Comment valoriser les idées des salariés
Sur le terrain comme dans les bureaux, les salariés sont une mine d'astuces et d'innovations, source de gains de productivité ou de meilleure sécurité sur les chantiers. Par le biais de concours, boîtes à idées et séances de créativité, les entreprises cherchent à les développer.
MATTHIEU SCHERRER
Un mât, un jeu de tringles, de cordes et de poulies, et voici de quoi percer des plafonds sans recourir à la location d'une coûteuse nacelle. Ailleurs, c'est une rampe en aluminium qu'on installe à l'arrière des camionnettes pour faciliter la mise en oeuvre de lourdes pilonneuses.
Chaque chantier représente un défi différent. Adaptation et créativité sont des qualités indispensables aux opérationnels. Et souvent naissent des initiatives qui, parce qu'elles font gagner du temps, permettent des économies ou améliorent la sécurité, méritent d'être systématisées. Le personnel administratif n'est pas en reste. Ici c'est une secrétaire qui met au point un programme de gestion des bulletins de vacances des cadres, là un commercial qui améliore la présentation des dossiers de candidature.
Diffuser les bonnes pratiques permet la rentabilité
La créativité n'est pas l'apanage du seul service « recherche et développement ». Pour être compétitive, une entreprise doit s'appuyer sur l'inventivité de tous ses collaborateurs. Lorsque les effectifs dépassent 150 personnes, ou que les sites de travail sont éclatés, la communication ne peut plus se faire directement. Il devient alors nécessaire de mettre en place des outils permettant au personnel de s'exprimer.
Pédagogie et - le cas échéant - motivation pécuniaire incitent chacun à contribuer aux concours ou boîtes à idées, à remplir des fiches dédiées ou à intervenir lors des réunions. Il faut ensuite organiser la remontée et le traitement de l'information. Diffuser les bonnes pratiques permet la rentabilité. La rentabilité permet de mieux innover. Il y a là l'amorce d'un cercle vertueux.
CONCOURS «Les concours valorisent la créativité à tous les échelons»Cinquante mille francs. Chez Groupe GTM comme chez Spie, c'est le montant du premier prix des concours de l'innovation organisés en interne. Ces compétitions sont ouvertes à tous, individuellement ou par équipe, quelle que soit la fonction occupée. « Nous récompensons les trouvailles, mais également les adaptations de produits ou de savoir-faire déjà existants », révèle Jean Weiss, directeur technique bâtiment chez GTM Construction. Le concours, organisé tous les deux ans, en est à sa quatrième édition. C'est un succès : le nombre de candidatures double chaque année, avec un plafond prévu à 500 environ. « Une partie de notre travail consiste à mobiliser les troupes et les aider à clarifier et à mettre en forme leurs idées. Pour postuler, il faut constituer un petit dossier, qui justifie les avantages en matière de coût, de sécurité ou de qualité. Plus il est clair au départ, et plus il sera simple à réutiliser ensuite », résume-t-il. Le jury récompense l'originalité, l'intérêt économique et le mérite personnel. Il remet les trophées lors d'une grande soirée de gala. Les simples astuces ne sont pas éclipsées par les inventions technologiques. GTM a ainsi primé une technique de réservation des planchers en béton cellulaire, plus propre et pratique que le traditionnel polystyrène. Chez Spie, c'est un carquois destiné à transporter les tubes néons dans les endroits difficiles qui a été élu « coup de coeur » en 1998. « Je collecte les projets pour l'édition 2000. Leur qualité est en progrès depuis trois ans, estime Guy Cressent, secrétaire du concours Spie. L'argent n'est pas le premier moteur des participants. Les gagnants voient en effet leur nom et leur idée publiés dans une plaquette largement diffusée. » Les sommes versées permettent surtout aux équipes d'approfondir et de perfectionner leur découverte. Le but est d'amorcer un cercle vertueux : d'année en année, les projets s'affinent, se complètent. Une idée simple peut ainsi aboutir au dépôt d'un brevet ou même à la création d'une nouvelle entreprise.
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BOITE A IDEES «Une boîte à idées primée pour impliquer le personnel»« Notre but est de permettre à tous de s'exprimer sur les sujets qui leur tiennent à coeur », indique Vincent Chastagnol, le directeur du service projets de la Stéreau (construction d'ouvrages liés au cycle de l'eau, filiale de la Saur, 150 personnes environ, à Louveciennes, Yvelines). Depuis décembre 1999, il est donc possible de soumettre des suggestions par le biais d'une rubrique de l'intranet maison. Cette « boîte à idées » doit développer l'initiative et la créativité des collaborateurs. Le système est ouvert à tout membre de l'entreprise, comité de direction excepté. Son champ d'application, large, inclut les conditions de travail, la qualité et la sécurité, la communication ou les coûts de production. « Les propositions non constructives ou qui n'apportent pas de solution sont exclues », souligne le cahier des charges. Un comité de pilotage se réunit chaque mois pour examiner les suggestions. « Pour être crédible, il ne faut pas les laisser traîner », estime le directeur. Celles qui sont retenues sont ensuite mises en oeuvre, et apparaissent sur un tableau de suivi. Elles sont récompensées par un bon d'achat de 100 francs. Pour les trois meilleures du trimestre, c'est un bon de 1 000 francs. La suggestion de l'année devant rapporter une prime de 10 000 francs à son auteur. Problème : ces boîtes à idées sont parfois longues à trouver leur vitesse de croisière. Dans l'entreprise Malet (filiale TP d'Eiffage, à Toulouse), la boîte papier mise en place dans les agences au début de l'année ne donne pas encore sa pleine mesure, malgré un article paru dans le journal interne. De son côté, Vincent Chastagnol reconnaît que « les premiers mois, il a fallu faire le tri parmi beaucoup de lieux communs. Jusqu'ici, nous n'avons pas reçu beaucoup d'innovations techniques, juste quelques pense-bête soulignant des économies possibles. En revanche, nous allons pouvoir approfondir des propositions de charte graphique de présentation des dossiers de candidature, ainsi que l'idée de créer une photothèque ».
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FICHES «Des fiches qualité pour ne laisser aucune question sans réponse»Toute idée, toute remarque, doit pouvoir bénéficier à l'entreprise. C'est en partant de ce postulat que la Sade, compagnie générale de travaux d'hydraulique (plus de 5 000 personnes), basée à Paris, a mis au point dans le cadre de la certification ISO 9002 un système de « fiches qualité ». Ces fiches papier sont mises à la disposition de tous les salariés depuis 1992. Il sont invités à en remplir une chaque fois qu'ils rencontrent une difficulté, trouvent une solution, ou même prennent connaissance d'une information intéressante. Ils ont ensuite l'assurance que les documents remontent la hiérarchie opérationnelle, ainsi que celle du service qualité. Une première réponse technique peut ainsi être apportée au niveau des chantiers. « Les problèmes sont souvent surmontés par le personnel sur le terrain. C'est lui qui trouve comment améliorer un mode opératoire. Puis la pratique est examinée par la boucle qualité. Elle cherche à la perfectionner, et voit si elle peut être généralisée, explique un ingénieur qualité du groupe. Exemple abouti : nous nous sommes aperçus que fixer certains groupes de soudure directement sur les camions permettait d'éviter de se les faire voler. » Tous les trois mois, les « réunions qualité » au niveau du groupe sont l'occasion d'effectuer une synthèse des initiatives. En fin de circuit, les solutions retenues pour répandre une idée font l'objet d'une information auprès de son auteur. Puis les modes opératoires sont consignés par écrit, afin que chacun puisse les consulter. « Consultation qui sera rendue encore plus facile par la mise en place prochaine de notre intranet », précise l'ingénieur. Le système de fiches responsabilise le personnel. Il sait qu'il trouvera de l'aide aussi bien pour innover que pour surmonter un obstacle. Mais, bien que certaines agences y réfléchissent, les astuces généralisées ne sont pas primées. A la Sade, on considère que réactivité et capacité d'adaptation doivent être des réflexes naturels.
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REUNION "Réfléchir à plusieurs et partager les connaissances"« Chaque mois, dans chacune de nos agences, une réunion a lieu. Elle rassemble une quinzaine de personnes, conducteurs de travaux, chefs de chantier et ouvriers, détaille Philippe Aurientis, chef du service qualité de l'entreprise Malet. Ces réunions permettent d'analyser les malfaçons, les éventuels litiges d'après-vente, de suivre les actions correctives. C'est le moment pour eux de faire part de leurs expériences et de réfléchir ensemble aux solutions à adopter. » Les comptes rendus remontent ensuite au niveau central. Les pratiques qui présentent un intérêt général sont soumises à un comité de représentants techniques qui les retravaille en vue de les répandre.
Un système comparable a été mis en place dans l'entreprise Guintoli, filiale terrassement du groupe Générale routière située à Tarascon (Bouches-du-Rhône). A l'occasion de l'élaboration des procédures de qualité, les chefs de service et le personnel concerné par une tâche précise se rencontrent et échangent les savoir-faire et les méthodologies développés sur les chantiers.
Chez Boccard (constructions métalliques), à Villeurbanne, une dizaine de groupes de travail a été constituée depuis le mois d'avril pour améliorer les principaux services de la société. Ils réfléchissent notamment aux moyens d'améliorer la paie, la facturation, la production et la sécurité. Et tiennent l'entreprise informée de l'avancement de leur réflexion au moyen de panneaux. Cette procédure, dénommée « A à Z » doit porter ses fruits en janvier 2001. Elle pourrait déboucher, entre autres, sur la création d'une centrale d'achat ou la décision d'informatiser certains services. Mais séances de créativité (brain-storming) et remontée d'informations n'ont pas forcément besoin d'être formalisées.
Dans l'entreprise d'électricité Amica, située à Puteaux, une prime est offerte en fonction des heures gagnées sur les chantiers. Les initiatives qui naissent sur le terrain sont communiquées par les chefs de chantier à leurs chargés d'affaires, qui décident ensuite de leur diffusion.
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Cinq conseils pour développer les astuces des salariésIl n'y a pas a priori de petites et de grandes idées. Pour lever les réticences naturelles du personnel à communiquer ses astuces, faites passer le message au moyen d'une campagne d'information.
Récompensez les suggestions. Il s'agit d'un encouragement : l'appât du gain ne doit pas être la motivation première de la créativité. Mais des sommes importantes peuvent servir à une équipe pour approfondir une démarche.
Mettez les meilleurs en valeur. Remise publique de prix lors d'une cérémonie, article dans le journal interne de l'entreprise... La reconnaissance par ses pairs est une récompense en soi.
Exploitez les trouvailles. Une idée qui permet de gagner du temps ou de l'argent mérite d'être creusée par les spécialistes maison afin d'être peaufinée et généralisée.
Capitalisez les connaissances. Constituez un catalogue des bonnes pratiques sur papier ou sur intranet et permettez à chacun d'y accéder facilement.