
"Comment motiver la demande d'architecture ?"
le 17/06/2010 | tessier, Architecture, Développement durable, France , International
Sommaire du dossier
- Activité fragile pour les architectes
- Lionel Dunet écrit à Jean-Louis Borloo sur les procédures de conception-réalisation
- "Annoncer que le recours à l'architecte est facteur d'un surcoût de 12 à 15 % sur le prix de la construction est mensonger"
- "Comment motiver la demande d'architecture ?"
- "Tolérance zéro", par l'Union internationale des architectes
Dominique Tessier, membre de l'association "Mouvement" des architectes et président de l'ordre régional des architectes d'Ile-de-France, s'interroge sur l'efficacité de la loi du 3 janvier 1977 qui a reconnu la création architecturale comme une mission d'intérêt public. Dénonçant une banalisation de la médiocrité dans les constructions, il évoque des pistes pour pallier le déficit d'architecture en France.
La loi du 3 janvier 1977 a reconnu la création architecturale comme une mission d'intérêt public, que l'Etat garant du droit commun préconise et défend. Cette loi est née des questions que soulevait le déficit culturel du cadre de vie produit par les Trente Glorieuses et leur approche quantitative des besoins. Trente-trois ans après sa promulgation, il est opportun de s'interroger sur son efficacité.
La responsabilité des autorités publiques sur la qualité architecturale et le respect des paysages, le recours obligatoire aux architectes à compter de 170 mètres carrés de construction (hors édifices agricoles), la création des CAUE ont été une avancée utile. Mais ils n'ont évité ni l'étalement urbain, ni le zoning monofonctionnel, ni les raccourcis en tout genre qui permettent aux constructeurs de s'affranchir de l'architecture chaque fois qu'ils n'en perçoivent pas l'intérêt. Les pouvoirs publics sont devenus plus attentifs à la qualité de leurs constructions et à la sauvegarde du patrimoine. Mais ils font preuve d'une immense mansuétude dans l'attribution des permis de construire, comme la récente catastrophe de Vendée en témoigne.
Pallier le déficit d'architecture en France
La notion même de projet architectural échappe aux processus de construction courants par la mise en avant de motifs fonctionnels, financiers ou de délais, si bien qu'une banalisation de la médiocrité s'est généralisée sur le territoire, sur le mode "ton pierre et quincaillerie de bazar".
Dans ce paysage, les architectes sont d'autant plus fragilisés que leur statut libéral les maintient en état de faiblesse face aux maîtres d'ouvrage et aux entreprises, avec pour seule autorité leur indépendance et leur déontologie. Le développement durable lui-même n'engendre pas une montée subite de la vertu collective. La richesse des savoir-faire acquis dans les écoles d'architecture reste sous-exploitée dans des missions de maîtrise d'œuvre partielles et des programmations réductrices par rapport à l'ensemble des enjeux. Le recours à l'architecte apparaît plus souvent être une contrainte qu'une ressource.
Il est temps de réfléchir aux moyens de pallier le déficit d'architecture en France, c'est une question politique qui concerne la vie quotidienne de chacun d'entre nous. La récente loi sur l'enseignement des arts à l'école - dont l'architecture - permettra d'élever le niveau culturel de la demande, mais il faudra bien le siècle entier pour que son impact sur la commande influe sur le domaine visible.
D'autres voies, plus efficaces et immédiates, doivent être envisagées pour assurer l'essor de l'architecture dans l'intérêt général que lui attribue la loi de 1977 et au-delà des moyens mis en œuvre depuis trente ans :
- des dispositions fiscales incitatives appliquées aux prestations intellectuelles d'architecture, comme il en existe dans le champ de l'immobilier (lois de Robien, Besson, Périssol, etc.) ; cela favoriserait l'immobilier de qualité, quelle que soit sa taille ;
- des aides aux collectivités locales sous la forme de crédits d'étude et de mise à disposition de conseils, pour activer la réflexion architecturale sur les dossiers intercommunaux de la grande échelle urbaine et territoriale, des schémas de développement ou d'aménagement, l'élaboration des PLU, des Scot, etc. ;
- un nouvel encadrement réglementaire de la maîtrise d'œuvre urbaine dans le Code des marchés publics, afin d'assurer la prise en compte de l'intérêt public dans les projets d'aménagement confiés de plus en plus souvent au secteur privé ;
- le regroupement dans un même ministère des services de l'architecture, de l'aménagement des territoires, du logement, de l'industrie, des infrastructures, et même de l'agriculture, afin d'assurer la cohésion et l'équilibre des approches ;
- le développement et la coordination, à un niveau régional, des réseaux existants de conseils, architectes et urbanistes de l'Etat, architectes des bâtiments de France, architectes conseils et paysagistes conseils de l'Etat, architectes des collectivités et de la maîtrise d'ouvrage institutionnelle ; ils doivent pouvoir travailler ensemble, définir des objectifs d'intérêt commun et des méthodes pour l'aménagement durable des territoires ;
- la création de dispositions fiscales spécifiques aux sociétés prestataires de services intellectuels pour favoriser le regroupement de professionnels de l'architecture et du cadre de vie dans des structures fortes et respectées.
L'ordre des architectes ouvre la réflexion et le débat sur ces évolutions majeures pour notre société et celle de demain, celles qui agiront contre la "France moche" que dénonçait récemment le magazine "Télérama", celle que les architectes savent contrecarrer pour peu qu'on les sollicite.