Dieppe sent venir son second souffle
-La ville veut devenir le pôle d'équilibre du nord de la Seine-Maritime. -Le principal frein à cette ambition tient en l'absence d'intercommunalité.
RICHARD GOASGUEN
Christian Cuvilliez, maire de Dieppe et député depuis juin 1997, ne désespère pas de faire de sa ville un « pôle d'équilibre multifonction ». Maire de Dieppe (36 000 habitants) à la suite du décès, en 1989, de son « maître à penser », le communiste Irénée Bourgois, Christian Cuvilliez se veut l'apôtre d'une intercommunalité qu'il a bien du mal à imposer localement. Exemple récent : sa volonté de regrouper sous une même bannière les cinq Sivu (syndicats intercommunaux à vocation unique) où la ville est impliquée a jusqu'à maintenant échoué. De même, le programme local de l'habitat (PLH), étudié en 1982 et concernant sept communes, n'a jamais été voté. Mais il n'y renonce pas pour autant.
S'appuyant désormais sur le « noyau dur » de la vallée de l'Arques (Dieppe, Arques-la-Bataille, Rouxmesnil-Bouteilles et Martin-Eglise), il espère bien en relancer l'idée, « sur ces nouvelles bases solides et avec le soutien de l'Etat ». Il vient d'ailleurs de marquer des points fin juin, peu avant une « visite de travail » de François Lépine, le nouveau préfet de région. Les élus des quatre communes et les représentants de la chambre de commerce et d'industrie (CCI) et de la direction départementale de l'équipement (DDE) se sont en effet mis d'accord pour lancer une étude d'impact économique concernant les 7 km qui manqueront encore, début 1998, lors de la mise à deux fois deux voies de la RN27 reliant Rouen à Dieppe, soit la partie terminale entre Manéhouville et Dieppe.
Quel maître d'ouvrage pour le traitement des déchets ?
La relance souhaitée du PLH et ce consensus autour d'un projet structurant doivent, selon le premier magistrat, jeter les bases d'une intercommunalité « difficile mais nécessaire », débouchant sur un district ou toute autre formule. Reste dans ce domaine un obstacle important à franchir : la future unité d'élimination des déchets ménagers de l'agglomération. L'usine actuelle de Rouxmesnil-Bouteilles, créée en 1970, ne répond plus aux normes en vigueur.
Le plan départemental de traitement des déchets venant à peine d'être adopté, les élus dieppois ont décidé d'attendre, tant les enjeux sont importants. Quel sera le maître d'ouvrage et comment s'organiseront les financements pour ce futur équipement, obligatoire pour l'agglomération stricto sensu, voire les campagnes environnantes du plateau cauchois ? Son coût est actuellement estimé à 700 millions de francs environ pour une capacité de l'ordre de 70 000 à 100 000 t.
Pour clore le chapitre des infrastructures de communication, le programme de modernisation des voies de la ligne ferroviaire Rouen-Dieppe vient de recevoir l'appui du département. Quant à l'électrification tant attendue, elle devrait être inscrite au programme du prochain contrat de plan Etat-région.
Un port prêt pour le troisième millénaire
La ville de Dieppe elle-même se transforme et retrouve progressivement un équilibre et une fonctionnalité quelque peu perdus au sortir des « Trente Glorieuses ».
Au niveau portuaire tout d'abord, la concession attribuée à la CCI en 1956 pour l'outillage public a été étendue en août 1992 à l'ensemble du domaine public maritime. Sous l'impulsion de l'incontournable président, Jean-Paul Lalitte, l'ancien « port de l'ivoire » achèvera avec le siècle sa totale reconversion, au terme d'environ 500 millions de francs d'investissements en dix ans, presque toujours en partenariat avec des opérateurs privés, dans le domaine des superstructures.
Ainsi, après le terminal transmanche implanté dans le nouveau port extérieur (93 millions de francs HT en juillet 1994 avec Stena), les 45 000 m2 de hangars sous température contrôlée (24 millions de francs HT en 1994-1995 avec Léon Vincent), la partie maritime du port de plaisance (24 millions de francs HT en 1995) à la place de l'ancien terminal transmanche et le nouveau port de pêche (25 millions de francs HT en 1996-1997), les bassins dieppois arboreront leur configuration du troisième millénaire à la livraison de la nouvelle écluse du Canada, élargie de 23 à 28 m, à l'automne 1998. Cette opération de 110 millions de francs HT a connu son épisode le plus spectaculaire le 23 juin dernier lors de l'échouage en place du caisson principal préfabriqué.
« Dans cette nouvelle configuration, il nous faudra être réactifs aux marchés afin de favoriser la venue de nouveaux trafics correspondant à nos atouts, à notre organisation, à notre taille. Il n'est pas interdit de penser que si nous captons, comme nous l'espérons, des trafics de fruits de l'hémisphère sud, il faille un jour étendre la capacité de nos hangars frigorifiques ou que, si la fusion de P&O et Stena se concrétise, il faille construire un deuxième poste au terminal transmanche », commente Philippe Offerlé, directeur technique à la CCI.
Le « Saint-Tropez du Nord »
Pour rester dans le domaine maritime, l'aménagement en trois tranches du quai Henri-IV, longeant l'ancien terminal transmanche du centre-ville, s'achèvera en 1998. Cette opération de 19 millions de francs HT, réunissant la ville, la CCI, le Feder (Fonds européen de développement régional) et le Pôle de développement touristique, avec la Semad (SEM d'aménagement de la région dieppoise) comme aménageur pour la partie terrestre, a d'ores et déjà permis, grâce à la stricte observation de cahiers des charges draconiens (obligation de ravalement de façade, par exemple), de transfigurer totalement ce quartier historique. Au point que certains parlent déjà de « Saint-Tropez du Nord » !
Témoin de l'exemplarité de cet aménagement, une charte de place portuaire sera signée à la rentrée. « Réunissant la ville, la CCI et la DDE, cette charte répartit les domaines d'intervention sur les espaces portuaires et définit des objectifs communs de développement et d'harmonisation des stratégies pour une meilleure gestion des problématiques ville/port, en termes d'aménagement et de promotion », explique Gérard Jacqueline, premier adjoint au maire et président de la Semad.
Dans tous les autres domaines, Dieppe bouge. Au niveau logement, l'Opah (opération programmée d'amélioration de l'habitat) centre-ville, lancée fin 1995 - la troisième à Dieppe -, monte en puissance, à tel point qu'elle devrait être prolongée d'un an en septembre.
La promotion immobilière privée, qui végétait au rythme de 30 logements par an, s'emballe. Près de 150 logements en accession ou locatifs sont programmés d'ici à 1999. Seul le logement social neuf semble à la traîne malgré une demande évaluée à environ 700 personnes par Logineuf, le principal bailleur dieppois. Il faut dire qu'aucun prêt locatif aidé (PLA) n'a été attribué à Dieppe au cours de la période 1996-1997.
Le centre hospitalier général achève, de son côté, un vaste programme de rénovation-restructuration de 260 millions, entamé au début des années 90. Seule reste à réaliser la deuxième tranche d'une deuxième phase relative au nouveau plateau technique.
Objectif : Dieppe-Sud
Enfin, sur le terrain des grands projets d'urbanisme, l'opération baptisée « Dieppe-Sud », censée selon le député-maire « redonner du souffle à la ville », commence à prendre corps. Sur cette friche industrialo-portuaire de 25 ha située derrière la gare SNCF, s'est déjà installé, dans la partie septentrionale, un pôle de service à l'emploi comprenant ANPE (Agence nationale pour l'emploi), PAIO (permanence d'accueil, d'information et d'orientation), centre de tri postal et Médecine du travail. La Caisse primaire d'assurance maladie, pour laquelle le permis de construire a été délivré, et les Assedic devraient suivre. En bordure de cette zone, la grande artère routière, rebaptisée « Normandie-Sussex », a déjà fait le plein, ou presque, de concessionnaires automobiles ces dernières années, tous contraints de respecter certains impératifs de construction.
« Après une étude des stratégies menée parallèlement à la révision du plan d'occupation des sols (janvier 1996), ce quartier fait actuellement l'objet d'une étude d'aménagement urbain et paysager, subventionnée par le Feder Objectif 2. Cette étude s'achèvera fin 1997 et permettra de passer à la phase opérationnelle des investissements en travaux sur le secteur, les investissements en réserve foncière étant déjà en cours depuis plusieurs années », indique Laurent Gaillard, directeur du service urbanisme et aménagement à la ville. Le programme d'investissements en travaux publics sur ce secteur est de l'ordre de 20 millions de francs sur cinq ans. La reconstruction d'un lycée sur des terrains libérés par la SNCF y est envisagée par le conseil régional (120 millions de francs TTC), de même qu'un programme de logements mixtes sur les terrains d'une ancienne huilerie.
Politique de la ville volontariste
Si l'on ajoute les importants, et urgentissimes, programmes de rénovation des églises Saint-Jacques et Saint-Rémy (18 millions de francs ont été débloqués en juillet par le ministère de la Culture), ou encore les projets plus aléatoires de départements d'IUT, de nouvelle caserne des pompiers ou encore d'agrandissement du tribunal de grande instance, Dieppe confirme son ambition de devenir le pôle d'équilibre multifonction du nord de la Seine-Maritime.
D'autant que, parallèlement, une politique de la ville volontariste se poursuit malgré les aléas liés aux différents changements de gouvernement que Christian Cuvilliez dénonce volontiers. En septembre prochain seront notamment lancés les appels d'offres pour la construction du Drakkar (18 millions de francs TTC), un équipement socioculturel de proximité dans le quartier de Neuville-Nord.
Mais, dans un contexte économique qui n'a pas épargné la cité de Jean-Ango - le taux de chômage est de 17 % -, le principal obstacle à un renouveau plus franc reste une intercommunalité que seule symbolise pour l'heure la Semad à travers des aménagements impliquant la ville, trois autres communes et la CCI.
A l'automne dernier encore, lors de l'inauguration de la nouvelle station d'épuration (94 millions de francs TTC), Christian Cuvilliez imaginait de créer autour de cet équipement ultramoderne un « pôle environnemental de l'agglomération ». On n'en est pas encore là.
PHOTO : Christian Cuvilliez, maire de Dieppe, se veut l'apôtre d'une intercommunalité qu'il a bien du mal à imposer localement.
Les grands chantiersEn cours :
- élargissement de l'écluse du bassin de commerce ;
- deuxième phase du réaménagement du quai Henri-IV (photo ci-dessus) ;
- rénovation des églises Saint-Rémy et Saint-Jacques ;
- restructuration du collège Delvincourt (livraison fin 1997).
A l'horizon 1998-1999 :
- fin de la rénovation-restructuration du centre hospitalier général ;
- construction du « Drakkar » (18 millions de francs TTC) ;
- réaménagement du quai Henri-IV (troisième phase) ;
- construction d'un centre de formation des apprentis du bâtiment et des travaux publics sur le parc d'activités Eurochannel ;
- Poursuite du programme Dieppe-Sud.
En projet :
- nouvelle usine de traitement des ordures ménagères ;
- reconstruction du Lycée de la mécanique (Dieppe-Sud) ;
- extension du tribunal de grande instance ;
- construction d'une nouvelle caserne des pompiers ;
- création de départements d'IUT.
Un centre commercial + une friche = un pôle commercial ?Dans le domaine commercial, la livraison du centre du Belvédère en septembre 1995 (100 millions de francs) se révèle un franc succès.
Autour de l'hypermarché Mammouth et de Castorama, les nouveaux arrivants se sont succédé ces derniers mois (Halle aux chaussures, Halle aux vêtements, bowling). D'autres se préparent (Mc Donald's), et des dossiers sont déposés en commission départementale d'équipement commercial (Joué Club, Saint-Maclou). Ne reste plus que 3 ha disponibles pour lesquels un groupe financier et Auchan semblent sur les rangs.
Parallèlement, l'ancien centre du Val-Druel, désaffecté depuis ce court transfert-extension, renaît à la vie. Décathlon et Norauto ont rouvert en juillet, et cette « néofriche » pourrait à terme être reliée à la ZAC du Belvédère pour ne constituer qu'un seul et même pôle commercial. Au plan industriel, le parc d'activités Eurochannel, né il y a cinq ans sur la commune de Martin-Eglise, a été labellisé « d'intérêt régional » à l'automne dernier. Toshiba Systems France ne cesse d'y investir (création d'un centre européen pour la logistique cette année), et de nombreuses PME, satellites du géant japonais ou appartenant au secteur automobile, s'y installent après, parfois, un séjour transitoire dans des structures d'accueil (hôtel d'entreprises, pépinière ou atelier relais).
A noter que, sur ce parc, la construction d'un centre de formation des apprentis du BTP de 6 000 m2 devrait être lancée dans les deux ans à venir : « Il ne reste plus beaucoup de foncier libre, mais nous disposons d'une réserve d'un hectare de terrains vierges à viabiliser », note Gérard Jacqueline.
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