Contrôle du juge sur les conditions d'attribution des marchés publics
AVIS DU CONSEIL D'ETAT DU 8 NOVEMBRE 2000- « SOCIETE JEAN-LOUIS BERNARD CONSULTANTS- DISTRICT DE L'AGGLOMERATION DIJONNAISE » - N ° 222208
Vu la requête, enregistrée le 23 juin 2000 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le jugement du 18 avril 2000 par lequel le tribunal administratif de Dijon, avant de statuer sur la demande de la société Jean-Louis Bernard Consultants tendant à ce que soit annulée, d'une part, la décision du 4 décembre 1998 du président du District de l'agglomération dijonnaise rejetant son offre pour l'attribution du marché relatif au renouvellement du système d'information géographique du district, d'autre part, la décision du président du District de l'agglomération dijonnaise attribuant ledit marché à l'Institut géographique national et condamne le District de l'agglomération dijonnaise à lui verser la somme de 15 000 F au titre de l'article L. 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, a décidé, par application des dispositions de l'article 12 de la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 portant réforme du contentieux administratif de transmettre le dossier de cette demande au Conseil d'Etat, en soumettant à son examen la question suivante :
Le principe de liberté de la concurrence qui découle de l'ordonnance du 1er décembre 1986 fait-il obstacle à ce qu'un marché soit attribué à un établissement public administratif qui, du fait de son statut, n'est pas soumis aux mêmes obligations fiscales et sociales que ses concurrents ?
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des marchés publics ;
Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 ;
Vu le code général des impôts ;
Vu la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987, et notamment son article 12 ;
Vu les articles 57-11 à 57-13 ajoutés au décret n° 63-766 du 30 juillet 1963 modifié par le décret n° 88-905 du 2 septembre 1988 ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Rend l'avis suivant :
1°) Aucun texte ni aucun principe n'interdit, en raison de sa nature, à une personne publique, de se porter candidate à l'attribution d'un marché public ou d'un contrat de délégation de service public. Aussi la personne qui envisage de conclure un contrat dont la passation est soumise à des obligations de publicité et de mise en concurrence, ne peut elle refuser par principe d'admettre à concourir une personne publique.
2°) Aux termes de l'article 1654 du code général des impôts : "Les établissements publics, les exploitations industrielles ou commerciales de l'Etat ou des collectivités locales, les entreprises concessionnaires ou subventionnées, les entreprises bénéficiant de statuts, de privilèges, d'avances directes ou indirectes ou de garanties accordées par l'Etat ou les collectivités locales, les entreprises dans lesquelles l'Etat ou les collectivités locales ont des participations, les organismes ou groupements de répartition, de distribution ou de coordination, créés sur l'ordre ou avec le concours ou sous le contrôle de l'Etat ou des collectivités locales doivent
- sous réserve des dispositions des articles 133, 207, 208, 1040, 1382, 1394 et 1449 à 1463
- acquitter, dans les conditions de droit commun, les impôts et taxes de toute nature auxquels seraient assujetties des entreprises privées effectuant les mêmes opérations".
Il résulte de ces dispositions ainsi que de celles de l'article 256 B du code général des impôts que les établissements publics, lorsqu'ils exercent une activité susceptible d'entrer en concurrence avec celle d'entreprises privées, et notamment lorsqu'ils l'exercent en exécution d'un contrat dont la passation était soumise à des obligations de publicité et de mise en concurrence, sont tenus à des obligations fiscales comparables à celles auxquelles sont soumises ces entreprises privées. Le régime fiscal applicable aux personnes publiques n'est donc pas, par lui-même, de nature à fausser les conditions dans lesquelles s'exerce la concurrence.
3°) Les agents des établissements publics administratifs qui, lorsqu'ils sont, comme c'est le cas en principe, des agents publics, sont soumis, en ce qui concerne le droit du travail et de la sécurité sociale, à une législation pour partie différente de celle applicable aux salariés de droit privé. Toutefois les différences qui existent en cette matière n'ont ni pour objet ni pour effet de placer les établissements publics administratifs dans une situation nécessairement plus avantageuse que celle dans laquelle se trouvent les entreprises privées et ne sont donc pas de nature à fausser la concurrence entre ces établissements et ces entreprises lors de l'obtention d'un marché public ou d'une délégation de service public.
4°) Pour que soient respectés tant les exigences de l'égal accès aux marchés publics que le principe de liberté de la concurrence qui découle notamment de l'ordonnance du 1er décembre 1986, l'attribution d'un marché public ou d'une délégation de service public à un établissement administratif suppose, d'une part, que le prix proposé par cet établissement public administratif soit déterminé en prenant en compte l'ensemble des coûts directs et indirects concourant à la formation du prix de la prestation objet du contrat, d'autre part, que cet établissement public n'ait pas bénéficié, pour déterminer le prix qu'il a proposé, d'un avantage découlant des ressources ou des moyens qui lui sont attribués au titre de sa mission de service public et enfin qu'il puisse, si nécessaire, en justifier par ses documents comptables ou tout autre moyen d'information approprié.
Le présent avis sera notifié au tribunal administratif de Dijon, à la société Jean-Louis Bernard Consultants, au District de l'agglomération dijonnaise et à l'Institut géographique national.
Il sera également publié au Journal officiel de la République française.
COMMENTAIRE MONITEUR DU 1ER DECEMBRE 2000, PAGE 103
Les établissements publics administratifs (EPA) sont aujourd'hui attributaires de nombreux marchés publics et délégations de service public (DSP). La question a été posée au Conseil d'Etat de savoir si une telle situation n'était pas contraire au principe de libre concurrence qui découle, notamment, de l'ordonnance du 1er décembre 1986.
QUESTION A quelles conditions l'attribution d'un marché ou d'une DSP à un établissement public administratif est-elle compatible avec ce principe ?
REPONSE Le juge doit vérifier - pour le respect du principe de libre concurrence - que le prix proposé par l'EPA est déterminé en prenant en compte l'ensemble des coûts directs et indirects concourant à la formation du prix qu'il a proposé ; que cet établissement n'a pas bénéficié d'un avantage découlant des ressources ou des moyens qui lui sont attribués au titre de sa mission de service public ; et, enfin, qu'il peut - si nécessaire - en justifier par ses documents comptables ou tout autre moyen d'information approprié.
COMMENTAIRE Cette décision, très intéressante, précise utilement, sur un certain nombre de points, l'arrêt rendu par le Conseil d'Etat le 16 octobre 2000, " Compagnie méditerranéenne d'exploitation des services d'eau ", n° 212054 (" Le Moniteur " du 3 novembre 2000, p. 101), en ce qui concerne les opérations auxquelles doit se livrer le juge pour contrôler si l'établissement public ne bénéficie pas d'un avantage concurrentiel indu.
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