Avec Katerra, la Silicon Valley s’attaque au bâtiment

Cette start-up américaine fondée en 2015 par des fleurons de la high-tech entend révolutionner le BTP. Son secret ? Un modèle totalement intégré et digitalisé, de la production des matériaux à la construction, en passant par l’architecture et l’ingénierie.

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Avec Katerra, la Silicon Valley s’attaque au bâtiment
Katerra gère les chantiers de la conception à la finition et produit puis distribue elle-même ses matériaux préfabriqués en bois. Elle emploie déjà 1300 collaborateurs, dont une centaine d'architectes, travaille en full BIM et s'appuie sur un système d'information unique.

La nouvelle a mis la Silicon Valley en joie tout en provoquant un mini-séisme dans le secteur du BTP américain. Début avril 2018, Vision Fund, le plus grand fonds d’investissement technologique au monde, porté par SoftBank et nanti d’une capacité d’investissement de plus de 93 milliards de dollars, annonçait injecter 865 millions de dollars dans la start-up Katerra. Une jeune pousse apparue sur les radars voilà un peu plus deux ans, et qui promet de « disrupter » l’industrie de la construction dans son ensemble.

Sa recette ? Intégrer « verticalement » toutes les phases : conception des bâtiments, production et distribution de bois massif et CLT, assemblage en usine des modules préfabriqués, montage sur chantier… et avec une approche de contractant général. Elle emploie déjà 1500 collaborateurs, dont une centaine d’architectes, pour un carnet de commandes de 1,3 milliard de dollars.

Une vision résumée en vidéo :

« 70% des investissements en nouvelles technologies pour la construction ont lieu aujourd’hui aux Etats-Unis, met en perspective José Luis Blanco, expert chez McKinsey et auteur du rapport-référence sur « La nouvelle ère technologique des secteurs de l’ingénierie et de la construction », publié en juillet 2017. C’est un indice d’un changement profond, après des décennies de paralysie, dues à la difficulté des entreprises à digérer le progrès informatique d’une part, mais aussi à prendre le risque d’investissement. » La méga-opération de Vision Fund, dont c’est la première incursion dans le BTP, est interprétée comme une brusque accélération. Elle place Katerra aux avant-postes de la transformation du secteur.

L’heureux bénéficiaire du pactole n’a rien d’une entreprise « commune » du bâtiment. Katerra a été créé fin 2015 à Menlo Park (Californie), berceau de Google et siège de Facebook. Et la jeune pousse est bien décidée, avec ses 1500 employés et son carnet de commandes de 1,3 milliard de dollars, essentiellement des maisons individuelles pour le moment, à chambouler le secteur de la construction, en lui appliquant les méthodes, le management et le génie informatique rodés dans l’univers high-tech.

"Archaïsme"

A eux seuls, les CV de ses créateurs déroulent le business plan. L’idée de Katerra a surgi en 2015 d’une série de conversations entre Michael Marks, ex-patron du géant high-tech Flextronix et investisseur de la première heure du constructeur automobile Tesla, et son ami Fritz Wolff, promoteur immobilier de Phoenix (Arizona).

Plus encore que la pénurie de logement chronique de la Californie du nord, tous deux diagnostiquaient « l’archaïsme » de ce secteur vital de l’économie, criblé de « goulets d’étranglement » depuis l’acquisition des matériaux jusqu’aux intervenants et intermédiaires en cascade sur les chantiers, facteurs « d’inflation du prix des logements ».

"Comme Tesla, nous nous chargeons de tout"

« Voila un secteur où chaque immeuble est bâti comme s’il s’agissait d’un prototype unique. Si l’on fabriquait aujourd’hui l’électronique de cette manière, avec des dysfonctionnements à toutes les étapes et un investissement quasi inexistant en R&D, un iPhone coûterait 270 000 dollars au consommateur, provoquait Fritz Wolff, le 13 avril dernier, lors d’un colloque de l’université de Harvard sur le coût du logement aux Etats-Unis; un sujet qui occupe régulièrement la une des médias, Outre-Atlantique. « D’où notre idée : de même que Tesla produit lui-même tous ses éléments, y compris ses batteries, nous nous chargeons de tout », assène-t-il.

Plus de cabinets d’architectes extérieurs, plus d’entreprise générale indépendante… « Nous misons sur les économies d’échelle, sur l’intégration verticale et le contrôle total de la chaîne de production, depuis les ordinateurs de nos architectes et ingénieurs jusqu’au montage final sur place ».

Des premières levées de fonds ont permis à la start-up de se structurer rapidement. Si elle siège toujours à Menlo Park, ses 1500 employés sont désormais répartis entre plusieurs pôles aux Etats-Unis.

Grandes presses

Katerra dispose d’une usine principale à Phoenix. Elle produit la majorité des éléments préfabriqués nécessaires à ses constructions et emploie plus de 400 personnes. Elle permet de rayonner sur les deux marchés proches du Texas et de la Californie. A Spokane, près de Seattle (Etat de Washington), une nouvelle unité, gigantesque, est en cours de construction. Elle fabriquera des structures en bois stratifié croisé, grâce à dix des plus grandes presses des Etats-Unis, (20 mètres sur 3 !), alimentée par le bois des forêts du nord-ouest du pays. Quatre autres usines devraient suivre d’ici à 2020 sur tout le territoire, afin de se placer « à proximité de 90% de la population américaine », projette la start-up.

L'usine principale de Katerra, à Phoenix (Arizona). La start-up y fabrique les éléments en "préfa" bois et déjà équipés (fenêtres, gaines électriques...). Les pièces sont ensuite expédiées sur les chantiers par sa propre logistique selon une logique de "juste à temps". © Katerra

La jeune pousse muscle aussi sa maîtrise d’œuvre. Son premier centre de design et d’architecture, qui emploie 75 architectes, est situé à Seattle. L’inauguration d’une seconde unité d’architecture, sur la côte Est des Etats-Unis, à Atlanta (Géorgie), est imminente.

Enfin, Katerra ne se contente déjà plus de recruter chefs de chantiers et compagnons. Elle vient de racheter une entreprise générale du New Jersey, la Fields Construction Company, stratégiquement situé à 10 minutes du cœur de Manhattan et à l’orée des banlieues de New York, une zone sur laquelle elle fonde de grandes ambitions.

Plate-forme digitale et système d'information unique

Cet ensemble industriel, modèle d’intégration verticale, est relié en tout point par une plate-forme digitale conçue en interne. Elle permet, dès le choix de la gamme de bâtiment et de sa configuration par le client, l’établissement des plans en Building Information Modeling (BIM) et déclenche dans la foulée la fabrication des éléments à l’usine, ainsi que le suivi de toute la chaîne de valeur par l’équipe chargée du projet.

Contremaîtres et ouvriers de chantier sont tous dotés d’une application mobile. Elle leur donne accès aux plans à toutes les étapes, aux spécifications des pièces, toutes taguées électroniquement à l’usine. © Katerra

Les éléments de base, murs intérieurs ou extérieurs, panneaux découpés par des robots et équipés de plomberie et de circuits électriques, portes et fenêtres entièrement montées, peuvent être destinés à des configurations de bâtiments très différentes. Même la robinetterie et l’éclairage sont intégrés au processus en usine. Ces approvisionnements sont réalisés par une unité d’achat et de contrôle de qualité que la jeune pousse a implanté à Shenzhen (Chine), et de fournisseurs triés sur le volet au Mexique.

Modèle Ikea

La force supposée de Katerra tient aussi à l’intégration des contraintes logistiques. Le design de ses éléments est conçu “à la Ikea”, pour un transport facile par camion. En parallèle, le système d’information est paramétré en « juste à temps » pour chaque étape du processus, de l’approvisionnement en matériaux divers de l’usine, jusqu’au plan de charge des grues de chantier et du personnel nécessaire à l’assemblage final d’immeubles entiers.

Les contremaîtres et ouvriers de chantier sont tous dotés d’une application mobile. Elle leur donne accès aux plans à toutes les étapes, aux spécifications des pièces, toutes taguées électroniquement à l’usine. Et même à des vidéos retraçant leur fabrication, pour faciliter l’assemblage et les inspections légales des bâtiments.

Immeubles de 18 étages

L’ensemble de ce dispositif doit assurer des coûts et des temps de constructions « inférieurs de près de 40% à la moyenne du secteur », affirme Katerra. Après avoir fait ses armes sur une dizaine de chantiers de logements collectifs sur la côte ouest, entrepris par le promoteur The Wolff Company, propriété du cofondateur Fritz Wolff, et au Texas, Katerra passe à la vitesse supérieure. L’argent frais de Vision Fund va notamment financer le développement vers les marchés de bâtiments publics (écoles…) ou de résidences seniors ou étudiants, facilement standardisables.

Le tertiaire figure aussi dans sa cible. La R&D va se concentrer ses prochains mois sur l’usage du bois lamellé-collé, ignifugé et résistant aux tremblements de terre. Objectif : concevoir une structure pour des immeubles pouvant atteindre 18 étages.

Ce nouveau programme immobilier californien, standardisé de A à Z par Katerra, se veut une vitrine du savoir-faire architectural de la start-up. © Katerra

Katerra, le nouveau “disrupter”, chambouleur du secteur du bâtiment, s’est jusqu’à présent centré sur l’habitat collectif “accessible”, les cités universitaires, les maisons de retraites et les bâtiments commerciaux, en misant, une gageure pour un spécialiste du préfabriqué, non sur l’uniformité des bâtiments mais sur la qualité de leur design architectural, comme en témoigne le magnifique complexe de 356 logements de Union South Bay, à Carson, en Californie. Une preuve grandeur nature que la disruption a déjà commencé.

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