"Construire des passerelles entre l'architecture et les architectes"
Michel Bourdeau, architecte et urbaniste, réagit au point de vue de son confrère Dominique Tessier intitulé "Comment motiver la demande d'architecture ?". Pour lui, l'architecture et les architectes sont deux mondes bien distincts qu'il faut rassembler.
Michel Bourdeau, architecte et urbaniste
Cher Dominique, cher confrère, cher ami. Tu souhaites motiver la "demande d'architecture" et palier le "déficit d'architecture" en France. Louable et noble intention ! Mais aussi vieille lune, antienne lancinante, psaume répété que les quinquas entendent et chantent depuis plus de 3 décennies.
Nos aînés se sont moins gênés... ils sont et vont là où la demande est. Je crois pourtant qu'il est bon de rappeler que l'architecture et les architectes sont deux mondes bien distincts : d'un côté une discipline, un corpus, une histoire, un métier, des conventions ; de l'autre une corporation, un corps social, un Ordre perdu au milieu des désordres du monde.
Construire des passerelles, si possible tendues et vertigineuses entre les deux ? Oui, mais à la condition de préciser quelques faits et de pointer plusieurs anachronismes :
1/ La construction
Il n'est ni nécessaire ni bon de dissocier Construction et Architecture. Si un entrepreneur n'est rien sans plans d'architecte, n'oublions pas que les plus belles architectures de papier n'attendent souvent que le bon vouloir d'un entrepreneur enthousiaste.
L'Ordre ne doit ni entretenir ni exacerber cette opposition absurde.
2/ Les BET
Depuis la première loi sur l'ingénierie de 1973 censée réglementer et codifier la répartition des responsabilités entre Ingénieurs et Architectes, les BET ne dessinent plus, imaginent rarement, consacrent leur énergie aux pièces écrites et aux actes d'engagement.
L'Ordre ne s'est jamais prononcé sur cette démission des ingénieurs jadis créatifs (Bienvenue,
Freyssinet, Prouvé,...).
3/ Les entreprises de bâtiment, les ouvriers, les compagnons
Nos véritables alliés sont les entreprises de bâtiment et leurs savoir-faire. Les ouvriers, des moins au plus qualifiés, sont le sel du projet et la vie du chantier. La french-touch des compagnons, trésor envié dans le monde, disparaîtra si les architectes ne la défende pas mieux.
4/ Les écoles
Des lieux où survivent sous perfusion et assistance beaucoup d'architectes qui n'ont jamais bâti. Un rassemblement d'intermittents permanents...Creuset des plus grands praticiens de l'après 68, les écoles sont devenues les boudoirs sadiens d'une profession paupérisée dans une langueur masochiste. Un seul chiffre : moins d'un quart des titulaires chargés d'enseigner le projet connaissent l'art de bâtir, font l'effort du chantier et savent comment transmettre les savoirs d'une pratique.
5/ Dématérialisation et concours
Notre activité est assimilée à une prestation, banale, abstraite. Bruxelles nous affuble de codes, de cadres réglementaires désincarnés et anonymes. L'actuelle dématérialisation des marchés publics nous fera peut-être économiser pas mal de papier. Mais ce processus sans corps ni tête rognera un peu plus nos prérogatives et notre statut social face à des maîtres d'ouvrages fantomatiques.
6/ Honoraires
Sauf pour de rares opérations prestigieuses et avec des maîtres d'ouvrages sérieux notre part d'honoraires se réduit à peau de chagrin. La globalisation économique et l'ouverture à la concurrence ouvertement affichée nous pousse irrémédiablement sous le seuil des 4%. D'autres ordres professionnels (Espagne, Grande-Bretagne, Allemagne, Belgique, Suisse,...) sont outillés pour défendre les finances de l'architecte. Pourquoi pas nous ?
7/ L'architecture en France
Franchement, par rapport à la part du construit qu'ils contrôlent dans l'hexagone (moins de 40%), les architectes se la jouent un peu trop. S'ils aiment véritablement leur métier et s'ils s'estiment toujours dépositaires et responsables de leur discipline, ici et maintenant, qu'ils cessent de croire être internationaux et exotiques car sur ce terrain là les anglo-saxons nous domineront toujours...Dans l'immédiat nous avons beaucoup à faire : restaurer le patrimoine immobilier de l'après-guerre, nous investir dans les PPP, maîtriser les processus de Conception/Construction, travailler sur les projets urbains les plus ingrats,...Dessiner, dessiner, dessiner...mais avec sérieux, humilité et générosité.
"Construire des passerelles entre l'architecture et les architectes"
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