Circonstances imprévues, imprévision... Bercy livre un énième mode d'emploi
Une question écrite posée au ministère de l'Economie montre combien le maniement des notions de la commande publique permettant de remédier aux difficultés économiques des titulaires de contrats publics face à des événements imprévus, et leur formalisation, restent flous pour beaucoup. Sa réponse rappelle les règles du Code de la commande publique, l'état de la jurisprudence et les éléments issus de l'avis du Conseil d'Etat du 15 septembre 2022.
Isabelle d'Aloia
Le sujet de l'indemnisation des entreprises au motif de circonstances imprévues est malheureusement toujours d'actualité... Il en va de même des interrogations sur son régime juridique. Interpellé par la députée Laure Darcos (Essonne - LR), Bercy fait le point entre les différentes possibilités de dédommagement existantes que sont l'indemnité d'imprévision et les règles de modification des contrats en cours. Il précise notamment la formalisation de ces options par un avenant ou une convention.
Modification du marché
Le droit de la commande publique prévoit les cas dans lesquels les contrats de la commande publique peuvent être modifiés, et leurs modalités. L'article R. 2194-5 du Code de la commande publique (CCP), qui indique que "le marché peut être modifié lorsque la modification est rendue nécessaire par des circonstances qu'un acheteur diligent ne pouvait pas prévoir", constitue l'une de ces possibilités. Le ministère de l'Economie attire l'attention sur le fait que "ces modifications sont généralement formalisées dans un avenant au contrat, mais elles peuvent également prendre la forme d'une modification unilatérale de l'acheteur lorsque le contrat de la commande publique en cause peut être qualifié de contrat administratif en application des dispositions combinées des articles L. 6 et L. 2194-2" du code précité.
Indemnité d'imprévision
"L'indemnisation sur le fondement de la théorie de l'imprévision relève d'un régime différent qui vise à dédommager partiellement le titulaire du préjudice qui résulte de l'exécution du contrat malgré le bouleversement temporaire de son équilibre économique", poursuit le ministère. Il s'agit d'un droit pour le titulaire, prévu au 3° de l'article L. 6 du CCP, alors que la modification du contrat n'est qu'une faculté pour les parties, comme le précise le Conseil d'Etat dans son désormais célèbre avis du 15 septembre 2022.
Bercy rappelle que selon une décision n° 89655 du Conseil d'Etat de 1932, la convention d'indemnisation accordée sur le fondement de la théorie de l'imprévision, de même d'ailleurs qu'une décision unilatérale de l'autorité administrative fournissant une aide financière pour pourvoir aux dépenses extracontractuelles afférentes à la période d'imprévision, ne peut être regardée comme une modification d'un marché ou d'un contrat de concession au sens des articles R. 2194-5 et R. 3135-5. Elle "n'est [donc] pas soumise aux conditions et limites posées par ces dispositions, mais uniquement à celles prévues par les dispositions du 3° de l'article L. 6 du même code qui codifie la jurisprudence administrative sur l'imprévision".
Décompte général et définitif
Autre apport de la jurisprudence sur cette indemnité d'imprévision : elle "ne peut être regardée comme une conséquence financière de l'exécution du marché", car elle vise à compenser les charges extracontractuelles subies par le titulaire. Ainsi quelle que soit la forme d'attribution de l'indemnité (par décision unilatérale de l'autorité administrative, dans le cadre d'une convention d'indemnisation ou par le juge administratif), "elle n'a pas à être inscrite dans le décompte général et définitif, à la différence des indemnités allouées à l'entrepreneur au titre des sujétions imprévues (CE, 31 juillet 2009, "Société Campenon Bernard et autres", n° 300729) ».
Cumul possible
Ainsi, comme précisé dans la circulaire n° 6374/SG de la Première ministre du 29 septembre 2022, "dès lors que ce droit à indemnité relève d'un régime juridique distinct des règles de modification des contrats en cours et des règles d'établissement du décompte général du contrat, les parties peuvent aussi choisir de conclure une convention d'indemnisation sur le fondement de la théorie de l'imprévision (3° de l'article L. 6 du CCP), plutôt que de modifier le contrat".
Par conséquent, l'octroi d'une indemnité d'imprévision doit être formalisé non pas dans un avenant au contrat, mais dans une convention indemnitaire ad hoc qui peut être qualifiée de transaction si elle remplit les conditions de sa caractérisation au sens et pour l'application des articles 2044 du Code civil et L. 423-1 du Code des relations entre le public et l'administration.
A noter que l'octroi de cette indemnité peut être cumulé avec une modification du marché, même lorsque celle-ci est faite sur le fondement de l'article R. 2194-5 (c'est à dire, fondée sur des circonstances imprévues), comme le souligne le Conseil d'État dans son avis du 15 septembre précité.
QE n° 04406, réponse à Laure Darcos (Essonne - LR), JOAN du 7 septembre 2023
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