l’abréviation de Borie apposée sur ce document étant « BOR». Les rubriques « appel candidatures » « A.O » et « période travaux » de ce document ne sont pas remplies.
368. Plusieurs documents relatifs à ce marché ont également été saisis au siège de la société Parenge, classée sixième lors de l’appel d’offres. Le feuillet 131, daté du 1er juillet 1994 (cote 939 du rapport), fait mention d’un rendez-vous prévu pour le 12 juillet chez Bouygues. Les feuillets 113 à 118 (cotes 940 à 943) attestent que le 13 juillet 1994, M. 37… de la société Parenge, a communiqué par télécopie à M. 53…, chef des études de prix chez Bouygues-TPRP, une partie de son détail estimatif.
369. Les feuillets 73 à 76 (cotes 944 – 945) attestent aussi que Parenge a transmis notamment le 21 juillet 1994 à Soletanche (entreprise classée huitième), par télécopie, un document à son entête.
370. Une convention manuscrite datée du 25 juillet 1994, jour de la date limite de remise des offres, a été saisie dans le bureau de M. K… de la société Soletanche. Fougerolle Ballot au nom du groupement Bouygues s’engage à sous-traiter des travaux spéciaux à Soletanche. Le document est accompagné d’un extrait de détail estimatif qui définit les prestations faisant l’objet de l’accord. Des écarts très sensibles peuvent être constatés avec les prix, plus élevés, effectivement remis par Soletanche s’agissant de ces postes.
371. Des extraits d’un cahier de notes de M. I… de la société Bouygues concernent des réunions organisées postérieurement à l’ouverture des plis avec des responsables d’entreprises qui ont été concurrentes du groupement Bouygues/Fougerolle à l’appel d’offres. Dans des notes datées du 31 janvier 1995 relatant une réunion avec Quillery, Parenge et France Travaux (cotes 949 – 950), il est fait état d’un engagement vis-à-vis de La Coccinelle pour lui octroyer la réalisation des voussoirs. Figure également la mention « lier les positions CB – BY – BORIE ». Les notes datées du 24 février 1995 (cote 951) indiquent « OK -> pour rattacher TPI – Quill ». Celles du 25 avril 1995 (cote 952) du cahier indiquent les montages envisagés : SEP, sous-traitances, avec « faux contrats de sous-traitance », et la présence de « partenaires occultes ».
372. Un cahier saisi chez M. J… de la société Quillery est consacré au VL 10. Les mentions qui y figurent aux dates du 17 mai 1995 et du 6 juin 1995 (cotes 953 à 955) évoquent la mise en place d’une SEP entre les 2 titulaires officiels du marché, qui sous traiteraient des travaux pour un montant de 175 millions de francs (soit 85 %) à un GIE dont seraient membres des concurrents intéressés à l’affaire (Quillery, TPI et Parenge). L’acte de constitution du GIE est signé le 30 juin 1995. Bouygues est porteur de parts à hauteur de 32, 50 %, Fougerolle Ballot de 23, 70 %, Quillery de 16, 70 %, TPI de 14,60 % et France Travaux de 12, 50 %. Peu de temps après (compte rendu du comité de direction n° 3 du groupement du 10 août 1995 coté 968 – 969) le montant des travaux sous-traités au GIE passe à 195 MF, soit 93 % du marché.
373. Deux entreprises ayant concouru lors de l’appel d’offres, ont, bien que non incluses dans le GIE, également obtenu des sous-traitances, GTM pour un montant de 248 510 F HT., en mars 1996 et Soletanche en avril 1996, pour un montant de 10 327 477 F HT.
54 – Le doublement de l’ouvrage d’eaux pluviales sous la RD 124 à Vitry-sur-Seine
• – La procédure d’appel d’offres
374. L’appel à candidatures est intervenu le 23 décembre 1994. Il mentionnait comme date limite de remise des candidatures, le 16 janvier 1994. Sur les quarante-huit réponses reçues, douze ont été retenues. La date limite de remise des offres a été fixée au 21 mars 1995. Les plis ont été ouverts le 23 mars 1995
375. Le tableau suivant récapitule les dix offres reçues (offre de base) : TABLEAU
376. Le marché estimé par l’administration à 27 600 000 F a été attribué au groupement Quillery/Razel, le 13 avril 1995 pour le montant de son offre de base soit 25 986 310 F HT
• – Les pratiques relevées
377. Des documents relatifs à ce marché ont été saisis auprès de la société Parenge, classée deuxième sur le tableau des offres.
378. Un feuillet daté du 15 février 1995, soit un mois avant la date limite de remise des offres (cote 989 du rapport), comprend des notes comparant les prix respectifs de Parenge, Razel et Quillery. Les noms des responsables respectifs au sein de ces sociétés y sont mentionnés, ce qui démontre que ces données confidentielles ont été échangées au cours d’une réunion. Les postes de la rubrique « fournitures » sont plus particulièrement détaillés. Une rubrique concerne les délais (Parenge : 8,5 mois ; Razel : 9 mois ; Quillery : 12 mois), une autre l’enveloppe relevant de la sous-traitance.
379. Sur le détail estimatif dactylographié de Parenge pour le marché concerné (cote 990 du rapport), daté du 15 mars 1995, soit six jours avant la date limite de remise des offres, figure la mention manuscrite « P.U. déboursés vu avec Quillery + Razel ». Ceci indique que les prix ont été fixés en concertation avec Quillery et Razel. La comparaison du détail estimatif avec celui remis à l’appel d’offres permet de constater qu’il est inférieur à ce dernier. Si le devis estimatif envisagé avait été déposé, Parenge aurait été moins-disant. Parenge a donc accepter de couvrir le groupement Quillery/Razel.
55 – 56 – 57 – Collecteur des eaux usées du Morbras (lots I-3-3, I-3-2b et I-3-2c)
• – La procédure d’appel d’offres
380. La construction de ce collecteur, qui doit acheminer les effluents provenant de Seine et Marne, mais aussi des communes situées le long de la vallée du Morbras, vers la station d’épuration de Valenton (94) est une opération importante qui a donné lieu à trois appels d’offres simultanés correspondant respectivement aux tronçons I3-3, I3-2c, I3-2b. Les entreprises devaient remettre une double enveloppe, la seconde concernant l’offre n’étant ouverte que pour les entreprises retenues.
381. L’appel à candidatures est intervenu le 29 juin 1994. Il mentionnait comme date limite de remise des candidatures le 5 septembre 1994. Les plis ont été ouverts le 8 septembre 1994.
382. Pour le lot I-3-3, trente réponses ont été reçues, douze candidatures admises. L’estimation de l’administration s’élevait à 27 410 000 F.
383. Le tableau suivant récapitule les 11 réponses retenues (un désistement étant intervenu) :TABLEAU
384. Le marché a été attribué au groupement Urbaine de Travaux/France Travaux, moins disant, pour le montant de son offre de base.
385. Pour le lot I-3-2b, vingt-cinq réponses ont été reçues, quatorze candidatures admises. L’estimation de l’administration s’élevait à 31 584 000 F. Le marché a été attribué à l’entreprise Fougerolle-Ballot, moins disante, pour 27 993 750 F HT après certaines modifications.
386. Pour le lot I-3-2C, 20 réponses ont été reçues, 14 candidatures admises. L’estimation de l’administration s’élevait à 32 025 000. Le marché a été attribué à la société Fougerolle-Ballot qui n’était pas la moins-disante, le maître d’ouvrage ayant privilégié la question des délais d’exécution et jugé opportun de confier l’exécution des travaux des tronçons 2b et 2c à la même société.
• – Les pratiques relevées
1 – S’agissant du tronçon I-3-3
387. Les groupements Urbaine de Travaux/France Travaux « pressentis pour exécuter les travaux », d’une part, et Quillery/Valentin, d’autre part ont prévu, antérieurement à l’attribution du marché, dans un acte saisi dans les locaux de la société France-Travaux (cotes 991 à 997), la constitution d’une société en participation « non immatriculée et qui ne se révélera pas aux tiers », à part égale pour chacun des partenaires, ayant pour objet la recherche, l’étude, l’obtention et l’exécution en commun des travaux du collecteur d’eaux usées le long du Morbras I3- 3. L’article 3 de l’acte constitutif de la SEP prévoit que la société sera dissoute au cas où le marché ne serait pas passé avant le 31 décembre 1995.
388. Un document saisi auprès de la société Quillery, relatif aux affaires traitées à la date du 31 octobre 1995 atteste que cet accord a été appliqué et comprend la mention suivante : « CG 94-DSEA- collecteur EU- le long du Morbras 1.3.3. Gpt EQ/Valentin/UT/France-Travaux-25 900 KF dont part EQ 6475 ».
389. L’examen du dossier révèle également que si, globalement, l’offre du groupement Quillery-Valentin n’était que de 3 % supérieure à l’offre de base du groupement attributaire, pour certains postes il existait des écarts de prix importants entre les deux offres, celle du groupement attributaire étant parfois la plus élevée, avec des prix dans quelques cas sept fois supérieurs à ceux du groupement Quillery. Pour les autres postes, le rapport entre les deux offres est fréquemment supérieur à cinq. Des constatations du même type ont été faites pour les autres soumissions.
2 – S’agissant du tronçon I-3-2b
390. L’offre de la société Sade est supérieure de plus de 29 % à la moins-disante, alors que lors de la soumission précédente, intervenue le même jour, l’écart avec le moins disant était inférieur à 5 %.
391. Par ailleurs, comme pour l’appel d’offres précédent, l’examen des différents devis estimatifs permet également de mettre en évidence des écarts des prix.
3 – S’agissant du tronçon I-3-2c
392. Il existe un écart de plus de 43 % entre l’offre la moins-disante et celle du groupement Quillery, alors que lors du premier appel d’offres, l’offre remise à la même date ne s’écarte que de 3,04 % de celle du moins-disant.
393. L’examen détaillé des devis estimatifs conduit aux mêmes constatations que celles relevées pour le marché précédent.
C - Le marché d‘Aéroports de Paris
58 – Les galeries enterrées du parc P3 à Orly
• – La procédure d’appel d’offres
394. L’appel à candidatures est intervenu le 17 décembre 1993. Il mentionnait comme date limite de remise des candidatures le 24 janvier 1994. Sur les vingt-quatre réponses reçues, douze ont été retenues. L’appel d’offres a été lancé le 24 mai 1994, la date limite de remise des offres étant fixée au 8 juillet 1994.
395. Le tableau suivant récapitule les 7 offres reçues : TABLEAU
396. Le marché est attribué à la société Chagnaud, moins disante, pour un montant de 6 995 686 F HT.
• – Les pratiques relevées
397. Dans une chemise « ADP/ORLY-galeries enterrées » faisant partie des documents saisis dans le bureau de M. J… de la société Quillery, une note manuscrite (cote 999) non datée indique :
« ADP
1er) CHAGNAUD 7 MF (estimation)
2) BOUYGUES 8, 5
3)
4) EQ9, 7 MF
offre la + chère 16 M ».
398. Un protocole d’accord préliminaire, daté du 24 juin 1994 (cote 1 000 à 1 002), passé entre Chagnaud, futur attributaire du marché et Quillery, entreprise classée quatrième lors de l’appel d’offres, prévoit, en cas d’obtention de l’affaire, une répartition par moitié du marché entre elles. Il y est précisé que si le marché leur est attribué, « le présent protocole sera remplacé par les statuts d’une société en participation occulte de droit français fixant toutes les modalités de coopération suivant l’esprit du présent protocole ».
C. LES GRIEFS NOTIFIES
399. Les griefs retenus ont fait l’objet de trois notifications de griefs successives. La notification de griefs initiale a été adressée le 14 juin et 15 septembre 2000 aux entreprises qui ont soumissionné aux appels d’offres classés par catégorie de marchés (marchés de la SNCF, de la RATP, des départements 91, 92, 93 et 94, marchés du SIAEP, de l’EPAD, du SIAAP et d’ADP). A la suite des observations faites par les entreprises, une notification de griefs complémentaire a été envoyée aux parties le 9 novembre 2001. Le rapporteur a mentionné que cette notification de griefs complémentaire « se substituait à la première », en précisant qu’elle « reprend, en grande partie, les faits déjà analysés dans la précédente notification de griefs en explicitant la méthode suivie pour retenir des griefs à l’encontre de telle ou telle entreprise ». Les marchés évoqués sont ceux de la notification de griefs initiale à l’exception toutefois des marchés Semapa BS 13 (n° 7), de la ligne Meteor (n° 12 à 19), de Clichy la Briche (n° 46) et Vitry Sur Seine (n° 50) et les entreprises concernées sont soit des entreprises qui n’ont pas été destinataires de la précédente notification, soit certaines entreprises qui en ont été destinataires. Enfin, une deuxième notification de griefs complémentaire est intervenue le 29 août 2004, ajoutant de nouveaux griefs relatifs à des marchés non encore visés ou élargissant certains griefs à de nouvelles entreprises concernant des marchés étudiés dans des notifications précédentes (n° 7, 25, 27, 28, 30, 33 à 37, 44, 47, 48). Celle-ci a eu pour objet de « préciser et compléter les notifications de griefs antérieures, avec l’indication des éléments de preuve sur lesquels le rapporteur s’est fondé ».
400. Comme dans le rapport, les trois notifications sont présentées sous forme d’un tableau, étant donné le nombre important de marchés et d’entreprises en cause. Aucun grief n’a été notifié au stade du rapport.
401. Sur la base des constatations ci-avant, les griefs suivants ont été notifiés :
1 - Le grief d’entente générale
402. Au cours de la période allant du 6 décembre 1991 au 13 mars 1997, Bouygues, Eiffage, Vinci (notifications de griefs de 2000 et 2001), Lyonnaise des Eaux et Générale des Eaux (notification de griefs de 2004), se sont concertées pour se répartir les marchés de travaux lors d’appels d’offres lancés en région parisienne par des maîtres d’ouvrages publics ou privés, par l’utilisation de « tours de tables » impliquant la remise d’offres de complaisance au profit de l’entreprise désignée à l’avance pour l’obtention d’un marché et une gestion de chaque « table » par un système d’avances et retards.
2 - Les griefs d’entente lors de chaque appel d’offres
403. 1°) - Les griefs d’entente par concertation destinée à faire échec au jeu de la concurrence et à tromper le maître d’ouvrage quant à la réalité de la concurrence sur les marchés SNCF figurant dans le tableau suivant : TABLEAU
404. 2°) - Les griefs d’entente par concertation destinée à faire échec au jeu de la concurrence et à tromper le maître d’ouvrage quant à la réalité de la concurrence sur les marchés RATP figurant dans le tableau suivant : TABLEAU
405. 3°) - Les griefs d’entente par concertation destinée à faire échec au jeu de la concurrence et à tromper le maître d’ouvrage quant à la réalité de la concurrence sur les marchés du département 91 figurant dans le tableau suivant :V TABLEAU
406. 4°) - Les griefs d’entente par concertation destinée à faire échec au jeu de la concurrence et à tromper le maître d’ouvrage quant à la réalité de la concurrence sur les marchés du département 92 figurant dans le tableau suivant : TABLEAU
407. 5°) - Les griefs d’entente par concertation destinée à faire échec au jeu de la concurrence et à tromper le maître d’ouvrage quant à la réalité de la concurrence sur les marchés du département 93 figurant dans le tableau suivant :
TABLEAU
408. 6°) - Les griefs d’entente par concertation destinée à faire échec au jeu de la concurrence et à tromper le maître d’ouvrage quant à la réalité de la concurrence sur les marchés du département 94 figurant dans le tableau suivant :TABLEAU
409. 7°) - Le grief d’entente par concertation destinée à faire échec au jeu de la concurrence et à tromper le maître d’ouvrage quant à la réalité de la concurrence sur le marché de la déviation de Soignolles, dans le département du 77, à Bouygues, Campenon Bernard, Nord France TP et Razel (notification de 2004) ;
410. 8°) - Le grief d’entente par concertation destinée à faire échec au jeu de la concurrence et à tromper le maître d’ouvrage quant à la réalité de la concurrence sur le marché du DDE la ZAC d’Ablis, dans le département 78, à Sobea IDF - devenu Effiparc IDF- (2000 et 2004), OGCA, NFEE (notification de 2000) et NFTP (notification de 2004) ;
411. 9°) - Le grief d’entente par concertation destinée à faire échec au jeu de la concurrence et à tromper la ville de Paris, maître d’ouvrage, quant à la réalité de la concurrence sur le marché du collecteur arrière d’Austerlitz, à Chantiers Modernes et Parenge (notification 2004) ;
412. 10°) - Les griefs d’entente par concertation destinée à faire échec au jeu de la concurrence et à tromper le maître d’ouvrage quant à la réalité de la concurrence sur les marchés de l’EPAD figurant dans le tableau suivant : TABLEAU
413. 11°) - Les griefs d’entente par concertation destinée à faire échec au jeu de la concurrence et à tromper le maître d’ouvrage quant à la réalité de la concurrence sur les marchés du SIAPP figurant dans le tableau suivant :TABLEAU
414. 12°) - Le grief d’entente par concertation destinée à faire échec au jeu de la concurrence et à tromper le maître d’ouvrage quant à la réalité de la concurrence sur le marché d’Aéroport de Paris relatif aux galeries enterrées du parc P3 à Orly, notifié en 2000, 2001 et 2004 à Chagnaud, Bouygues et Quillery et en 2004 à Botte, Parenge, Razel et Soletanche.
II. Discussion
A. SUR LA PROCÉDURE
1. Sur la prescription
1) Les actes interrompant la prescription de l’action devant le Conseil de la concurrence.
415. Les entreprises font valoir qu’aux termes de l’article 27 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 (devenu l’article L.462-7 du code de commerce), le Conseil ne peut être saisi de faits remontant à plus de trois ans à compter de sa saisine du 13 mars 1997. Les griefs relatifs aux marchés dont le dépôt des offres est antérieur au 13 mars 1994 seraient prescrits. Les parties contestent en effet que les actes de poursuite accomplis au cours de la procédure pénale aient pu interrompre la prescription triennale devant le Conseil. Selon celles-ci, reconnaître l’impact d’une procédure pénale sur le droit de la concurrence irait à l’encontre du principe fondamental selon lequel le criminel ne tient pas l’administratif en l’état. Le caractère interruptif du réquisitoire introductif ne serait, en tout état de cause, opposable qu’aux personnes parties à l’instruction pénale.
416. Mais, ainsi que le Conseil l’a rappelé dans sa décision 05-D-69 du 15 décembre 2005, les juridictions pénales sont compétentes en matière de pratiques anticoncurrentielles, sur le fondement de l’article L. 420-6 du code de commerce, pour sanctionner les personnes physiques qui ont pris une part personnelle et déterminante dans la commission des pratiques anticoncurrentielles : « est puni d’un emprisonnement de quatre ans et d’une amende de 75 000 euros le fait, pour toute personne physique, de prendre frauduleusement une part personnelle et déterminante dans la conception, l’organisation ou la mise en œuvre de pratiques visées aux articles L. 420-1 et L. 420-2 (…)». Il existe donc un lien étroit, institué par le législateur lui-même, entre les faits à la source du délit pénal de l’article L. 420-6 et les infractions au droit de la concurrence réprimées par les articles L. 420-1 et L. 420-2 du code de commerce. Compte tenu de ce lien, les actes afférents à l’instruction pénale, en ce qu’ils portent sur des faits dont la matérialité a une incidence directe sur la constitution des infractions de concurrence des articles L. 420-1 et L. 420-2 du code de commerce, tendent à la recherche, à la constatation ou à la sanction des pratiques anticoncurrentielles. Le caractère interruptif d’actes relatifs à l’action pénale dans d’autres actions a déjà été admis par la Cour de cassation. La Chambre criminelle a en effet jugé le 30 mai 1994 que « les liens étroits de connexité entre, in rem, les faits à la source des délits de droit commun et les infractions à la législation des contributions indirectes (…) permettent à l’action fiscale, malgré son indépendance, de bénéficier des actes interruptifs de la prescription à l’action publique, en matière économique, notamment les actes d’information et de poursuite jusqu’au jugement rendu sur l’action publique ». Il en résulte que les actes d’instruction tendant à établir la matérialité du délit de l’article L. 420-6 interrompent la prescription de l’action devant le Conseil de la concurrence au sens de l’article L. 462-7 du code de commerce.
417. Il ne s’agit pas d’appliquer un principe selon lequel le criminel tiendrait l’administratif en l’état, qui signifierait que le Conseil de la concurrence ne pourrait pas statuer sur les pratiques anticoncurrentielles avant que les faits objet de la procédure pénale n’aient été jugés par le juge pénal, ce que le Conseil a toujours écarté, les deux procédures étant distinctes, mais de faire application d’un texte spécial, l’article L. 462-7 du code de commerce, qui, ainsi que le Conseil l’a rappelé dans la même décision 05-D-69, définit les actes interruptifs de prescription en fonction de leur objet ou de leur finalité (acte tendant à la recherche, la constatation ou la sanction des faits dont le Conseil est saisi), sans préciser quels en sont les auteurs.
418. La première pièce du dossier pénal est constituée par le soit-transmis du 6 décembre 1994 du procureur de la République de Paris à la préfecture de police (direction de la police judiciaire) prescrivant l’audition de M. X…, dont les mentions sont reproduites dans le procès-verbal de police du 12 janvier 1995 coté D.7 (annexe 27 du rapport). Ce soit-transmis fait référence aux lettres envoyées par Madame X… au doyen des juges d’instruction et au vice-président du Conseil d’État « (…) pour signaler que la société Bouygues utilise depuis 85 un logiciel pour l’entente des prix sur les marchés publics d’État ». Ce sont des instructions adressées par le procureur de la République à la police judiciaire pour enquêter sur les faits révélés par Mme X… Elles constituent un acte tendant à la recherche, la constatation ou la sanction des pratiques d’ententes dénoncées. Cet acte qui a interrompu la prescription de l’action publique a également interrompu la prescription de l’action devant le Conseil portant sur les mêmes faits. Le Conseil de la concurrence a déjà admis qu’ont interrompu la prescription des faits des actes antérieurs à sa saisine, tels la lettre adressée à une partie par le chef de service de la DGCCRF marquant le point de départ de l’enquête administrative ou la lettre adressée par le chef du service régional de la concurrence à son supérieur hiérarchique, qui avait déclenché une enquête administrative (décision 92-D-37 du 2 juin 1992).
419. Les actes subséquents de l’enquête, à savoir l’audition de M. X… du 14 janvier 1995, faisant état d’ententes de prix et d’offres de couverture, le réquisitoire introductif d’ouverture d’information judiciaire du 30 juin 1995 sur des « pratiques anticoncurrentielles », le procès-verbal d’audition de M. X… du 3 juillet 1995, le procès-verbal de transport sur les lieux (locaux du groupe Bouygues) du 4 juillet 1995 du juge d’instruction et la commission rogatoire délivrée par ce dernier et exécutée par la DGCCRF, constituent chacun des actes ayant interrompu la prescription, car ils tendent à la recherche, la constatation ou la sanction des pratiques d’ententes dénoncées.
420. Il résulte de ce qui précède que seules les pratiques anticoncurrentielles antérieures au 6 décembre 1991 sont prescrites.
2) L’incidence de la connaissance des faits par le Conseil de la concurrence
421. Les entreprises mises en cause font valoir que le dossier fait état d’un courrier de Mme X…, portant à la connaissance du président du Conseil de la concurrence, le 15 octobre 1993, différents faits relatifs au logiciel Drapo. Cette lettre, à laquelle se réfère une lettre de relance ultérieure de Mme X… du 16 décembre 1994, aurait porté à la connaissance du Conseil des faits précis, qui auraient pu conduire celui-ci à se saisir d’office. La décision d’autosaisine de mars 1997 étant postérieure de plus de trois ans à l’information donnée par la lettre du 15 octobre 1993, la prescription serait acquise.
422. Mais le Conseil de la concurrence étant souverain dans l’appréciation de l’opportunité de se saisir d’office, il n’a pas à rendre compte des faits ou des documents qui l’ont déterminé à s’autosaisir. De plus, alors qu’une précédente lettre du 15 octobre 1993 n’a pas été portée à la connaissance du président du Conseil, ainsi qu’en atteste la lettre adressée le 11 juillet 1995 par celui-ci au procureur de la République de Versailles, la dénonciation des faits au Conseil par Mme X…, dans sa lettre du 16 décembre 1994 n’a pas saisi le Conseil, puisqu’elle émanait d’une personne physique n’ayant pas qualité pour saisir le Conseil. Cette lettre du 16 décembre 1994 et l’orientation de la plaignante vers une enquête pénale et une enquête administrative de la DGCCRF n’ont pas fait courir le délai de prescription de l’action devant le Conseil.
423. Il convient donc d’écarter ce moyen.
3) Le caractère interruptif de prescription de l’autosaisine
424. Effiparc IDF estime que la saisine d’office ne peut être considérée comme interrompant la prescription dans la mesure où, d’une part, elle n’aurait pas de date certaine, et, d’autre part, elle ne viserait pas la société exposante, ni le marché d’adduction d’eau de la ZAC d’Ablis.
425. Mais l’autosaisine qui a pour date certaine le 13 mars 1997 (cf. paragraphes 444 et suiv.) constitue, comme toute autre saisine du Conseil de la concurrence (décision 90-D-08 du 23 janvier 1990, confirmée par la cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 20 septembre 1990), un acte tendant à la recherche, à la constatation ou à la sanction des pratiques anticoncurrentielles. Portant sur la situation de la concurrence dans le secteur des travaux publics constatée à l’occasion de la passation de divers marchés publics dans la région Ile-de-France, elle a interrompu la prescription à l’égard d’Effiparc IDF et du marché de la ZAC d’Ablis, marché particulier figurant parmi les cinquante-sept marchés de travaux publics retenus dans cette région, en raison de la compétence in rem du Conseil de la concurrence.
4) Les actes tendant à la recherche, la constatation et la sanction des faits depuis l’autosaisine
426. Certaines entreprises font valoir que, depuis sa saisine, le Conseil n’aurait effectué aucun acte interruptif de prescription, avant les notifications de griefs successives des rapporteurs.
427. Mais, ainsi que le Conseil l’a rappelé dans l’étude thématique de son rapport annuel 2002 sur le régime de la prescription en droit national de la concurrence : « un nouveau délai de prescription de trois ans prend son cours, après la saisine du Conseil et peut, à son tour, être interrompu par des actes d’enquête, d’instruction et de poursuite effectués dans le cadre de la procédure par le rapporteur en charge de l’affaire ou par les enquêteurs mandatés par ce dernier. Ainsi en a-t-il été décidé à propos des actes suivants : (…) procès-verbaux de communication de documents dressés par la DGCCRF sur le fondement de l’article L. 450-3 du code de commerce ; (…) demande de renseignements ou de communication de pièces émanant du rapporteur (…) notification de griefs ; notification de griefs complémentaires (...)».
428. Ainsi que le Conseil l’a énoncé dans sa décision 05-D-69, les auteurs des actes interrompant la prescription ne sont pas précisés dans l’article L.462-7 du code de commerce et il ressort de la jurisprudence de la cour d’appel de Paris que des actes émanant d’autres organes que les rapporteurs ou les enquêteurs peuvent interrompre la prescription d’une procédure devant le Conseil. Il en est notamment ainsi de l’acte du président du Conseil, lorsqu’il rend une décision sur le secret des affaires (Cour d’Appel de Paris, 13 décembre 2001, GammVert) ou demande l’avis du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (Cour d’Appel de Paris, 15 novembre 2005, TPS Canal Plus), ou encore du ministre de l’économie, lorsqu’il adresse au Conseil ses observations sur le rapport du rapporteur (Cour d’appel de Paris, 14 janvier 2003, Pont de Normandie).
429. La délibération de la commission permanente du Conseil en date du 24 avril 1997 demandant, en application de l’article 463-5 du code du commerce, communication de pièces du dossier pénal au juge d’instruction et notamment « des procès-verbaux et rapports d’enquête ayant un lien direct avec les faits dont le Conseil (était) saisi », ainsi que la lettre de relance de la présidente du Conseil du 31 mai 1999, sont des actes tendant à la recherche, la constatation ou la sanction des faits dont est saisi le Conseil et ont interrompu la prescription bien qu’elles n’émanent pas des enquêteurs ou du rapporteur.
430. De plus, le procès-verbal de communication de documents dressé par le rapporteur le 17 février 2000, attestant la remise par le juge d’instruction des pièces du dossier pénal ayant un lien direct avec les faits dont le Conseil était saisi, fait foi jusqu’à preuve contraire de l’appropriation, par le rapporteur, de ces pièces transmises par le juge d’instruction ainsi que de leur contenu, dont il a pu faire état dans la procédure de concurrence qu’il instruisait et retenir à l’appui des griefs. Il s’agit donc d’un acte tendant à la recherche, à la constatation et à la sanction des faits dont est saisi le Conseil, au sens de l’article L. 462-7 du code de commerce. Il en est de même du procès-verbal de communication de documents dressé par le rapporteur le 29 juin 2000, qui atteste la présentation de l’original d’un scellé à M. 54…, directeur juridique de la SNC Sobea IDF et recueille les déclarations de celui-ci.
431. Il résulte de ce qui précède que tous ces actes, ainsi que les notifications de griefs des 14 juin et 15 septembre 2000, du 9 novembre 2001 et du 29 août 2004, ont valablement interrompu la prescription.
5) La valeur de ces actes interruptifs à l’égard de certains marchés
432. Les sociétés mises en cause estiment que, quand bien même auraient existé des actes interrompant la prescription pour certains marchés, ces actes ne pourraient avoir également interrompu la prescription pour les marchés cités et qualifiés pour la première fois dans la seconde notification de griefs complémentaire. Selon elles, cet état de fait serait confirmé par l’indication, dans cette notification de griefs complémentaire, que les griefs formulés à l’encontre de certaines parties concernent des « accords non visés par la précédente notification de griefs ». Le même raisonnement est adopté, s’agissant des griefs notifiés exclusivement lors de la notification initiale, et repris uniquement dans la seconde notification de griefs complémentaire, soit plus de quatre ans après.
433. Mais l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 15 juin 1999 (Solatrag) énonce que « le Conseil étant saisi des pratiques d’entente dans leur ensemble et non marché par marché, l’interruption de la prescription résultant de la notification des griefs complémentaires [du 14 août 1997], à la suite de la notification des griefs [du 5 septembre 1994], a interrompu de nouveau la prescription à l’égard de toutes les parties ». Dans sa décision n° 02-D-67, le Conseil de la concurrence a étendu le même raisonnement au cas où l’acte interruptif de prescription n’a concerné qu’une partie des pratiques incriminées : « considérant que le Conseil est saisi « in rem » des comportements susceptibles d’être imputés aux entreprises dans leur ensemble et pour l’ensemble de la période couverte par cette saisine ; que, dès lors qu’il est établi qu’un acte tendant à la recherche à la constatation ou à la sanction de ces comportements, même s’il ne concerne qu’une des entreprises incriminées ou une partie seulement des faits commis pendant la période visée par la saisine, est interruptif avant le terme du délai légal de trois ans suivant le dernier acte interruptif, la prescription se trouve interrompue par l’effet de cet acte à l’égard de toutes les entreprises concernées et pour l’ensemble des faits dénoncés ». Le Conseil a repris ce raisonnement dans deux décisions 03-D-68 et 04-D-63.
434. Il résulte de cette jurisprudence que les actes, notamment ceux énumérés aux points 1, 3 et 4 précédents, ont interrompu la prescription à l’égard de tous les marchés, qu’il s’agisse des marchés pour lesquels des griefs ont été énoncés dans la notification de griefs initiale sans être réitérés dans les notifications de griefs complémentaires ou des marchés pour lesquels des griefs ont été énoncés seulement dans l’une ou l’autre des notifications de griefs complémentaires.
2. LA DURÉE DE LA PROCÉDURE
435. Les parties estiment que la durée de la procédure est excessive. Elles font valoir que les faits datent du début des années 1990 pour les plus anciens et que les notifications de griefs successives sont toutes fondées sur les pièces communiquées le 11 octobre 1999 et le 10 février 2000 par M. Y…, juge d’instruction. Certaines d’entre elles soulignent que pour leur part, c’est dix ans après les faits, sept ans après la saisine du Conseil de la concurrence et plus de quatre ans après la notification de griefs initiale qu’elles se sont vues notifier un grief ou un nouveau grief. L’écoulement de ce délai excessif n’a pu, selon elles, que provoquer une déperdition des moyens de défense des entreprises ce qui leur cause un préjudice certain.
436. Mais la durée de la procédure s’explique, en l’espèce, par la complexité du dossier, dont l’ampleur est incontestable, en raison notamment du nombre des marchés concernés et de celui des entreprises en cause, ainsi qu’en raison de la nécessité d’articuler la procédure de concurrence avec la procédure pénale qui en est l’origine. L’examen des pratiques anticoncurrentielles dans le secteur des travaux publics a porté sur 57 marchés mettant en cause le comportement de 54 entreprises, et qui se sont échelonnés de l’année 1990 à l’année 1997. Cet examen a eu lieu après une enquête préliminaire diligentée par le procureur de la République le 6 décembre 1994, dans le cadre d’une information pénale ouverte par le réquisitoire du procureur de la République du 30 juin 1995 et a donné lieu à l’établissement, le 28 février 1997, d’un rapport d’enquête de la DGCCRF agissant sur commission rogatoire du juge d’instruction.
437. Ce rapport fait état de nombreux actes d’enquête accomplis par les enquêteurs de la DGCCRF, qu’il s’agisse d’auditions des responsables des entreprises ou de perquisitions et saisies de nombreux documents. Le déroulement de cette enquête a renseigné les entreprises qui ont participé aux appels d’offres litigieux sur la nature des faits qui étaient susceptibles de leur être reprochés et leur a permis de présenter et préserver les éléments nécessaires à leur défense.
438. A la suite de la saisine d’office du Conseil le 13 mars 1997, la communication des éléments de la procédure pénale a été demandée au juge d’instruction qui y a procédé en octobre 1999 et février 2000. Dès le 15 juin et le 15 septembre 2000, la première notification des griefs a été envoyée aux parties, suivie des deux autres notifications, le 9 novembre 2001 et le 24 août 2004, qui ont permis aux entreprises concernées de prendre connaissance à plusieurs reprises des pratiques qui leur étaient reprochées et de présenter leurs observations. Le rapport, établi le 26 juillet 2005, a enfin donné lieu à la vérification de la situation juridique de chacune de ces entreprises, afin d’éviter notamment les mauvaises imputations des pratiques à des entreprises absorbées par d’autres et n’ayant plus aucune existence légale.
439. Au regard de ces éléments, la durée de la procédure ne semble pas anormalement longue. En l’absence de démonstration, par les parties, de ce que la durée de l’instruction aurait fait obstacle de manière irrémédiable à l’exercice normal des droits de leur défense ou de ce qu’elle aurait entraîné la déperdition des preuves qui leur auraient permis de renverser les charges pesant contre elles, la procédure ne saurait être déclarée irrégulière du seul fait de sa durée. Enfin, à supposer les délais de la procédure excessifs au regard de la complexité de l’affaire, la sanction qui s’attache à la violation de l’obligation pour le Conseil de se prononcer dans un délai raisonnable n’est pas l’annulation de la procédure ou sa réformation mais la réparation du préjudice résultant éventuellement du délai subi, ainsi que la Cour de cassation l’a rappelé dans un arrêt du 28 janvier 2003.
3. SUR LA DÉCISION DE SAISINE D’OFFICE
1) La compétence de la commission permanente en matière de saisine d’office
440. Les parties estiment qu’aucune disposition de l’ordonnance du 1er décembre 1986, ni même du décret du 26 décembre 1986 n’attribue à la commission permanente, formation spécifique du Conseil de la concurrence, un pouvoir de décision en matière d’autosaisine. L’article 8 du règlement intérieur applicable à l’époque prévoyait cette possibilité mais a été supprimé depuis lors. La commission permanente aurait une compétence d’attribution fixée par l’article 22 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 relatif à la procédure simplifiée et par l’article 13 du décret du 26 décembre 1986 relatif à la non-exécution des injonctions. La décision de saisine d’office serait donc irrégulière.
441. Mais cette question a déjà été tranchée par le Conseil de la concurrence, dans sa décision 00-D-28 du 19 septembre 2000 relative à la situation de la concurrence dans le secteur du crédit immobilier, confirmée par un arrêt de la cour d’appel de Paris du 27 novembre 2001. Selon cette jurisprudence, applicable en l’espèce, le Conseil de la concurrence peut, en application de l’article L. 461-3 du code de commerce, siéger soit en formation plénière, soit en section, soit en commission permanente, et les dispositions conférant à la commission permanente certaines attributions n’ont ni pour objet, ni pour effet de restreindre à ces attributions, la compétence de cette dernière formation.
442. C’est donc sans excéder ses pouvoirs que le Conseil, réuni en commission permanente, a pris la décision de s’autosaisir.
2) La date et l’étendue de la saisine d’office
443. Les entreprises font valoir que l’une des notifications de griefs vise une décision d’autosaisine de la commission permanente en date du 13 mars 1997 concernant la situation de la concurrence dans le secteur des travaux publics constatée à l’occasion de la passation de divers marchés publics dans la région Ile-de-France, alors que les actes de désignation des rapporteurs mentionnent une décision du 6 mars 1997 concernant la situation de la concurrence dans les marchés de bâtiments et travaux publics dans la région parisienne. En conséquence, deux décisions d’autosaisine n’ayant pas le même objet seraient intervenues successivement et cette circonstance entacherait de nullité l’ensemble de la procédure (premier point). Elles contestent aussi l’étendue des griefs notifiés, qui, s’agissant du grief concernant le marché des archives de Chamarande, excéderait le champ de l’habilitation initiale (second point).
444. Mais, sur le premier point, il résulte du dossier qu’une seule décision d’autosaisine a été prise et figure au dossier, revêtue de la signature du président du Conseil, celle datée du 13 mars 1997 et portant sur « la situation de la concurrence dans le secteur des travaux publics constatée à l’occasion de la passation de divers marchés publics dans la région Ile-de-France ». Les parties en ont reçu copie dès la première notification des griefs, le 11 avril 2000. Selon les principes dégagés par la jurisprudence, une décision n’existe qu’à partir de sa signature par l’autorité compétente (Conseil d’État, 26 janvier 1951, Galy). Sa date est réputée exacte jusqu’à ce que la personne qui la conteste apporte la preuve contraire. Les actes de désignation des rapporteurs pris postérieurement ont certes, à la suite d’une erreur matérielle, reproduite plusieurs fois, puis rectifiée par décision du 3 avril 2002, mentionné la date du 6 mars 1997 comme étant celle de la décision d’autosaisine. Cette mention erronée n’a pas de portée réelle et est en toute hypothèse sans incidence aussi bien sur l’existence légale de la décision par laquelle le Conseil s’est saisi d’office le 13 mars 1997 que sur la validité des décisions de désignation des rapporteurs des 25 mars 1997 et 15 février 2000.
445. En outre, le fait que les actes de désignation des rapporteurs n’aient pas, pour définir le champ géographique et le secteur d’activité, repris exactement les mêmes mots que ceux utilisés dans la décision d’autosaisine n’emporte pas de conséquence, la décision d’autosaisine étant seule apte à définir le domaine des investigations.
446. Sur le second point, la saisine du 13 mars 1997 vise « la situation de la concurrence dans le secteur des travaux publics constatée à l’occasion de la passation de divers marchés publics dans la région Ile-de-France ». Le ressort géographique concerné peut indifféremment être la « région parisienne » ou « Ile-de-France », les deux appellations correspondant dans les deux cas à Paris et aux départements des Hauts-de-Seine, de Seine-Saint-Denis, des Yvelines, de l’Essonne, du Val-d’Oise et de la Seine-et-Marne, ainsi qu’il ressort de la loi n° 64-707 du 10 juillet 1964 portant réorganisation de la région parisienne. S’agissant du secteur d’activité, le secteur des travaux publics est bien identifié (paragraphe 549). Cinquante-sept marchés sur lesquels a porté l’instruction, répondant à la triple caractéristique d’appartenir à la catégorie des marchés publics, d’être situés en Ile-de-France et de concerner une ou plusieurs des douze spécialités énumérées par la Fédération nationale des travaux publics, entrent donc dans le champ de l’autosaisine.
447. En revanche, le marché n° 25 ayant trait à la conception et à la réalisation des archives de Chamarande constitue un marché de bâtiment et non un marché de travaux publics. Il ne peut être considéré comme compris dans la saisine. Les pratiques relatives à ce marché doivent donc être écartées des débats.
3) La désignation des rapporteurs au stade de l’autosaisine
448. Les parties font valoir qu’il n’existe au dossier aucune nomination de rapporteurs antérieure à la décision d’autosaisine, MM. 55… et 56… n’ayant été désignés que le 25 mars 1997 pour rapporter la présente affaire. La décision d’autosaisine du 13 mars 1997, prise sur le rapport de rapporteurs dont la désignation n’était pas encore intervenue, serait contraire aux dispositions de l’article 50 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 et encourrait de ce chef la nullité (premier point). Les parties soutiennent en outre que le fait que les mêmes rapporteurs soient intervenus lors de la saisine d’office, et aient été désignés ensuite pour rapporter l’affaire serait contraire aux principes d’équité et d’impartialité garantis par la Convention européenne des droits de l’homme pendant la phase d’instruction (second point).
449. Mais sur le premier point, la désignation formelle d’un rapporteur pour instruire une affaire, conformément à l’article 50 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 alors en vigueur, qui disposait que « le président du Conseil de la concurrence désigne, pour l’examen de chaque affaire, un ou plusieurs rapporteurs » n’est prévue que pour l’instruction des affaires au fond postérieure à la saisine du Conseil et non pour les procédures au cours desquelles le Conseil décide de se saisir d’office ; l’autosaisine du Conseil est en effet une décision d’ordre interne, prise hors la présence du commissaire du Gouvernement, non soumise à l’obligation de motivation, insusceptible de recours, dépourvue de formalité et dont la procédure d’adoption n’est régie par aucun texte. Il était dès lors loisible au Conseil de désigner oralement et sans formalités des rapporteurs chargés spécialement de faire un rapport oral sur la saisine d’office devant la formation chargée de se prononcer sur cette saisine, cette désignation informelle étant, en tout état de cause, dépourvue de toute incidence sur l’instruction ultérieure et ne faisant pas grief aux parties.
450. Sur le second point, la désignation pour l’examen de l’affaire des deux rapporteurs présents lors de la séance à l’issue de laquelle la commission permanente a décidé de s’auto-saisir a déjà été validée par l’arrêt « Banques » de la cour d’appel de Paris du 27 novembre 2001. Aux termes de cet arrêt « peu importe que M. 57… [rapporteur présent lorsque la commission permanente s’est réunie], qui n’avait alors procédé à aucun acte d’instruction, ait été, une fois le conseil saisi, régulièrement désigné pour l’examen de l’affaire conformément aux dispositions de l’article 50 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 ».
451. Ces moyens ne sauraient donc prospérer.
4) La composition de la commission permanente et son fonctionnement
452. Selon les parties, la composition de la formation était irrégulière car seuls deux vice-présidents ont pris part à la séance. L’absence, en l’espèce, du membre de la Cour de cassation leur aurait été préjudiciable, compte tenu des liens entre la procédure de concurrence et la procédure pénale (premier point). Elles contestent aussi la participation des rapporteurs au délibéré de la saisine d’office, alors qu’ils n’étaient pas encore désignés formellement et étaient donc officiellement étrangers à la procédure (second point).
453. Sur le premier point, l’article 4 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 modifié par la loi du 1er juillet 1996 (codifié à l’article L. 461-3 du code de commerce) édicte que « la commission permanente est composée du président et de trois vice-présidents », mais n’impose pas que tous les membres soient présents pour lui permettre de délibérer valablement. La règle de quorum, non modifiée en 1996, prévue par l’article 6 du décret du 29 décembre 1986 alors en vigueur exigeait seulement la présence de trois membres de la commission, condition satisfaite en l’espèce. De plus, les sociétés n’expliquent pas en quoi l’absence du magistrat de la Cour de cassation aurait nui au respect des droits de la défense.
454. Sur le second point, il n’est nullement établi que les rapporteurs auraient participé au délibéré de la saisine d’office, car la décision mentionne seulement avoir été prise sur le rapport oral de Messieurs 56… et 55… La mention précitée, « Délibéré sur le rapport oral de (…)», portée sur toutes les décisions du Conseil, indique seulement que le rapporteur a fait un exposé oral devant le Conseil. Cette formule finale se réfère sans ambiguïté au déroulement de la séance, aucun élément ne permettant de supposer que les rapporteurs auraient également participé au délibéré du Conseil (cour d’appel, 30 mars 2004, Semiacs). Enfin, à supposer que les rapporteurs aient été présents, la cour d’appel de Paris a précisé dans son arrêt « Banques » du 27 novembre 2001 que « le fait que M. 57… [rapporteur] ait assisté au délibéré de la commission permanente n’affecte pas davantage la validité de la décision du 30 novembre 1993 dès lors que celle-ci s’est bornée, ainsi qu’il a été dit ci-dessus, à ouvrir la procédure afin qu’il puisse être ultérieurement procédé aux investigations utiles pour l’instruction des faits dont le Conseil estimait devoir se saisir ».
455. Il convient donc d’écarter ces moyens.
5) Les faits ayant motivé l’autosaisine
456. Une partie critique l’absence de précision concernant les éléments de fait ayant conduit la commission permanente du Conseil de la concurrence à opter pour une autosaisine. D’autres soulignent que la décision d’autosaisine, comme la demande de communication de pièces du 24 avril 1997, font état de « pièces du dossier » qui auraient été communiquées à la commission permanente afin de lui permettre de se prononcer et qui n’auraient pas été communiquées aux parties, toutes les pièces du dossier soumis à consultation paraissant être issues du dossier pénal du juge d’instruction M. Y… Dans ces conditions, la procédure n’aurait pas respecté le principe du contradictoire et serait nulle.
457. Ni l’article 11 de l’ordonnance, ni le décret pris pour son application ne font obligation au Conseil de motiver ses décisions d’autosaisine, ainsi que la cour d’appel de Paris l’a souligné, dans l’arrêt « Banques » du 27 novembre 2001 : « aucune disposition n’impose au Conseil de la concurrence de rendre compte des circonstances dans lesquelles il a estimé opportun d’exercer le pouvoir de se saisir d’Office que la loi lui reconnaît afin, notamment, de le mettre en mesure de donner sa propre orientation à la politique de la concurrence ». Le Conseil de la concurrence est souverain dans l’appréciation de l’opportunité de se saisir d’office et n’a pas à rendre compte des circonstances dans lesquelles il décide d’exercer ce pouvoir. Le Conseil n’a donc pas à justifier son auto-saisine, ni à produire les éléments factuels au vu desquels il a pris sa décision.
458. Ainsi qu’il est évoqué au paragraphe 3, le président du Conseil de la concurrence a été destinataire d’une lettre de Mme X… le 16 décembre 1994 et d’un courrier de la DGCCRF du 24 mai 1995. Aux termes de la notification de griefs complémentaire du 9 décembre 2001, « ce sont ces deux lettres et des articles de presse qui ont incité le Conseil de la concurrence à s’autosaisir, le 13 mars 1997 ». La mention « vu les pièces du dossier » fait donc référence à ces courriers conservés aujourd’hui dans les archives du Conseil de la concurrence à Savigny-le-Temple, qui n’ont pas été joints en annexe à la décision de saisine d’office, et n’avaient pas à l’être. La seule pièce qui doit être versée au dossier est la décision de saisine d’office elle-même. D’ailleurs ces documents, en particulier le courrier de Mme X… du 16 décembre 1994 (cote D.10 du dossier pénal) et le courrier du président du Conseil de la concurrence du 11 juillet 1995 (cote D. 23 du même dossier), figurent parmi les pièces communiquées par le juge d’instruction de sorte que les parties ont pu en prendre connaissance.
459. Il y a donc lieu d’écarter ces moyens.
6) La portée du courrier du président du Conseil de la concurrence du 11 juillet 1995
460. La lettre du président du Conseil de la concurrence du 11 juillet 1995 au procureur de la République de Versailles contreviendrait, selon certaines parties, au principe d’impartialité qui s’oppose à ce qu’un membre du Conseil de la concurrence exprime un pré-jugement ou un parti pris sur l’affaire dont le Conseil est saisi, avant que n’intervienne la décision.
461. Mais la cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 15 juin 1999 (Canal +), s’est prononcée dans les termes suivants sur l’impartialité des membres du Conseil : « (...) aussi regrettable que soit l’évocation publique d’une affaire en cours d’instruction par un membre du Conseil, les propos litigieux, qui ne reflètent pas le sentiment que les pratiques exposées sont irrégulières et ne manifestent ni parti pris, ni préjugés ne justifient pas un doute légitime sur l’impartialité de celui qui les a tenus ” ; (...) ils n’emportent pas davantage, de sa part, une prise de position sur la culpabilité de l’entreprise en cause avant la décision du conseil sur les pratiques reprochées ; (...) il s’ensuit que le moyen tiré de la violation de la présomption d’innocence et du principe d’impartialité doit être rejeté ».
462. En l’espèce, c’est sur l’initiative du procureur de la République, que la DGCCRF a demandé au président du Conseil de la concurrence, un avis sur l’information pénale ouverte à la suite de la plainte de M. X…, dans le cadre d’une enquête préliminaire. Le Conseil n’était alors pas saisi des pratiques et le président du Conseil a répondu, dans sa lettre du 31 juillet 1995, de façon succincte et en des termes généraux et prudents rappelant la jurisprudence en la matière, sans prendre parti sur la matérialité ou la qualification des pratiques en cause, alors que les révélations du plaignant portaient sur l’usage par Bouygues et ses filiales, du logiciel Drapo. Cet échange informel de correspondances, dans une procédure pénale, n’a pas contrevenu au principe d’impartialité. Il n’a pu, en outre, avoir la moindre influence sur la décision rendue au fond dans la présente affaire, dès lors que l’auteur de la lettre n’a pas siégé dans la formation appelée à la prendre.
463. Ce moyen est donc inopérant.
7) La délimitation de la saisine
464. Certaines entreprises font valoir que la mention « situation de la concurrence dans le secteur des travaux publics constatés à l’occasion de la passation de divers marchés publics dans la région Ile-de-France » est trop générale, et ne saurait permettre de délimiter la saisine. NFEE estime que rien n’établit que la saisine vise notamment le marché conclu par le SIAAP dans la région d’Ablis (78) au titre duquel elle s’est vue notifier un grief.
465. Mais la saisine vise tout à la fois un secteur professionnel et un cadre régional. Son objet est semblable à celui des enquêtes de concurrence menées à l’initiative de la DGCCRF. En effet, s’agissant de l’objet de l’enquête que les agents de la DGCCRF doivent indiquer aux personnes entendues, la Cour de cassation a confirmé la jurisprudence de la cour d’appel (du 26 janvier 1999, Bianco Arbex et du 2 mars 1999, Surbeco), selon laquelle, lorsque les agents se livrent à une enquête sur la base de l’article 47 de l’ordonnance (actuel article L.450-3 du code de commerce), aucune disposition ne les « contraint (…) à délimiter préalablement le marché pertinent sur lequel (leurs) investigations pourront porter ». La délimitation d’un secteur suffit, sans qu’il soit besoin de détailler chacun des marchés visés. Le champ de la saisine inclut nécessairement le marché du SIAAP d’Ablis et la société NFEE ne démontre pas en quoi l’objet tel que mentionné dans la saisine d’office aurait pu l’amener à se méprendre sur le champ des investigations.
466. Il convient donc d’écarter ce moyen.
4. SUR LA COMMUNICATION DU DOSSIER PÉNAL
1) La régularité de la demande de communication de pièces
467. Les parties soutiennent que la première demande de communication de pièces du 24 avril 1997, adressée à M. Y…, qui instruisait la procédure pénale, a été formée par la commission permanente du Conseil, composée irrégulièrement (premier point) et que la seconde demande, faite le 31 mars 1999, serait irrégulière car elle n’a pas été adressée par la formation collégiale du Conseil, mais par sa présidente sans respecter la séparation entre les fonctions d’instruction et de jugement (deuxième point). Par ailleurs, la demande, communiquée au procureur de la République, ne serait pas conforme aux dispositions de l’article 26 de l’ordonnance (devenu l’article L. 463-5 du code de commerce), dans la mesure où une telle demande ne peut être adressée qu’à une juridiction d’instruction ou de jugement (troisième point).
468. Mais sur le premier point, comme il a été déjà précisé au paragraphe 453, la commission permanente était valablement composée de trois membres lorsque, constatant qu’une information portant sur des pratiques de concertation lors de la passation de différents marchés de travaux publics dans la région Ile-de-France avait été ouverte à Versailles, elle a, le 24 avril 1997, demandé à la juridiction d’instruction « de bien vouloir communiquer au Conseil de la concurrence les procès-verbaux ou rapports d’enquête ayant un lien direct avec les faits dont le Conseil s’est saisi ».
469. Sur le deuxième point, le courrier en date du 31 mai 1999 adressé, deux ans plus tard, par la présidente du Conseil de la concurrence au procureur de la République de Versailles constitue une lettre de relance et propose une modalité pratique destinée à faciliter la reprographie des documents devant être versés au dossier de la procédure de concurrence. Il reprend la lettre de transmission du 2 mai 1997 qui accompagnait la demande de communication de pièces du 24 avril 1997, exception faite du destinataire du courrier, et du paragraphe évoquant les modalités pratiques de reproduction des documents. C’est pour permettre l’exécution des décisions prises par la formation collégiale du Conseil que la présidente a signé ce courrier, ce qui n’implique aucunement son immixtion dans l’instruction de l’affaire.
470. Sur le troisième point, en ce qui concerne la compétence du destinataire du courrier du 31 mai 1999, le procureur de la République ne s’est, en tout état de cause, pas mépris sur l’étendue du rôle qui lui était dévolu, puisqu’il ressort des pièces du dossier qu’il a, par note du 16 juin 1999, transmis la demande du Conseil au juge M. Y… en précisant, non pas qu’il autorisait la communication sollicitée, mais qu’il ne s’y opposait pas. La décision finale appartenait donc au juge. Il convient aussi de préciser que le juge d’instruction avait été informé de ce courrier, par lettre du rapporteur datée du 4 juin 1999.
2) La précision de la demande de communication des pièces
471. Les parties rappellent qu’en vertu de l’article 26 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 (devenu l’article L. 463-5 du code de commerce), le Conseil ne peut demander et obtenir communication que des procès verbaux et des rapports d’enquête ayant un lien direct avec les faits dont le Conseil est saisi. Elles en déduisent que le texte pose une exigence de précision de la demande alors qu’en l’espèce, l’ensemble des pièces recueillies par le juge d’instruction aurait été transmis au rapporteur, à charge pour lui de les exploiter à son tour dans le cadre de la procédure de sanction du Conseil.
472. La demande de communication de pièces du 24 avril 1997 se réfère à la saisine d’office du Conseil en date du 13 mars 1997, avec indication de l’objet, tel qu’il est mentionné dans cette décision d’autosaisine, c’est-à-dire la situation de la concurrence dans le secteur des travaux publics constatée à l’occasion de la passation de divers marchés publics dans la région Ile-de-France. Les courriers du 2 mai 1997 et du 31 mai 1999 mentionnent également la saisine d’office du Conseil. Cette formulation était suffisante pour permettre au juge, qui instruisait l’information pénale portant sur les pratiques anticoncurrentielles relevant du même secteur d’activité et du même marché géographique, de communiquer les documents et pièces ayant un lien direct avec l’objet de la saisine du Conseil. Il peut être relevé en outre que M. Y… n’a pas sollicité de précisions, ce qui permet d’en conclure qu’à ses yeux, la demande était suffisamment précise.
3) La communication par le juge d’instruction des pièces extraites de la procédure pénale
473. Les parties estiment que les pièces du dossier pénal ont été communiquées irrégulièrement au rapporteur sans respecter les conditions posées par l’ordonnance. La société Soletanche Bachy France relève qu’au dossier il n’y a pas d’ordonnance ou de décision écrite du juge d’instruction, mais seulement une lettre manuscrite du greffier (premier point). En raison du délai écoulé entre la date de la demande du Conseil et l’absence de réponse du juge, une décision implicite de refus de communiquer les pièces demandées serait intervenue (deuxième point). Le rapporteur s’est rendu au cabinet du juge d’instruction où il aurait eu accès à l’intégralité du dossier pénal, puis aurait transféré les pièces au Conseil de la concurrence où il aurait fait un tri que la plupart des sociétés mises en cause considèrent comme arbitraire (troisième point).
474. Mais sur le premier point, ni l’ordonnance du 1er décembre 1986, ni le code de procédure pénale ne prévoient un quelconque formalisme pour la communication des pièces du dossier de l’instruction pénale au Conseil de la concurrence, qui ne constitue pas un acte d’instruction au sens du code de procédure pénale. Contrairement à ce qu’allègue Soletanche Bachy France, une ordonnance de transmission de pièces n’était pas nécessaire pour autoriser cette communication, l’article 182 du code de procédure pénale, qu’elle considère comme applicable, visant une toute autre hypothèse.
475. Figurent au dossier différentes pièces attestant des échanges qui ont eu lieu entre d’une part le rapporteur, M. 55…, d’autre part le juge d’instruction, M. Y… et sa greffière Mme. 58… (voir notamment, les courriers du rapporteur au juge d’instruction du 4 juin 1999 lui adressant copie de la lettre de la présidente au procureur de la République et du 22 février 2000 lui envoyant une copie du procès-verbal de communication de pièces établi par le rapporteur lui-même, le procès-verbal de certification du greffier, les documents signés du greffier datés des 10 et 15 février 2000 attestant la restitution des pièces communiquées et du 16 août 2000 attestant la restitution de pièces particulières auxquelles la société Sobea IDF avait demandé spécifiquement accès, la communication de pièces originales à la demande de la société Sobea IDF en juin 2000). La communication du dossier pénal s’est faite sous l’autorité du juge d’instruction, même si ne figure en effet au dossier aucune décision écrite du juge, étant observé que le rapporteur n’a pu en aucun cas avoir accès à ce dossier sans y avoir été autorisé par le juge, et sans le contrôle exercé par la greffière.
476. Sur le deuxième point, il est vrai que deux ans se sont écoulés entre la demande de communication de pièces et la mise en œuvre de celle-ci, mais ni l’ordonnance, ni le code de procédure pénale ne fixent le délai dans lequel il doit être répondu à une demande de communication de pièces. En matière pénale, la Cour de cassation a admis l’existence de décisions implicites de refus, mais dans la seule hypothèse, non vérifiée en l’espèce, où le juge d’instruction avait omis de se prononcer sur une demande d’acte de procédure pénale dont il était régulièrement saisi avant que l’instruction ne fût close (Cass. Crim. 18 juin 1959 ; 2 mai 1967 notamment).
477. Sur le troisième point, M. 55… désigné en qualité de rapporteur était habilité à se rendre au cabinet du juge d’instruction M. Y… Les mentions concordantes des documents dressés par le rapporteur et la greffière du juge d’instruction établissent que :
– selon une attestation dressée par le rapporteur datée du 11 octobre 1999, le même jour, ont été remis à M. 55… les documents et pièces contenus dans les cartons numérotés de 32 à 45 inclus, ceux numérotés de 54 à 77 inclus, ainsi que les scellés 1 et 2 établis le 21/12/1995, provenant des enquêtes effectuées sur commission rogatoire par la DNEC ;
– selon une attestation de la greffière non datée, mais à une date que le rapporteur a indiqué être le 10 février 2000 dans son procès-verbal de communication de documents du 17 février 2000, ce dernier a reçu copie du dossier de M. Y… (pièces cotées D. 1 à D. 461).
478. Ces éléments attestent que les cartons de la procédure pénale numérotés de 1 à 31 et de 46 à 53 n’ont pas été communiqués au rapporteur. Enfin, rien dans le déroulement de la communication des pièces ne permet de supposer que le rapporteur se serait livré à une sélection arbitraire des pièces en cause.
479. Il convient donc d’écarter l’ensemble de ces moyens.
4) La portée de la communication des pièces
480. Les entreprises prétendent que l’article 26 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 limite la communication aux seuls procès-verbaux ou rapports d’enquête, et qu’en sont donc exclues les pièces saisies, sur lesquelles le rapporteur s’est appuyé pour notifier des griefs. Dans leurs observations à propos du rapport, elles demandent que, compte tenu des documents et pièces de la procédure pénale sélectionnés et identifiés au paragraphe précédent qui seuls ont été communiqués, les documents mentionnés dans le rapport comme extraits des cartons portant des numéros qui ne correspondent pas à ceux indiqués au paragraphe précédent soient écartés.
481. Mais en premier lieu, les pièces saisies utilisées dans les notifications de griefs sont, sur le plan juridique, des annexes de procès-verbaux, quelle que soit la voie par laquelle le juge d’instruction en a pris possession (perquisitions et saisies, transmission sur réquisition ou sur simple demande, production par une partie lors d’une audition). Ces documents, pour la plupart manuscrits et le plus souvent saisis dans les locaux des entreprises mises en cause, sont indissociables des procès-verbaux qui font partie du dossier d’instruction. Leur transmission au Conseil respecte les dispositions de l’article L. 463-5 du code de commerce car il n’est pas concevable que des procès-verbaux et des rapports d’enquête soient communiqués au Conseil sans les pièces qui les accompagnent et qui sont nécessaires à leur exploitation. En second lieu, les documents et pièces qui ont été transmis au Conseil en exécution de la demande de communication des pièces ont fait l’objet d’un nouveau classement propre au Conseil, dans des cartons numérotés de 1 à 61. Ces données sont constantes depuis 2000, date de la première consultation du dossier par les parties. Il n’y a donc pas lieu de s’appuyer sur la numérotation des cartons du dossier d’information pénale qui est obsolète et qui est de nature à entretenir la confusion.
5) Le versement au dossier du Conseil du rapport d’enquête de la DGCCRF
482. Les parties soulignent que le rapport DNEC de M. 59… du 28 février 1997, rédigé sur commission rogatoire du juge d’instruction, ne semble pas avoir été coté dans la procédure pénale. Ce rapport n’est pas mentionné sur les documents attestant de la remise de pièces par la greffière, ni sur ceux concernant leur restitution. Il ne serait donc pas établi qu’il a été transmis par la juridiction d’instruction. Certaines parties suggèrent qu’il aurait été communiqué directement au Conseil par la DGCCRF à une date antérieure et font état d’un arrêté du 24 décembre 1996 nommant M. 59… rapporteur au Conseil de la concurrence à compter du 1er janvier 1997.
483. Si l’article 81 du code de procédure pénale prévoit que « toutes les pièces du dossier sont cotées par le greffier au fur et à mesure de leur rédaction ou de leur réception par le juge d’instruction », cette formalité n’est pas prescrite à peine de nullité de la procédure ou de la pièce. En tout cas, cette disposition ne s’applique pas à la procédure suivie devant le Conseil. La seule question qui mérite d’être posée est celle de la transmission de ce rapport d’enquête au Conseil. Un procès-verbal de communication des documents établi le 17 février 2000 par M. 55…, dont copie a été adressée au juge d’instruction, mentionne :
– « le dossier communiqué par le TGI de Versailles (…) se compose donc à ce jour de copies :
– de commissions rogatoires délivrées à M. 59… ;
– du rapport d’enquête rédigé par M. 59… (…)».
484. Il résulte de ce procès-verbal, qui fait foi jusqu’à preuve contraire, en vertu des dispositions combinées du deuxième alinéa de l’article L. 450-1 et de l’article L. 450-2 du code de commerce, que le rapport d’enquête rédigé par M. 59… faisait partie du dossier communiqué par le juge d’instruction. M. 59… n’est pas intervenu dans la transmission de ce rapport. Par arrêté du ministre délégué aux finances et au commerce extérieur, pris le 24 décembre 1996 sur proposition du président du Conseil de la concurrence, M. Philippe 59… a été nommé rapporteur au Conseil de la concurrence à compter du 1er janvier 1997. Cet arrêté a été publié au « Journal Officiel » le 3 janvier 1997. Pour pouvoir exercer légalement ces dernières fonctions, M. 59…, inspecteur de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, devait être placé dans une position régulière au regard de son corps, dont le statut est régi par le décret n° 95.872 du 2 août 1995 : détachement ou mise à disposition sur demande de l’Intéressé. C’est l’objet de l’arrêté ministériel du 20 janvier 1997 qui, sur la demande de l’intéressé, a mis M. 59… à la disposition du Conseil de la concurrence pour une durée de trois ans à compter du 1er mars 1997. Cette dernière date, 1er mars 1997, correspond à la date à laquelle M. 59… a cessé d’exercer ses fonctions à la DGCCRF, fonctions qu’il remplissait plus particulièrement à la direction nationale des enquêtes de concurrence sous l’autorité du directeur général de la DGCCRF, pour rejoindre le Conseil. A la date de la signature, le 28 février 1997, du rapport d’enquête établi sur commission rogatoire du juge M. Y…, M. 59… était encore en fonction à la DNEC. La transmission du rapport d’enquête a été faite ultérieurement, à la suite de la demande de communication des pièces.
6) L’opposabilité du dossier pénal
485. Les entreprises exposent que les griefs sont exclusivement fondés sur les documents et pièces de la procédure pénale transmise par M. Y…, juge d’instruction, le rapporteur s’étant borné à les analyser, sans procéder à aucune vérification indépendante. Elles critiquent les notifications de griefs fondées sur une procédure judiciaire, qui leur a été communiquée de manière partielle et dont les documents ne sont pas versés en originaux aux débats. L’impossibilité de connaître les pièces à décharge existant dans le dossier pénal, qui démontreraient leur absence d’implication dans les faits, objet de l’instruction, leur serait préjudiciable (premier point). Elles soulignent être demeurées étrangères à l’information pénale menée par le juge d’instruction de Versailles, à laquelle elles n’ont pas eu accès. Leur opposer les éléments d’une procédure extérieure constituerait une violation du principe d’égalité des armes. Le procès ne serait pas équitable dès lors que, n’étant pas parties à la procédure pénale, elles n’ont pu contester ni la légalité des pièces qui leur sont opposées, ni la régularité des saisies, perquisitions ou auditions effectuées par le juge d’instruction ou les enquêteurs agissant sur commission rogatoire (second point).
486. Mais sur le premier point, la communication des pièces d’une procédure pénale en cours d’instruction est prévue par l’article L. 463-5 de code de commerce qui dispose : « Les juridictions d’instruction et de jugement peuvent communiquer au Conseil de la concurrence, sur sa demande, les procès-verbaux ou rapports d’enquête ayant un lien direct avec des faits dont le Conseil est saisi ». Cet article ne prévoit aucune restriction dans l’utilisation des pièces pénales communiquées au Conseil. Ces pièces peuvent donc fonder les griefs de la même façon que les pièces issues d’une enquête administrative. De même que le rapporteur peut fonder son analyse des griefs sur le rapport d’enquête administrative qui lui est transmis par le ministre chargé de l’économie sans procéder lui-même à des actes d’instruction, de même il peut procéder à cette analyse à partir des documents et pièces de la procédure pénale qui lui ont été communiquées et qui sont de nature à caractériser les griefs, sans procéder à des actes d’investigation complémentaires, s’il estime les poursuites suffisamment fondées par ces documents et pièces. En l’espèce, le dossier de la procédure devant le Conseil est en effet constitué par les seuls documents et pièces transmis par le juge d’instruction et a été ouvert à la consultation des parties qui ont été appelées à en discuter le contenu en présentant leurs propres moyens et pièces. Ces documents et pièces extraites de la procédure pénale sont nécessairement des copies, l’original de ces pièces figurant au dossier de l’information pénale.
487. Cette façon de procéder a déjà été utilisée (décision 95-D-86 du 19 décembre 1995 ; décision 05-D-59 du 15 décembre 2005 ; cour d’appel de Paris, 28 janvier 1997). La circonstance que les parties n’aient pas eu accès à l’entier dossier pénal résulte des modalités même de communication prévues par les textes qui suppose nécessairement une sélection des documents, comme tout acte de communication ou de saisie de documents. Les parties ne démontrent pas en quoi cette façon de procéder aurait porté atteinte aux droits de la défense ou aurait conduit à écarter des pièces à décharge. La plupart des documents communiqués sont des procès-verbaux d’interrogatoires accompagnés des pièces saisies auxquels a procédé la DNEC sur commission rogatoire du juge d’instruction et il n’est nullement établi que ces procès-verbaux auraient méconnu les règles posées par le code de commerce, relatives par exemple, à la loyauté de l’enquête.
488. Sur le second point, une fois versées au dossier du Conseil de la concurrence, les pièces d’origine pénale sont opposables aux parties dans les mêmes conditions que les autres pièces rassemblées lors de l’instruction de l’affaire par le rapporteur. Ce cadre juridique ne remet pas en cause le droit au procès équitable au sens de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme. L’égalité des armes au sens de cet article fait obligation d’offrir aux parties une possibilité raisonnable de présenter leur défense dans des conditions respectueuses des règles du procès équitable. Elle implique, comme c’est le cas en l’espèce, que les pièces produites au dossier du Conseil de la concurrence et l’analyse qu’en fait le rapporteur dans la notification des griefs soient discutées contradictoirement, que les parties disposent d’un délai pour préparer leur défense et qu’elles aient la possibilité de présenter les moyens et les pièces qu’elles estiment utiles. Ce sont les pièces et les analyses présentées par le rapporteur qui circonscrivent le domaine dans lequel va s’exercer la discussion contradictoire, celui-ci ne s’étendant pas, lorsqu’il a été fait application de l’article L. 463-5 du code de commerce, à l’entier dossier d’instruction.
7) La portée de l’annulation de trois procès-verbaux de mise sous scellés par la cour d’appel de Versailles
489. La cour d’appel de Versailles, dans son arrêt du 11 septembre 2002 (annexe aux observations de la société Effiparc), a considéré que les investigations des enquêteurs de la DNEC ont été accomplies conformément aux textes en vigueur, que les « procès-verbaux relatant leur exécution sont parfaitement réguliers », de même que le placement sous annexe des documents remis par la SNCF et par deux services du département de la Seine-Saint-Denis 93 tandis que le placement sous scellés décidé postérieurement par le juge d’instruction, hors la présence de représentants de la SNCF et du département de Seine-Saint-Denis, n’a pas respecté les dispositions de l’article 97 du code de procédure pénale. Elle a donc annulé les trois procès verbaux de constatation et de mise sous scellés des 13 avril 1998 (D.466), 30 septembre 1998 (D.467 et 11 juin 2001 (D.489) dressés par le juge M. Y… A la suite de cet arrêt, le juge d’instruction a rendu, le 26 novembre 2002, une ordonnance constatant la prescription de l’action publique, le dernier acte interrompant la prescription étant constitué par l’audition d’un témoin le 2 juillet 1997. Les parties exposent que les documents recueillis au cours de la procédure pénale sont, de ce fait, inutilisables par le Conseil.
490. Mais l’annulation par la cour d’appel des trois procès-verbaux de mise sous scellés a conduit au retrait du dossier des documents qui avaient fait l’objet de cette mise sous scellés. Elle n’a aucune incidence sur la validité de la procédure en cours devant le Conseil, les rapporteurs ne les ayant pas utilisés pour fonder les griefs. Si elle a entraîné la clôture de la procédure pénale en raison de la prescription de l’action publique, la prescription constatée au pénal est sans effet sur la procédure devant le Conseil, qui est distincte de la procédure pénale.
5. SUR LES NOTIFICATIONS DE GRIEFS
1) L’absence d’audition des parties avant la notification de griefs
491. Eiffage TP et Muller TP font valoir qu’aucun dirigeant ou salarié de leur société n’a été entendu par les rapporteurs pendant l’instruction pénale et qu’ils n’ont pas pu faire valoir leurs droits.
492. La jurisprudence considère que le rapporteur n’est pas tenu de procéder à des auditions s’il s’estime suffisamment informé pour déterminer les griefs susceptibles d’être notifiés (Cour de cassation, 15 juin 1999). L’absence d’audition préalable à la notification des griefs ne constitue donc pas une atteinte au principe du contradictoire (cour d’appel de Paris, 28 juin 1989) et la circonstance que des responsables ou des cadres des entreprises vis-à-vis desquelles des griefs ont été retenus n’ont pas été entendus par le rapporteur est sans incidence sur la régularité de la procédure.
2) Les questions de procédure non traitées par les notifications de griefs
493. Chantiers Modernes fait valoir que les rapporteurs successifs, dans les notifications de griefs complémentaires, ne se sont pas prononcés sur l’étendue de la saisine c’est-à-dire sur le point de savoir si la saisine portait sur l’ensemble du secteur des bâtiments et travaux publics ou sur les seuls travaux publics et ont éludé la question de la vérification du fondement de la décision de saisine du 6 ou du 13 mars 1997. Les rapporteurs, face à cette question préalable, auraient dû saisir immédiatement le Conseil afin que celui-ci tranche le problème de la régularité de la saisine.
494. Mais les moyens de procédure ne constituent pas des questions préalables détachables du fond, sur lesquelles le Conseil devrait se prononcer in limine litis pour permettre la poursuite de la procédure. Selon la procédure en vigueur, le rapporteur, au vu des observations des parties en réponse à sa notification de griefs, donne son avis sur les questions de procédure soulevées et il appartient au Conseil, après un débat contradictoire en séance, de statuer sur ces questions dans sa décision.
3) L’authentification des notifications de griefs
495. Bouygues estime que la notification de griefs est un acte juridique émanant d’une autorité publique, soumise à ce titre au régime juridique applicable aux actes administratifs et doit être signée par son auteur.
496. Mais ainsi que le Conseil de la concurrence l’a rappelé, notamment, dans sa décision 04-D-01 du 6 février 2004, « la Cour de cassation, dans son arrêt du 28 janvier 2003, a considéré que le moyen tiré du défaut de signature de la notification de griefs et du rapport doit être écarté dès lors qu’il n’existe, comme c’est le cas en l’espèce, aucune ambiguïté sur l’auteur de la notification de ces actes dont le nom est expressément indiqué en page de couverture et que l’on a pu ainsi s’assurer de l’identité de l’auteur des actes de procédure. En outre, les autorités administratives indépendantes constituent une catégorie juridique distincte qui n’est pas soumise à la loi du 12 avril 2000, comme le précisent, notamment, les travaux préparatoires de la loi. Enfin, ni la notification de griefs, ni le rapport ne constituent des décisions administratives ».
4) Le caractère incomplet du dossier
497. Les requérantes font valoir que l’examen du dossier mis à la disposition des parties au bureau de la procédure du Conseil de la concurrence fait apparaître que plusieurs pièces ont disparu ou sont incomplètes. Soletanche Bachy estime pour sa part avoir identifié une vingtaine de pièces du dossier qui ne figurent pas au dossier consultable au Conseil. Ces entreprises en déduisent ne pas avoir été mises en mesure de vérifier que les droits de la défense ont été préservés.
498. Le rapport, en application de l’article L. 463-2 du code de commerce, contient en annexe l’ensemble des documents sur lesquels se fonde le rapporteur pour étayer les griefs notifiés. S’il s’avère néanmoins que des documents utilisés comme éléments de preuve ont disparu, il conviendra d’apprécier lors de l’évocation des marchés auxquels ils se réfèrent, dans quelle mesure cette disparition porte atteinte aux droits de la défense et si les éléments de preuve restants et figurant au dossier suffisent à fonder les griefs.
5) La non communication des observations du commissaire du Gouvernement au stade des notifications de griefs
499. Les parties font valoir que pour justifier la rédaction d’une troisième notification des griefs, le rapporteur se fonde sur les observations du commissaire du Gouvernement. Or celles-ci ne figuraient pas dans le dossier auquel les parties ont eu accès en application de l’article L. 463-2 du code de commerce avant de formuler leurs observations fin 2004 – début 2005, ce qui constituerait une violation de l’article L. 463-1 du code de commerce aux termes duquel l’instruction et la procédure devant le Conseil de la concurrence sont pleinement contradictoires.
500. Le rapporteur rédacteur de la troisième notification de griefs, s’est référé, en introduction aux observations présentées par les entreprises et par le commissaire du Gouvernement, à la précédente notification de griefs, soulignant en particulier que « le commissaire du Gouvernement a notamment fait valoir que des accords de répartition des affaires préalablement aux appels d’offres n’avaient pas été pris en considération, notamment lors d’accords ponctuels lors des appels d’offres et que, pour certains accords, la liste des destinataires des griefs était incomplète. La société SCREG a par ailleurs demandé sa mise hors de cause dans l’appel d’offres relatif aux archives de Chamarande, au motif que la pratique retenue était imputable à une filiale ayant fait l’objet d’une fusion-absorption par une autre société ». Ainsi les parties ont été informées du contenu des observations faites par le commissaire du Gouvernement qui ont conduit le rapporteur à procéder à une notification de griefs complémentaire destinée à préciser et compléter les notifications de griefs antérieures en prenant en considération les différentes observations.
501. En outre, les observations du commissaire du Gouvernement du 1er août 2000 et du 4 janvier 2002 sont annexées au rapport. Elles ne sont pas considérées, selon la pratique constante du Conseil, validée par la jurisprudence, comme des pièces que les parties peuvent consulter au stade de l’instruction par le rapporteur. Les parties ont eu, dans leurs observations à la suite du rapport, puis lors de la séance, la possibilité d’y répondre. Il n’y a donc pas eu atteinte, en l’espèce, au principe du contradictoire.
6) Sur la précision des griefs et leur individualisation
502. a) Les sociétés soulèvent en défense qu’il n’existe pas, dans la première notification de griefs adressée aux parties les 14 juin et 15 septembre 2000, de qualification individuelle, motivée et circonstanciée pour chaque entreprise, des pratiques dénoncées, rapportées à un marché déterminé. Cette notification de griefs, où les griefs sont imputés par grande catégorie de maîtres d’ouvrage, constituerait, selon elles, un acte d’accusation imprécis et frappé de nullité.
503. L’importance de la notification de griefs a été rappelée par la cour d’appel de Paris dans un arrêt du 29 mars 2005 (Filmdis Cinésogar) : « Les garanties fondamentales de la procédure devant être impérativement respectées, la notification des griefs doit informer précisément les entreprises poursuivies des pratiques reprochées et le Conseil ne saurait -sauf notification de griefs complémentaires à laquelle il lui est loisible de procéder sanctionner une pratique qui n’a pas été visée dans la notification des griefs, peu important à cet égard qu’elle ait été dénoncée dans le rapport et que les parties s’en soient expliquées devant lui ». Il s’agit d’un document synthétique qui définit l’accusation, contient une description précise des faits reprochés, leur date, leur imputabilité et leur qualification, puis reprend, in fine, en les résumant, la rédaction des griefs eux-mêmes dans une formule concise. Elle constitue l’acte d’accusation et doit donc être précise, cette exigence n’excluant pas que les juges d’appel et de cassation acceptent parfois une rédaction imparfaite et cherchent dans le corps même de la notification de griefs si les entreprises mises en cause n’avaient pu se méprendre sur les griefs notifiés (Cour de cassation, 6 avril 1999, ODA).
504. En l’espèce, il est vrai que si l’imputabilité des griefs contenus dans la notification de griefs initiale a été précisée, pour la majorité d’entre eux, dans la première notification de griefs complémentaire adressée aux parties le 9 novembre 2001, ils n’ont pas été reformulés s’agissant des marchés Meteor, de Clichy la Briche et de Vitry sur Seine. Ils demeurent donc en l’état, le Conseil devant se prononcer sur tous les griefs notifiés. Quant au grief relatif au SEMAPA, figurant dans la notification de griefs initiale, il n’a pas été repris dans la première notification de griefs complémentaire mais dans la seconde en date du 29 août 2004 et sous un nom différent.
505. Il convient donc de vérifier, pour ces quatre marchés et conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation exprimée dans l’arrêt ODA du 6 avril 1999, en se référant aux constatations du Conseil et « aux développements préalables du rapporteur dans l’acte de notification des griefs », si la pratique sanctionnée était bien visée et si en « dépit de « la rédaction imparfaite du grief notifié », il n’existait aucune « incertitude » sur l’étendue de la saisine du Conseil de la concurrence ». Le Conseil doit, en l’espèce, s’assurer que les entreprises en cause ont été mises en mesure de présenter utilement leur défense pour les marchés cités et si, à cet effet, leur ont été clairement indiquées les pratiques reprochées et si elles n’ont pu se méprendre sur les accusations portées contre elles. Cette vérification doit se faire au regard de la formule finale d’accusation et également au regard du corps même de la notification de griefs.
1) Marchés Météor (n° 12 à 19)
506. Les pratiques anticoncurrentielles relatives aux marchés de la ligne Météor ont été notifiées sous la rubrique « RATP » aux entreprises suivantes : Bouygues Construction, Borie, Perforex, Chantiers Modernes, Dumez GTM, Ballot, Campenon Bernard SGE, Chagnaud, Nord France TP, GTM Construction, Sogea, HBW, Urbaine de Travaux, Guintoli, Montcocol, Borie SAE, Quillery, Razel, Soletanche, Müller TP, Spie Batignolles et Nord France TP (cf. page 118 de la notification de griefs initiale).
507. Il faut se reporter à la page 66 de cette notification de griefs pour lire, après la description détaillée des faits, la formule suivante : « Pour l’ensemble des lots METEOR qui viennent d’être présentés les personnes morales impliquées dans les pratiques relevées sont les entreprises apparaissant sur le document saisi chez Monsieur R… de la société GTM et celles associées avec ces entreprises lors de la remise des offres ». Ce document, qui figure en page 57 de la notification de griefs, et au paragraphe 111 de la présente décision, est constitué par un dessin représentant la ligne Météor coupée en tronçons correspondant à des lots ; ce dessin est couvert d’annotations au crayon, notamment la date de rédaction du document, du 22 février 1991, antérieure au dépôt des offres de tous les marchés correspondants, les offres s’étant succédées d’avril 1991 à septembre 1992. En face de chacun de ces lots sont indiqués, toujours au crayon, les noms des entreprises qui se sont avérées être les attributaires des marchés en question. Les faits sont donc simples et illustrent le fonctionnement d’une table, celle de Météor-Eole, mentionnée sur les documents dont il a été question plus haut (voir paragraphe 20). La règle d’imputabilité figurant à la page 66 de la notification de griefs permettait donc aux entreprises de connaître si elles étaient ou non poursuivies dans le cadre du grief notifié.
2)Marché du bassin de régularisation de Vitry sur Seine (SIAPP) (n° 50) et marché d’ouvrage de liaison de Clichy La Briche (SIAPP) (n° 46)
508. S’agissant de ces deux marchés, les griefs ont été notifiés aux entreprises suivantes : Borie SAE, Bouygues, Campenon Bernard, Botte, Chagnaud, La Coccinelle, CSM Bessac, DG Construction, Fougerolle, GTM, Parenge, Quillery, Sade, Sobea IDF, Soletanche, Sotrasol, Spie Citra, TPI et Urbaine de travaux. S’agissant de pratiques simples pour lesquelles les indices émanent de la société Soletanche et mettent en évidence des échanges d’informations avant le dépôt des offres, les entreprises mises en cause dans ces documents n’ont pu se méprendre sur l’accusation pesant contre elles. Il convient dès lors de maintenir ces griefs.
3) Marché du SEMAPA (n° 7)
509. Les pratiques relatives à ce marché figurant dans la première notification de griefs ont fait l’objet de griefs notifiés aux entreprises Bachy, Ballot, Bec Frères, Borie, Bouygues, Campenon Bernard CGE, Chagnaud, Chantiers Modernes, Demathieu et Bard, DG Construction, Fougerolle-Ballot, GTM Construction, Montcocol, Müller, Nord France TP, Pico, Perforex, Quillery, Sogea, Soletanche, Spie Batignolles, Spie Citra, TPI et Urbaine de Travaux.
510. Ils ne figurent pas dans la première notification de griefs complémentaire, mais figurent dans la deuxième notification de griefs complémentaire, sous une autre dénomination : « déviation provisoire de la rue de Tolbiac (BS 13) » (page 67 de cette notification de griefs) et ont été notifiés aux sociétés Chagnaud, Borie SAE, Campenon Bernard, Chantiers Modernes, Nord France TP, DG Constructions, Bouygues et GTM (page 72). Le rapport reprend enfin, en page 100, ce marché sous la bonne dénomination.
511. Cette modification de numérotation du marché a pu induire les parties en erreur et être la cause d’une méprise concernant l’accusation pesant sur elles. Il convient donc d’écarter le grief relatif à ce marché.
512. b) Les parties contestent ensuite toutes les étapes de la procédure, aussi bien les deux notifications de griefs complémentaires que le rapport qui a présenté une synthèse de tous les chefs d’accusation. Selon elles, les notifications de griefs complémentaires se sont substituées à la notification de griefs initiale et la rapporteure n’aurait pas dû reprendre, au stade du rapport, des griefs figurant seulement dans la première notification de griefs et non repris dans les notifications de griefs complémentaires. Elles exposent que la géométrie variable des différentes notifications et des entreprises impliquées a rendu leur défense difficile, voire impossible.
513. Mais, deux règles doivent être rappelées. En premier lieu, si la notification de griefs ouvre la phase contradictoire de la procédure, et fixe le cadre définitif de l’instance devant le Conseil, imposant à ce dernier de se prononcer sur tous les griefs retenus par le rapporteur, sans pouvoir requalifier d’office les faits qui lui sont soumis, ni ajouter de nouveaux griefs, ni poursuivre de nouvelles entreprises (sauf à devoir surseoir à statuer) et si elle entraîne une certaine immutabilité de l’instance, ce principe n’implique pas l’unicité de la communication des griefs. En effet, s’il apparaît au rapporteur, postérieurement à l’établissement de la notification de griefs initiale, qu’il y a lieu de retenir de nouveaux griefs ou d’imputer des griefs à l’encontre d’entreprises vis-à-vis desquelles aucune infraction n’avait été originellement retenue ou encore s’il apparaît que les personnes concernées ont « subi des changements dans leurs structures ou dans leur personne juridique », il est admis qu’il puisse procéder à une notification de griefs complémentaire, dès lors que le principe de la contradiction est respecté. La cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 19 septembre 1990 (Société Herlicq), a admis la validité d’une notification des griefs complémentaire : le Conseil, qui avait notifié des griefs à des entreprises et avait ensuite, au vu des observations du commissaire du Gouvernement, notifié de nouveaux griefs « n’a pas l’obligation de dénoncer simultanément tous les griefs qu’il retient ; qu’en particulier, il peut procéder à une notification complémentaire sans porter atteinte aux droits de la défense à la condition que cette formalité soit accompagnée des garanties prévues par l’article L.463-2 du code de commerce », c’est-à-dire que les parties doivent bénéficier d’un deuxième délai de deux mois après la seconde notification de griefs pour consulter le dossier et présenter leurs observations. Comme pour la notification de griefs initiale, les faits doivent être formulés de manière suffisamment précise et les pratiques doivent être étayées d’éléments de preuve suffisants pour que les parties puissent préparer utilement leur défense (Cour d’appel, 8 juillet 1992, Carrière Gontero ; 17 juin 2003, SNR Roulements).
514. En second lieu, la notification de griefs complémentaire ne peut se substituer à la première. Dans sa décision 04-D-48, le Conseil a considéré qu’il résulte de l’article 36 du décret du 30 avril 2002, qui prévoit que le rapport soumet à la décision du Conseil de la concurrence une analyse des faits et de l’ensemble des griefs notifiés, que, ni le rapporteur, ni le rapporteur général ne sont compétents pour annuler un grief notifié, et que la formule « annule et remplace (la notification de griefs initiale) » employée dans la notification de griefs complémentaire est impropre et ne correspond pas à la procédure mise en œuvre dans les faits. La notification de griefs complémentaire ne peut donc être utilisée pour procéder à l’annulation d’un grief. Elle n’a pas non plus à se prononcer sur le maintien ou l’abandon de griefs contenus dans la notification de griefs initiale (décision 01-D-41). En fin de procédure, le Conseil doit, pour vider sa saisine, se prononcer sur tous les griefs, aussi bien ceux contenus dans la notification initiale que ceux contenus dans la ou les notifications de griefs complémentaires, même si le rapporteur a proposé l’abandon de certains griefs au stade du rapport.
515. Au cas d’espèce, la notification de griefs complémentaire du 9 novembre 2001 a eu pour objet de préciser l’imputation des pratiques. Les parties ont bénéficié d’un nouveau délai de deux mois pour y répondre et préciser, en les renouvelant, les observations faites en réponse à la notification de griefs précédente. Toutefois, cette deuxième notification de griefs qui était nécessairement complémentaire n’a pas annulé la première notification de griefs et donc, n’a pas restreint le champ de l’accusation, malgré la mention « se substituant aux documents précédemment notifiés », conformément à la jurisprudence rappelée plus haut.
516. La notification de griefs complémentaire du 29 août 2004 a eu pour objet de notifier de nouveaux griefs et d’élargir l’imputation de certains griefs à d’autres entreprises. Elle est conforme à la conception d’une notification des griefs complémentaires, destinée à compléter ceux-ci en élargissant le champ de l’accusation. Là encore, les parties ont bénéficié d’un délai de deux mois pour faire des observations. Cette notification de griefs vient s’ajouter aux deux autres, comme la rapporteure l’a justement retenu dans son rapport.
517. Il résulte de ce qui précède que les deux notifications de griefs complémentaires de 2001 et 2004 n’ont pas remplacé la première notification de 2000. Le rapport a repris l’ensemble des griefs notifiés aux entreprises qui en ont été destinataires et qui ont été ainsi mises en mesure, une nouvelle fois au stade du rapport, de présenter leurs observations. Le Conseil doit donc se prononcer sur tous les griefs notifiés, y compris ceux notifiés en 2000. L’absence de rappel, dans les notifications de griefs complémentaires, des griefs mentionnés dans la première notification de griefs ne vaut pas abandon de ces griefs.
6. SUR LE RAPPORT
518. Certaines entreprise estiment insuffisantes les réponses faites par le rapport à leurs observations. Vinci fait valoir que contrairement à la pratique habituelle du Conseil de la concurrence, un délai complémentaire n’a pas été accordé par le président du Conseil de la concurrence à l’ensemble des entreprises en cause. Il en serait résulté une disparité de traitement entre les entreprises.
519. Mais selon une jurisprudence constante, il n’est pas nécessaire que le rapport réponde au détail de l’argumentation des parties, dès lors qu’il contient l’essentiel des considérations concernant les éléments soumis à la discussion contradictoire. Par ailleurs, les entreprises qui ont demandé un délai supplémentaire pour présenter leurs observations à la suite du rapport l’ont obtenu. Il s’est agi de prolonger le délai, et non de le rouvrir une fois expiré, situation différente de celle censurée par l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 20 décembre 1994, évoqué par Vinci. Les critiques relatives au rapport et à sa consultation sont donc sans fondement.
7. SUR LA RÈGLE NON BIS IN IDEM
520. Une partie fait valoir que la définition du marché pertinent donnée par la cour d’appel de Paris dans sa décision du 14 janvier 2003 (sur appel de la décision 95-D-76), combinée avec l’élargissement des poursuites réalisé au stade de la notification de griefs complémentaire de 2004, aboutirait à un chevauchement des pratiques incriminées avec celles ayant déjà donné lieu à condamnation, en contravention avec la règle non bis in idem.
521. Mais le principe non bis in idem s’oppose à ce qu’une entreprise ayant déjà fait l’objet d’une décision au fond du Conseil (non lieu ou condamnation) puisse faire l’objet d’une autre décision pour les mêmes faits sur la base du même fondement juridique. L’application de ce principe suppose donc une identité de parties, de faits et de cause. Or, en l’espèce, l’affaire évoquée est l’affaire dite du Pont de Normandie (décision 95-D-76) qui a permis de sanctionner des pratiques anticoncurrentielles concernant des marchés de construction de ponts et de travaux d’infrastructures de lignes TGV. Ces pratiques sont étrangères aux faits révélés par la présente espèce qui concernent, entre autres, la passation de marchés publics par la SNCF relatifs à des travaux concernant d’autres lignes de chemin de fer, à savoir, notamment la construction d’Eole, dans la région Ile-de-France. Aucun chevauchement n’existe donc en l’espèce de nature à mettre en jeu la règle non bis in idem.
B. SUR LES PRATIQUES
1. SUR L’ENTENTE GÉNÉRALE
522. Seront examinées en premier lieu, les constatations élevées par les sociétés mises en cause concernant le caractère probatoire des éléments recueillis, en deuxième lieu les caractéristiques de l’entente générale, en troisième lieu, la délimitation du marché pertinent et la période concernée par l’entente, en quatrième lieu, l’imputabilité de l’entente aux sociétés, têtes de groupe, et en cinquième et dernier lieu l’articulation entre l’entente générale et les ententes propres à chaque marché.
a) Le caractère probatoire des éléments recueillis
523. Les sociétés mises en cause considèrent que les dépositions retenues ne sauraient constituer des témoignages puisqu’elles proviennent de personnes mises en examen, affranchies du serment et de l’obligation de dire la vérité. Les déclarations de M. D… et de M. H… seraient incertaines selon elles (utilisation des mots « pour moi », « connaissance par ouï-dire », « on entendait parler »), et celles de M. A… dénuées de toute valeur probante. Aucune des déclarations n’émanerait de personnes qui auraient personnellement et directement participé à ces « tables » de répartition de marchés ou à une concertation généralisée. Elles pourraient s’expliquer par des « règlements de comptes » internes aux entreprises, ou par l’intention de porter atteinte aux entreprises concurrentes. Les parties déplorent en outre le peu d’importance accordée aux déclarations concordantes de MM. A…, F…, I… et J… sur l’interprétation qu’il convient de donner au mot « table », qui signifierait un ensemble d’affaires relatives à un même client, des états statistiques et un recensement des affaires (premier point).
524. Les parties font également valoir que certains documents ne sont pas datés, et que ceux qui le sont portent des dates (1994 – 1995) très nettement postérieures à une partie importante des faits et marchés visés dans la notification de griefs. Ils n’auraient aucun caractère déterminant et ne feraient apparaître pour aucun d’entre eux une relation directe avec une répartition généralisée (deuxième point).
525. Enfin, un certain nombre d’éléments à décharge n’aurait, en outre, pas été pris en compte, notamment certains rapports de présentation des offres, qui évoquent l’intensité de la concurrence et la manifestation d’un intérêt véritable des entreprises pour certains marchés. Les rencontres entre professionnels ne sauraient être tenues, en soi, pour illicites soulignent les requérantes, car elles visent à rechercher des partenaires potentiels susceptibles de répondre en commun à des appels d’offres. La constitution de ces groupements impliquerait en amont, c’est-à-dire avant la publication souvent très tardive des appels d’offres, des prises de contact, des réunions préliminaires sur une affaire à venir qui sera « mise sur la table » par un maître d’ouvrage déterminé. Ces réunions, destinées à faire le bilan des marchés réalisés, et à envisager les différentes potentialités d’alliance n’auraient rien d’anormal ni d’illicite (troisième point).
526. Mais sur le premier point, les sept déclarations détaillées aux paragraphes 13 à 19, dont la teneur est concordante, sont corroborées par les documents manuscrits saisis au siège des entreprises. Recueillies soit par la DGCCRF, soit par les services de police, elles sont, en toute hypothèse, antérieures aux mises en examen notifiées ultérieurement aux personnes ayant pris une part personnelle et déterminante dans la conception, l’organisation ou la mise en œuvre des pratiques, ne se limitent pas à des connaissances par ouïe dire et ne démontrent pas d’intention malveillante.
527. Ces témoignages sont précis, émanent de plusieurs sources et sont confirmés par de nombreuses preuves documentaires. En premier lieu, les déclarations apportent de nombreuses précisions sur le fonctionnement concret de l’entente. Ainsi, M. Z…, ingénieur d’études de prix au service Études de prix de la société Nord France TP jusqu’en janvier 1995, a présenté les « tours de table » comme des réunions de responsables des entreprises qui connaissaient les marchés à venir, au cours desquelles chacun indiquait aux autres ses vœux, c’est-à-dire les chantiers qu’il souhaitait obtenir. Dans un certain nombre de cas, Nord France TP préparait, a-t-il précisé, des grilles de prix à ses confrères, communiquées en général par téléphone, leur indiquant par grand poste les prix à remettre. De son côté, Nord France TP recevait des grilles « quand [c’était] à elle de couvrir », soit par téléphone, soit déposées sur place entre les mains du chef des études, du directeur technique ou du commercial. Ces déclarations sont corroborées par celles de M. D…, responsable du service Étude de prix de la société Nord France TP jusqu’en décembre 1994, qui reconnaissait qu’au sein de son service, on avait connaissance des « concertations entre les entreprises », ces dernières se réunissant autour d’une table pour convenir entre elles des marchés qu’elles souhaitent obtenir en fonction de leurs objectifs de chiffre d’affaires ». M. D… a indiqué qu’il lui est arrivé de préparer, ou de faire préparer par des ingénieurs d’études, outre l’étude de prix pour Nord France TP, des montants, des listes de prix ou des grilles, pour des confrères, afin qu’eux-mêmes les remettent comme offres, les montants qui leur étaient proposés étant par hypothèse supérieurs à l’offre de Nord France TP. Il a également reconnu qu’il lui était arrivé de recevoir, soit par téléphone, soit beaucoup plus rarement, par porteur, des montants de soumission à remettre, au profit de confrères.
528. Les auditions de ses supérieurs hiérarchiques sont moins explicites, mais apportent des précisions sur les entreprises concernées. M. B…, directeur général adjoint de la société Nord France TP a indiqué avoir soupçonné l’existence de réunions entre grandes entreprises sur les marchés à venir, les participants étant Générale des Eaux, Lyonnaise des Eaux, Eiffage et Bouygues. M. A…, PDG de Nord France TP, a déclaré que certaines sociétés, sur des tables particulières, essayaient de s’octroyer des parts de marché, et que cela faisait l’objet de discussions préalables au cours desquelles elles indiquaient les marchés qu’elles souhaitaient obtenir, les participants à ces tables étant les grands leaders, Bouygues, Fougerolle, Lyonnaise des Eaux, Générale des Eaux et Spie.
529. En deuxième lieu, ces déclarations émanent de plusieurs entreprises. Les déclarations recueillies chez Nord France TP sont confirmées par des responsables d’autres entreprises (Sogea, Chagnaud). Pour M. E…, directeur chargé du génie civil au sein de la société Sogea, une table « est la réunion de plusieurs entreprises en vue de prévoir une affectation des affaires entre elles ». M. G…, directeur général adjoint de la société Chagnaud et responsable des travaux publics France Nord, a indiqué qu’il était arrivé, lorsque son entreprise s’intéressait à une affaire, qu’on lui fasse savoir qu’un confrère était positionné ou très intéressé, ce qui sous-entendait qu’il y avait un consensus entre des entreprises qui risquait d’être perturbé. M. H…, directeur commercial de la société Chagnaud jusqu’en 1995, a déclaré savoir qu’il existait des « discussions entre les entreprises des grands groupes, en vue de se partager, de se favoriser plutôt, pour obtenir les grandes opérations ». Il avait entendu parler, notamment au cours de réunions de la profession, de « tables, où des entreprises se réunissent pour émettre leurs vœux vis-à-vis des affaires qui sortent, leurs souhaits d’obtenir telle ou telle affaire », notamment à propos d’Eole et des gros travaux pour l’Aéroport de Paris sur Roissy. Il lui est arrivé, pour certaines affaires qu’il suivait, qu’une entreprise lui indique qu’elle était « très intéressée » par cette affaire et qu’elle souhaitait l’obtenir.
530. En troisième lieu, ces témoignages sont corroborés par des preuves matérielles ou par un faisceau d’indices graves, précis et concordants. Dans le document manuscrit Bouygues intitulé « Politique commerciale TPRP » décrit au paragraphe 20, 10 tables sont énumérées et il y est précisé, après mention des années 1991, 1992 et 1993, que « TPRP traite environ 1 5 affaires par an, 60 à 80 % dans un contexte organisé », mais que l’arrivée de nouvelles entreprises extérieures à la région parisienne et surtout les « mauvais comportements » de certains confrères instaurent une « perte de confiance ». Le deuxième document Bouygues (paragraphe 23), établi par M. I…, fait la liste des confrères « à rappeler », puis énumère les cinq grands groupes de travaux publics de l’époque, avec des indications chiffrées, et classe les entreprises ayant des « avances » et des « retards ». Le mot « table » est par ailleurs utilisé à sept reprises, dans des documents émanant de quatre entreprises différentes (Bouygues, Nord France TP, Quillery et Soletanche), mettant en évidence des similitudes d’approche. Les notes de MM. F… et A… comportent un même classement des travaux, selon les donneurs d’ordre, les deux départements 78 et 95 formant ensemble une seule rubrique, alors que chaque département possède ses propres services de passation des marchés de travaux publics. Il est également fait référence dans les deux cas aux tables « Meteor-Eole » et « 78/95 », regroupées.
531. Les mentions « Paris-Nord -> SNCF» figurent en outre dans des documents retrouvés tout à la fois chez Bouygues et chez Quillery. L’on ne peut que constater que les définitions mises en avant par les requérantes sont inadaptées au regard tant des mentions qui viennent d’être évoquées que des annotations telles que : « (il existe) une table Sagep. Razel n’est pas dedans. Ne couvre pas pour l’instant » ; » paix à la table ! sinon on paie à la table » ; « Bouygues est bien placé (table) » ; « contact profession/organiser tables et alliance » (paragraphe 35).
532. Sur le deuxième point, les notes manuscrites visées aux paragraphes 20 et 23, même si elles ne sont pas datées, constituent un élément de preuve incontestable. Leur contenu permet de faire remonter le début de l’entente générale à 1991 au moins. La note de F… a été rédigée au plus tard en 1994, puisqu’elle fait le point des affaires traitées par Bouygues TPRP en 1991-1992 et 1993 ; la note de Monsieur I… est antérieure à l’appel d’offres du bassin du grand stade pour lequel l’appel à candidatures a eu lieu le 17 mars 1995. Enfin, les autres documents (paragraphes 25 à 35) sont datés des années 1992 à 1995.
533. Sur le troisième point, s’agissant des éléments à décharge avancés par les parties, les rapports de présentation des offres versés au dossier ont été examinés lors de l’instruction. Force est de constater que, le plus souvent, le maître d’ouvrage n’a pas pu, par une analyse des offres, détecter des pratiques anticoncurrentielles, par nature occultes. Il est clair, d’autre part, que les contacts entre entreprises ne sont pas répréhensibles per se, et que certains s’inscrivent dans un contexte de veille commerciale ou de mise au point de groupements. Ce type de rapports professionnels se distingue nettement des contacts prohibés impliquant répartition préalable de marchés et concertation pendant la phase d’appel d’offres. Des contacts ont une nature anticoncurrentielle lorsqu’ils visent, pour reprendre les termes utilisés en l’espèce, un « contexte organisé », dans lequel certaines entreprises, dans le cadre d’échanges d’informations préalablement au dépôt des offres, sont considérées comme « bien placées », que d’autres « couvrent », que d’autres encore « paient à la table » quand elles ont de « mauvais comportements », le tout donnant lieu à un décompte des « avances » et des « retards ».
b) Les caractéristiques de l’entente générale
534. Comme il va être démontré à partir des éléments de preuve recueillis au sein de chaque groupe, les sociétés Bouygues, Eiffage, Vinci, Lyonnaise des Eaux et Générale des Eaux se sont réparties, soit directement, soit par l’intermédiaire de filiales, des marchés de travaux lors d’appels d’offres lancés en région parisienne. Ces entreprises répartissaient les travaux à venir entre les sociétés de leur groupe par l’intermédiaire de « tours de table », réunions au cours desquelles les responsables des entreprises se réunissaient et exprimaient leurs vœux pour les chantiers futurs. Ce partage des marchés, géré par la tenue de dix « tables », correspondant à la répartition des marchés par zone géographique (départements 78/95, 92, 93, 94), par grand projet identifié (Eole, Meteor), par maître d’ouvrage (SNCF, SIAAP), ou encore par nature de travaux (« béton à plat »), fonctionnait grâce à l’élaboration d’offres de couverture, parfois élaborées par l’entreprise désignée à l’avance comme bénéficiaire et distribuées aux prétendues concurrentes. Le respect de la clé de répartition était garanti par la comptabilisation des avances et retards de chaque entreprise, compensés en nature ou par l’octroi de travaux en sous-traitance officielle ou occulte ou encore par la constitution de sociétés en participation (SEP). Le fonctionnement concret de cette entente générale, décrit dans les déclarations concordantes des responsables des sociétés Nord France TP et Chagnaud, corroborées par les documents saisis au siège des sociétés Bouygues, Nord France TP, Quillery et Soletanche, s’est manifesté par le déroulement d’un certain nombre d’appels d’offres décrits plus bas.
535. Les conditions dans lesquelles ont été passés certains des marchés qui seront étudiés plus loin illustrent le fonctionnement de l’entente. Les deux tables les plus importantes parmi les dix recensées sur le document de M. F… (paragraphe 20), sont la table SNCF « Paris Nord -> SNCF » et la table RATP « Météor-Eole ». Les marchés relatifs à la SNCF se sont élevés à 1,7 milliard de francs, ceux de la RATP à 1,8 milliard de francs.
536. Deux documents saisis dans les locaux de la société Quillery, datés du 1er mars 1994 et du 12 avril 1994 renseignent sur la façon dont la table SNCF fonctionnait. On lit en effet dans ce document : « Table Paris Nord étendue à l’ensemble des affaires SNCF » (cotes 449 et 450) et l’énumération de toute une série de marchés SNCF dont l’attribution est répartie entre plusieurs sociétés ; sept marchés ont été identifiés : trois d’entre eux sont restés à l’état de projet (pont de Nitard (n° 4), estacade d’Orly (n° 5) et RD 48 de Cormeil (n° 6)) ; pour trois d’entre eux, l’entreprise mentionnée sur le document, antérieur aux dépôts des offres, s’est avérée l’attributaire du marché : il s’agissait des marchés de la suppression du PN 14, rue Jean Mermoz à Versailles, attribué à Bouygues (n° 1), du RD 50 à Issy les Moulineaux, attribué à Quillery (n° 2) et de la gare de Puteaux attribué à GTM/Citra (n° 3). L’attribution de ces marchés atteste l’existence d’un partage des marchés de la SNCF de la région d’Ile de France.
537. La construction d’Eole, objet des marchés 9 et 10, a donné lieu, s’agissant du marché 10, à des compensations entre entreprises après la passation irrégulière du marché (voir paragraphes 84 à 96), ces compensations s’inscrivant dans le cadre plus vaste de l’entente générale. Ce marché, relatif à la construction de la gare Condorcet, s’élevait à un montant de 976 millions de francs. Il résulte des constatations opérées aux paragraphes 97 à 105 qu’après l’attribution du marché au groupement, pressenti comme celui qui devait gagner dès avant le dépôt des offres, les entreprises attributaires Sogea TPI, Spie, Fougerolle-Ballot et Müller ont constitué une SEP et y ont adjoint officiellement Bouygues et PICO 2 (Razel), officieusement Campenon Bernard, Nord France et GTM. Des notes cotées 594, 595 et 596 récapitulent les négociations pour constituer la SEP, dont un tableau coté 594 retrace la composition ainsi que les parts de chacun. A cette occasion, les entreprises étaient réparties en groupes, tels que le groupe 4 dont faisaient partie Bouygues, Quillery, Demathieu et Bard, mais aussi des entreprises extérieures au groupement, telles que Razel, CB et GTM, chaque entreprise obtenant sa part de travaux, la part de Bouygues s’élevant, après partage, à 10 %, conformément à la note de M. F… (cote 595). Il est arrivé que le partage des marchés soit présenté dans le cadre plus large d’une compensation avec le marché de Bellerive, obtenu en juin 1993 par Spie/Fougerolle/Dumez/Soletanche (marché concernant la déviation Rueil Malmaison, passé par la DDE des Hauts de Seine) et donc avec un marché figurant sur une autre table. Le dispositif était le suivant : Spie et Fougerolle avaient emporté les deux marchés et avaient excédé leurs quotas respectifs convenus. L’équilibre a été rétabli par l’attribution, par Spie, d’une part des travaux qu’elle avait obtenus dans le marché Eole, à Nord France TP en sous-traitance ; Fougerolles a fait de même pour GTM.
538. Les risques encourus du fait de ces comportements et les moyens d’y parer ont été évoqués au cours d’une réunion le 25 mars 1994, résumée par la direction juridique des travaux publics de Bouygues, dans une note dont le contenu figure intégralement au paragraphe 107 de la décision (cotes 598 à 599). Cette note expose les risques encourus par les entreprises admises au partage officiel ou officieux, la justification de leurs interventions pour la réalisation du marché s’avérant impossible, et incite à la plus grande prudence : « Il sera quasi impossible, en cas d’enquête approfondie, de justifier une telle « mise en commun de moyens «. Seul conseil utile qui peut vous être donné : il faut absolument éviter de laisser circuler au sein de BOUYGUES papiers, agendas et autres documents avec des traces de NF/CBC/GTM. Or il est certain que les intervenants sont déjà nombreux, et le seront encore plus et nous craignons qu’il s’avère très difficile d’effacer tout indice (…)».
539. De la même façon, la table RATP a permis le partage préalable aux dépôts des offres des lots afférents à la construction de Meteor (voir paragraphe 110 à 142). Deux marchés de la table RATP ont donné lieu à des compensations entre entreprises : les marchés de l’ouvrage de Danièle Casanova (n° 20) et des Deux Écus (n° 21). Alors que le marché des Deux Écus était « pré attribué » avant le dépôt des offres à Quillery et Razel et effectivement emporté par ces entreprises, Nord France TP a obtenu, ainsi que Perforex, 20 % du marché en exécution, compensant ainsi la perte du marché Danièle Casanova, attribué à Bouygues, ainsi qu’il ressort d’une note (cotée 690) établie par M. A… (NFTP) au cours d’un comité de direction : « RATP : perte de Casanova au profit de By 10.8 12.9 Gain d’une affaire avec Quillery Quai de Gesvres et Perforex ».
540. L’entente générale a donc fonctionné dans chacun de ces marchés de la SNCF et de la RATP, examinés ci-dessous, mais aussi dans les tables départementales (du 92-Hauts-de-Seine, du 93-Seine-Saint-Denis, du 94-Val de Marne, du SIAPP, de l’EPAD).
541. Le marché n° 26 du siphon Ernest Renan (du 92) révèle une fois de plus le système de rétrocession mis en œuvre par les entreprises, pour respecter leurs quotas respectifs, en procédant non pas à la dévolution de travaux en sous-traitance mais au versement d’une somme d’argent. Il montre aussi les éventuels dysfonctionnements de l’entente générale. Pour ce marché, Soletanche et Fougerolle, concurrentes en tant que chefs de file des deux groupements les mieux placés dans la consultation, avaient échangé des informations entre la remise de leurs offres et la décision d’attribution du marché par la DDE, c’est-à-dire pendant la période où chacun devait soutenir son offre en répondant aux questions du maître d’œuvre. Or, il est apparu, au travers de plusieurs notes saisies chez Soletanche, que Fougerolle devait avoir le marché et que ce n’est qu’à la suite d’une « trahison » de Soletanche que le groupement mené par ce dernier a pu avoir le marché. Les documents cotés 743, 744 et 745 sont éloquents : « Ballot Fougerolle font un forcing tous les jours. Ils nous cassent du suc sur le dos en disant que c’est Soletanche qui a trahi » (743) ; dans une note rédigée par Fougerolle, sont indiquées les mentions suivantes : « Dans cette affaire, il existe un groupement correct ; il existe un groupement qui a envoyé des coups de canif dans le contrat » (744) ; « C’est Soletanche qui nous a plantés. Vous avez fait un dossier uniquement pour Soletanche et Bessac ; Bessac nous a mis le couteau sous la gorge ! Comme il est trop cher, on a été obligés de remonter les puits pour diminuer nos coûts (…)» (745). Bessac, filiale de Soletanche devait réaliser les travaux de tunnel pour Fougerolle en sous-traitance, mais s’est révélée trop chère et l’offre de Fougerolle n’a plus été compétitive. Pour compenser la perte de ce marché, Fougerolle a exigé une compensation dont le détail du calcul figure dans la pièce cotée 748 : « DIV dédommagement de 600 KF à faire au prorata des chiffres d’affaires respectifs ». Le document coté 749 précise : « 650 KF oui mais paix à la table sinon on paie à la table ». Le détail de la quote-part de chacun en proportion du chiffre d’affaires réalisé sur la totalité du marché est donné au document coté 750, sauf pour Bessac qui ne fait pas partie du calcul et qui a réglé son problème directement avec France Travaux (document coté 750 : « accord avec Ballot Fougerolle »).
542. Le marché du bassin du grand stade, qui fait partie des marchés du département 93 (n° 30) comportait deux lots : le lot « bassin » attribué au groupement Bouygues, SIF, Bachy et Soletanche et le lot « tuyaux » attribué au groupement Quillery, Devin Le Marchand, Sade et CGTH. Sur une pièce cotée 775 saisie chez M. J… (société Quillery), portant compte-rendu d’une réunion du 10 février 1995, donc avant la date limite de remise des offres, figure la mention suivante :
« stations :
traitement eau pluviale d’Achères Bassin du grand stade
By voir à compenser sur Tuyaux ».
543. En effet, le lot bassin a bien été attribué à Bouygues et le lot tuyaux à Quillery. La note citée indique une compensation entre Bouygues et Quillery sur ces lots. D’autres marchés du SIAAP sont mentionnés sur ce document, attestant l’existence de la table SIAAP organisée au niveau régional. En bas du document établi aussi par M. I… (cote 480) intitulé « clôture avec le SIAAP sera faite par le grand stade », figure le résultat des tables stations, avec des retards et des avances en face des noms des entreprises. Chez Bouygues, une série d’offres pour chaque entreprise a été retrouvée, d’un montant très peu éloigné des soumissions effectivement réalisées, comportant des ratures et donc élaborées au cours d’un processus évolutif de contacts répétés avec les entreprises (cotes 787 à 790).
544. Ces notes se réfèrent à d’autres marchés (cote 787) : « couverture A1, Renan, Route de Paris, National », avec en face, des chiffres et des dates. Ces marchés relèvent d’autres tables (exemple cote 787 : « l’élargissement du 104 Seine et Marne DDE 94 »), ce qui démontre bien, là encore, l’existence d’une entente au niveau régional et le calcul des avances et retards à cette échelle.
545. Le fonctionnement d’une table 94 est confirmé par la répartition, avant le dépôt des offres, de plusieurs marchés du département 94. Cette répartition est relative à cinq marchés (marchés n° 33 à 37). Elle figure sur les notes saisies chez France Travaux dans une chemise intitulée « département 94 » (cotes 794 et 795). Cette répartition s’est avérée exacte.
546. S’agissant des marchés du SIAPP, des documents saisis chez Soletanche (M. K…) démontrent que cette entreprise connaissait, avant le dépôt des offres, les attributaires du marché du bassin de l’Haÿ les Roses (attribué à Borie) (n° 44), du marché du collecteur d’eaux usées VL 10 lot amont (attribué à Campenon/GTM/Sade) (n° 52), et enfin du marché du collecteur d’eaux usées VL 10, lot central (attribué à Bouygues) (n° 53) (Cotes 870, 930 et 871). Des pièces saisies au siège de cinq entreprises, et notamment des notes de M. I… employé de Bouygues (cote 949), démontrent que la répartition des marchés s’effectuait non seulement entre les entreprises soumissionnaires, mais également avec les majors de l’entente générale et dans le respect des grands équilibres des tables. C’est ainsi qu’une note datée du 31 janvier 1995 (cotée 949), saisie au siège de Bouygues, lie expressément les positions de Campenon Bernard, Bouygues et Borie, alors que ni Campenon Bernard, ni Borie ne figuraient dans la consultation afférente à ce marché : « lier les positions CB- BY -BORIE ». Les notes cotées 951 à 955 retracent les calculs complexes de répartition, les « faux contrats de sous-traitance » ou les « partenaires occultes » à prévoir pour assurer les partages, les moyens utilisés qui peuvent consister en sous-traitance, en participation ou en indemnisation (cotes 952 à 955). En définitive, les marchés ne sont pas exécutés en totalité par les entreprises attributaires, mais par d’autres entreprises, sans que le maître d’ouvrage en soit informé.
547. Le marché A 14 lot 6 de l’Établissement d’aménagement de la défense fournit des indications supplémentaires sur le mode de calcul des parts de chaque membre de l’entente. Des « réunions de bouclage » ont lieu (cote 848) avant même la date limite de dépôt des offres, au cours desquelles les entreprises réclament leurs parts dans les marchés. En l’espèce, l’entreprise Bachy demande 60 MF de travaux spéciaux, Guintoli se propose de réaliser des travaux de terrassement en sous-traitance. Tout est comptabilisé :
«Bachy a demandé 60 MF de Tx spéciaux
34… a proposé 20 MF pour tt le groupement
Guintoli = > ne poserait pas de pb terrassements
+ tous ceux qui en veulent
28… confirme réunion de bouclage matin
comptabilité 350 ?
400 ?
engagement que tt ce qui est remis aux autres compte dans leur part de 350
il existe une table SAGEP
Razel n’est pas dedans. Ne couvre pas pour l’instant ».
548. L’exécution du marché s’est avérée totalement conforme à ces prévisions, à la suite de la consultation faussée.
c) La délimitation du marché pertinent et la période concernée
549. La société Bouygues estime que le marché pris en compte en l’espèce correspond à une délimitation géographique arbitraire, la région Ile-de-France, au sein de laquelle sont agrégés différents marchés qui n’ont pour tout point commun que de s’inscrire dans le cadre d’une même réglementation, celle relative à la passation de marchés publics de travaux, ce qui ne caractériserait pas un secteur économique précis. Les marchés de travaux publics, dans leur diversité, ne pourraient constituer un marché économique homogène, du fait des techniques différentes utilisées, faisant appel à des matériaux spécifiques et non substituables, mis en œuvre par des personnels dotés de qualifications distinctes. Cette société s’interroge en outre sur le fait qu’a été mené en l’espèce l’examen de marchés aussi différents que celui de la construction de gares souterraines de dimension exceptionnelle (chantiers Eole ou Meteor) avec de simples ouvrages d’assainissement d’ampleur plus modeste, tels que les douze marchés passés pour le compte du SIAAP. Vinci Construction souligne pour sa part que ne sont pas précisés les marchés qui seraient concernés par l’entente générale, sachant qu’ils ne peuvent constituer l’ensemble des marchés lancés dans la région parisienne, laquelle n’est pas non plus précisément délimitée.
550. Cette entreprise considère également que l’étalement des dates relatives aux différents marchés par ailleurs visés dans la notification de griefs, entre 1990 et 1996, ne permet pas de considérer qu’il aurait pu exister une entente de répartition sur l’ensemble de ces marchés.
551. Mais le marché a été délimité par la répartition concertée des marchés d’Ile de France entre les cinq majors du BTP, réalisée au moyen des dix « tables », concernant les marchés relevant des DDE d’Ile-de-France, de la ville de Paris, de la SNCF (Paris Nord, y compris Eole), de la RATP (Meteor) et du SIAAP, « dans un contexte organisé (dans) 60 à 80 % » des cas. Si la diversité des donneurs d’ordre et la variété des marchés concernés ne sont pas contestables, les initiateurs du cartel ont eux-mêmes donné une cohérence à ces marchés, tous exécutés en Ile de France et tous marchés de travaux publics, en liant l’attribution de ces marchés au respect d’une règle générale de partage organisée au niveau régional et ayant donné lieu à des systèmes de compensation au même niveau.
552. Par ailleurs, les travaux publics constituent un secteur d’activité distinct, décrit dans l’avis du Conseil n° 01-A-08 du 5 juin 2001 relatif à l’acquisition du groupe GTM par la société Vinci (partie IV « La délimitation des marchés concernés », sous-partie E « Le secteur des travaux publics »). Ce secteur est représenté par des fédérations régionales et une fédération nationale, la Fédération nationale des travaux publics, qui édite une nomenclature des activités « Travaux publics ». Un recensement précis, tant des entreprises que comprend ce secteur que des catégories de travaux qui en dépendent, est donc possible. Le ressort géographique de l’Ile de France ne pose, par ailleurs, pas de difficultés. Comme il a été vu plus haut, ces distinctions de nature sectorielle et géographique sont connues et intégrées par les entreprises qui se sont organisées en interne pour répondre aux appels d’offres en matière de travaux publics en Ile de France. Il convient de noter qu’une des subdivisions internes de Bouygues SA est, à l’époque des faits, le service TPRP (« travaux publics de la région parisienne »), doté d’un chef de service, M. F…, dont le domaine d’intervention correspond, en tous points, au marché sectoriel et géographique retenu en l’espèce.
553. Le marché pertinent relatif à l’entente générale est donc bien le marché des travaux publics d’Ile de France.
554. Pour la période concernée par l’entente générale, le document saisi chez Bouygues et décrit au paragraphe 20 atteste qu’elle a au moins commencé en 1991, voire même en 1988 et s’est poursuivie par l’exécution des marchés des dix tables jusqu’en 1996. La table SNCF a encore été mise en œuvre lors de la consultation faussée du marché du PN 14 à Versailles début 1996. Il résulte par ailleurs des déclarations des responsables des sociétés Nord France TP et Chagnaud, entendus par les enquêteurs en 1996 (paragraphes 13 à 19), qu’elle était en cours en 1996, puisqu’ils en parlent au présent. Au vu des éléments rassemblés, la période concernée s’étend du 6 décembre 1991 (trois ans avant le premier acte interruptif de prescription) au 13 mars 1997 (date de l’autosaisine).
d) L’imputabilité de l’entente générale aux sociétés têtes de groupe
555. La jurisprudence considère que la maison-mère est présumée responsable des pratiques commises par sa filiale à 100 %, sauf pour elle à renverser cette présomption en démontrant que la filiale disposait d’une autonomie de décision. Les autorités de concurrence peuvent présumer qu’une filiale à 100 % applique pour l’essentiel les instructions qui lui sont données par sa société mère, sans devoir vérifier si la société mère a effectivement exercé ce pouvoir (Tribunal de première instance, 14 mai 1998, Stora Kopparbergs Bergslags/Commission, T-354/94, point 80, confirmé par Cour de justice des communautés européenne, 16 novembre 2000, Stora Kopparbergs Bergslags/Commission, C-286/98 P, points 27 à 29). Ce point a récemment été rappelé par le Tribunal de première instance, dans un arrêt du 15 juin 2005, Tokai Carbon Co. Ltd (T 71/03).
556. S’il est démontré, au contraire, que la société contrôlée disposait d’une totale marge de manœuvre, elle est responsable de son comportement. Ces principes ont été notamment rappelés dans la décision du Conseil 03-D-17 du 31 mars 2003 (annulée par la cour d’appel de Paris sur un autre fondement), aux termes de laquelle « selon une jurisprudence constante (notamment Cour de cassation, 4 juin 1996), les pratiques mises en œuvre par une société filiale sont imputables à celle-ci pour autant qu’elle soit en mesure de définir sa propre stratégie commerciale, financière et technique, et de s’affranchir du contrôle hiérarchique du siège de la société dont elle dépend ».
557. La décision Decaux 04-D-32 du 8 juillet 2004 rappelle également qu’« il ressort de la jurisprudence, tant communautaire que nationale, qu’à l’intérieur d’un groupe de sociétés, les pratiques, lorsqu’elles sont mises en œuvre par une société filiale, ne sont imputables à cette filiale, que pour autant qu’elle dispose d’une autonomie de décision par rapport à la société mère. Au cas contraire, les pratiques doivent être imputées à la maison mère. Ainsi, dans un arrêt du 21 février 1973 Europemballage Corporation, Continental Can, la CJCE a énoncé que « (...) la circonstance que la filiale a une personnalité juridique distincte ne suffit pas pour écarter la possibilité que son comportement soit imputé à la société mère ; que tel peut être le cas lorsque la filiale ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché, mais applique pour l’essentiel les instructions qui lui sont imparties par la société mère (...) «. Ces principes ont été appliqués par le Conseil dans plusieurs décisions (voir notamment les décisions 00-D-50 et 00-D-67) ».
558. La société Bouygues SA fait valoir que mises à part quelques allégations infondées de certains membres de la société Nord France TP, aucun élément dans la notification de griefs ne permet de présumer l’existence d’accords de volonté ou même un quelconque contact entre les sociétés Bouygues, GTM, Eiffage et Spie. C’est par le biais de filiales prétendument impliquées dans certaines pratiques anticoncurrentielles que, selon Bouygues SA, l’existence de concertations décidées au niveau régional entre les sociétés têtes de groupe serait recherchée. Or Colas, Intrafor et OGCA disposeraient dans leurs domaines d’activité d’une totale autonomie juridique et d’action par rapport à leur société mère.
559. Cependant la mise en cause de Bouygues SA pour l’entente générale repose notamment sur les deux documents décrits aux paragraphes 20 et 23 (note rédigée par M. F…, directeur du service travaux publics de la région parisienne –TPRP- de Bouygues SA, intitulée « Politique commerciale TPRP » et document manuscrit établi par M. I…, directeur du développement de TPRP Bouygues). Ces deux pièces émanent de responsables d’un service de Bouygues SA, et ont été saisis au siège de cette société, à St-Quentin-en-Yvelines. L’ensemble des indications figurant sur ces documents (existence de 10 « tables », 60 à 80 % des affaires en 1991, 1992, 1993 traitées « dans un contexte organisé », « mauvais comportements » de certains confrères qui instaurent une « perte de confiance », comptabilisation des « retards » et « avances ») concernent Bouygues SA et ses compétiteurs, et non les filiales de Bouygues SA, Colas et Intrafor, mises en cause en l’espèce pour certains marchés et non au titre du grief d’entente générale. C’est en outre notamment dans le document I… saisi dans ses locaux que sont mentionnés les chiffrages respectifs de « Générale », « Lyonnaise », Eiffage » « Spie Citra » et « BY », ces dernières initiales signifiant Bouygues SA. C’est donc à bon droit que la pratique d’entente générale a été imputée en l’espèce à Bouygues SA.
560. La société Eiffage estime qu’aucun élément ne vient établir sa participation directe dans une quelconque répartition, ce qui résulterait, selon elle, de son absence de rôle opérationnel dans le groupe. Sa qualité d’actionnaire, fait-elle valoir, ne saurait établir le rôle positif qui lui est injustement imputé.
561. Cependant, Eiffage est issue d’une OPA « amicale » lancée le 28 janvier 1992 par Fougerolle sur 96 % du capital de Borie SAE. Eiffage est alors détentrice de 100 % de Fougerolle (ex Fougerolle France), 96, 4 % de Borie SAE, 99 % de Devin Lemarchand Environnement et 100 % de Quillery. Eiffage est citée par M. B…, directeur général adjoint de Nord France TP comme étant l’une des grandes entreprises participant aux réunions « sur les marchés qui vont être lancés ». Elle est également mentionnée dans la note de M. I… de Bouygues SA (« Eiffage (…) Fg Balt + Quill-Borie »), aux côtés de la Générale des Eaux, de la Lyonnaise des Eaux, de Spie Citra et de Bouygues. Fougerolle, filiale dépourvue d’autonomie au sens de la jurisprudence précitée, apparaît également dans le document I…, à la rubrique « résultat table stations ». Elle est citée par le PDG de Nord France TP comme l’un des « grands leaders » qui « participent aux tables ». C’est donc à bon droit que la pratique d’entente générale a également été imputée à Eiffage.
562. La société Vinci fait valoir qu’aucun document n’établit l’accord de volonté de la Société Générale d’Entreprise (SGE), devenue Vinci, pour participer à une entente de répartition générale. La Société Générale d’Entreprise n’avait plus depuis 1978, selon elle, aucune activité dans le domaine des marchés de travaux publics, étant une société holding depuis cette date. Elle ne serait donc plus, depuis plus de vingt ans, acteur ni même aval des opérations commerciales de ses filiales, et encore moins de leurs modalités, qui relèveraient de la responsabilité directe et exclusive des dites filiales.
563. Cependant la SGE a absorbé les sociétés appartenant au groupe Campenon Bernard en 1986-1987. Elle détenait notamment, à l’époque des faits, 100 % de TPI Ile-de-France, de Sobea Ile-de-France et de Parenge, ainsi que 100 % de Campenon Bernard SGE, dont la forme juridique était alors celle d’une société en nom collectif (SNC), ce qui implique la responsabilité indéfinie et solidaire des associés. Or les sociétés Campenon Bernard et TPI, filiales dépourvues d’autonomie au sens de la jurisprudence précitée, sont évoquées dans le document I… visé plus haut. Au titre de ses filiales, la responsabilité de la Société Générale d’Entreprises (SGE) est engagée. Elle l’est également dans la mesure où la Générale des Eaux est citée à la fois par MM. B… et A…, de la société Nord France TP, dans leurs dépositions, et par le document I… Les mentions relatives à cette entreprise qui était, à l’époque des faits, la société mère de la SGE, renvoient en fait à la SGE, qui disposait en fait d’une large marge de manœuvre. La SGE qui a toujours été, depuis 1966, dans de grands groupes industriels ou de services (Alcatel-Alsthom jusqu’en 1983, Saint-Gobain de 1983 à 1988, Compagnie Générale des Eaux devenue Vivendi puis Vivendi Universal depuis lors) est une société cotée qui a changé de dimension à l’issue de la fusion-absorption du groupe Campenon-Bernard, s’est dotée dans les années 1990 de deux pôles importants (BTP et routier) et a adopté une politique de croissance externe en Europe. Société certes contrôlée par la Générale des Eaux, mais également société tête de groupe, elle a, dans le domaine des travaux publics, déterminé de façon autonome son comportement sur le marché. Enfin en 2000, Vinci a absorbé au sein de sa filiale Vinci Construction les sociétés du groupe GTM ayant appartenu à la société Lyonnaise des Eaux et qui, dans l’orbite de cette société, ont pris une part active au fonctionnement des tables Meteor-Eole et stations. C’est donc à bon droit que la pratique d’entente générale a été imputée à Vinci.
564. Comme il vient d’être dit au paragraphe précédent, l’entreprise leader du groupe BTP citée dans différentes déclarations et documents comme étant la Compagnie Générale des Eaux (CGE) était en réalité sa filiale Société Générale d’Entreprise (SGE) devenue Vinci qui avait la maîtrise des activités dans le domaine des travaux publics, soit directement, soit au travers de ses filiales. C’est à elle plutôt qu’à la CGE historique qui n’était pas impliquée dans les activités du bâtiment et des travaux publics que la pratique d’entente générale doit être imputée. Par ailleurs, la Compagnie Générale des Eaux attraite dans la cause « CGE Nouvelle », dénommée à l’époque des faits SAHIDE, dont le siège social est 52 rue d’Anjou à Paris 8ème et dont le n° RCS est 572 025 526 a fait partie du groupe portant ce nom, sans être à la tête de celui-ci et à la suite de la restructuration du groupe, elle a repris les activités dans le domaine de l’eau de la CGE historique et est demeurée étrangère aux activités exercées par la SGE. La pratique d’entente générale ne lui est pas imputable et elle doit être mise hors de cause.
565. La situation de la société Lyonnaise des Eaux doit également être reliée à Vinci. En effet, citée à plusieurs reprises comme étant l’une des entreprises leader ayant pris part à l’entente générale fonctionnant à l’aide des tours de table, elle a exercé à l’époque des faits ses activités dans le domaine des travaux publics par le relais des sociétés du groupe Dumez et du groupe GTM-Entrepose qui sont ses filiales et parmi lesquelles la société GTM a joué un rôle déterminant dans le fonctionnement des tables. Or, les activités dans le domaine des travaux publics ont été apportées à Vinci dont la filiale Vinci Construction a absorbé les sociétés du groupe GTM. La pratique d’entente générale n’est pas imputable à la Lyonnaise des Eaux historique, mais à Vinci qui a rassemblé en son sein les sociétés du pôle BTP de la Lyonnaise qui sont intervenues sur les marchés de l’Ile-de-France au cours de la période considérée. Par ailleurs, la société Lyonnaise des Eaux (« Lyonnaise des Eaux Nouvelle »), attraite dans la cause, dont le siège social est 18 square Edouard VII à Paris 9ème et dont le n° RCS est 410 034 607, a repris les activités eau et assainissement de la Lyonnaise historique et a commencé son activité le 1er janvier 2001. La pratique d’entente générale ne lui est pas imputable et elle doit être mise hors de cause.
e) L’articulation entre l’entente générale et les ententes propres à chaque marché
566. La société Bouygues conteste qu’il puisse lui être reproché tout à la fois d’avoir participé à des ententes ponctuelles et à une entente générale, qui selon elle, viserait les mêmes pratiques, sur la base d’une même qualification juridique.
567. Mais il résulte de la jurisprudence que « peuvent être sanctionnées les pratiques anticoncurrentielles affectant chacun des marchés publics en cause, ainsi que l’entente organisée à un échelon plus vaste que chacun des marchés considérés et produisant des effets sur ces marchés, en ce qu’elle conduit les entreprises qui y sont présentes à s’en répartir illicitement les parts » (Cour d’appel de Paris, 14 janvier 2003, SA Bouygues ; confirmé par Cour de cassation, 13 juillet 2004, Société DTP Terrassement et autres). Le Conseil de la concurrence, dans la décision n° 95-D-76, qui a donné lieu aux arrêts précités a précisé que « les concertations et échanges d’informations intervenus à l’occasion d’appels d’offres particuliers peuvent être considérés comme le prolongement des ententes générales de répartition (…), que, pour autant, ces concertations et échanges d’informations intervenus à l’occasion d’appels d’offres particuliers ne peuvent être confondus avec les accords bilatéraux ou les ententes générales de répartition ; qu’en effet, en premier lieu, ils ont un objet différent, (…), qu’en deuxième lieu les accords bilatéraux, les ententes générales de répartition et les pratiques constatées à l’occasion de marchés particuliers mettent en cause des entreprises différentes ; qu’en troisième lieu les pratiques constatées à l’occasion de marchés particuliers, à l’inverse des accords et des ententes de répartition, portent sur des éléments précis, les prix ou le contenu technique des offres, visent à désigner par avance la ou les entreprises qui réaliseront les travaux et peuvent être mises en œuvre au cas par cas, qu’une répartition globale ait été ou non convenue au préalable, et ont des effets distincts sur le libre jeu de la concurrence ; (…) dès lors, que la règle non bis in idem ne peut (…) trouver application ».
568. En l’espèce, il résulte des constatations opérées aux paragraphes 534 à 548 que la répartition concertée, entre les entreprises, des marchés de travaux publics d’Ile de France, selon une clé de partage déterminée à l’avance, s’est manifestée par la conclusion de certains marchés particuliers poursuivie individuellement, pour lesquels il a été possible de démontrer le lien avec l’entente générale. Cette répartition générale s’est manifestée par des systèmes de compensation et des accords de sous-traitance. Elle s’est inscrite dans un dessein plus large que les marchés particuliers évoqués, en s’étendant au marché global des travaux publics d’Ile de France.
569. Il convient donc d’écarter ce moyen.
g) Conclusion
570. Il résulte de ce qui précède que les sociétés Bouygues, Vinci et Eiffage, se sont entendues pour se répartir les marchés publics de travaux d’Ile de France, entre elles ou entre leurs filiales, du 6 décembre 1991 au 13 mars 1997. Cette pratique est prohibée par les dispositions de l’article L. 420-1 du code de commerce.
2. ENTENTES PROPRES A CHAQUE MARCHE
a) Les marchés SNCF
571. La mise en place d’une concertation entre entreprises soumissionnant aux marchés lancés par la SNCF est évoquée dans deux documents de 1994, déjà cités dans le chapitre relatif à l’entente générale, la note rédigée par M. F…, intitulée « Politique commerciale TPRP », qui, parmi les 10 « tables » énumérées, mentionne : « Paris Nordo SNCF » et la note établie par M. J… de la société Quillery, sur laquelle figure, feuillet 118, la mention : « table Paris Nord - étendue à l’ensemble des af. SNCF RP ».
1 – les marchés n° 1 à 7 (suppression du P. N 14 rue Jean Mermoz à Versailles, élargissement du RD 50 à Issy-Les-Moulineaux, gare de Puteaux, pont Nitard à Argenteuil, estacade d’Orly, RD à Cormeil, SEMAPA BS 13 - lots 1 et 2)
572. Il résulte des documents des 1er mars 1994 et 12 avril 1994, trouvés dans les locaux de Quillery, et décrits aux paragraphes 38 et 39 de la décision, qu’au regard d’un certain nombre de marchés sont associés des noms d’entreprises. Sept marchés passés par la SNCF ont été identifiés : pour trois d’entre eux, restés à l’état de projet, les griefs ont été abandonnés au stade du rapport ; il s’agit des marchés du pont de Nitard (n° 4), de l’estacade d’Orly (n° 5) et de la RD 48 de Cormeil (n° 6). Par contre, pour quatre d’entre eux, l’attributaire mentionné sur le document, rédigé antérieurement au dépôt des offres, s’est avéré être l’attributaire effectif du marché, révélant ainsi l’existence d’échange d’informations avant le dépôt des offres et la répartition des marchés passés par la SNCF, suivant la table SNCF, ainsi qu’il résulte des constatations opérées aux paragraphes 40 à 53 et 56 à 61 de la décision. Il s’agit des marchés de la suppression du PN 14, rue Jean Mermoz à Versailles attribué à Bouygues (n° 1). du RD 50 à Issy les Moulineaux, attribué à Quillery (n° 2), de la gare de Puteaux attribué à GTM/Citra (n° 3) et du SEMAPA (n° 7) attribué à DG Construction.
573. Les entreprises mises en cause font valoir que le document Quillery du 12 avril 1994 mentionnant « SNCF : EQ -> RD 50 ; BY -> Jean Mermoz à Versailles/RD 48 à Cormeil ; Fg -> Escade d’Orly ? ; CD PT NITARD (Argenteuil) » ne peut constituer une preuve de concertation entre les entreprises soumissionnaires. Il s’agirait en fait d’une liste d’intention basée sur l’intérêt des autres entreprises. Bouygues, moins disante pour le marché n° 1, estime que l’intensité des efforts qu’elle a déployés pour emporter le marché est incontestable et dément par elle-même l’existence d’une quelconque concertation en vue de l’attribution du marché. Les entreprises contestent également la valeur probante du document Quillery du 1er mars 1994, qui mentionne : « Affaire Gare de Puteaux - GTM/Citra ; BS 13 Semapa/AIF - Sogea/D.G. «. S’agissant du marché n° 7, elles soulignent qu’il vise un groupement qui n’a en l’espèce jamais existé et que par ailleurs la concurrence a pleinement joué sur ce marché, selon le rapport d’analyse des offres.
574. Mais Bouygues a été désigné attributaire du marché n° 1 (suppression du PN 14, rue Jean Mermoz à Versailles) en mars 1996, et Quillery du marché n° 2 (élargissement de la RD 60 à Issy-les-Moulineaux) en janvier 1995, ce qui correspond en tout point aux mentions figurant sur le document Quillery rédigé des mois auparavant. Ce document manuscrit, dont la date n’est pas contestée, désigne par avance, plusieurs mois avant l’ouverture des plis, le futur attributaire de ces deux marchés. Il dresse donc, à la date du 12 avril 1994, un état de la répartition des marchés qui vont être lancés par la SNCF. Il prévoit, avant même que la procédure d’appel d’offres ne soit lancée par le maître d’ouvrage, quel sera le résultat des appels d’offres n° 1 et 2, ce qui ne peut qu’affecter l’indépendance des offres et restreindre la concurrence. Il implique que la passation du marché ait été, le moment venu, faussée, et ce dans un contexte plus global de « table SNCF » évoquée dans les deux documents manuscrits de 1994 saisis au sein des sociétés Bouygues et Quillery, déclarées tour à tour adjudicataires en l’espèce.
575. De même, l’on ne peut que constater que GTM et Spie Citra ont été désignés attributaires du marché n° 3 (gare de Puteaux) le 23 mars 1994 et DG Construction du lot 2 du marché n° 7 (SEMAPA – BS 13) le 15 avril 1994, ce qui correspond aux mentions figurant, sur le document Quillery rédigé plusieurs semaines auparavant. Ce document répartit donc les marchés à venir et désigne notamment, avant l’ouverture des plis, les futurs attributaires de ces deux marchés. Les mentions apposées sur ce document démontrent que la passation de ces marchés a été faussée, et ce dans un contexte plus global de « table SNCF » évoquée tout à la fois dans le corps du document et dans la note Biezanoswki saisie chez Bouygues.
576. Il résulte de ce qui précède que la société Quillery rédactrice des documents saisis en son sein retraçant les échanges d’informations sur les quatre marchés, et bénéficiaire du marché du RD à Issy les Moulineaux (marché 2), ainsi que les sociétés Bouygues, GTM et Spie Citra, respectivement bénéficiaires des marchés du PN 14 Jean Mermoz (marché 1) et de la gare de Puteaux (marché 3), se sont entendues entre elles pour se répartir ces trois marchés, pratique contraire à l’article L.420-1 du code de commerce. En revanche, les éléments recueillis sont insuffisants pour établir que les autres entreprises y ont participé. Ce grief n’est pas retenu à leur encontre.
577. Les faits relatifs aux marchés n° 4 à 6 (pont Nitard à Argenteuil, l’estacade d’Orly et la RD 48 à Cormeil), également visés par le document Quillery du 12 avril 1994, restés à l’état de projet, ne sont pas établis.
578. Comme il a été vu plus haut, le marché du SEMAPA (n° 7), a été mal identifié dans la deuxième notification de griefs complémentaire, de sorte que les entreprises, qui ont pu se méprendre sur le grief notifié, doivent être mises hors de cause.
2 – le marché n° 8 (création d’une base de maintenance à Issy-Plaine)
579. Les constatations faites aux paragraphes 62 à 67 montrent que la société Soletanche, rédactrice des documents saisis et décrits plus haut, a échangé des informations avec la société DG Construction. Les sociétés Bachy et Bec Frères se sont vu également notifier un grief d’entente.
580. La société Soletanche Bachy fait valoir que le marché offert comprenait une proportion importante de travaux spéciaux et qu’elle a souhaité s’associer, dans un groupement, à d’autres soumissionnaires pour réaliser la part qui lui incombait (co-traitance), mais en vain puisque Soletanche Entreprise a finalement soumissionné isolément. SECO/DGC (ex DG Construction) souligne que le marché nécessitait la pose de pieux spéciaux que seules deux entreprises, Soletanche et Bachy pouvaient réaliser. Elle a finalement retenu Bachy comme sous-traitant, et estime que la consultation de Soletanche n’a révélé aucune entente. La société Bec Frères observe que les notes saisies au sein de la société Soletanche ne la visent pas, et en déduit que celles-ci ne sauraient en conséquence lui être opposées.
581. Cependant, les documents manuscrits Soletanche, datés respectivement du 26 et du 28 avril 1995, sont antérieurs à la remise des offres, fixée au 12 mai 1995. Il y est notamment indiqué qu’un des concurrents à cet appel d’offres, DG Construction « essaie de monter l’opération » et « a la liste complète ». Figure en outre sur le feuillet 89 le montant des prix de série que le groupement mené par DG Construction remettra 14 jours plus tard (750 kF), ainsi que le nombre exact des entreprises consultées (22). La teneur de ces documents ne correspond pas à des données susceptibles d’être évoquées lorsqu’une cotraitance est envisagée. Trouvées chez l’une des entreprises admises à concourir, ces notes portent notamment sur le nombre des compétiteurs, ainsi que sur les prix de série que le futur attributaire du marché envisage de déposer et témoignent de l’intérêt de DG Construction pour ce marché, que cette entreprise a finalement remporté en groupement avec Bec Frères et Bachy. Il s’agit à chaque fois d’éléments qui, de jurisprudence constante, ne doivent pas faire l’objet d’un échange d’informations préalablement au dépôt des offres.
582. Il résulte de ce qui précède que s’agissant du marché n° 8, les pratiques de concertation et d’échange d’informations, antérieures au dépôt des offres sont caractérisées à l’égard des sociétés DG Construction et Soletanche. Ces pratiques sont contraires à l’article L. 420-1 du code de commerce. En revanche, les éléments recueillis sont insuffisants pour établir que les sociétés Bec Frères et Bachy y ont participé, la circonstance que Bec Frères et Bachy aient été membres du groupement attributaire du marché, et la mention « voir avec Bachy pour partager les pieux » dans le document manuscrit cité plus haut étant insuffisantes pour en rapporter la preuve. Ce grief ne peut pas être retenu à leur encontre ni à l’égard d’aucune autre entreprise.
3 – le marché n° 9 (lot 34 B de la ligne Eole)
583. Il résulte des constatations opérées aux paragraphes 68 à 76 qu’avant la date de remise des offres, la société Nord France TP connaissait, grâce à la société Bouygues, le montant des soumissions des sociétés Bouygues et Spie pour ce marché. Par ailleurs M. A… directeur général de Nord France TP, a admis qu’une réunion avait rassemblé avant la date limite de remise des offres, des représentants des sociétés Bouygues, Chantiers Modernes, attributaire du marché, et Montcocol. La note de M. F… mentionnait également l’existence d’une table « Meteor – Eole », à laquelle doivent être rattachés les marchés n° 9 et 10.
584. La société Bouygues conteste que le déroulement de cet appel d’offres ait donné lieu à des pratiques anticoncurrentielles. Elle fait valoir que selon les résultats de la consultation, les deux groupements, qui étaient tous les deux moins-disants, tantôt en solution de base (Bouygues), tantôt en solution variante (Chantiers Modernes), ont déployé tous leurs efforts pour obtenir l’attribution de ce marché. Elle dit n’avoir pas eu connaissance ni du projet de convention saisi chez Nord France TP, ni du document faisant état de ses prix de revient, qui n’ont pu qu’être réalisés à son insu. Les sociétés Demathieu & Bard et Muller TP estiment qu’il n’est pas établi qu’elles ont participé, directement ou indirectement à des pratiques anticoncurrentielles. Urbaine de Travaux, citée dans le projet de protocole faxé depuis ses locaux, fait valoir pour sa part que selon la jurisprudence du Conseil, aucune infraction ne peut être retenue à l’encontre d’entreprises ayant « étudié la possibilité d’une action concertée (…) en l’absence d’éléments permettant d’établir que ce projet avait reçu une quelconque suite », ce qui serait le cas en l’espèce puisque le groupement n’a pas été constitué.
585. Cependant plusieurs documents, pour partie dactylographiés et pour partie manuscrits, relatifs à ce marché, ont été retrouvés et leur contenu, (paragraphe 72), montre qu’il ne peut s’agir des résultats de la consultation. Ces documents comprennent un tableau comparatif de prix de revient de plusieurs groupements ou entreprises concurrents classés parmi les cinq premiers à l’appel d’offres, daté du 4 mars 1993, soit quatre jours avant la date limite de remise des offres, ce qui implique la mise en commun d’informations confidentielles à ce stade. Chaque entreprise admise à concourir ne doit en effet, de jurisprudence constante, communiquer ces données, durant cette période, à aucun de ses compétiteurs. Ces documents sont également constitués de notes manuscrites à la fois elliptiques et précises, attestant que Nord France TP était informé du niveau d’offres de ses confrères. La mention « 71 5 MV 30 » correspond à l’offre du groupement Bouygues et à la moins value sur abandon des exigences architecturales. La mention « SPIE 684 – 745/28 » est à mettre en relation avec la remise par le groupement représenté par Spie Batignolles d’une offre d’un montant de 746 241 kF, ce qui correspond à une moins value de 27 416 kF. Les chiffres « 71 5/597 » sont le rapport entre le montant de l’offre de Bouygues et le « prix de revient » de cette entreprise figurant dans le tableau. Ces documents sont en outre corroborés par les déclarations de M. A…, qui fait état d’une réunion entre compétiteurs avant l’attribution du marché 34 B, réunion à laquelle ont participé des représentants des sociétés Bouygues, Montcocol, NFTP et Chantiers Modernes, le futur attributaire du marché. S’agissant du tableau comparatif des offres, ce dernier indique que « il lui semble qu’il lui a été remis par M. F…, de la société Bouygues », sachant que « ce tableau se situait dans le cadre du projet de convention » faxé le 4 mars 1992, et a donc été rédigé avant le dépôt des offres.
586. L’ensemble de ces éléments, dans un contexte déjà rappelé à plusieurs reprises de « table SNCF » mais également de « table Meteor-Eole », constitue un faisceau d’indices graves, précis et concordants de pratiques de concertations et d’échanges d’informations, antérieures au dépôt effectif des offres relatives au marché du lot 34 B de la ligne Eole, imputables aux sociétés Bouygues, Chantiers Modernes, Montcocol, Nord France TP et Schneider Electric SA (venant aux droits de Spie Batignolles). Ces pratiques sont contraires à l’article L. 420-1 du code de commerce. En revanche, les éléments recueillis sont insuffisants pour établir que les autres entreprises et notamment les sociétés Demathieu et Bard, Entreprise Quillery et Urbaine de Travaux y ont participé. Ce grief n’est pas retenu à leur encontre.
4 – le marché n° 10 (lot 37 B de la ligne Eole)
587. Il résulte des constatations opérées aux paragraphes 77 à 96 que la société Nord France TP associait au marché Condorcet, avant le dépôt des offres, un des futurs attributaires, Spie (paragraphe 85), et avait eu des contacts avec la société Bouygues afin de réaliser une SEP. Une réunion sur le marché a rassemblé avant le dépôt des offres les sociétés Soletanche, GTM et Spie (paragraphe 90), et des contacts ont eu lieu entre Soletanche et Sogea (paragraphe 94). Avant la date de remise des offres, Soletanche connaissait les futurs attributaires du marché, Sogea et Spie, tandis que le projet d’association entre Bouygues et GTM était divulgué (paragraphe 95). Il en résulte que des échanges d’informations ont eu lieu, avant le dépôt des offres entre les sociétés Nord France TP, Spie, Bouygues, Soletanche, GTM et Sogea.
588. Les entreprises concernées contestent tout à la fois l’existence d’éléments matériels et l’opposabilité de ceux-ci. Soletanche Bachy fait valoir que la notification des griefs se base sur toute une série de documents pour développer son argumentation, mais qu’un examen exhaustif des pièces invoquées permet de conclure à la faiblesse de la thèse développée. Bouygues estime qu’aucun indice sérieux permettant de présumer l’existence d’échanges d’informations prohibés entre les différents concurrents préalablement à la remise des offres, n’est rapporté par la notification des griefs. Demathieu & Bard, Muller, Fougerolles Ballot et Razel pointent pour leur part la faiblesse des éléments matériels recueillis à leur encontre. Demathieu et Bard note que pour justifier le grief à son égard, le rapporteur s’appuie sur une note manuscrite. Or aucun élément ne permet d’établir que l’entreprise a assisté à la réunion, ni même qu’elle a eu connaissance de son existence ou de son contenu. Muller TP et Razel font valoir qu’aucun des documents saisis ne les mettent en cause, directement ou indirectement. Quant à la société Fougerolle Ballot, elle souligne, s’agissant des faits antérieurs à la remise des offres, que son nom n’apparaît que sur un seul des sept documents invoqués par le rapporteur. Ce document, qui n’a pas été saisi dans ses locaux et n’est ni daté, ni signé, ne lui paraît pas un indice d’entente et ne saurait en tout état de cause constituer à lui seul un faisceau d’indices.
589. Mais des éléments matériels détaillés ont été recueillis au sein de deux entreprises distinctes, Nord France TP et Soletanche et montrent une grande convergence. Saisis dans les locaux d’entreprises ne faisant pas partie du groupement attributaire du marché, ils font tout d’abord la preuve de contacts, intervenus entre l’appel à candidatures et l’ouverture des plis, entre les groupements ayant remis une offre. L’un d’eux atteste l’existence d’une « réunion avec confrères », pendant la période d’appel d’offres, le 4 juin 1993. Un autre mentionne « Réunion hier Condorcet – Celui qui doit gagner : Sogea-TPI/Spie/Fougerolle-Razel », sachant que le groupement en définitive retenu comprend chacune de ces entreprises, à l’exception de Razel remplacée par Müller. Un autre associe dès mai 1993 le marché Condorcet à Spie, qui fait partie du groupement Sogea, lequel a finalement obtenu le marché. Les documents saisis démontrent en outre que Nord France TP a réalisé deux études de prix distinctes, dont l’une, intitulée « prix normal » aurait constitué, si elle avait été déposée, l’offre la mieux placée. L’offre remise est donc une offre de couverture. De nombreux documents font état par ailleurs de la répartition des travaux entre les entreprises, lors de l’exécution de ceux-ci, dans un contexte plus général de compensation par rapport à d’autres marchés (Bellerive explicitement).
Les « habillages juridiques », pour reprendre le terme utilisé dans le document du 25 mars 1994 intitulé « confidentiel (à déchirer absolument après lecture) » y sont notamment présentés comme formalisant la « mise en commun de moyens » par des « montages posant problème au niveau du respect des règles de concurrence » (expression du directeur général de Nord France TP dans son audition). Ils sont décrits comme, de fait, « impossibles à justifier en cas d’enquête approfondie » (voir l’analyse de ces partages dans la partie entente générale (paragraphes 536 à 538).
590. L’ensemble des éléments recueillis constitue un faisceau d’indices graves, précis et concordants concourant à établir l’existence de pratiques anticoncurrentielles d’entente, auxquelles ont participé en l’espèce les sociétés Bouygues, Dumez GTM, Nord France TP, Spie Batignolles, Sogea et Soletanche-Bachy France, pratiques contraires à l’article L. 420-1 du code de commerce. En revanche, les éléments recueillis sont insuffisants pour établir que les sociétés Campenon Bernard, Demathieu et Bard, Entreprise Quillery, Fougerolle, Müller TP, Razel Frères et TPI ou toute autre entreprise y ont participé. Ce grief n’est pas retenu à leur encontre.
5 – le marché n° 11 (travaux de génie civil de la future avenue de France – secteur de Tolbiac)
591. Les entreprises soulignent qu’en l’absence notamment de documents témoignant d’échanges intervenus entre des candidats préalablement à la remise de leurs offres, la notification de griefs s’appuie sur le seul détail des prix par poste. Cette analyse constituerait, au mieux, un indice unique, qui ne saurait suffire pour établir la pratique illicite. L’écart de prix mis en exergue serait parfaitement normal, reflétant les contraintes et stratégies propres à chaque entreprise. Les requérantes estiment également que s’agissant des quelques prix identiques constatés, l’échantillon est si faible que cette identité de prix ne peut relever que de la simple coïncidence, d’autant qu’elle ne touche jamais le même couple d’entreprises. Les parties renvoient également au rapport d’analyse des offres aux termes duquel les offres sont proches les unes des autres. Sur 12 offres reçues, 7 ont été inférieures à l’estimation de la SNCF. Le dossier technique remis par le groupement attributaire était en outre d’« excellente qualité ».
592. En l’absence d’éléments de nature à attester l’échange d’informations antérieur au dépôt des offres, l’ensemble des éléments recueillis au cours de l’instruction est insuffisant pour caractériser des pratiques anticoncurrentielles. Ce grief ne peut donc être retenu à l’encontre des entreprises.
b) Les marchés RATP
1 – les marchés n° 12 à 19 (METEOR - lot M. 04 ; lot M. 3,5, 7,8 – 9 ; lot D. 3 et M. 10 ; lot D. 4 et M. 11 ; lot M. 12 ; lot M. 13 à 1 5 ; lot M.16 à 18 ; lot M.21/22).
593. Les constatations faites aux paragraphes 110 à 141, à partir notamment du document daté de 22 février 1991, portant le numéro 179 (reproduit paragraphe 111), montrent qu’avant la date de dépôt des offres, étaient désignées par avance les entreprises futures attributaires de chacun des marchés de la future ligne Meteor (marchés 12 à 19). Cette note, démontrant l’existence d’échanges d’informations en vue du partage des marchés de la ligne Meteor entre ces entreprises, est corroborée par trois documents manuscrits, déjà cités dans la partie relative à l’entente générale :
- la note rédigée par M. F…, directeur du service travaux publics de la région parisienne (TPRP) de la société Bouygues intitulée « Politique commerciale TPRP », qui, parmi les 10 « tables » énumérées, mentionne : « Meteor - Eole » ;
– la note rédigée par M. A…, président directeur général de la société Nord France TP évoquant également « Meteor - Eole » ;
– la note établie par M. J… de la société Quillery, sur laquelle figure feuillet 113 la mention : « table RATP ».
594. Les marchés 12, 16, 17, 18 et 19 de la ligne Meteor, ont été répartis grâce à des échanges d’informations antérieurs au dépôt des offres entre les entreprises suivantes : la société GTM, rédactrice du document 179 et les sociétés désignées dans ce document comme attributaires des marchés, à savoir les entreprises : Borie, Perforex, HBW, Guintoli, Urbaine de travaux, Spie, Fougerolle, Müller et Nord France TP.
595. Les pratiques relatives aux marchés n° 13 à 15 sont prescrites ainsi que l’ont soulevé les parties, à juste titre. La remise des plis de l’appel d’offres du lot M. 3,5,7,8 – 9 (marché n° 13) a été en effet fixée successivement au 19 avril puis au 19 juillet 1991, soit antérieurement au 6 décembre 1991 qui constitue le point de départ de la période non prescrite de ce dossier (cf. paragraphe 554). Il en est de même des appels d’offres relatifs au lot D. 3 et M. 10 (marché n° 14) et au lot D.4 et M.11 (marché n° 15), pour lesquels les plis ont été remis respectivement le 19 avril 1991 et le 3 juin 1991. En raison de la prescription qui atteint les pratiques afférentes à ces trois marchés, les entreprises auxquelles ont été notifiés des griefs doivent être mises hors de cause.
596. En ce qui concerne les autres marchés, les entreprises font valoir que le document n° 179 GTM sur lequel des noms d’entreprises sont mentionnés en face de chaque lot du chantier Meteor constitue un indice unique, dont les mentions ne seraient pas déterminantes et surtout dont la date serait incertaine.
597. Mais l’apposition sur ce document de la mention manuscrite « le 22 fév 1991 », soit une date antérieure à l’ouverture des plis de l’appel d’offres concernant les marchés n° 12 et 16 à 19 n’a pas été contredite par M. R…, qui, entendu en juin 1996, sans confirmer la date, a indiqué avoir établi ce document avant la publication des résultats des appels d’offres Meteor. Ce document, qui reproduit le tracé de la ligne Meteor, prévoit la répartition des marchés et s’inscrit dans le cadre des « table RATP » et « table Eole Meteor » évoquées dans les documents Bouygues, Nord France TP et Quillery (évoqués plus haut).
598. S’agissant du marché n° 12, Chantiers Modernes observe qu’il n’existe aucun indice de concertation qui lui soit imputable et, comme Vinci Construction qui a repris GTM et Dumez, met en avant le fait que, selon la RATP, le dossier variante de l’offre Dumez Chantiers Modernes était de très bonne qualité, ce qui implique de leur part un investissement d’étude important, incompatible avec un accord de répartition préalable des marchés.
599. Mais le document saisi au sein de la société GTM, société éliminée lors du second appel d’offres relatif à ce marché comme étant le « plus disant », désigne, avant que la RATP ne se soit prononcée, les futurs attributaires du marché du lot M.4, Borie et Perforex, ce dont il a été tenu compte lors de l’élaboration de l’offre Dumez-Chantiers Modernes.
600. S’agissant du marché n° 16, l’entreprise Guintoli fait valoir que la mention « HBG (hollandais) », sur le document, correspondrait au sigle de la société « Hollandische Beton Groep », nom du groupe auquel appartient HBW, et non à la contraction des sociétés HBW et Guintoli, co-attributaires du marché. Elle estime donc être totalement étrangère à cette désignation sur le document saisi chez GTM.
601. Le document GTM (179), dont la rédaction est, en toute hypothèse, antérieure à l’ouverture des plis, mentionne au moins pour partie le résultat de l’appel d’offres du lot M. 12 de la ligne Meteor, attribué à une société appartenant au groupe hollandais à laquelle se sont adjoints Guintoli et Sotranord.
602. S’agissant du marché n° 17, le document GTM attribue, plus d’un an auparavant, le lot M. 13 – 14 – 15, pour lequel GTM est arrivé le moment venu en cinquième position, au groupement Borie/Nord France/Urbaine. Montcocol, pourtant mandataire du groupement, n’est pas mentionné et Nord France TP a répondu dans un autre groupement Fougerolle/Müller, ce qui tend à confirmer que ce document ne peut être le résultat des appels d’offres, mais donne une orientation précise de la répartition convenue. Il est en l’espèce corroboré par une autre note manuscrite, saisie chez un autre compétiteur, Soletanche et datée du 17 juin 1992, soit une date également antérieure à l’échéance de remise des offres, fixée au 26 juin 1992. Ce deuxième document confirme la répartition convenue, puisqu’il utilise le mot « table », vise des entreprises soumissionnaires (Borie, Urbaine) et porte sur des informations dont l’échange, selon une jurisprudence constante, est prohibé à ce stade (« se voir rapidement sur les prix »).
603. S’agissant du marché n° 18, Müller TP fait valoir que le document de GTM (179) indique pour ce lot « Spie/Fougerolle/Müller », mais ne mentionne pas la présence de Sotrabras et de Bilfinger & Berger, ni les entreprises agréées comme co-traitants soit Spie Fondations, Bachy et Intrafor. Cette partie considère que l’omission de cinq des neuf entreprises associées dans le groupement attributaire du lot enlève au document saisi chez GTM toute valeur probatoire à son égard.
604. Mais le document saisi chez GTM, en l’espèce membre du groupement classé en dernière position lors de l’ouverture des plis, a été confectionné avant que les résultats de l’appel d’offres ne soient connus et prévoit par avance que le groupement comprenant notamment Müller sera attributaire du marché. Cette répartition intervient, comme souligné précédemment, dans un contexte plus global, évoqué notamment dans les documents Bouygues et Quillery déjà cités, de « table RATP »/«table Eole Meteor ». Une telle désignation, même incomplète, du groupement attributaire du marché, montre que la concurrence lors de la passation du marché Meteor a été faussée, les entreprises bénéficiant elles mêmes de la répartition sur d’autres marchés, ayant établi leurs offres respectives en tenant compte de cette donnée déterminante. L’indépendance des offres a donc été affectée, et la concurrence restreinte.
605. S’agissant du marché n° 19, l’entreprise Müller TP fait valoir que l’offre de prix du groupement dans lequel elle se trouvait s’est classée en deuxième position et qu’aucun indice ne permet d’affirmer que l’offre de ce groupement était illicite. En l’espèce, la RATP, constatant que les offres étaient supérieures à sa propre estimation, a déclaré l’appel d’offres infructueux et a conclu un marché de gré à gré. Müller TP souligne également qu’aucun document servant de base à la notification des griefs ne la concerne, ni ne la mentionne, directement ou indirectement, voire même le groupement dont elle faisait partie.
606. Mais la mention relative à ce lot sur le document GTM correspond pour l’essentiel à ce résultat, puisque Nord France TP et Fougerolle y sont mentionnés comme devant être attributaires, mais qu’en effet, trois autres membres du groupement, dont Müller, ne sont pas mentionnés. Il est également exact qu’en l’espèce, des entreprises (Torno France, Torno Milan et Joyeux SA), que l’on peut qualifier d’« outsiders » au vu des éléments du dossier, se sont groupées et ont déposé l’offre la moins disante. Elles ont été écartées par le maître d’ouvrage en raison de garanties financières insuffisantes, et ces éléments de fait sont sans influence sur les entreprises auxquelles des griefs ont été notifiés. En outre, le caractère incomplet du document GTM n’est pas un argument suffisant pour mettre hors de cause Müller TP, ce document ayant été rédigé avant les résultats des appels d’offres, à un moment donc où les concertations entre entreprises n’étaient pas terminées.
607. Au vu des éléments recueillis, il reste des indices graves, précis et concordants à l’encontre des entreprises désignées sur le document GTM n° 179, de s’être entendues pour se répartir à l’avance les lots répertoriés sur ce document. Du fait de la répartition préalablement opérée, la passation des cinq marchés non couverts par la prescription a été le moment venu faussée soit que les entreprises ayant pris part à la répartition ne déposent pas d’offre, soit qu’elles déposent une offre non compétitive. Les entreprises qui ont soumissionné, même si elles ont pu donner l’impression d’une concurrence réelle et sérieuse entre elles, ont forcément établi leurs grilles de prix en tenant compte du choix préalable opéré, ce qui les a amenées à déposer des offres de couverture, le système de compensation mis en place leur permettant, leur tour venu, de l’emporter du fait des offres de couverture déposées par leurs confrères.
608. La pratique d’entente par répartition de marché, contraire à l’article L. 420-1 du code de commerce, est donc établie à l’égard des sociétés Borie, GTM Construction, Guintoli, HBW, Müller TP, Nord France TP, Perforex, Spie Batignolles et Urbaine de Travaux, pour les marchés 12, 16, 17, 18 et 19 de la ligne Meteor, pratique contraire à l’article L. 420-1 du code de commerce. Bien qu’ayant participé à cette entente, Fougerolle n’a pas été destinataire d’un grief. Les éléments recueillis sont insuffisants pour établir que d’autres entreprises ont participé aux pratiques anticoncurrentielles constatées à cette occasion. Ce grief n’est pas retenu à leur encontre.
2 – le marché n° 20 (METEOR – ouvrage Danièle Casanova)
609. En ce qui concerne ce marché (paragraphes 144 à 148), la société Soletanche a échangé des informations avec la société Nord France TP, quatre jours avant la date limite de dépôt des offres et connaissait, à l’avance, les soumissions des entreprises Quillery, Nord France TP et Bouygues, ce qui ne peut s’expliquer que par des échanges d’informations entre ces quatre sociétés.
610. Soletanche Bachy fait valoir qu’elle n’a pas cherché à répondre à cet appel d’offres, étant précisé que, compte tenu de la nature des travaux, elle n’était intéressée que par la sous-traitance de certains travaux spéciaux. C’est à ce titre, indique-t-elle, que des contacts ont été pris avec les entreprises susceptibles d’emporter ce marché. Le document « RATP – CASANOVA/BOUYGUES est bien placé (table) » traduirait simplement l’appréciation de M. K… sur les chances de succès de Bouygues, compte tenu des informations obtenues lors de ses démarches en vue d’une éventuelle sous-traitance. Selon Bouygues, les notes des feuillets 247 à 256, qui semblent attester d’un rapprochement, quelques jours avant la remise des offres, entre Soletanche, Bouygues et Nord France TP, s’inscriraient en fait dans le cadre de la démarche unilatérale d’un sous-traitant en vue de trouver un ou plusieurs partenaires potentiels. Rien selon cette entreprise n’empêchait Soletanche de réaliser une telle démarche.
611. Cependant, quelques jours avant la date limite des offres, Soletanche a été en mesure de savoir tout à la fois que Bouygues était « bien placé », et que Nord France TP n’était « pas le premier ». Les notes retrouvées en mentionnent explicitement la raison (« tables »). Un des documents saisis atteste de la connaissance, préalable à la remise des prix, des offres des sociétés Nord France TP et Quillery par un des autres compétiteurs, la société Bouygues. Des informations ont été échangées à un moment où elles auraient dû rester strictement confidentielles dans un contexte de répartition préalable de marchés (« tables »). Ces pratiques, révélées grâce aux contacts pris par une entreprise à la recherche de sous-traitance, dépassent largement les démarches admises par la jurisprudence pendant la période de passation d’un marché public. Elles ont faussé la concurrence, les entreprises soumissionnaires n’ayant pas établi leurs offres respectives de façon indépendante.
612. L’entente est caractérisée à l’égard de Bouygues, attributaire du marché conformément aux prévisions, de Quillery, Nord France TP et Soletanche Bachy qui ont permis cette attribution en faussant l’appel d’offres ou en échangeant des informations. Les éléments recueillis sont insuffisants pour établir que d’autres entreprises y ont participé. Ce grief n’est pas retenu à leur encontre.
3 – le marché n° 21 (METEOR – ouvrages Deux Écus/Quai de Gresves)
613. En ce qui concerne ce marché (paragraphes 150 à 158) les sociétés Nord France TP et Soletanche connaissaient, avant le dépôt des offres, l’attribution future du marché à Quillery et Razel, ce qui démontre des échanges d’informations entre ces quatre sociétés.
614. Bouygues considère que l’instruction, qui repose sur des documents saisis chez Nord France TP et Soletanche, n’a permis de recueillir aucun commencement de preuve à son encontre. Bec Frères souligne que les éléments qui font référence à Perforex sont postérieurs à la date limite de dépôt des offres. Pour Razel, la mise en commun de moyens aurait été rendue nécessaire, après la remise des offres, par les conditions dans lesquelles l’attribution du marché est intervenue et le démarrage des travaux ordonné par le maître d’ouvrage. Une fois le résultat de la consultation connu et après avoir été informé des différentes contraintes, le groupement Quillery/Razel et la société Nord France TP, qui avaient remis une offre presque similaire, se seraient naturellement rapprochés, en vue de la mise en commun de moyens, en prévision du démarrage très tardif des travaux, sept mois après la notification des résultats de l’appel d’offres.
615. Cependant, deux documents, saisis au sein de deux entreprises différentes, Soletanche et Nord France TP, indiquent à l’avance quel sera le résultat de l’appel d’offres. Le premier, sur lequel figurent, en face de la mention « quai de Gesvres », les initiales « RZ – Q », est daté du 3 janvier 1994, le second, qui classe Quillery/Razel premier, et Nord France deuxième est daté du 4 février suivant, sachant que la date de la remise des offres avait été fixée au 23 février 1994, et que le groupement Quillery/Razel a été retenu, Nord France TP ayant été classé second. Il s’agit d’indices graves, précis et concordants d’entente par répartition de marché, alors que fonctionnait à l’époque le système des « table RATP »/»table Eole Meteor » et qu’il avait été convenu, dans un premier temps, que si Bouygues obtenait le marché Danièle Casanova, Nord France TP aurait ce marché.
616. Ainsi qu’il a été rappelé dans la description de l’entente générale, la concertation s’est d’ailleurs prolongée, après la remise des offres, par une répartition occulte des travaux entre les entreprises, lors de l’exécution de ceux-ci, dans un contexte plus général de compensations par rapport à d’autres marchés tels que le marché précédent. Cette répartition a modifié très sensiblement les résultats de l’appel d’offres, puisque Nord France TP et Perforex, les deux entreprises du groupement arrivé en deuxième position ont, de fait, de façon « occulte », réalisé 40 % des travaux. Au regard de ces éléments, les arguments de Razel quant à la licéité et la pertinence du regroupement des parties, au stade de l’exécution des travaux, ne peuvent être retenus.
617. La pratique d’entente, contraire à l’article L. 420-1 du code de commerce, est donc établie à l’égard des sociétés Nord France TP, Quillery, Razel et Soletanche. En revanche, les éléments recueillis sont insuffisants pour établir que d’autres entreprises y ont participé. Ce grief n’est pas retenu à leur encontre.
4 – le marché n° 22 (Ligne 13 lot 2/du Chemin des Poulies à l’avenue Lénine – RN1)
618. Les parties soulignent que le document Quillery qui mentionne « Table RATP : ligne 13- lot 1, lot 2 » ne mentionne aucun nom d’entreprise. Elles font valoir qu’il est impossible de dater ce document avec précision. Pour Bouygues, l’on ne peut déduire du simple emploi du mot « table » une quelconque présomption d’entente anticoncurrentielle qui aurait impliqué l’ensemble des soumissionnaires à l’appel d’offres. S’agissant des anomalies pointées par le rapporteur, les entreprises mises en cause soulignent qu’elles ne peuvent emporter à elles seules la preuve de l’entente.
619. En l’absence d’éléments de nature à attester d’échanges d’informations antérieurs au dépôt des offres, il convient de considérer que l’ensemble des éléments recueillis au cours de l’instruction sont insuffisants pour caractériser des pratiques anticoncurrentielles. Aucun grief ne peut donc être retenu à l’encontre des entreprises.
5 – le marché n° 23 (Ligne 13 lot 3/De l’avenue Lenine à « Université de Saint-Denis »)
620. Les entreprises mises en cause soulèvent les mêmes arguments que ceux invoqués à propos du marché précédent.
621. En l’absence d’éléments de nature à attester d’échanges d’informations antérieurs au dépôt des offres, il convient de considérer que l’ensemble des éléments recueillis au cours de l’instruction sont insuffisants pour caractériser des pratiques anticoncurrentielles. Aucun grief ne peut être retenu à l’encontre des entreprises qui ont participé à cet appel d’offres.
c) Les marchés du département de l’Essonne (91)
622. Le marché 24 relatif à des travaux de l’échangeur d’Arpajon n’a pas révélé dans son déroulement la mise en œuvre de pratiques anticoncurrentielles de la part des entreprises qui ont souscrit à l’appel d’offres.
623. Le marché 25 de construction des archives départementales de Chamarande est exclu de l’objet de la saisine.
624. Aucun grief n’est retenu à l’encontre des entreprises qui ont soumissionné à l’un ou l’autre de ces marchés.
d) Les marchés du département des Hauts-de-Seine (92)
1 – Marché n° 26 (Siphon Ernest Renan)
625. Il résulte des constatations opérées aux paragraphes 168 à 179 que la société Fougerolle était pressentie, avant le dépôt des offres, comme attributaire du marché, que des échanges d’informations ont eu lieu entre Fougerolle et Soletanche, un projet de groupement ayant été, selon les dires de ces sociétés, envisagé entre elles mais chacune ayant, finalement, soumissionné de façon indépendante et qu’enfin les sociétés Soletanche et Fougerolle ont échangé des informations entre la date de remise de leurs offres et la décision d’attribution du marché par la DDE, c’est-à-dire pendant une période où chacun devait soutenir son offre de manière indépendante, en répondant aux questions du maître d’œuvre.
626. L’entreprise Soletanche Bachy estime que le dossier ne fait apparaître aucun contact anticoncurrentiel entre Soletanche et Fougerolle Ballot avant la date de remise des offres. Elle fait valoir que les rapprochements sont intervenus afin de constituer un groupement formé finalement avec France Travaux, Simep et CSM Bessac. Elle regrette que les deux personnes, MM. 14… et 60…, qui représentaient Fougerolle Ballot dans le cadre de ces négociations, n’aient pas été entendues. CSM Bessac, Fougerolle Ballot et Soletanche Bachy soulignent par ailleurs le rôle joué par le maître d’ouvrage en l’espèce. Fougerolle Ballot fait valoir que la plupart des éléments mis en exergue sont intervenus postérieurement à la remise des offres et sont en rapport avec une réunion, organisée par l’acheteur public lui-même, qui s’est tenue à la DDE des Hauts-de-Seine. Soletanche ne conteste pas que les entreprises se soient mutuellement communiqué le montant de leurs offres fin mars 1995, mais fait valoir que les offres avaient alors été définitivement remises au maître d’ouvrage et étaient intangibles. L’entreprise Bessac estime enfin qu’elle ne peut être déclarée responsable du fait que les mandataires n’aient pas informé le maître d’ouvrage de la proposition de sous-traitance à Fougerolle Ballot.
627. Cependant l’instruction a montré qu’il était prévu que Fougerolle Ballot, au demeurant moins disante en l’espèce, devait, dans le cadre d’une répartition préalable de marchés (table « DDE 92 »), remporter cet appel d’offres. Fougerolle Ballot est décrite par M. 12…, de la société Solétanche, dans son audition, comme « très intéressée par l’affaire ». Elle aurait été, selon les notes manuscrites de M. K… de Solétanche évoquées paragraphe 171, « trahie », « plantée » par Soletanche, finalement attributaire du marché. Ainsi, le groupement mené par Fougerolle Ballot aurait en l’espèce été « correct », toujours selon ces notes, contrairement au groupement mené par Soletanche, qui a « envoyé des coups de canif dans le contrat ». Ceci s’est soldé par un dédommagement chiffré à 600 kF, assorti du commentaire de M. K… de Solétanche dans ses notes : « paix à la table ! sinon on paie à la table », à rapprocher du soupçon sur la réalité de la concurrence de M. 11… de la DDE, selon lequel « tout était entendu », les entreprises étant « toutes de connivence par derrière ». En outre, le maître d’ouvrage n’a pas été informé, lors du dépôt des offres séparées, de ce que Fougerolle Ballot et Solétanche auraient envisagé de constituer un groupement commun, l’existence d’un tel projet n’étant nullement établi. Il ne peut être contesté, enfin, que des échanges d’informations sur des prix unitaires sont attestés dans la phase de négociation ultime avec le maître d’ouvrage, alors que, comme le souligne M. 15… de Soletanche dans son audition, il s’agissait à ce stade pour les entreprises retenues d’élaborer, de façon concurrente, une solution technique variante qui, de fait, s’est avérée déterminante (paragraphe 177).
628. Il est établi que Soletanche Bachy et Fougerolle Ballot se sont concertées et ont échangé des informations antérieurement au dépôt effectif des offres en vue de l’at