Contestation de validité du marché par l’entreprise titulaire
décision N° 0606836 du 7 mai 2009 Tribunal administratif de Cergy-pontoise Société Sorema
Vu la requête, enregistrée le 26 juillet 2006, présentée pour la Société Sorema, dont le siège est Hameau de Fontaine Pépin à Jouy le Chatel (77970), par Me Richer ;
La Société Sorema
demande au tribunal :
1°) de constater la nullité du contrat conclu entre la commune de Sevran et le groupement Sorema/ Ser Vent Elec/ Temporal ;
2°) de condamner la commune de Sevran à lui verser la somme de 542.209,17 euros au titre du préjudice subi ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Sevran la somme de 5.000 euros en application des dispositions de l’
Elle soutient :
– que la procédure de passation du marché conclu est contraire à l’
– que l’avis d’appel public à la concurrence ne comporte pas l’indication de l’accord sur les marchés publics ;
– qu’en conséquence de la nullité du contrat, elle doit être indemnisée de l’ensemble des frais engagés afin de procéder à l’extension de l’école qui bénéficie à la commune ; qu’elle est fondée à demander le remboursement des frais qui ont été utiles à la commune ; qu’en outre, elle est fondée à demander la réparation du dommage causé par la faute de la commune ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 4 octobre 2007, présenté pour la commune de Sevran, représentée par son maire en exercice, Hôtel de Ville, 5 rue Roger-le-Maner à Sevran (93270), par Me Catala ;
La commune de Sevran demande au tribunal :
1°) de nommer, avant dire droit, un expert qui aura, notamment, pour mission d'apprécier la réalité des difficultés techniques alléguées par la société Sorema, d'apprécier, si l'existence des difficultés et/ou désordres est établie, les responsabilités encourues et les préjudices subis, d'indiquer et d'évaluer le coût des travaux nécessaires et chiffrer, le cas échéant, le coût de leur remise en état, d'apprécier la réalité et l'étendue du préjudice subi par la ville ;
2°) de débouter la société requérante de l'ensemble de ses demandes ;
3°) de condamner la société à lui verser la somme de 244.936, 07 euros TTC, à parfaire, en réparation du préjudice financier subi ;
4°) de condamner la requérante à prendre en charge l'intégralité des traitements versés à l'ATSEM engagé depuis le 5 février 2005 ;
5°) de condamner la société Sorema à lui verser une somme de 5.000 euros en application de l'
6°) de réserver les dépens ;
Elle soutient :
– que les travaux sont inachevés ce qui pose de réelles questions de sécurité ; qu'il y a urgence à réaliser certains travaux indispensables ; qu'elle entend ainsi réaliser, à ses frais avancés, au fur et à mesure des constatations, les travaux nécessaires à la sécurité des personnes ;
– que la société soulève tardivement, alors que des retards et manquements lui sont reprochés, la nullité du contrat ;
– que la société ne démontre pas que la commune n'aurait pas pondéré les critères de sélection des offres ;
– que l'exigence la plus importante du code des marchés publics réside dans le choix de l'offre économiquement la plus avantageuse ; que s'agissant de la mise en place des règles de pondération des critères de sélection des offres, il convient de rappeler que cette obligation de pondération est issue de la directive communautaire du 31 mars 2004 dont la transposition n'a eu lieu que le 31 janvier 2006 ;
– que les conclusions de la société ne sauraient se fonder sur la responsabilité contractuelle compte tenu du caractère rétroactif de la nullité ; que seules peuvent être invoquées la responsabilité quasi-contractuelle fondée sur la théorie de l'enrichissement sans cause et la responsabilité quasi-délictuelle fondée sur la faute de l'administration ;
– que l'action en répétition de l'indu ne créé aucun droit à une réparation complète pour le titulaire du marché lorsque la nullité du marché a été constatée ; que cette action vise simplement à ce que l'administration reverse les sommes dont elle s'est enrichie ;
– que l'enrichissement dans cause reste subordonné à la réunion de plusieurs conditions qui ne le sont pas en l'espèce ;
– que la société n'apporte pas davantage la preuve d'une faute de la commune ;
– que ce n'est que parce que la société ne pouvait plus faire face à l'exécution du marché qu'elle a introduit la présente instance ; qu'elle est en difficulté tant sur le plan technique que sur le plan financier ;
– qu'à titre reconventionnel, elle sollicite la réparation des différents préjudices subis du fait des manquements de la Société Sorema ; qu'elle subi un important préjudice financier ; qu'elle a du par ailleurs embaucher un Agent territorial Spécialisé des Ecoles maternelles depuis le 5 février 2005 en raison de la nécessité d'une surveillance accrue des enfants pendant la durée des travaux ;
Vu le mémoire, enregistré le 14 décembre 2007, présenté pour la Société Sorema dont le siège est Hameau de Fontaine Pépin à Jouy le Chatel (77970), par Me Richer ;
La Société Sorema conclut aux mêmes fins par les mêmes moyens ;
Elle soutient en outre :
– que les critères auraient dû être pondérés conformément au code des marchés publics dans sa version issue du décret du 7 janvier 2004 ; que la jurisprudence administrative exige la pondération des critères ;
– que l’avis d’appel public à la concurrence ne comporte pas la mention relative à la date limite de réception des candidatures mention rendue obligatoire par l’arrêté du 30 janvier 2004 ;
– que la nullité du contrat impose la restitution des choses en l’état ; que l’ensemble des prestations effectuées doit être restitué dans son intégralité puisque le contrat est rétroactivement anéanti ;
– qu’il est incontestable que les travaux d’extension d’une école, effectués dans un but d’intérêt général, bénéficient à la commune de Sevran ; que les frais engagés par la société afin de procéder à l’extension de l’école correspondent bien aux sommes qui ont été utiles à la commune ;
– que les manquements aux règles de passation des marchés publics commis par la commune ont été démontrés ; que les règles relatives à la publicité dans la passation des marchés publics sont des dispositions d’ordre public ; que toute illégalité commise dans le cadre de la procédure de passation doit être regardée comme une faute de nature à engager la responsabilité de la personne publique ;
– que l’enrichissement sans cause et la responsabilité délictuelle sont deux causes juridiques distinctes ; que le cocontractant dont le contrat est nul a droit au remboursement des dépenses qui ont été utiles mais également, en cas de faute de l’administration contractante, droit à réparation du dommage résultant de cette faute ;
– que l’argumentation relative à l’éventuelle inexécution du marché par la Société Sorema est inopérante ; que la commune ne saurait se prévaloir des stipulations d’un contrat nul et, a fortiori, invoquer la méconnaissance de ses stipulations ;
Vu le code des marchés publics ;
Vu le code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 5 mars 2009 ;
– le rapport de Mme Lepetit-Collin, rapporteur ;
– et les observations de Me Carus du Cabinet Catala-Thevenet représentant la Commune de Sevran ;
– les conclusions de Mme Seulin, rapporteur public, les parties ayant été mises à même de répondre aux dites conclusions ;
Considérant qu’en octobre 2004, la commune de Sevran et la Société Sorema, mandataire d’un groupement d’entreprises, ont conclu un marché de travaux portant sur l’extension de l’école maternelle Jean Perrin et impliquant notamment la construction de plusieurs classes ; que le marché a été signé le 7 décembre 2004 ; que toutefois, dès le début du mois de mars 2005, des difficultés d’exécution du contrat ont opposé les parties ; que tandis que la commune de Sevran se plaignait, notamment, de retards dans l’exécution de ce dernier, la Société Sorema sollicitait l’émission d’ordres de services de la part de la commune afin de régulariser l’exécution de prestations supplémentaires ; que les parties ont alors envisagé un règlement amiable de leur litige dans le cadre duquel la commune de Sevran a proposé à la Société Sorema le paiement d’une somme de 30.000 euros accompagnée d’une prolongation des délais d’exécution des travaux ; que si la Société Sorema a accepté cette proposition par courrier du 23 juin 2005, les difficultés d’exécution du chantier se sont ensuite poursuivies avant que la Société Sorema n’abandonne définitivement l’exécution de ce dernier en juillet 2005 ; que la résiliation du contrat n’ayant toutefois jamais été prononcée, par la présente requête, la Société Sorema demande au juge du contrat de constater la nullité du marché ainsi que de l’indemniser des dépenses qu’elle dit avoir utilement exposées au profit de la commune de Sevran dans le cadre de l’exécution du contrat litigieux ;
Sur la nullité du contrat de marché conclu entre les parties :
Considérant qu’à l’appui de son action en nullité, la Société Sorema se prévaut de deux irrégularités ayant, selon elle, entaché d’illégalité la procédure de passation du contrat litigieux ; que la société soutient ainsi que les critères de sélection des offres n’ont pas été pondérés par la personne publique dans l’avis d’appel public à la concurrence et que ce même avis ne comportait pas l’indication de l’accord sur les marchés publics ;
Mais considérant que sauf manquement majeur aux obligations de mise en concurrence, le cocontractant ne saurait, pour obtenir la nullité d'un contrat et tenter d'échapper à ses obligations contractuelles, se prévaloir de l'irrégularité d'un acte détachable préalable dont la validité n'a été contestée ni avant la signature du contrat ni dans les deux mois du délai de recours pour excès de pouvoir et dont en outre, il n'est ni allégué ni établi qu'elle ait pu léser ses intérêts ;
Considérant que la présente action en nullité n'a été introduite qu'en juillet 2006 alors que le marché a été signé en décembre 2004 et a donné lieu à des difficultés d'exécution dés mars 2005 ; que les deux irrégularités invoquées, qui se rapportent à des actes préalables à la signature du contrat, ne peuvent être regardées comme des manquements majeurs susceptibles d'être invoqués à tout moment devant le juge du contrat par le cocontractant de l’administration aux fins d'obtenir la nullité de ce dernier ; que par suite, la demande de la Société Sorema ne peut qu'être rejetée ;
Sur les conclusions indemnitaires de la Société Sorema:
Considérant que le cocontractant de l'administration dont le contrat est entaché de nullité est fondé à réclamer, en tout état de cause, le remboursement de celles de ses dépenses qui ont été utiles à la collectivité envers laquelle il s'était engagé ; que dans le cas où la nullité du contrat résulte d'une faute de l'administration, il peut en outre prétendre à la réparation du dommage imputable à cette faute et le cas échéant, demander à ce titre, le paiement du bénéfice dont il a été privé par la nullité du contrat si toutefois le remboursement à l'entreprise de ses dépenses utiles ne lui assure pas une rémunération supérieure à celle que l'exécution du contrat lui aurait procurée ;
Mais considérant que si la Société Sorema demande que la commune de Sevran soit condamnée à lui verser la somme de 420.357,16 euros HT au titre des factures qu’elle a été amenée à régler dans le cadre de l’exécution des prestations contractuelles ainsi que la somme de 121.852,11 euros HT au titre des frais engagés pour la gestion par son personnel de ce dossier, il résulte de ce qui précède, en l’absence de nullité du contrat, que ces demandes, introduites sur le fondement juridique de l’enrichissement sans cause, ne peuvent qu’être rejetées ;
Sur les conclusions reconventionnelles de la commune de Sevran :
Considérant qu’à titre reconventionnel, la commune de Sevran demande, en outre, au tribunal de condamner la Société Sorema à lui verser la somme de 244.936, 07 euros TTC, à parfaire, en réparation du préjudice financier qu’elle estime avoir subi et qu’elle impute aux différents manquements de la Société Sorema à ses obligations contractuelles ;
Mais considérant qu’en l’état actuel des pièces versées aux débats, le tribunal ne dispose pas des éléments d’information suffisants pour statuer sur l’éventuelle responsabilité contractuelle de la Société Sorema, non plus que sur l’étendue du préjudice financier allégué par la commune de Sevran ; que, par suite, il y a lieu d’ordonner une expertise afin, notamment, d’évaluer les responsabilités encourues et les préjudices allégués et de surseoir à statuer sur les conclusions reconventionnelles de la commune de Sevran ;
Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’
Considérant qu’aux termes de l’
Considérant qu’il y a lieu de réserver les demandes formées à ce titre par la Société Sorema et la commune de Sevran tant qu’un jugement sur le fond n’a pas déterminé qui, dans l’instance en cours, sera la partie tenue aux dépens ou la partie perdante qui, aux termes de l’
décide :
Article 1er : Il sera procédé, avant de statuer sur la requête n° 0606836, à une expertise par un expert désigné par le président du tribunal administratif.
Article 2 : L’expert sera désigné par le président du tribunal. Il accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles
Article 3 : Il aura pour mission :
– de se rendre sur les lieux : école maternelle Jean Perrin à Sevran ;
– d’entendre les parties et de prendre connaissance de toutes pièces et documents contractuels et techniques utiles pour l’accomplissement de sa mission ;
– de décrire les lieux dans leur état actuel, soit de faire un état des lieux du chantier précisant tout à la fois, au regard des termes du contrat, les travaux réalisés et les prestations inachevées ;
– de décrire et d’apprécier la réalité des difficultés d’exécution alléguées par la Société Sorema ; de dire si, par son attitude, la commune de Sevran a été à l’origine ou a contribué à aggraver ces difficultés ;
– de décrire et d’apprécier la réalité et l’étendue du préjudice allégué par la commune de Sevran ; d’apprécier, le cas échéant, la responsabilité de la Société Sorema dans la réalisation de ce préjudice ;
– de chiffrer, le cas échéant, les préjudices subis par chacune des deux parties au contrat et, notamment :
– le coût des dépenses utiles prétendument exposées par la Société Sorema au titre d’un début d’exécution du chantier ;
– le coût des travaux nécessités par une éventuelle remise en état et achèvement du chantier ;
– le coût engendré, pour la commune de Sevran, par l’arrêt du chantier depuis 2005 ;
– de concilier, si faire se peut, les parties ;
L’expert disposera, dans l’exercice de sa mission des pouvoirs d’investigation les plus étendus. Il pourra entendre tout sachant, s’appuyer sur tous documents et renseignements, faire toutes constatations ou vérifications propres à faciliter l’accomplissement de sa mission et éclairer le tribunal. Il est enjoint aux parties, dans le délai de huit jours à compter de la demande qui leur en sera faite par lettre recommandée avec avis de réception par l’expert, de fournir toutes les pièces qu’elles pourraient détenir et dont la production s’avérerait nécessaire à l’accomplissement de la mission ici définie.
Article 5 : L’expert déposera son rapport dans un délai de six mois à compter de sa désignation.
Article 6 : Tous droits et moyens des parties sur lesquels il n’est pas expressément statué par le présent jugement sont réservés jusqu’en fin d’instance, y compris la charge définitive des dépens.
Article 7 : Le présent jugement sera notifié à la Société Sorema et à la commune de Sevran.
plus d’information
Dans la partie magazine de ce numéro du MONITEUR
Analyse page 70
COMMENTAIREDans cette décision du 7 mai 2009, le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rappelé que le titulaire d’un marché ne peut invoquer des irrégularités pour demander son annulation. Il doit d’abord démontrer qu’il y a eu des manquements majeurs lors de la procédure de passation.
Le juge a déclaré « que sauf manquement majeur aux obligations de mise en concurrence le cocontractant ne saurait, pour obtenir la nullité d’un contrat et tenter d’échapper à ses obligations contractuelles, se prévaloir de l’irrégularité d’un acte détachable préalable dont la validité n’a été contestée ni avant la signature du contrat, ni dans les deux mois du délai de recours pour excès de pouvoir et dont en outre, il n’est ni allégué, ni établi qu’elle ait pu léser ses intérêts ».