Accessibilité : « Le jour où je suis devenu délinquant », Philippe Maffre, architecte
Il y a quelques mois, Nadia Sahmi, architecte AMO en accessibilité réagissait, dans une interview au Moniteur.fr , sur la nécessité de réécrire quelques textes réglementaires de la loi du 11 février 2005 concernant la mise en accessibilité du cadre bâti. Aujourd’hui, Philippe Maffre, architecte spécialisé dans la muséographie et la mise en valeur du patrimoine culturel, porte un éclairage sur les limites de la loi.
Nous défendons depuis de nombreuses années l’accessibilité des villes et édifices à tous. Bien avant que l’accessibilité devienne une priorité et un engagement politique, nous travaillons sur la prise en compte, dans le cadre bâti, de l’évolution de la famille et des personnes au fil de la vie. Dès le milieu des années 1980, dans le cadre de mes travaux d’école, ce thème de l’adaptation de la ville à tous, a été un des moteurs de la conception des projets.
La rencontre avec Nadia Sahmi en 1997 autour du projet de la requalification du Cargo à Grenoble a relancé et appuyé cette démarche. Travailler avec Nadia Sahmi permettait de reprendre le thème de l’accessibilité, non pas comme une application de normes rigides et surtout ségrégatives mais comme une approche globale sur le cadre de vie pour tous.
Contexte
La loi du 11 février 2005 a permis la mise en œuvre, dans les constructions nouvelles d’une accessibilité de bon niveau, même si, elle n’est toujours considérée, par une partie des professionnels que comme une accessibilité aux personnes à mobilité réduite. Un manque de formation et d’information de ces professionnels est à l’origine d’une mauvaise compréhension des objectifs de la loi et d’une mauvaise prise en compte des besoins. Par ailleurs, faute de sensibilisation, elle est considérée comme une contrainte supplémentaire, dans un accroissement normatif et non comme un outil de confort pour tous les usagers, qu’elle peut devenir.
Par contre, la loi du 11 février 2005, est très directive, trop directive. En lieu d’objectifs, elle se substitue sur de nombreux points aux concepteurs qui pourraient trouver des solutions mieux adaptées aux problèmes rencontrés. Dans le même temps, et en contrepoint de ces points trop précis, une majorité de situations quotidiennes ne sont pas abordées. Ceci ne serait pas très grave si la peur du risque sur les situations non décrites n’engendrait de la part des bureaux de contrôle des refus fréquents qui sont catastrophiques pour le développement des projets et l’innovation. Nous avons eu à réaliser un projet spécifique d’accessibilité, validé par les usagers et les associations et qui a toutefois été sanctionné d’avis défavorables surprenants de la part du bureau de contrôle, car la situation et la solution n’étaient pas inscrites dans le texte. Ce type de situation kafkaïenne nuit à la qualité des espaces architecturaux, fait perdre un temps précieux pour la conception et handicape la recherche et l’innovation en terme d’accessibilité.
Depuis 2005, nous avons expérimenté, au fil des projets, un nombre certain de solutions d’accessibilité, en France pour certaines et à l’étranger. Cette expérimentation reste pour nous une priorité. Cependant, à cause du caractère pénal des sanctions, nous menons plus d’expérimentations et mettons en œuvre des projets plus innovants et efficaces hors du territoire français.
Chercher des solutions innovantes pour favoriser l’accès physique et culturel de tous nous paraît être un point fondamental de notre travail d’architecte. Mais nous ne pouvons accepter de risquer d’être traduit devant un tribunal pénal avec les conséquences qui en découlent, pour avoir cherché des solutions innovantes mais hors d’un cadre règlementaire trop strict. Ce caractère pénal fait de nous des délinquants, ce que nous ne pouvons accepter.
La situation actuelle, pour le bâti existant et plus encore pour les espaces patrimoniaux (urbains, bâti ou paysagers), est contre-productive. J’ai malheureusement dû refuser de mener jusqu’à sa réalisation, un projet de rampe qui aurait largement facilité l’accès de personnes à mobilité réduite à un monument, car personne n’a voulu signer une dérogation permettant la réalisation d’une rampe à 5,6% au lieu de 5%. La rampe n’a donc pas été réalisée. Est-ce un progrès ? On voit, sur ce type de projet particulier, la limite de l’exercice.
Le caractère pénal des sanctions est particulièrement dommageable dans le bâti existant ou les espaces géographiques particuliers. Faut-il raser le Mont Saint-Michel car les pentes sont supérieures à 5%, les portes trop étroites, les contrastes entre matériaux trop faibles ? « Pourquoi pas », m’a-t’on répondu lors d’une réunion. La destruction du patrimoine peut-elle être une conséquence de la loi sur l’accessibilité de ce même patrimoine ? Ne peut-on pas trouver des adaptations ? Ne peut-on pas utiliser toutes les possibilités relevant des équipements rapportés, des services à la personne avant d’exiger des ouvrages bâtis destructeurs ? Est-il indispensable, quoique légitime, d’accéder partout, tout seul ?
Les règles de la loi du 11 février 2005 peuvent être en totale contradiction avec des règles internationales comme celles de la conservation de certaines œuvres d’art ou pièces archéologiques fragiles. Ces dernières ne peuvent être soumises à un éclairement supérieur à 11500 lux/an soit une exposition à 50 lux minimum sur trois mois. Dessins, gravures, manuscrits, œuvres sur papier en général, mais aussi les tissus, certains fragments archéologiques comme des cuirs peints ou des matériaux organiques ne peuvent pas supporter les 100 lux exigés par la loi. Faut-il priver la population de la présentation de ces pièces parce que les personnes malvoyantes ne peuvent les apprécier ? Faut-il interdire ces expositions car elles seraient discriminatoires ? Mais aurait-on le droit de supprimer des pans entiers de la culture à tous les autres visiteurs ?
La loi ne règle pas et ne peut régler toutes les solutions. Ses exigences sont absolument légitimes, mais les besoins formulés seraient d’autant mieux acceptés et relayés si la population entière se sentait concernée. Tous les besoins exprimés dans la loi pourraient s'inscrire dans le cadre d’une politique familiale. Des difficultés d’une future maman dans les déplacements, aux contraintes dimensionnelles des poussettes, de l’accident d’école aux grands-parents fatigués, les difficultés de déplacement se retrouvent au fil de la vie familiale, pour ne parler que des problèmes liés à la mobilité. Les soucis de vision, d’audition, de difficultés psychiques ne sont pas l’apanage de personnes seules, mais bien des situations auxquelles les familles sont confrontées. Une loi écrite dans ce sens aurait permis et peut permettre de sensibiliser l’ensemble de la population aux besoins en termes d’accessibilité.
Conclusion
Après 7 années d’expérimentation et de prise en compte de la loi dans les projets, on constate des dysfonctionnements et des effets induits qui demandent qu’elle soit amendée, complétée et adaptée aux situations particulières. Ces modifications peuvent être l’objet d’un travail collégial qui permettra de prendre en compte les différents acteurs de la construction et de trouver ensemble des solutions optimisées.
Reprenons les fondamentaux, pour tous, que sont l’accès à la ville et aux activités sociales. Veillons à ce que cet accès ne se fasse pas au détriment d’autrui et surtout veillons à ce que la mise en accessibilité se construise en partenariat. Vérifions que l’accessibilité soit un acte partagé, un acte de progrès et de confort. Veillons à ce que les besoins soient satisfaits sans que les contraintes liées à l’accessibilité des uns ne suppriment pas l’accès des autres et ne détériorent le bien commun. Veillons à ce que les installations mises en œuvre ne stigmatisent une partie de la population.
Visons une accessibilité intégrée et non rapportée. Visons des installations esthétiques et non stigmatisantes. Visons une accessibilité guidée par un confort pour tous. De nombreuses solutions sont trouvées en permanence dans de nombreux pays, prenons-les en compte.
Accessibilité : « Le jour où je suis devenu délinquant », Philippe Maffre, architecte
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